1925-1961
ELOGE FUNEBRE
Dans le
deuil qui a brutalement frappé Nancy et son corps médical, par suite de la
catastrophe ferroviaire de Vitry-le-Francois, le 18 juin 1961, la Faculté de
Médecine, les Hôpitaux et le Centre de Transfusion de Nancv sont éprouvés de
manière particulièrement cruelle.
Ayant été
parmi les premiers animateurs du Centre Régional de Transfusion dès 1949,
devenu Chef de Laboratoire et Directeur-adjoint de cet Organisme, ainsi que
Chargé de Cours d'Hématologie et Transfusion à la Faculté, Licencié es Sciences
par trois Certificats, dont celui récemment acquis de cristallographie, auteur
de nombreuses publications concernant l'hématologie, le Docteur Emile REMIGY venait d'être déclaré admissible à la
Section d'Hématologie du Concours d'Agrégation des Facultés de Médecine. Nous
nous étions ensemble réjouis de ce beau succès, et il m'avait affirmé de
manière touchante son désir de rester fidèle à Nancy, où il n'y avait cependant
pas de poste d'agrégation de la spécialité, plutôt que de continuer les
épreuves jusqu'à l'admission, ce qui l'eût à peu près sûrement conduit à une
proposition pour une ville lointaine. Retournant à Paris pour aider des
camarades qui poursuivaient le Concours, et assister à leurs épreuves ainsi
qu'à une séance de la Société Française d'Hématologie dont il était membre
assidu, il voyageait eu compagnie d'un ami de longue date, le Docteur GUIBAL, dont il avait été longtemps
assistant, dont il était hautement apprécié, et qui se faisait un plaisir de
s'entretenir avec lui pendant le trajet. Quelques instants plus tard une mort
tragique les réunissait. Et l'on peut dire d'Emile REMIGY qu'il est tombé au
champ d'honneur de l'Hématologie française. En pleine force de l'âge, en pleine
possession de ses moyens, il en était un des jeunes espoirs.
C'est
grâce à la persévérance soutenue de son enthousiasme, de son travail
désintéressé, qu'il en était arrivé là, ayant débute par la Transfusion et la
Réanimation, puis spécialisé « coagulationniste » au point qu'il faisait
office de consultant et de thérapeute écouté dans les divers services
hospitaliers, à l'occasion de syndromes hémorragiques graves ou difficiles à
classer. I1 était passionné de tout ce qui avait trait à l'hématologie : très
doué pour le laboratoire, il mettait méticuleusement au point des techniques
nouvelles ; saisissant en un clin d'œil, dans la luxuriance des publications,
les idées neuves et les voies d'avenir, il lisait sans trêve et ordonnait ses
fichiers ; son esprit de recherche qui ressort de ses publications, sa soif de
comprendre les mystères de la biologie, sa largeur de vues aussi bien cliniques
que scientifiques, faisaient de lui un remarquable enseigneur. Vivant sa
conférence, il la faisait, grâce à son exposé, à ses gestes, à ses dessins,
vivre à ses auditeurs. Il faisait partie de cette pléiade de jeunes maîtres qui
entraînent nos étudiants et suscitent parmi eux de nouvelles vocations. Et
plus il perfectionnait ses connaissances, plus se développaient en lui les
qualités de dévouement dont il avait fait preuve dès ses premiers contacts
avec le malade et avec le travail hospitalier. Donneur de sang jusqu'à la
veille exactement de la catastrophe qui devait l'emporter, il se dépensait sans
souci de l'heure, ni du calendrier, faisant bien avant la lettre et au delà de
toutes prévisions administratives, un plein temps qu'il entendait maintenir.
Dans le traitement de l'hémophilie auquel il avait consacré sa thèse de
Doctorat, il donna sa pleine mesure, typant et dosant les divers cas régionaux,
suivant de très près les hémophiles hospitalisés, sauvant la vie à plusieurs
d'entre eux en des circonstances particulièrement délicates, et s'intéressant
aussi à leur éducation, à leur formation technique, en vue de classement dans
des professions compatibles avec leur maladie. I1 était très assidu aux
réunions de l'Association des Hémophiles à Paris, afin de remplir an mieux
cette tâche médico-sociale difficile. Que d'instants passés à soigner ces
enfants si fragiles, et bien d'autres, en particulier les nouveau-nés atteints
de maladie hémolytique ou d'ictère grave des prématurés, à pratiquer des
exsanguino-transfusions, à débrouiller en vue d'une thérapeutique active des
syndromes hémorragiques inusités, à instruire des familles, et tout ceci au
milieu des incessantes obligations journalières qu'imposent la direction d'un
laboratoire de Centre régional de Transfusion, ainsi que l'enseignement. Mais
c'était toujours dans la sérénité joyeuse d'une mission bien remplie. Il
suivait sa voie toute droite, sans faiblir, sans se laisser décourager par les
obstacles, lesquels tour à tour tombaient, de même qu'étaient enfouies dans le
passé - et il n'en parlait qu'à mots couverts - les dures épreuves de sa vie de
Lorrain.
Un jour il
m'écrivait qu'au Centre de Transfusion se trouvait réalisé, selon une
expression maintenant un peu galvaudée, le rêve de sa vie. C'était bien vrai,
il avait là exactement sa place, il l'occupait pleinement, goûtant le bonheur
d'une vocation suivie. Il avait aussi, avec Madame Remigy qui comprenait et partageait sa vie
de labeur, et fut blessée à ses côtés, réalisé le rêve d'un foyer exquis, où
grandissaient quatre enfants, sujet de leur tendre sollicitude.
Car une
affection gaie et agissante était un des traits de ce beau caractère d'homme.
Ses amis savaient ne jamais trouver en défaut sa serviabilité, son égalité
d'humeur et sa gentillesse. Auprès de nos collaborateurs du Centre de
Transfusion et de la Clinique Médicale A, il savait, avec l'ordre, la discipline et
la rigueur dans la tâche quotidienne, concilier l'indulgence, la patience et la
bonté, et il possédait cet art subtil d'entretenir dans nos équipes de travail
un inestimable climat confiant, gai et quasi familial.
On ne saurait exprimer totalement l'instinctif sens du beau
qui lui faisait admirer en littérature, en décoration, en musique, des œuvres
sélectionnées par un goût très sûr, très ouvert, quoique sans outrance, aux
tendances modernes. Sur ces sujets qu'il affectionnait, s'entretenir avec lui
était toujours une détente et un enrichissement.
Aussi est-ce unanimement que les nombreux témoignages de
sympathie reçus à l'annonce de la tragique nouvelle portent la marque non
seulement de l'estime et de l'admiration, mais encore de l'amitié.
I1 sut, quand l'heure fatale sonna, regarder, pleinement
lucide, le destin en face. Quand il eut, en médecin-réanimateur averti, pris
conscience de l'impossibilité de sauver son corps blessé, il ne voulut plus
penser qu'aux valeurs spirituelles, celles qui nourrissent et élèvent l'âme.
I1 affirma sa foi, qu'il n'étalait jamais ostensiblement, mais qui était partie
intime de son être. C'est un impérissable souvenir pour tous ceux qui alors
l'entouraient. Ses derniers instants furent un sommet. Quel déchirement de
perdre en route un pareil compagnon, mais aussi quel exemple!
Professeur P. MICHON