La
chorale du Petit Prince
Souvenirs de l’après-guerre
Simone GILGENKRANTZ
A la fin de la seconde guerre mondiale, après les années
noires, dans ce pays où tout commence et
tout finit par des chansons, l’optimisme étant de retour, les Français se
sont mis à chanter. Dans la liesse générale de la Libération, chorales, groupes
de chanteurs et de mimes sont apparus un peu partout. Ils avaient le look de l’époque, chemises blanches,
pantalons noirs, la fraicheur d’un monde retrouvé, le naturel de ses
villages : Village au fond de la
vallée chantait Edith Piaf avec les Compagnons de la Chanson, les Frères
Jacques titillaient les spectateurs avec Le
p’tit bout de la queue du chat…
C’est à ce moment qu’à Nancy naquit une chorale d’étudiants en médecine, la Chorale du Petit Prince, qui connut, des années durant son heure de gloire. Elle mérite, sans aucun doute, de laisser sa trace dans la mémoire de la fac de médecine.
Après en avoir retracé ici les grands lignes, nous souhaitons que d’autres, - qui s’en souviennent, pendant qu’il en est temps encore – viennent apporter leur témoignages, et qu’ils déposent au musée de la faculté de médecine de Nancy objets, documents ou photos afin d’enrichir le souvenir de cette chorale mémorable.
Naissance de la
Chorale du Petit Prince
C’est en 1945 que les étudiants-chanteurs de ce qui était alors la « Chorale du PCB » poussèrent leurs premiers vagissements, en ces temps où la première année des études : Physique, Chimie, Biologie, se faisait à la fac des sciences, Porte de la Craffe.
Sous la direction de François Mansuy, le chef hirsute, selon les documents manuscrits retrouvés : « cette chorale était encore mal organisée et garçons et filles qui la composaient ne chantaient guère que pour eux-mêmes sauf au pèlerinage de Sion, où ils firent entendre quelques chants de leur répertoire».
En 1946-47, elle devint la chorale du Petit Prince, avec un
groupe de garçons et de filles qui se firent de plus en plus assidus aux répétitions,
d’autant que, de sa prose zézayante, le chef François
leur répétait : « Qu’est ce que vous voulez que ça me fasse que vous ne veniez
pas aux répétions, hein ? Si ça ne vous plait pas on laissera tout
tomber… ».
Une dizaine de garçons, une dizaine de filles… mais ce n‘est pas tout, car la chorale alternait avec des spectacles de mimes, dirigé par le scénariste, l’impresario, l’indispensable André Guinoiseau, autre chef ingénieux de cette troupe bicéphale.
Et le petit Prince, me direz-vous ?
Bien sûr, il était né de la prose de Saint Exupéry, héros de l’aéropostale, puis pilote de guerre, perdu en mer en Juillet 1944. Le Petit Prince, son dernier ouvrage, sorti aux Etats Unis, puis en France en 1945, connut rapidement un succès planétaire : l’histoire d’un petit garçon, sérieux et grave, inquiet pour la Planète Terre, qui s’en retourne dans son royaume et disparaît.
Mais à la chorale, le petit prince existait bel et bien, en chair et en os, c’était un adorable gamin blond, frère d’Andrée, une chanteuse du groupe, qu’il fallut d’abord apprivoiser, et qui accompagna longtemps le groupe dans son beau costume sur mesure.
Peu
à peu, la qualité du chant choral s’améliore, au cours des répétitions au GEC, (groupe
des étudiants catholiques). L’unité musicale du groupe augmente, et les liens
d’amitié entre les chanteurs se renforcent.
Les
premières manifestations publiques furent le Noel des Hôpitaux, le pèlerinage à
Sion le jour du dimanche de la Passion. Puis Radio Lorraine les invite :
du sérieux cette fois : Compagnons de la Marjolaine, la Youtse, et d’autres chants encore … Tout se passe bien et
ils rêvent déjà à la notoriété et aux tournées lointaines.
