Coup d'œil
sur l'histoire de l'enseignement de la médecine en Lorraine
Doyen Antoine BEAU
I -
L'université de Pont à Mousson
L'enseignement officiel de la médecine en Lorraine commence par la création d'une faculté de médecine à Pont à Mousson en 1572.
Auparavant, les étudiants lorrains désireux de devenir docteurs en médecine étaient obligés de fréquenter les universités étrangères au duché, soit en France, à Paris ou Montpellier, soit en Italie, à Pavie ou à Bologne, soit même dans des universités allemandes.
Le nombre de médecins exerçant dans le duché de Lorraine était par suite très peu élevé. On en rencontrait surtout à la cour comme attachés à la personne du Duc, et quelques-uns seulement exerçant dans les plus grandes villes de Lorraine, de telle sorte que les campagnes en étaient pratiquement complètement démunies.
Cette situation devait attirer l'attention du duc de Lorraine Charles III (1559-1608), qui a joué un rôle de tout premier plan dans l'expansion et dans le rayonnement de son duché. Il avait en effet fait construire de toute pièce "une ville neuve" qui était venue se juxtaposer à la "ville vieille" de Nancy et qui en avait plus que doublé l'importance. Dans ces conditions, Charles III avait formé le projet de doter cette nouvelle ville d'une université pour former des élites dans tous les domaines : littéraires, scientifiques, juridiques et médicaux. Il s'était heurté dès le départ aux convoitises de la ville de Metz, mais les conditions qu'offrait cette ville n'étaient pas favorables à cette implantation. Metz se trouvait depuis quelques années sous la protection du Roi de France et par conséquent en dehors de la juridiction ducale. De plus, la ville de Metz était devenue depuis 1523 un centre actif de la religion réformée.
Charles III, comme toute la famille de Lorraine, était très attaché au siège de Rome et luttait avec énergie contre la propagation de l'hérésie.
C'est dans la personne de son cousin, le cardinal Charles de Lorraine, que le Duc devait trouver un appui considérable pour la réalisation de son vœu. Charles de Lorraine était en effet archevêque de Reims et évêque de Metz. Son rôle lors du Concile de Trente avait été prééminent et il jouissait d'une influence remarquable auprès de la Curie romaine. Le cardinal, frère de l'illustre capitaine François, duc de Guise qui avait brillamment défendu Metz lors du siège de Charles Quint, avait déjà une expérience dans ce domaine puisqu'il avait fondé quelques années auparavant une université dans sa ville de Reims. Pour trouver une solution quant à l'implantation d'une future université, l'accord se réalisa entre les deux cousins, par le choix d'une situation qui serait à égale distance des deux grandes villes lorraines, dans un site agréable, sur les bords de la Moselle, à Pont à Mousson. Le cardinal de Lorraine qui avait rencontré Ignace de Loyola à Rome avait été séduit par les activités de la nouvelle compagnie de Jésus et il souhaita que ce soit les membres de cette société qui soient chargés de cette nouvelle fondation. Il fallut d'ailleurs toute la ténacité persévérante du cardinal pour obtenir gain de cause, car une telle fondation nécessitait un grand nombre de religieux et aussi des fonds suffisants pour construire et entretenir une université.
Finalement les démarches du cardinal furent couronnées de succès et le Pape Grégoire XIII donnait à Rome, le 5 décembre 1572, la célèbre Bulle "In supereminenti" qui consacrait l'érection de l'université et en réglait tous les détails avec une grande minutie.
Cette nouvelle université devait comporter, outre un collège traditionnel chez les Jésuites, quatre Facultés : des Arts, de Théologie, de Droit et de Médecine. Mais tandis que les premières étaient confiées aux pères Jésuites, les deux autres devaient fonctionner avec des professeurs laïques. C'est cette dernière condition qui entrava durant quelques années leur création, les Jésuites voyant d'un mauvais œil des professeurs contestataires et des étudiants turbulents. De telle sorte que si les facultés religieuses fonctionnèrent dès 1574, les deux facultés laïques furent plus lentes à se constituer.
Mais l'autorité du Duc intervint. Un agrément fut conclu avec les Pères de la Compagnie en ce qui concerne ces professeurs laïques qui devaient cependant prêter un serment d'obéissance entre les mains du père recteur.
