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Les débuts de la pharmacie hospitalière aux hospices civils de Nancy

et les premiers pharmaciens-chefs (1907-1935)

 

P. LABRUDE

Faculté de Pharmacie - Nancy

 

Texte paru dans la « Revue d’histoire de la pharmacie, no 286, 1990

La préparation et la distribution des médicaments ont été assurées de longue date par les religieux et religieuses qui se sont ensuite adjoint l'assistance de garçons-apothicaires dont l'importance s'accrut peu à peu. Cette pratique a eu cours aux hôpitaux de Nancy où, de plus, un décret impérial de 1808 reconnaissait à la Congrégation des Sueurs de l'Ordre de Saint-Charles des droits de propriété et d'habitation des bâtiments de l'hôpital existant. La nécessaire création d'un hôpital neuf à Nancy à la fin du XIXème siècle et son extension, associées à la présence d'une Faculté de Médecine, devaient modifier peu à peu cette situation et aboutir à la nomination d'un premier pharmacien en titre en 1907.

Dans cette note, nous nous proposons d'évoquer les débuts de la pharmacie hospitalière nancéienne et la personnalité des trois premiers pharmaciens-chefs. Il nous a cependant semblé utile et intéressant d'envisager brièvement dans une première partie les conditions dans lesquelles s'était déroulée la construction que l'hôpital « neuf » qui en fut le cadre. Sur ce point, de même que pour ce qui touche à la réglementation, plusieurs paragraphes proviennent, après modification, du remarquable ouvrage de C. et C. Vuillemin.

 

L'ouverture en octobre 1883 de l'Hôpital Civil de Nancy, actuellement Hôpital Central, fut l'aboutissement des efforts de la municipalité et de la commission administrative des Hospices civils, sous l'impulsion de la Faculté de Médecine, après un long cheminement et plusieurs remises en question.

L'Hôpital Civil remplaça l'Hôpital Saint-Charles dont les origines remontent au XVIIème siècle et qui était situé en plein centre de la ville, enserré par les actuelles rues Saint-Jean, Clodion et Saint-Thiébaut. Vers 1860, il se révéla inadapté aux besoins. Trop exigu, en raison de l'accroissement de la population, il était en outre vétuste et insalubre : un ruisseau souterrain le traversait et les malades souffraient de l'humidité ainsi que du bruit qui provenait du Quartier de Cavalerie situé à proximité.

La situation s'aggrava au lendemain de la guerre de 1870. L'Hôpital fut encombré de malades envoyés par la Compagnie du Chemin de fer de l'Est et par les usines qui se développèrent dans les environs de Nancy, la population s'étant accrue sous l'effet de l'industrialisation et de l'émigration consécutive à l'annexion de l'Alsace et de la Moselle.

Toutefois, l'événement le plus marquant et qui allait avoir le plus d'influence fut le transfert à Nancy de la Faculté de Médecine et de l'Ecole supérieure de Pharmacie de Strasbourg, par décret du 1er octobre 1872, selon le vote émis par l'Assemblée Nationale le 21 mars précédent. L'arrivée de la Faculté de Médecine ne pouvait que mettre davantage en évidence les insuffisances de l'Hôpital Saint-Charles du point de vue du nombre des lits, mais aussi de l'hygiène et de l'équipement.

Dans les années 1860, d'importants legs faits aux Hospices avaient conduit les administrateurs à envisager un transfert de l'hôpital par construction d'un nouvel établissement faubourg Saint-Pierre, où les Hospices possédaient depuis peu un jardin dit « de la Prairie » et où de nouvelles acquisitions furent faites. Mais la survenue de la guerre de 1870 avait ajourné ces projets.

