JULIEN-FRANCOIS JEANNEL (1814-1896)
Claude
Menant de front et brillamment
les deux carrières de médecin et de pharmacien militaire, cet inlassable
novateur fut un touche-à-tout de génie dont le caractère passionné n’avait
d’égal que le désintéressement.
Il trouve sa place ici car la
Lorraine fut l’occasion, pour lui, en des temps particulièrement douloureux, de
donner libre cours à son génie inventif dans un domaine inattendu.
Mais qui était-il ?
Né à Paris le 14 février 1814,
il se destine à une carrière de pharmacien militaire, et, à
ce titre, devient élève à l’Hôpital d’Instruction du Val-de-Grâce.
Retenons que dans les affectations qui feront suite à cette instruction, dont
il était sorti lauréat en 1835, trois sont situées dans le Grand-Est
: Colmar, Sarreguemines et Phalsbourg. Trouvant la vie de garnison peu
motivante, il occupe ses loisirs à faire ses études de médecine et il soutient
sa thèse en 1838 à Paris sur les bandages herniaires, sujet qu’on peut, sans
doute, considérer comme à la frontière de la médecine et de la pharmacie
d’alors.
C’est en Algérie, lors du siège
de Médéa par Abd-el-kader en 1840, que Jeannel va donner la mesure de son génie inventif et de son
sens de l’initiative. Il n’a que 26 ans et figure parmi les 200 assiégés. Les
528 chevaux et mulets du cheptel associé à la garnison, sont voués à une mort
certaine en raison du manque total de fourrage. On ne sait combien durera le
siège.
Jeannel a alors une intuition géniale et salvatrice. Il fait
abattre tout le cheptel. Il fait fumer la viande en utilisant tout le bois de
récupération disponible. Les 1600 kilos de viande séchée ainsi obtenue sont
transformés en bouillon, ensuite conservés en tablettes, réutilisables
ultérieurement par dissolution. Il avait inventé le “bouillon-cube”,
précédant en cela le chimiste allemand Liebig. Ce faisant, il avait sauvé la
garnison assiégée de la disette, lui permettant de tenir 3 mois jusqu’à la
délivrance par Changarnier. Mais il n’avait pas pensé à faire breveter la
technique !
Rentré en France en 1842, Jeannel se fixe à Bordeaux où il commence sa carrière universitaire
à l’école de Médecine, mais aussi devient médecin-chef du dispensaire
municipal.
C’est là aussi, que, beaucoup
plus tard, en 1857-1858, il va mettre sur pied l’A.G.M.F.
Fondant dans le même moule les professions de santé, cette association
anticipait la création bien ultérieure des Conseils de l’Ordre et des Syndicats
: elle existe toujours !
C’est durant la guerre de Crimée
qu’il révèlera ses talents d’hygiéniste à l’occasion d’une comparaison
salutaire qu’il opère, en qualité de pharmacien-chef
de l’armée d’Orient, entre les conditions d’hospitalisation des blessés dans
notre armée et celles des Russes. Malgré une compétence médicale moindre de ces
derniers, la mortalité est bien plus faible chez eux que chez nous. Ce résultat
tient, selon notre homme, à la différence entre les types d’hospitalisation.
Alors que les blessés et les
malades français s’entassent dans les salles communes des vieux hôpitaux de la
ville de Varna en Bulgarie, chez les Russes, à Iéni-Kali,
les blessés sont logés en petit nombre dans de petites habitations distantes
les unes des autres. C’est la promiscuité qui apparaît à Jeannel
comme responsable de cette grande contagion chez les blessés français.
Il en tire immédiatement la
conclusion, et, en accord avec son supérieur hiérarchique Michel Lévy, lui-même
hygiéniste reconnu, opère la dispersion des malades dans les jardins et les tentes,
et fait largement aérer les salles. Le résultat ne se fait pas attendre : au
bout d’une semaine, la mortalité passe de 125 par jour à 5 ou 6, tant pour le
choléra que pour la “pourriture d’hôpital” !