A partir de 1591, le docteur Toussaint Fournier, médecin du collège, fut admis à donner des cours libres et c'est seulement le 2 avril 1598 que le premier doyen de la Faculté de Médecine fut nommé. Il s'agissait de Charles Lepois, docteur régent de la Faculté de Médecine de Paris. Ce célèbre professeur est connu par son activité et par ses publications. En effet, au lieu de se borner suivant la tradition à un enseignement purement théorique "ex cathedra" commentant les œuvres des grands maîtres de la médecine : Hippocrate et Galien, Lepois se faisait accompagner de ses élèves dans ses consultations en clientèle privée. Lepois nous a laissé des œuvres remarquables en particulier un Traité entier d'observations médicales qui a connu un grand succès et de très nombreuses éditions successives qui ont fait l'objet de commentaires très flatteurs de la part des auteurs les plus célèbres comme Hermann Boerhaave.
L'université de Pont à Mousson avait connu une véritable période de splendeur durant les premières années de son existence. Elle avait attiré beaucoup d'élèves étrangers : belges, hollandais, allemands, écossais, irlandais, venant de pays où la religion réformée avait fait de grands progrès et où les minorités demeurées fidèles à Rome trouvaient un appui auprès des Pères de la Compagnie de Jésus.
Malheureusement, la Lorraine allait connaître dans les années qui suivirent une véritable période de désolation : la Guerre de trente ans entrainant durant de nombreuses années des misères et des malheurs qui ont été douloureusement illustrés par le burin d'un célèbre graveur lorrain Jacques Callot.
En même temps, la famine et les épidémies de peste dépeuplaient le pays. C'est ainsi d'ailleurs que le doyen Charles Lepois devait trouver la mort à Nancy en 1633, victime de son dévouement pour soigner les pestiférés. L'activité de la Faculté de Médecine fut presque réduite à néant.
Elle ne reprit que petit à petit une certaine activité durant la longue période de l'occupation française jusqu'au Traité de Rijswijck en 1697.
Ayant recouvré sa pleine indépendance, le duc de Lorraine, Léopold, mit tous ses efforts à restaurer l'université mussipontaine et ses soins s'appliquèrent tout spécialement à la Faculté de Médecine dont il renouvela le corps professoral et à laquelle il donna de nouveaux statuts.
Lors de la réunion de la Lorraine à la France par le troisième Traité de Vienne, les nancéiens renouvelèrent leurs démarches pressantes auprès du nouveau souverain Stanislas, roi détrôné de Pologne, pour obtenir le transfert à Nancy de l'université. Mais Stanislas protégeait les Jésuites et il ne se laissa pas fléchir de telle sorte que l'Université se maintint jusqu'à sa mort sur les rives de la Moselle.
II -
Transfert de l'université à Nancy
Le 23 février 1766, Stanislas Leszczynski mourait au château de Lunéville. Dès lors, la Lorraine perdait son indépendance.
La société de Jésus était depuis plusieurs années l'objet d'attaques dans le royaume et, en 1764, Louis X V avait déclaré son abolition en France. Aussi, dès le 1er juillet 1768, à l'instigation du duc de Choiseul, nancéien d'origine, un édit de Louis XV renvoyait les Jésuites du duché de Lorraine et une décision du roi signifiait aux Pères d'évacuer pour le 1er septembre suivant tous leurs établissements d'enseignement. Un décret du 3 août 1768 ordonna le transfert à Nancy dès le 1er octobre suivant des facultés mussipontaines dans l'ancienne capitale lorraine.
Le problème se posa immédiatement de savoir où l'on pourrait abriter la faculté de médecine. Finalement, il fut décidé qu'elle occuperait conjointement avec le Collège de Médecine le bâtiment qui avait été construit pour ce dernier sur la Place royale (Stanislas) en attendant que soit édifiée une nouvelle université.
Celle-ci fut d'ailleurs assez lente à construire car les frais qu'elle entrainait étaient considérables et à la charge de la ville. Cependant l'architecte de Montluisant parvint à réaliser un bâtiment qui a été conservé et abrite de nos jours la Bibliothèque municipale. La Faculté de Médecine occupait le rez-de-chaussée de l'aile gauche. Les professeurs venus de Pont à Mousson étaient en nombre insuffisant pour assurer l'enseignement et il leur fut adjoint de nouveaux titulaires de chaire.
Dès lors, l'enseignement fut dispensé régulièrement et le nombre d'étudiants ne fit qu'augmenter comme le prouve le nombre des soutenances de thèses.
Certains maîtres de cette Faculté de Nancy atteignirent une grande réputation comme Nicolas Jadelot qui publia, en 1773, un cours complet d'anatomie, peint et gravé en 175 couleurs naturelles par Gautier d'Agoty : c'est le premier traité d'anatomie qui ait été imprimé en quatre couleurs naturelles. Il est encore de nos jours très recherché.
L'existence de la Faculté de Médecine devait prendre fin avec les décisions révolutionnaires. Rappelons que dès le 18 août 1792, l'Assemblée constituante supprimait à la fois toutes les facultés de médecine et tous les collèges de médecine et de chirurgie ; et que le 8 août 1793, la Convention confirmait la suppression de toutes les académies et de toutes les sociétés littéraires.