Après le rachat des droits de propriété de la congrégation de Saint-Charles sur l'hôpital par la commission des Hospices en 1874 et plusieurs délibérations du conseil municipal jusqu'en 1879, fut adoptée la convention que la Ville bâtirait le nouvel hôpital à ses fiais sur les terrains dits de la Prairie. Les Hospices lui abandonneraient leurs droits de copropriété sur l'immeuble Saint-Charles, sous réserve que la municipalité indemnise la congrégation dans les conditions prévues en 1874. De plus, ils participeraient à la dépense de construction. La première tranche de travaux fut entreprise à l'automne 1879 et ce fut le 23 octobre 1883 que les malades de l'Hôpital Saint-Charles furent transférés, suivis le 31 par ceux des services de chirurgie de l'Hôpital Saint-Léon, la commission administrative ayant décidé que le nouvel hôpital prendrait le nom d'Hôpital Civil. L'inauguration officielle eut lieu le 6 novembre 1883, remplaçant la séance de rentrée de la Faculté de Médecine.

Le plan de l'ensemble conçu par l'architecte Prosper Morey en 1878 comportait quatre pavillons pour les services généraux. Parmi ceux-ci se trouvait, contre la rue de la Prairie (actuellement rue Albert-Lebrun et donc encore aujourd'hui en face de l'actuelle Faculté de Pharmacie), le pavillon primitivement réservé à la communauté des religieuses hospitalières, mais où fut également logée la pharmacie au rez-de-chaussée et au sous-sol, faute de pouvoir lui construire un pavillon propre.

Quelques mots s'imposent maintenant sur l'administration des Hospices en raison de leur intervention dans les questions relatives à la pharmacie. En vertu de la loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796), les trois principaux établissements destinés à l'accueil des indigents qui étaient gérés séparément jusque-là, furent regroupés et leur gestion fut assurée par une commission administrative commune. Chacun d'eux avait une mission spécifique : l'Hospice Saint-Julien était réservé aux vieillards, l'Hospice Saint-Stanislas aux enfants et l'Hôpital Saint-Charles, auquel devait succéder l'Hôpital Civil, aux malades.

Lorsque l'Hôpital Civil ouvrit ses portes, le fonctionnement était régi par la loi du 7 août 1851, première charte hospitalière française, qui devait rester en vigueur jusqu'en 1941-1943. Elle précisait notamment les pouvoirs des commissions administratives hospitalières et leurs limites.

Par ailleurs, l'ordonnance du 31 octobre 18211 avait rendu obligatoire au niveau des établissements hospitaliers un règlement particulier proposé par la commission administrative et approuvé par les autorités de tutelle. Le règlement intérieur reprenait les dispositions législatives et réglementaires régissant le fonctionnement administratif et les complétait par des dispositions particulières en matière de fonctionnement médical, pharmaceutique, alimentaire.

Instituée par la loi du 16 vendémiaire an V, la commission administrative était chargée selon l'article 7 de la loi du 7 août 1851 de « diriger et surveiller les services intérieur et extérieur des établissements hospitaliers ». En particulier, l'article 14 disposait qu'elle nommait le secrétaire, l'économe, le pharmacien, les médecins et chirurgiens, mais qu'elle ne pouvait les révoquer qu'avec l'approbation préfectorale.

Depuis l'arrivée de la Faculté de Médecine et de l'Ecole Supérieure de Pharmacie, les médecins avaient émis le vœu de voir les établissements hospitaliers nancéiens dotés d'une pharmacie placée sous l'autorité d'un pharmacien diplômé, comme c'était le cas à Strasbourg. L'ouverture du nouvel Hôpital était l'occasion de réaliser le souhait justifié du corps médical. Mais la commission administrative refusa d'accéder à cette demande, prétextant qu'elle n'en avait pas les moyens financiers. La pharmacie continua donc à être dirigée par une sœur pharmacienne.

Le règlement intérieur de 1856 continua à être appliqué. Il précisait que le service de la pharmacie était soumis à la surveillance des médecins et chirurgiens et que la saur-pharmacienne devait se conformer à leurs prescriptions pour la distribution des médicaments. Elle tenait la comptabilité et devait distribuer les médicaments (article 85). Elle était secondée par deux sœurs aides-pharmaciennes. La pharmacie de l'Hôpital Civil était commune aux trois établissements, mais des dépôts de médicaments issus de la pharmacie centrale existaient dans chacun des hospices. Seules les préparations les plus simples pouvaient donc être réalisées. Pour les autres, il fallait recourir aux pharmaciens de la ville.

