DESCRIPTION
DE L'INTOXICATION OXYCARBONEE
par D. B. HARMANT,
de NANCY, en 1775
A. LARCAN
Communication faite devant l'Académie de Stanislas
le 1"` décembre 1967.
Publiée dans les Annales médicales de Nancy, 1968, p. 169-179
D. B. HARMANT
Pastel d'auteur
inconnu appartenant à la collection familiale
de Maitre BERLET, descendant de D. B. HARMANT
Pour celui qui s'intéresse à l'intoxication oxycarbonée si protéiforme, si riche de déductions physiopathologiques,
et dont le traitement peut bénéficier
des progrès récemment diffusés de l'oxygénothérapie hyperbare, l'émotion est grande de retrouver dans
un texte déjà ancien, la description des principaux symptômes de
l'intoxication, ainsi qu'une tentative
assez spectaculaire (et, semble-t-il, souvent réussie) de réanimation « in extremis », et ceci alors que
l'individualisation chimique de l'oxyde
de carbone n'était pas encore affirmée.
Il convient, avec le recul du temps, d'analyser les données positives fournies par ce mémoire et de les confronter avec
les connaissances de l'époque, tout en dégageant la personnalité de son auteur,
dont l'originalité fut trop
longtemps méconnue.
En 1775, en effet, paraissait à Nancy, imprimé par Scolastique BALTAZARD, imprimeur
rue Saint-Julien, un mémoire dont l'originalité ne se dément pas, ayant trait aux « funestes effets du charbon allumé ».
Le sous-titre évoque le « détail des
cures et des observations faites à Nancy
sur le même sujet ». La lecture en fut faite lors d'une séance publique de l'Académie des Sciences de notre
ville, le 27 septembre 1782. L'impression en était autorisée par le sieur
LENION, le 29 juillet 1775, à la suite
de la lettre du maréchal de MOUY.
L'auteur en était le célèbre Dominique Benoît HARMANT, médecin ordinaire
de feu le roi de Pologne, professeur de chimie au Collège royal de Médecine, médecin en chef de l'Hôpital
Saint-Stanislas (1750), directeur du
jardin botanique, médecin de l'infirmerie royale, et médecin stipendié ordinaire, c'est-à-dire médecin des
pauvres, fonction instaurée sous le
règne du bon roi, qu'il remplit scrupuleusement pendant trente-deux ans « sans avoir jamais vu dans son exercice
un moyen de parvenir à la confiance
du riche ou un degré pour s'élever à la fortune ».
Né en 1723 à Nancy, ayant fait ses études à la Faculté du Pont, puis à Montpellier, D.B. HARMANT figure
parmi les membres du Collège royal
dès son établissement en 1772, et est mentionné comme agrégé ordinaire sur le tableau en 1776. Elu président du
Collège le 7 mars 1781, à la place du
sieur LALLEMAND qui s'était désisté, mais pour peu de temps
puisque, s'il préside encore la séance du 9 septembre 1782, il est mort moins d'un an après, le 27 septembre
1782, à l'âge de 59 ans. On lui élit
un successeur le 7 octobre 1782. Il était membre de l'Académie de Stanislas, dont il fut
sous-directeur.
Il habita rue de la Communauté, sur le territoire de la paroisse Saint-Julien, puis rue Saint-Dizier. Il descendait
de Nicolas HARMANT, conseiller et médecin ordinaire du Duc Léopold, mort
au cours d'une épidémie et qui
laissa, dit-on, à son fils « une petite fortune et un grand exemple ». Il fut le beau-père de J.B. LAMOUREUX, chirurgien du Collège royal, qui avait épousé Marie-Anne Stanislas HARMANT. Il
avait en outre un fils qui fut officier au service de l'Empereur.
