1856-1921
Texte extrait de " L'ophtalmologie " par C. THOMAS - Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974) Annales Médicales de Nancy
C'est en 1883 qu'un Agrégé de Chirurgie, Joseph Rohmer, remplaça Théodore Weiss. J. Rohmer fut chargé de transférer le Service d'Ophtalmologie du vieil Hôpital Saint-Léon à ce qu'on appelait alors l'Hôpital Civil (devenu en 1931 Hôpital Central) qui, en 1883, venait d'être terminé. Un pavillon pour les maladies des yeux avait été prévu dans la construction de cet Hôpital Civil, commencé en 1879. Mais les disponibilités financières avaient manqué pour l'Ophtalmologie (déjà !) et la réalisation du projet avait été remise. C'est pourquoi Rohmer s'installa dans le Pavillon Roger de Videlange sous les tuiles, ce qui fit appeler le Service d'Ophtalmologie « le Pigeonnier ». Il fallut attendre 1897 avec le legs de la veuve Déodor, née Balbâtre, pour que soit construit le bâtiment dans lequel se trouve actuellement la Clinique Ophtalmologique. Ce bâtiment a été agrandi à l'une de ses extrémités pour installer à partir de 1910 un Service de Consultations Dentaires : à partir de 1920, le sous-sol, à l'autre extrémité, a été affecté à un service de buanderie pour la Clinique Ouverte (Pension Bon-Secours, commencée en 1904). Mais l'Ophtalmologie devait surtout partager la place dans le bâtiment Balbâtre avec le Service de Radiologie nouvellement créé. Tout le sous-sol, sauf le local de buanderie de la Pension Bon-Secours, était attribué à la Radiologie ainsi qu'une salle du rez-de-chaussée qui servait alternativement, un jour sur deux, soit de salle d'opérations oculaires, soit de salle d'électrothérapie, dont les appareils restaient constamment en place autour de la table d'opérations chirurgicales ; une seule paroi devait être libre dans cette salle : c'était pour accès à une chambre mortuaire de la Pension Bon-Secours qui jouxtait cette curieuse salle d'opérations oculaires. En dépit de ces conditions matérielles défavorables, l'activité du Service Ophtalmologique et son rayonnement prirent un développement considérable sous l'impulsion de Rohmer.
Joseph Rohmer, né le 2 avril 1856 à Lorentzen (Bas-Rhin), était, de formation, un chirurgien : Chef de Clinique Chirurgicale (1879-1882), Agrégé de Chirurgie (novembre 1883 - octobre 1892), il fut chargé officiellement du Cours annexe de Clinique Ophtalmologique en novembre 1892 et devint Directeur de la Clinique Ophtalmologique individualisée dans le Pavillon Balbâtre. Opérateur renommé pour sa très grande virtuosité, auteur respecté, Enseignant de grande classe, Chef d'Ecole de fort caractère, véritable fondateur à Nancy de l'Ophtalmologie en tant que Spécialité autonome, il a bénéficié le 29 juillet 1899 d'une transformation de la Chaire de Pathologie Externe en Chaire de Clinique Ophtalmologique. Il est mort le 11 février 1921, ayant consacré toute son activité de Professeur et de Chef de Service à l'Ophtalmologie, avec une exception toutefois : pendant la guerre de 1914-1918, période tragique des Hôpitaux de Nancy, fonctionnant près du front des combats, le Pr Rohmer utilisant sa formation de chirurgien général, opéra dans son Service d'Ophtalmologie, bien des blessés urgents qui n'étaient pas seulement oculaires.
L'oeuvre scientifique du Pr Rohmer est attachée à des sujets très divers de pathologie oculaire : l'anesthésie par la cocaïne, l'antiseptie en oculistique, l'hémorragie expulsive, l'extraction du cristallin transparent dans la myopie forte, la suture conjonctivale en bourse dans les plaies de cornée, les granulations conjonctivales, l'ophtalmie sympathique, la craniectomie dans les névrites optiques, l'angiomégalie symétrique des paupières supérieures, affection rare qu'il a individualisée et qui mériterait de porter son nom. D'esprit très ouvert, il a imaginé des techniques d'avant-garde telles que la sympathectomie ciliaire dans le glaucome, et aussi, expérience restée historique, l'injection d'air dans le vitré pour le traitement du décollement de rétine ; cette dernière technique (Thèse Lysette Kottler), insuffisante depuis qu'on connaît la vraie pathogénie du décollement, est cependant encore pratiquée de nos jours, après coagulation de la déchirure causale, et à titre de manoeuvre complémentaire dans les cas à très grosse poche.
Le savoir et l'expérience du Pr Rohmer se sont concrétisés dans des ouvrages de valeur pédagogique notamment dans de gros articles parus dans l'Encyclopédie Française d'Ophtalmologie de 1910 : sur le corps vitré, sur la sclérotique et sur les affections générales du globe oculaire, avec un important chapitre sur les blessures de guerre. Dans un livre de 584 pages, intitulé « Eléments d'Ophtalmologie », se trouvent condensées toutes les notions pratiques de l'époque qu'il estimait « à peu près indispensables de posséder pour le Médecin-praticien ». A signaler aussi l'intérêt du Pr Rohmer pour la Médecine Sociale : l'inspection oculistique dans les écoles qu'il parvenait à établir à Nancy, ainsi que l'importance accordée à l'évaluation des incapacités professionnelles, objet d'un ouvrage en 1902. Beaucoup de publications du Pr Rohmer ont été faites à la Société de Médecine de Nancy dont il était un membre assidu et dont il fut président. C'est pourquoi la Revue Médicale de l'Est qui avait en particulier bénéficié de la publication de toute une série de « leçons des maladies oculaires » en 1895, véritable enseignement ophtalmologique du Médecin-praticien, a fait paraître le 15 octobre 1921 un article nécrologique qui montrait combien le Pr. Rohmer avait marqué sa place, et la place de l'Ophtalmologie, dans l'Ecole de Nancy. « Ce Maître au regard profond, à la main habile, à l'allure alerte et droite, à la pensée claire, rapide et juste, au sentiment toujours empreint d'une franche et exquise simplicité, restera pour nous un modèle d'activité, d'intelligence, de finesse d'esprit, d'aménité, de bonté, d'énergie et de probité. Ce fut une remarquable intelligence servie par des doigts de fée ! ».