Par une lettre du 20 août 1887, la Société des Pharmaciens de Lorraine sollicita la commission des Hospices pour qu'elle confie le service pharmaceutique à un pharmacien auquel seraient adjoints des élèves internes. En 1888, un conseiller général proposa de créer une pharmacie centrale à l'Hôpital Civil pour servir aux hôpitaux et hospices tant municipaux que départementaux. A sa séance du 20 mars, la commission administrative refusa catégoriquement cette proposition, mais reconnut l'intérêt de confier la pharmacie à un pharmacien diplômé. Cependant, comme elle en était légalement dispensée, elle ne donna pas suite sous prétexte que ses ressources ne lui permettaient pas de rétribuer un pharmacien. En dehors du fait que la majorité des administrateurs trouvait la situation satisfaisante, la raison de la résistance opposée par la commission aux sollicitations et même aux critiques de la presse régionale, tenait aussi à la crainte de voir se développer les dépenses pharmaceutiques. La commission avait été frappée par la brusque augmentation de ces dépenses après 1872, à la suite de l'installation de la Faculté de Médecine et elle craignait qu'un phénomène similaire se renouvelle, la nomination d'un pharmacien risquant d'inciter à davantage de prescriptions.

Sous les pressions, la commission finit par céder. Par une délibération du 11 juin 1895, après avoir été à nouveau sollicitée, notamment par le directeur de l'Ecole Supérieure de Pharmacie, à l'époque le Pr Frédéric Schlagdenhauffen, elle consentit à nommer un agent qualifié à la pharmacie. Mais elle n'avait cédé qu'en partie, car il ne s'agissait que de la création d'un emploi d'agent réceptionnaire des produits pharmaceutiques et non d'un pharmacien à plein temps. Elle nomma un agrégé de la Faculté de Médecine chargé déjà du laboratoire des Cliniques de la Faculté, le Dr Guérin, auquel elle accorda une indemnité annuelle de 1000 frs. Il fallut attendre 1907 sur de nouvelles interventions du Pr Julien Godfrin, directeur de l'Ecole Supérieure de Pharmacie, pour que la commission transforme le poste de réceptionnaire en poste de pharmacien hospitalier. Le Dr Guérin fut à nouveau désigné et son traitement porté à 3000 frs par an.

En réalité, la nomination de Félix-Gabriel Guérin ne relevait pas seulement de ses fonctions à la Faculté de Médecine, mais aussi du fait qu'il avait auparavant rempli les fonctions de pharmacien en chef des Hospices civils de Lyon de 1881 à 1886.

 

La carrière du professeur Guérin a été multiple et brillante. Né en 1852 à Saint-Vallier (Drôme), bachelier en 1873, il fit son stage officinal, puis suivit l'enseignement de la Faculté de Médecine et Pharmacie de Lyon, où il fut diplômé pharmacien en 1878. Préparateur des cours de Chimie et Pharmacie en 1876, chef des Travaux pratiques de Pharmacie en 1877, il poursuivit ensuite des études en vue du diplôme supérieur de pharmacien (thèse en 1883), et du doctorat en médecine (1885, thèse sur le chloral et sur l'analyse des urines après diverses anesthésies). En 1886, il était chef des Travaux pratiques de Chimie organique et de Toxicologie. C'est alors qu'il concourait pour l'agrégation des Facultés de Médecine (avec une thèse sur les matériaux azotés chez les êtres vivants) et obtenait la place d'agrégé de Chimie à la Faculté de Nancy. Il fut nommé agrégé de la chaire de Chimie médicale du Pr Léon Garnier en 1891 et aussitôt chargé de la direction du laboratoire des Cliniques, dont il développa beaucoup l'activité (dès 1873, avait été créé à Nancy un laboratoire central des Cliniques, rattaché a la chaire de Chimie de la Faculté de Médecine, à l'imitation de ce qui existait à Strasbourg et qui avait été le premier en France. Les titulaires précédant Guérin avaient été les professeurs Ritter et Garnier. Ce laboratoire était destiné à l'enseignement des étudiants, aux recherches et à la réalisation des analyses au profit des malades. A l'origine, il fonctionnait dans les locaux de la Faculté de Médecine, place Carnot, assez proches de l'Hôpital Saint-Charles et de son annexe l'Hôpital Saint-Léon. L'ouverture de l'Hôpital Civil au faubourg Saint-Pierre compliqua son fonctionnement en raison de son éloignement. En 1887, la commission des Hospices céda gracieusement à la Faculté des locaux pour installer à l'Hôpital Civil le laboratoire de ses cliniques. Les travaux d'aménagement furent financés par la Faculté grâce à une subvention du ministère de l'Instruction publique. Ce n'est qu'après 1918 que l'intérêt médical des analyses s'accrut). Ses services y justifièrent la prolongation à trois reprises de ses fonctions d'agrégé. En même temps, il assurait le service des Travaux pratiques de Chimie.