Son œuvre médicale fut importante. Elle comporte un traité des maladies des enfants (en latin), un mémoire sur la
fièvre miliaire des femmes en couche,
une histoire des épidémies observées en Lorraine, enfin un mémoire assez proche
de notre sujet et consacré à un « établissement en faveur des noyés » faisant partie d'un livre imprimé par Pia. Il participe à l'enquête des médecins de Nancy
sur les causes de coliques épidémiques
survenues en particulier dans les couvents de prémontrés et de minimes, qui se révélèrent dues à la
litharge contenue dans des tonneaux de vin. Il rédige enfin l'éloge de BAGARD, en
1773, et s'élève contre JADELOT qui, dans son éloge, avait glissé quelques
accusations contre le collège royal. Mais son travail le plus
remarquable, qui fit d'ailleurs forte
impression auprès de ses contemporains, et qui, ouvrage à succès, fut traduit en plusieurs langues, fut le
mémoire sur « les funestes effets
du charbon allumé ». Sa dissertation avait, nous dit son éloge funèbre, lu devant la Société royale de
Médecine le 26 août 1783, réuni tous
les suffrages.
Que trouve-t-on dans ce mémoire, quand on veut bien le dépouiller un peu de la présentation désuète, de la terminologie de l'époque, des erreurs, inévitables reflets des idées régnantes ?
- une excellente description clinique des symptômes de l'intoxication oxycarbonée ;
- une relation nettement établie entre certains feux continus et l'apparition des symptômes ;
- une description anatomo-pathologique assez précise, résultant d'autopsies réalisées soigneusement ;
- une tentative assez extraordinaire de réanimation, qui nous surprend encore aujourd'hui.
Les circonstances de l'intoxication sont nettement précisées, grâce au
détail des observations - et dans la règle,
il s'agit d'accidents liés à l'usage
alors courant des « braseros » placés dans des pièces mal ventilées. HARMANT incrimine nettement « la nécessité dans laquelle se trouvent une infinité de personnes d'user de braise
et de charbon comme d'un chauffage d'économie, soit pour les besoins
domestiques, soit pour les ouvrages
de métier ». HARMANT décrit ainsi le cas de cette bourgeoise de Nancy, « étouffée en janvier 1745 dans sa
chambre par la vapeur du charbon
qu'elle y avait allumée », celui de « ces deux jeunes personnes, couchées dans le même lit, trouvées comme
mortes dans l'après-midi du 3 décembre
1763, rue des Prémontrés ». Le diagnostic est immédiatement porté grâce au coup d'œil investigateur et policier de HARMANT, qui nous dit : « J'avais remarqué en entrant un brasier de charbons moitié consumés, moitié éteints, et je ne
doutai pas que ce fut là le principe
de l'événement ». Même circonstance dans le cas de cet ouvrier du sieur Antoine, imprimeur à Nancy, que l'on croyait
atteint d'apoplexie, et qui était, nous dit HARMANT, tombé « à côté d'un brasier de charbons ». Ceci se passait en
octobre 1764. Même diagnostic lorsque
HARMANT est appelé, le 23 décembre 1764, pour le cuisinier de M. POTIER, chevalier de l'Ordre royal de Saint-Louis, et
commissaire ordonnateur des guerres. Il ne s'agissait d'ailleurs pas là d'une de ces intoxications oxycarbonées
professionnelles comme on en connaît
chez les cuisiniers et connue sous le nom de « folie des fourneaux », mais bien
d'une intoxication liée, là encore, à la présence d'un brasier de
charbons. Mêmes circonstances
dans les observations de BARTHELEMY,
fabricant de bas, qui sèche ses bas près d'un brasier et dont la fille et la servante sont trouvées l'une délirante,
et l'autre évanouie ; dans l'intoxication familiale observée chez le
pâtissier FACHON en mars 1766, enfin
dans la dernière observation, celle de Michel
LIEGER, laquais de la marquise de LA GALAIZIÈRE, pour lequel Madame
l'Intendante sollicitait de la part d'HARMANT une « attention et charité toute particulières ». Enfin,
décidément, l'affection atteint tout
particulièrement les laquais qui, ne l'oublions pas, habitaient les soupentes mal chauffées et peu ventilées, HARMANT
cite encore le cas du laquais de M. de
FERIET, conseiller d'Etat.
Dans ces huit relations, le
corps du délit est toujours retrouvé, bien
mis en évidence par HARMANT.
La responsabilité des braseros fut ensuite très souvent incriminée dans le déterminisme des intoxications
oxycarbonées avant que les poêles à
feu continu et à combustion lente, et les mauvaises évacuations des
cheminées ne prennent la relève dans le cadre des intoxications « domestiques
».
