LA FIN TRAGIQUE DE HENRI
CHAPUT (1857-1919)
Claude PERRIN
Qui ne connaît les gants de
caoutchouc à manchettes renforcées, ou la soie de Chaput
stérilisée ? Qui ne connaît surtout la pince de Chaput,
toujours en service et présente dans les trousses chirurgicales ?
Tout cela est dû à Victor
Alexandre Henri Chaput (1857-1919). Né à Tonnerre, il
est docteur en Médecine en 1885 et entreprend une carrière chirurgicale
hospitalière dans les hôpitaux de Paris. Il fut successivement chirurgien de
l’hôpital Boucicaut, de l’hôpital Broussais et enfin de l’hôpital Lariboisière.
Chirurgien de grande réputation, exerçant son art avec virtuosité (son dernier
geste opératoire ne fut-il pas une double amputation chez un accidenté en 11
minutes ?). Il fut avant tout un chirurgien digestif qui s’est tout
particulièrement intéressé à la chirurgie intestinale. A ce titre, l’asepsie
devait retenir toute son attention. Il fut un défenseur et ardent propagateur
des gants de caoutchouc avec Halsted aux U.S.A. et von Mikulicz
en Allemagne, application rendue possible par la découverte de la vulcanisation
du caoutchouc par Goodyear en 1840. Chaput
s’intéressa également à la rachi-anesthésie alors
dénommée rachicocaïnisation, et aux greffes.
Nul doute que pour un tel homme,
il n’était pas concevable d’envisager un choix professionnel autre que le sien,
auquel il s’était voué de toute son énergie et de toute son âme.
Aussi vécut-il comme un affront
personnel l’abandon des études médicales par son fils Jean.
Surtout que cet abandon était en
faveur d’une pratique toute nouvelle, aventureuse et pleine de risques :
l’aviation ! Le père en conçut une rancoeur contre ce fils indigne dont
l’attitude apparaissait comme un désaveu et toute la famille partagea cette
réprobation contre Jean.
C’était pourtant, ce Jean Chaput, au témoignage de ses amis et camarades de combat,
un garçon délicieux, un merveilleux boute-en-train, respirant la joie de vivre
et d’une exquise gentillesse.
Ce fut, en effet, un pilote de
chasse émérite pendant la guerre de 1914-1918, un fonceur d’une audace folle
qui avait la réputation d’abattre ses adversaires “en leur rentrant dedans”.
Les Lorrains auront à coeur de
savoir que Jean Chaput figurait parmi les défenseurs du
ciel de Verdun en 1916 aux côtés de Navarre et de Nungesser. A sa mort, il affichera
un palmarès de 16 victoires homologuées en combat aérien.
Nous devons le récit de ce qui
va suivre au général Barthélémy qui l’a relaté dans
son livre, “L’étrange race des hommes volants” (France-Empire
édit. 1979), le tenant lui-même d’un ami de Jean, Georges Kirsch.
L’attitude du père envers son fils
avait un peu évolué quand il en connut la réputation d’excellence, de passion
et de courage, sanctionnée par des victoires aériennes. Mais voilà, quand le fils,
blessé à la cuisse, se retrouva dans le service du père, le naturel reprit le
dessus.
La fracture compliquée du fémur
obligea à des tractions-élongations douloureuses infligées
avec brutalité et sans pitié et avec des commentaires humiliants notamment en
comparaison du comportement supposé plus courageux du voisin de lit, Georges
Kirsch précisément. Or le traitement de celui-ci ne comportait pas ce type de
manipulation.
A la sortie, ce fut encore pire,
le père ne voulant condescendre à aucune faveur pour son fils, ne lui octroya
que le minimum en matière de convalescence. Le certificat rédigé stipule :“ Le strict minimum. Mon fils est guéri. Pour moi,
chirurgien qui l’ai soigné, quinze jours suffisent”.
A ce point que la commission
devant laquelle passa le jeune pilote dut en juger
autrement et doubla le temps de convalescence si chichement attribué par ce
père aussi intransigeant que vindicatif.
A quelque temps de là, au retour
dans son escadrille, Jean fut “descendu” en vol dans un combat aérien.
Que se passa-t-il alors dans la
tête de son père ?
Au retour de l’enterrement,
Henri Chaput revint dans son service et y pratiqua l’intervention
déjà signalée, une double amputation sur un accidenté. Contrairement à ses habitudes,
il ne réunit pas son équipe chirurgicale pour lui faire part des commentaires
portant sur cette opération. Au contraire, il congédia brutalement tout le
monde:“Allez vous en tous ! Laissez moi seul.”
L’infirmière major avait à peine
refermé la porte qu’il se tirait une balle dans la tête.