La chaire de Toxicologie et Physique de l'Ecole Supérieure de Pharmacie étant vacante depuis 1900 ; Guérin dut, pour pouvoir se porter candidat, soutenir en 1902 une thèse de doctorat ès sciences physiques, ce qui lui permit de devenir le premier titulaire, à compter du 1er janvier 1903, d'une chaire nouvelle intitulée « Analyse chimique et toxicologique », qu'il conserva jusqu'à sa mort, survenue le 10 mai 1917 après qu'il ait assuré le matin même son service à l'Hôpital. Les travaux du professeur Guérin ont tous été consacrés à l'analyse chimique et biologique, à la toxicologie et aux expertises judiciaires et médico-légales. La Faculté de Pharmacie a conservé son souvenir par une photographie placée à la salle des Actes, qui est celle que l'on retrouve dans le Bulletin des Sciences pharmacologiques de 1917 et les Annales médicales de Nancy de 1975.

Depuis l'ouverture de l'hôpital et la « première nomination » du Pr Guérin en 1895 jusqu'à sa mort, plusieurs évolutions importantes d'activité s'étaient produites à la pharmacie de l'établissement. Tout d'abord, les dépenses de la pharmacie centrale avaient nettement progressé : 6,78% des dépenses ordinaires des hospices en 1884 ; 8,92% en 1899 et 9,88% en 1913 (120000 frs). Parmi les dépenses spécifiques à l'Hôpital Civil, les dépenses de pharmacie s'élèvent à 89000 frs, soit 16,55% du total en 1909. Dans ces sommes, les drogues et médicaments ne représentent pas le poste majeur, ainsi qu'il apparaît dans le détail des principaux articles achetés en 1913, tiré du compte moral et administratif de l'exercice 1913 publié par Villemin

- drogues et médicaments : 26365 frs (soit 22 % du total des frais pharmaceutiques) ;

- instruments de chirurgie : 14238 frs (soit 12 %) ;

- sucre en grains : 1 871 frs ; vins fins : 11 255 frs ;

- rhum, cognac : 1476 frs ;

- bière : 3935 frs ;

- alcool : 4597 frs ;

- thé : 102 frs ;

- siphons et limonade gazeuse : 4223 frs ;

- eaux minérales : 8675 frs ;

- linon blanc et écru : 23902 frs (20 %) ;

- ouate en feuilles : 4630 frs ;

- coton hydrophyle : 3990 frs.

Le second événement notoire est l'approbation, en 1913 par la commission, du projet de règlement de concours pour l'Internat de Pharmacie des Hôpitaux de Nancy, présenté par le directeur de l'Ecole Supérieure de Pharmacie et la création de deux places d'internes à l'Hôpital Civil. A l'issue du premier concours de recrutement, qui eut lieu en décembre 1913, deux internes titulaires et un interne provisoire furent nommés pour deux ans, au traitement annuel de 500 frs. Les premiers internes répertoriés par l'annuaire de l'Internat de Nancy pour la première promotion (1913) sont, dans l'ordre : H. Cordebard, H. Duclerget et H. Presson.

Enfin, la survenue du conflit en 1914 avait amené un surcroît de charges et de soucis du côté tant hospitalier qu'universitaire. Dès le 31 juillet 1914, la commission administrative s'était préoccupée de sa participation éventuelle à l'effort de guerre et le pharmacien-chef avait été invité à se tenir prêt à répondre aux besoins en médicaments et pansements. Le 10 août, l'organisation de guerre des hospices de Nancy était terminée et les premiers blessés arrivaient le 16. Le Pr Guérin servait alors, à titre civil, dans le Service de Santé comme « pharmacien en chef de l'Hôpital civil militarisé ».