III - Le
collège royal de médecine de Nancy
Stanislas Leszczynski, roi détrôné de Pologne, devenu par la volonté de son beau-père Louis XV duc de Lorraine, devait marquer son règne par de nombreux embellissements qui restent la gloire de Nancy. Dans ces conditions, les médecins de Nancy ne pouvant obtenir le transfert de la Faculté de Pont à Mousson dans la capitale lorraine, décidèrent de se réunir en un collège royal. Leur entreprise fut menée à bien par le docteur Charles Bagard, premier médecin des ducs et qui jouissait d'un crédit considérable auprès du roi.
C'est ainsi que par lettres patentes données à Lunéville, le 15 mai 1752, fut créé à Nancy un collège royal de médecine. Cette institution avait de nombreuses missions : dispenser un enseignement, surveiller l'état sanitaire et la police de la médecine, le contrôle de la pharmacie et de la chirurgie.
Les seize médecins qui constituaient ce collège devaient se répartir pour donner une fois par semaine des consultations gratuites pour les pauvres et visiter une fois par mois les hôpitaux de la ville. Stanislas fit preuve d'une très grande libéralité vis à vis de ce collège auquel il donna l'un des pavillons de la Place royale (Stanislas), actuel Musée des Beaux-Arts et en lui attribuant un vaste espace de terrain où fut installé un jardin botanique qui subsiste encore en grande partie.
Une rivalité s'établit immédiatement entre la faculté mussipontaine et le collège nancéien. Mais le Conseil d'Etat du roi rendit le 4 mai 1753 un arrêt portant association de ces deux institutions, ce qui ne fit qu'aggraver leur dissension. Cependant, lors du transfert à Nancy de la Faculté du Pont, les professeurs vinrent temporairement s'installer dans le bâtiment du collège et leurs querelles s'aplanirent. La Révolution devait entraîner par les décrets de la Convention la disparition du collège.
IV - Le
collège royal de chirurgie
De nombreux praticiens exerçaient la chirurgie à Nancy depuis fort longtemps, leur pratique avait été réglementée à de nombreuses reprises dès 1575. Du fait de la réunion de la Lorraine à la France, il parut nécessaire d'appliquer aux chirurgiens de Nancy les règlements du royaume, en particulier celui du 24 février 1730 (Mareschal) et du 31 décembre 1750 (La Mattinière).
C'est ainsi que par lettres patentes du roi en date du 20 novembre 1771 fut créé un collège royal des chirurgiens de Nancy. Ce collège était dirigé par le lieutenant du premier chirurgien du roi.
Il avait de nombreuses missions. Tout d'abord, une charge d'enseignement (chirurgie, anatomie, accouchement), mais aussi la surveillance de l'exercice de la profession dans l'ancien duché et la réception des nouveaux maîtres. 176 Le collège eut une existence précaire faute d'avoir pu trouver un local stable et l'enseignement fut donné dans plusieurs endroits successifs. Cependant, il remplit ses missions avec beaucoup de conscience et de diligence. Son existence fut particulièrement brève : il fut supprimé par les décrets de la Convention douze ans après sa création.
V - L'école
de médecine
Les décrets révolutionnaires ayant supprimé toutes les institutions médicales de Nancy : Faculté de médecine, Collège royal de médecine et Collège royal de chirurgie, la Lorraine se trouvait privée de tout enseignement médical. Profitant de nouvelles dispositions légales, des médecins de la ville se groupèrent dès le 25 thermidor an IV pour constituer une société de santé donnant un enseignement libre. En effet, la Convention nationale n'avait créé le 14 brumaire an III que trois écoles de santé : à Paris, Montpellier et Strasbourg. Cet enseignement libre de la médecine eut de nombreuses vicissitudes et fonctionna sous des appellations différentes surtout à la suite de la loi du 20 prairial an XI réglementant l'exercice de la médecine. Plus tard, une ordonnance royale du 18 mai 1820 devait réorganiser l'enseignement de la médecine en France tout en prévoyant la création d'écoles secondaires de médecine dépendant des universités.
Il fallut cependant toute la persévérance et l'opiniâtreté des médecins et des autorités administratives pour que soit reconnue l'école particulière qui devint par décision du 27 juillet 1822 une école secondaire officielle. Transformée le 17 octobre 1843 en école préparatoire, elle devait fonctionner pendant plus de cinquante ans grâce au dévouement de ses maîtres et former des élèves éminents comme Malgaigne, Leuret etc.. Elle fut installée en 1862 dans le nouveau Palais de l'Académie, là où se trouve actuellement une partie de la Faculté de Droit.