Les architectes s’inspireront de
cette “doctrine Jeannel”, maintes fois exposée, y
compris dans un ouvrage sur la sériciculture où la maladie des vers à soie y
est dénoncée comme résultant, elle aussi, de la promiscuité. Les hôpitaux
construits sur le mode pavillonnaire à partir des années 1880, porteront le nom
“‘hôpitaux système Tollet”, du nom de l’architecte
hospitalier qui les a en quelque sorte vulgarisés.
Mais, venons-en au titre de
gloire un peu insolite qui rattache le nom de Jeannel
à la Lorraine.
C’est à Paris, où il avait été
nommé pharmacien-chef de l’hôpital Saint-Martin, que
la guerre de 1870 le surprendra. Le voici, en qualité de pharmacien-chef
de la Garde Impériale, enfermé, sous les ordres de Bazaine, dans la citadelle
de Metz cernée par les Allemands. La question alors posée n’est pas de même
nature que celle, lancinante, de la famine tant redoutée à Médéa. Mais, pour un
esprit imaginatif, toujours en quête d’invention, c’est l’isolement qui constitue
la préoccupation majeure. Il cherche une solution pour communiquer avec
l’extérieur ; il la trouvera sous la forme du courrier aérien. Eh oui, Jeannel est l’inventeur de ce mode d’acheminement du
courrier. Comment procède-t-il ?
Après l’indispensable
autorisation de Bazaine, qui, pour des raisons évidentes, limite la teneur des
messages à une stricte correspondance privée, Jeannel
s’installe avec son ami, le médecin-major Papillon dans les greniers de Fort-Moselle à Metz. Là, les deux compères confectionnent
des ballonnets en papier pelure imperméabilisés au collodion. L’hydrogène est
obtenu par action de l’acide sulfurique sur de la ferraille. Ils obtiennent ainsi
des ballons d’environ lm3 susceptibles d’emporter 1200g de courrier et de tenir
l’air pendant environ 5 heures. De brefs messages familiaux écrits sur papier
pelure pouvaient ainsi être expédiés. Une promesse de récompense de 100 frs était jointe pour celui qui trouverait le lot de
messages et le posterait. C’est ainsi qu’entre le 2 mai et le 13 septembre 1870
environ 3000 “papillons des pharmaciens” furent confiés à la voie
des airs. Nos géniaux inventeurs du courrier aérien furent bientôt copiés,
notamment par les bataillons du génie du colonel Goulier. Plusieurs incidents
émaillèrent cette histoire parmi lesquels des différends conjugaux résultant
d’une mauvaise destination finale du courrier. Mais, surtout, les aléas de la
météorologie firent que certains courriers s’égarèrent là où ils n’auraient pas
dû, c’est-à-dire en territoire occupé par l’ennemi. Ce fut notamment le cas,
comme nous l’apprend Jean-Marie Galmiche, de qui nous
sommes redevables de la narration de toutes ces péripéties, pour une lettre du
chef d’état-major, le général de Coffinière, qui ne
mâchait pas ses mots sur l’impéritie de Bazaine. Le Prince Frédéric-Charles de
Prusse à qui le message avait été rapporté, souligna de sa main à l’encre rouge
les passages les plus corrosifs et le réexpédia ... à Bazaine ! Ce fut le coup
de grâce pour la poste aérienne de Jeannel et
Papillon.
Toutefois, nous n’abandonnerons
pas ces deux sympathiques personnages sans indiquer ce qu’ils devinrent
ultérieurement, la guerre terminée, lorsqu’ils furent rendus au cadre de réserve.
Eh bien, en dépit de la hargne que leur portait Paul Bert alors au faîte de sa
puissance, ils furent les commis voyageurs et les instigateurs du projet de
Faculté libre de Lille et figurèrent au nombre des premiers professeurs titulaires
lors de la création de cette Faculté. Nous invitons vivement le lecteur à se
reporter à la lecture de l’article documenté de J.M. Galmiche sur son trisaïeul, qui retrace les très nombreux
domaines où la sagacité et l’inventivité de ce personnage hors norme se
donnèrent libre cours.
Pour le sujet que nous
rapportons, il faut indiquer, qu’à l’initiative des philatélistes, s’est tenue
à Metz le 25 octobre 1980 une cérémonie commémorative du 110e anniversaire des ballons
postiers avec participation de la N.A.S.A, de la
Municipalité de Metz, de la revue Icare et du Musée Postal.