Du côté universitaire, le ministre de l'Instruction publique avait décidé au cours des vacances de 1914 que les trois ordres d'enseignement seraient assurés aux dates habituelles comme en temps de paix. Il ne resta plus à l'École que le P' Guérin et trois autres membres du corps enseignant mobilisés sur place. Un cours complémentaire de Chimie biologique lui fut confié.

 

A la suite du décès du Pr Guérin, en mai 1917, la commission administrative se préoccupa de lui donner un successeur. Son choix se porta sur le Pr Grélot de l'Ecole Supérieure de Pharmacie de Nancy, qui fut officiellement nommé par une délibération du 15 avril 1919.

Le P' Grélot était né à Saint-Dié (Vosges) en 1868. Bachelier en 1885, il effectuait le stage officinal à Saint-Dié, puis suivait l'enseignement de l'Ecole Supérieure de Pharmacie et de la Faculté des Sciences de Nancy et devenait préparateur du cours de Matière médicale du Pr Godfrin dès 1891. Pharmacien de lère classe en 1893, licencié ès sciences naturelles en 1894 ; docteur ès sciences naturelles à Paris en 1898, il devenait agrégé d'Histoire naturelle et de Pharmacie en 1899 et se trouvait chargé à ce titre des Conférences libres de Botanique. Chef des Travaux pratiques d'Histoire naturelle en 1901, il était nommé professeur titulaire de la chaire de Pharmacie galénique, nouvellement créée, en 1902. Son enseignement fut orienté, en dehors du contenu classique de cette discipline, vers la Chimie analytique appliquée aux médicaments, aux matières premières et aux aliments. Ultérieurement, il enseigna aussi l'Hydrologie. Ses travaux scientifiques se rapportent à ces thèmes.

Au cours du premier conflit mondial, il fut successivement mobilisé le 2 août 1914 dans le grade de pharmacien-major de 2ème classe comme chef de service à la pharmacie de l'Hôpital militaire Sédillot de Nancy, puis en 1916 comme pharmacien-adjoint au directeur du Service de Santé de la 21ème région militaire, tâches qui ont dû le préparer à ses fonctions ultérieures de pharmacien-chef des Hospices civils de Nancy. Il fut aussi assesseur du doyen et membre du Conseil de l'Université et sa photographie figure encore actuellement dans la salle des Actes de la Faculté (même photo que dans le Bulletin des Sciences pharmacologiques). Le Pr Grélot fut remplacé en 1930 à la tête de la pharmacie centrale et prit sa retraite universitaire en 1934 pour se retirer à Saint-Dié, où il mourut en août 1940.

Dès sa nomination à l'hôpital, il avait eu à se préoccuper de faire appliquer les dispositions d'un décret en date du 14 septembre 1916. Il élabora un règlement des prescriptions pharmaceutiques auquel le corps médical devait se soumettre. Ce règlement fut approuvé le 3 août 1923 par la commission administrative, mais son application devait donner lieu à des difficultés.

D'après lui, les prescriptions devaient être journalières et ne pouvaient être renouvelées. Toutes celles qui comportaient des substances des tableaux A et B devaient être portées sur une feuille indiquant le numéro de la salle ou le service, le numéro du lit du malade, l'inscription en toutes lettres des doses et des substances prescrites avec le mode d'emploi. Cette feuille devait être datée et signée par un docteur en médecine (article 20 du décret). Pour commander des médicaments relevant de ces tableaux à la pharmacie, les services devaient utiliser des bons spéciaux conformément aux dispositions des articles 27 et 40. L'auteur de la demande était tenu d'indiquer lisiblement son nom et d'énoncer en toutes lettres les doses des substances vénéneuses. Ces bons devaient être expressément datés et signés par un docteur en médecine.