VI -
Renaissance de la faculté de médecine de Nancy
Les revers de la guerre franco-prussienne de 1870 et les conditions désastreuses du Traité de Francfort enlevaient à la France l'Alsace et une grande partie de la Lorraine. Par suite, la Faculté de Strasbourg devait disparaître et, à cette époque, elle était l'un des trois établissements supérieurs d'enseignement avec Paris et Montpellier. La succession de Strasbourg excitait de nombreux appétits. Plusieurs grandes villes, en particulier Lyon, avaient le désir de recueillir l'héritage alsacien. Nancy se mit immédiatement sur les rangs et sa position géographique toute proche de la frontière était un argument de poids. Grâce à l'insistance des nancéiens, le gouvernement décida de rétablir à Nancy la Faculté strasbourgeoise. C'est ainsi que le 21 mars 1872, l'Assemblée nationale votait le transfert à Nancy de la Faculté de médecine et de l'Ecole supérieure de pharmacie de Strasbourg.
Le 1er octobre de la même année, Adolphe Thiers, président de la République, signait le décret confirmant ce transfert entraînant en même temps la suppression de l'Ecole de médecine. Le nouveau personnel prévu comportait seize charges magistrales, pourvues par neuf anciens professeurs de la Faculté de Strasbourg, trois anciens professeurs de l'Ecole préparatoire de Nancy et quatre agrégés de Strasbourg.
Le fonctionnement de cette nouvelle faculté débuta dès le mois de novembre 1872 dans les locaux de l'ancienne école préparatoire et dans ceux voisins de l'école supérieure de garçons. Dans les années qui suivirent, un effort considérable allait être accompli pour adapter les établissements universitaires et hospitaliers à leur nouvelle mission. Un hôpital devait être édifié dès 1883, et comportait les services nécessaires à l'hospitalisation et à l'enseignement.
Il vint s'y adjoindre, peu de temps après, un institut anatomique complété en 1902 par une nouvelle faculté. Cet ensemble de bâtiments devait suffire durant de nombreuses années à l'enseignement, à la recherche et aux soins. C'est dans ce cadre que devaient se développer des activités qui mirent Nancy en vedette en particulier avec son Ecole de morphologie (anatomie et histologie) et son Ecole de médecine avec plus spécialement des recherches sur l'hypnologie.
Quelques maîtres célèbres devaient l'illustrer : Prenant avec la découverte et le fonctionnement du corps jaune, Nicolas qui découvrit les parathyroïdes externes, Bernheim avec ses travaux sur la suggestion, qui devaient l'opposer à l'école parisienne de la Salpêtrière dirigée par Charcot.
La Grande Guerre ne devait pas arrêter l'activité de la faculté et des hôpitaux. Leur attitude leur valut d'être cités à l'ordre de la Nation :
"Le Gouvernement de la République porte
à la connaissance du Pays la belle conduite de : le personnel enseignant de la
Faculté de médecine de Nancy (Meurthe et Moselle) la Faculté de médecine de
l'Université de Nancy (personnel enseignant, personnel auxiliaire, personnel de
service) a, pendant toute la durée des hostilités, à courte distance du front,
assuré sa mission avec les éléments laissés par la mobilisation, unis dans un
complet esprit de solidarité pour l'enseignement aussi bien qu'en faveur des victimes
militaires ou civiles dans les hôpitaux dont elle avait la charge. Malgré les
dangers fréquents auxquels Nancy fut exposée, notamment en 1918, alors que, par
ordre du gouvernement, tous les établissements avaient dû être fermés, la
Faculté de médecine restée ouverte en raison de ses obligations hospitalières,
a donné l'exemple de l'énergie constante, du courage tranquille, du devoir
quotidien modestement accompli."
Nous n'évoquerons pas l'histoire de la Faculté de médecine entre les deux guerres mondiales. Pendant ce temps, faculté et hôpitaux reprirent avec enthousiasme leur mission. La seconde guerre devait être une grande épreuve pour les institutions nancéiennes. Malgré l'occupation elle parvint à maintenir toutes ses activités.
Cela lui valut la déportation de plusieurs de ses membres.
La paix revenue, les institutions médicales durent faire face à un afflux considérable d'étudiants et à l'augmentation exceptionnelle du nombre de malades hospitalisés. Un très grand CHU fut construit aux environs immédiats de la ville sur le plateau de Brabois, complété rapidement par un hôpital d'enfants, un centre anticancéreux, un centre de transfusion sanguine... Dans le voisinage immédiat, une vaste Faculté de médecine s'éleva.
La Faculté est restée, selon sa devise, fidèle à son passé et confiante en son avenir.