Succès et voyages
En
1948, après les fêtes de Joinville, ce fut le voyage en Alsace, première virée
hors de la Lorraine, l’émerveillement des paysages et du bon vin, la découverte
d’Ammerschwihr
à moitié détruit par la guerre, et l’accueil chaleureux des Alsaciens,
curé et pasteur selon les villages avec nuitée chez l’habitant…
Ce
premier voyage, puis les autres se retrouvent, narrés jour par jour, dans de
grands cahiers manuscrits tels les livres du moyen âge, avec illustrations et
enluminures, Jacques Pinck étant le moine copiste du
groupe.
C’est
ainsi que d’année en année, nous avons presque jour par jour, et dans une prose
soigneuse, le récit des périples et des succès de la chorale.
En
1949, grand émoi : après une représentation au GEC, le général de Linarès qui était présent, fait savoir à André Guinoiseau que la chorale serait bienvenue au Palais du
Gouverneur. Après une répétition « branle bas de
combat » la veille, où les lieux sont inspectés, des tapis transportés à
l’aide de Marocains à tunique blanche, arrive le grand jour, le 3 février 1949
avec une assistance impressionnante : le doyen Louis Merklen,
le professeur Antoine Beau, entre autres et surtout le général de Lattre de
Tassigny, encore tout auréolé de son rôle à la tête de la première armée
française, depuis le débarquement en Provence,
la remontée du Rhône et la campagne Rhin et Danube qui s’achève en
Autriche avec la capitulation allemande.
Sa
lettre de remerciements est pieusement conservée dans les archives de la
Chorale
Outre
les chefs, François Mansuy et André Guinoiseau, les premiers à participer au premiers succès de
la chorale furent Gérard Simon, l’ingénieur électricien, Robert le grand,
soliste et trésorier, Jean Frémont, porteur de diapason et de la note juste,
Roger, le plus âgé du groupe, Jean Pichené, le plus
grand et donc la « potence » dans le chœur, Gilbert Pressager, le « yodler » des chansons
suisses, Pierre Tridon
et Jean Marie Fleck, le pitre inénarrable du
« Grand Metinge » et des travestissements.
Le groue
Mime de la chorale du Petit Prince :
Jean Pichené, Gérard Daubinet, Gilbert
Pressager, Claude Huriet,
André Guinoiseau
Les voyages en Suisse
Comme
on peut le voir sur ce dessin de Jacques, la Suisse était, dans ces années qui
ont suivi la guerre, un pays de Cocagne avec toutes les bonnes choses dont nous
avions été privés.
Les tournées soigneusement préparées : itinéraire, points de chute et lieux des représentations … ont mené les chanteurs par des routes magnifiques dans des bus de Lorraine parfois peu adaptés aux randonnées montagneuses. Lausanne Vevey, Montreux, Villars, sans oublier Leysin, où le groupe s’arrête et chanter pour les malades des sanatoriums, encore très nombreux de cette station climatique réputée. La streptomycine venait d’être découverte (mais ne fut fabriquée en France de façon industrielle qu’en 1950) et la tuberculose sévissait encore de façon redoutable avec pour seul traitement la collapsothérapie.
Peu à peu la chorale a pris son essor. Les chants (le soleil a rendez-vous avec la lune…) et les mimes (le Galérien, le Moulin de maitre Jacques, les Jeunes Filles de bonne famille…) sont devenus de plus en plus impeccables.
Des liens se sont tissés avec d’autres chorales, en particulier celle de Délémont dans le Jura suisse qui vint à son tour en Lorraine
Les solistes s’affirment, comme Edith Geminel, dans Tece voda tece, magnifique chanson ukrainienne romantique, Germaine Paradis, la délicieuse soprane, ou Claude Huriet, qui s’est vu un jour, à la fin d’un concert en Suisse, proposer un emploi par un impresario…
Elle a tenu cette chorale, des années durant. En 1950 elle était à son apogée.
Longtemps encore, elle s’est poursuivie. Par la suite, chacun ayant trouvé son chemin, en médecine ou ailleurs, tous sont restés amis, avec ce souvenir merveilleux des chansons qui flottent encore parfois dans l’air aujourd’hui.