Ces dispositions posaient un problème dans la mesure où seules étaient prises en compte les demandes signées par des docteurs en médecine. En effet, le plus souvent, les prescriptions étaient faites par l'interne en l'absence du chef de service et du chef de clinique. Pont- ne pas voir refouler leurs commandes de médicaments des tableaux parce qu'elles n'émanaient pas de docteurs en médecine, les chefs de service demandèrent au préfet, pour leurs internes, des autorisations provisoires d'exercice de la médecine renouvelées tous les trois mois. Dès lors, la pharmacie ne pouvait refuser de délivrer les médicaments. Mais ce procédé ne plaisait pas au pharmacien-­chef, qui posa le problème au doyen de la Faculté de Pharmacie. Sollicité par le doyen Bruntz, le ministère de l'Hygiène répondit qu'il ne voyait pas d'inconvénient à ce que les internes en médecine prescrivent en urgence des substances vénéneuses dans la mesure où leurs prescriptions étaient ensuite régularisées par le chef de service.

Un autre problème, celui de la prescription des spécialités, suscita des difficultés entre le pharmacien-chef et le corps médical. Par mesure d'économie et si cela était possible, les médicaments étaient préparés à la pharmacie de l'hôpital. Ce n'est qu'exceptionnellement que l'on avait recours à des pharmacies de ville et à l'achat de spécialités. A partir des années 20, les médecins insistèrent pour faire entrer à l'hôpital l'usage des spécialités. Mais ils attendirent longtemps avant d'avoir satisfaction. Finalement, en 1924, il fut conclu qu'une liste des spécialités serait dressée par le pharmacien-chef en accord avec le corps médical. Une commission établit cette liste, qui par la suite fut révisée à la demande des médecins en fonction de l'évolution des besoins et des produits, en accord avec le pharmacien, puis soumise à la commission administrative.

Dans l'entre-deux guerres, selon ce même ouvrage, les dépenses de la pharmacie centrale ont représenté 6,12% des frais généraux des hospices en 1921, 7,71% en 1925, 8,33% en 1930, 8,65% en 1935 pour « retomber à 6,82% en 1938. Au début de cette même période, la municipalité de Nancy avait fait savoir aux hospices qu'elle était décidée à les aider à procéder aux travaux de rénovation et d'extension qui s'imposaient. C'est ainsi qu'en novembre 1920, la commission des Hospices menée par son vice-président, Alfred Krug (le maire étant président-né de la commission) lui adressa un rapport détaillé des travaux à envisager et de leur priorité où l'agrandissement de la pharmacie conçue à l'origine pour un hôpital de 400 lits figurait - avec l'agrandissement de la cuisine - en cinquième position sur douze points. Ce n'est toutefois que vers 1934 que des travaux purent être sérieusement envisagés.

Par ailleurs et dès avant la première guerre mondiale, avait débuté un mouvement d'expansion hospitalière hors de l'Hôpital Civil, qui devait notamment aboutir, en fin de 1927, au groupe des Hôpitaux Maringer-Villemin-Fournier doté d'une pharmacie pour une capacité de 513 lits. Cette pharmacie annexe fut, en 1923, dirigée par un pharmacien-adjoint, Paul Gillot, futur pharmacien-chef.

Au départ du professeur Grélot, en 1930, la commission administrative eut comme par le passé à pourvoir à son remplacement. En effet, les pharmaciens continuaient à être nommés par la commission sur proposition du doyen de la Faculté de Pharmacie, après examen des titres des candidats. Leur traitement était fixé par la commission et ils ne pouvaient être révoqués qu'avec l'approbation du préfet.

