CHARLES LE POIS
(1563-1633)
Georges GRIGNON
1633, la peste sévit en
Lorraine, en particulier à Nancy. Médecins et bénévoles, ces derniers
assurément plus dévoués que compétents, sont surmenés et maintenant débordés
par l’ampleur de la tâche. Parmi eux, un homme de 70 ans dont le nom est
célèbre dans toute l’Europe, un homme couvert d’honneurs, jouissant du respect
de tous, oeuvre parmi les survivants. Cet homme, animé par le seul souci de
servir ses semblables, est venu de Pont-à-Mousson, cet homme, c’est Charles Le
Pois, premier professeur et premier doyen de la Faculté de Médecine de
Pont-à-Mousson. Bientôt il va contracter lui-même la terrible maladie et mourra
victime de son devoir. On ne sait rien de ses derniers moments au sein de la
foule des mourants qu’il a rejointe. On ne sait pas ce que devint son corps, on
ignore où est sa sépulture. Reste dans le compte du trésorier général de
Lorraine cette mention glacée au regard de son nom “Obiit
en l’an de ce compte”, seule oraison funèbre qui clôt cette fin tragique et
misérable.
1563, Charles Le Pois voit le
jour dans une famille de médecins. Son père Nicolas Le Pois est médecin du duc
de Lorraine, il s’est rendu célèbre par la publication d’un livre : “De Cognoscendis et curandis,
præcipue internis humani corporis morbis” dont Herman Boerhaave
a pu dire “(ce) livre est véritablement une bibliothèque entière de médecine
(…) il contient tout ce qu’il y a de bon dans les auteurs jusqu’au milieu du XVIe siècle”. Ce père, attentif à l’instruction de son fils,
l’envoie étudier à Paris d’où il revient, en 1590, avec le titre de licencié en
médecine et devient médecin du duc Charles III en 1596.
1572 est l’année où le Pape
Grégoire XIII, soutenu par le duc Charles III et le cardinal
de Lorraine, fonde l’Université de Pont-à-Mousson dont il confie
la gestion à la Compagnie de Jésus. Il faut cependant attendre 1598 pour que
soit créée la Faculté de Médecine qui viendra s’ajouter aux Facultés de Droit,
des Arts et de Théologie. Charles III nomme, comme premier professeur, Charles
Le Pois qui devient en même temps premier doyen de la Faculté où il sera bientôt
rejoint par son parent Toussaint Fournier, puis un peu plus tard par Pierre Barot, Jean Levrechon et René
Baudin. Assez curieusement Charles Le Pois, alors âgé de 33 ans, qui avait fait
de brillantes études à la Faculté de Médecine de Paris, doit se hâter d’aller
subir un dernier examen le 6 mai 1698, examen qui lui permet d’être reçu au
rang de docteur, titre sans lequel il ne pouvait pas remplir sa charge de professeur.
Très vite la Faculté acquiert un
grand renom dans l’Europe entière, les étudiants se pressent à Pont-à-Mousson
qui rayonne de mille feux. Ce succès éclatant est lié à la personnalité de
Charles Le Pois dont les mérites furent reconnus, notamment par l’illustre
Boerhaave qui écrivait en 1714 dans la préface de la 7e édition du principal
ouvrage de Charles Le Pois
“Selectionum
observationum et consiliorum
de prætervisis hactenus morbis affectibusque
præter
naturam, ab aqua seu serosa colluvie
at diluvie ortis, liber singularis opsus novitate et
varietate doctrinæ utile juxta atque jucundum”. Je vous ai recommandé de lire nuit et jour ses ouvrages
parce qu’ils vous apprendront tout ce qu’il y a de plus beau et de plus certain
dans la médecine (…) Recevez donc ce livre (…) méditez le souvent, il vous
plaira et vous sera toujours utile : je puis vous l’assurer d’après ma propre
expérience, vous ne vous repentirez pas de le lire dix fois.
Profondément respectueux des
grands médecins du passé, et en particulier, d’Hippocrate, Charles Le Pois
s’est fixé comme tâche, non pas de perpétuer les connaissances qu’ils avaient énoncées,
mais de les compléter et de les éclairer par des lumières nouvelles. Ainsi
Charles Le
Parmi ses observations les plus
célèbres figurent celles des crises d’épilepsie, des vertiges, de l’hystérie
dont il fut le premier, semble-t-il à affirmer qu’elle avait son origine dans un
dérèglement cérébral. Sa longue description de l’agonie de Charles III est
aussi un modèle de précision et d’objectivité.
Il est également un précurseur
de la fameuse méthode anatomo-clinique qui a pour
objet d’observer et répertorier les lésions observées au niveau des organes au
cours d’autopsies et de les relier à la maladie dont souffrait le patient
décédé. Cette méthode, pour lui, faisait partie de sa lecture du “livre de la
nature”.
Sans doute oublierons nous vite
ses explications fort complexes des maladies par excès ou défaut d’humeur en
qualité et en quantité, pour nous souvenir qu’il a évoqué bien des facteurs qui
agissent sur la santé de l’homme : les conditions atmosphériques, la qualité de
l’environnement, l’hérédité, ce qui n’était pas courant pour l’époque.
A ces qualités de médecin
novateur, Charles Le Pois joint un sens aigu de ses responsabilités ; il était
un homme de devoir, ce qu’illustre sa mort à Nancy parmi les victimes de la
peste. Il était aussi un homme de caractère ce qui l’a conduit à défier
l’autorité des Jésuites en refusant de prêter serment d’obéissance au Recteur
(…), ce qu’il put maintenir probablement grâce à la
protection que lui avait accordée Charles III.
En ce début du XVIIe siècle, Charles Le Pois eut mission de créer un
enseignement médical en Lorraine, ce dont il s’est acquitté avec un remarquable
succès. Seules la guerre et les épidémies sont venues briser l’exceptionnel
éclat de cette Faculté qui eut, le calme revenu, bien du mal à retrouver son
lustre passé. Au-delà de cette réussite, Charles Le Pois, sans totalement renier
les auteurs de l’antiquité dont les idées étaient encore respectueusement
admises et solidement ancrées, sut apporter des idées
nouvelles, proposer des concepts nouveaux et illustrer ce texte de Sénèque dont
il donne lui-même la traduction : “Ceux qui vécurent avant nous, ont
beaucoup fait mais n’ont pas tout fait. Il reste beaucoup à faire et il restera
encore beaucoup et dans deux mille siècles tout homme nouvellement né pourra
encore ajouter quelque chose”.