Le P' Paul Gillot, pharmacien-adjoint, fut nommé pharmacien-chef. Il était né en 1887 à Magneux, en Haute-Marne. Après le baccalauréat, le stage à Joinville et le service militaire, il suivit l'enseignement de l'Ecole Supérieure de Pharmacie de Nancy, où il fut très brillant. Pharmacien de lère classe en 1913, il devenait assistant (préparateur) du Pr Grélot à l'Ecole, tout en préparant une licence de sciences que la guerre interrompit. Il fut donc mobilisé dans le Service de Santé comme caporal-infirmier versé aux ambulances, puis comme officier et ces années lui valurent d'être évacué pour maladie, puis blessé à son retour au front. A la réouverture de l'Ecole, il devenait chef des Travaux pratiques de Pharmacie en 1919. Licencié ès science en 1920, docteur ès sciences naturelles à Paris en 1925, puis maître de conférences de Pharmacotechnie en 1926, chargé du cours de Matière médicale le 1er février 1929 quand le doyen Bruntz fut devenu recteur de l'Université, il était nommé professeur titulaire de la chaire de Matière médicale le 1er octobre 1929. Depuis 1927, il assurait aussi le cours de Pharmacodynamie. Le 23 janvier 1935, l'assemblée de Faculté l'avait élu doyen pour succéder au professeur Seyot, mais il devait décéder le 2 juin suivant. Ses travaux, débutés auprès du Pr Grélot, son prédécesseur dans la fonction pharmacopale, sont tous consacrés à la Biochimie végétale et aux problèmes professionnels pharmaceutiques. Sa photographie en robe professorale figure à la salle des Actes de la Faculté.

Au cours des fonctions de P. Gillot, l'administration établit en 1931 un nouveau règlement intérieur des hospices qui définit le service pharmaceutique dans son article. Ce service est assuré par : un pharmacien-chef, un pharmacien-adjoint, des religieuses, préparatrices en pharmacie, et des internes en pharmacie, détachés dans les laboratoires hospitaliers afin d'y effectuer les analyses médicales (à raison d'un interne par laboratoire). Le pharmacien-chef a la direction générale de la pharmacie principale à l'Hôpital Central, de la pharmacie annexe des Hôpitaux Maringer-Villemin­-Fournier et des dépôts des autres établissements. Il est assisté par un pharmacien-adjoint dans les Hôpitaux Maringer-Villemin-Fournier et par des religieuses surveillantes ailleurs.

A la pharmacie centrale et dans celle de Maringer-Villemin-Fournier, sous le contrôle du pharmacien, des sœurs préparatrices exécutaient les préparations, délivraient les médicaments et les objets de pansements, assuraient le bon ordre des pharmacies et la garde des produits en dépôt. Les sœurs devaient seconder les pharmaciens dans la tenue des comptabilités des officines et des magasins, et avaient sous leurs ordres des filles de service des pharmacies que le statut de 1937 désigna sous le nom d'aides de pharmacie.

Au niveau de l'administration « centrale » des hospices, existait un service appelé « bureau de la pharmacie centrale » (article 6 du règlement de 1931). Enfin, la durée des fonctions des pharmaciens - tout comme celle des médecins et chirurgiens - n'était pas limitée, sauf par l'âge de la retraite, fixée à 65 ans impérativement. Le pharmacien-chef et son adjoint avaient droit, selon ce même règlement, au bénéfice gratuit de la pension Bonsecours et des pensions des autres établissements, en deuxième classe, comme les autres cadres des hospices, à l'exception des honoraires médicaux. Mais les hospices n'avaient pas contracté pour eux d'assurances contre les accidents du travail.

En 1935, à la mort du Pr Gillot, son successeur à la tête de la pharmacie centrale fut le Pr André Meunier, qui avait par ailleurs succédé au Pr Grélot dans le service de la chaire de Pharmacie galénique de la Faculté en 1934. Agrégé en 1937 et titulaire de la chaire en 1938, le Pr Meunier devait diriger la pharmacie jusqu'en 1969.

 

En conclusion, le pharmacien-chef des hospices a toujours exercé parallèlement à son activité hospitalière des fonctions professorales à la Faculté. Si le premier d'entre eux, Guérin, a été choisi en 1895 vraisemblablement parce qu'il avait déjà dirigé la pharmacie à Lyon et parce qu'il était aussi agrégé, il devait devenir ultérieurement professeur à l'Ecole Supérieure de Pharmacie. Tous ses successeurs, et jusqu'à nos jours, étaient ou sont devenus professeurs à la Faculté et sont issus du laboratoire de Pharmacie galénique. Cette note apparaîtra donc sans doute plus universitaire qu'hospitalière. Mais elle incitera peut-être un chercheur à consulter les archives du Centre hospitalier régional de Nancy en vue d'évoquer le fonctionnement de la pharmacie à cette époque.