Nous remarquerons que HARMANT
n'établit aucune analogie avec les cas d'asphyxie déjà décrits au cours des
grands incendies et des éruptions
volcaniques. Il ne signale aucune intoxication de nature industrielle. Ignorant la nature de l'oxyde de carbone,
il confond cette intoxication avec l'intoxication par l'anhydride carbonique,
car il rappelle les drames de la grotte
du Chien et l'intoxication encore plus dramatique due à l'hydrogène sulfuré, quand il évoque
l'histoire de la mort collective de
six personnes descendant tour à tour dans la cave couverte de salpêtre au
niveau de ce boulanger de Chartres, cette description demeurant malheureusement d'actualité après la tragédie des cuves du
Thillot.
Il apparaît bien qu'HARMANT, parmi les premiers, décrit les circonstances d'apparition de l'intoxication oxycarbonée en rapport avec les moyens domestiques de chauffage, circonstances que les progrès de l'équipement ne devaient cependant pas démentir. Il remarque que, bien souvent, les victimes sont saisies pendant leur sommeil, et leurs corps découverts souvent tardivement, le lendemain. Cette observation également n'a pas vieilli.
Il insiste à juste titre sur un des caractères très particuliers de l'intoxication oxycarbonée, très suggestif pour
son diagnostic, qui est son incidence
collective. Nous relevons en effet la fille et la parente du fondeur de cuivre de la rue des Prémontrés, le
pâtissier FACHON, son frère et son
enfant, la servante et la fille du marchand BARTHELEMY. Voici, là encore, une notation originale bien
exploitée par HARMANT.
Ainsi, avant que ne soit connu l'oxyde de carbone, découvert par LASSONE et PRIESTLEY en 1776, mais dont la
production au cours de la combustion
incomplète du carbone ne sera prouvée par LEBLANC qu'en 1842, HARMANT incrimine formellement un
agent gazeux, produit par la
combustion incomplète du charbon : «
Il s'agit bien », nous dit-il, « d'un corps dû à l'évaporation de ce
chauffage, et non de l'intervention d'une
puissance infernale. Il peut paraître bien extraordinaire, écrit-il encore, que le charbon, connu pour n'être
autre chose qu'un bois imparfaitement
brûlé sous terre, produise une vapeur toxique. Il estime l'ennemi d'autant plus dangereux qu'il est
plus familier et moins connu ». L'insidiosité de cette intoxication est bien connue, et cet
avis n'a pas perdu de son actualité.
Enfin, il considère, et là encore il se montre précurseur dans le domaine de la prophylaxie, que la cause primordiale réside dans la « négligence des
victimes et le défaut d'instruction
concernant les précautions à prendre contre la vapeur exhalée »,
Enfin, il pressent certains rapprochements avec d'autres causes d'asphyxie, puisqu'il estime que l'air est ainsi
privé du « ressort dont il a besoin
pour nous maintenir en vie ». Prescience de la découverte très proche de l'oxygène.
La symptomatologie clinique,
dont HARMANT tente d'établir, en synthétisant
le détail de ses observations, une description homogène et cohérente,
n'a pas non plus perdu de son actualité si l'on veut bien faire abstraction de certains détails. La
symptomatologie prémonitoire de
l'intoxication est assez bien décrite, en particulier les céphalées violentes et les vomissements si souvent observés.
« Les douleurs de tête sont si
violentes, nous dit HARMANT, que le sujet porte ses mains au niveau du crâne »,
symptomatologie souvent décrite au cours des migraines et des céphalées de
caractère vasculaire. Les nausées prémonitoires, « pressantes et continuelles envies de vomir », ainsi que les vomissements proprement dits, sont également
signalés. Par contre, on ne trouve pas
mention des troubles de l'équilibre.
A la phase de perte de conscience ou de coma
confirmé, la description demeure
précise, bien qu'incomplète. HARMANT détaille bien l'absence de sentiment et de mouvement si
caractéristique de l'atteinte de la
vie de relation définissant l'état de coma.
S'il ne note pas l'hypertonie généralisée qui nous
semble aujourd'hui si
caractéristique (le corps du laquais de M. de la GALAIZIÉRE est même déclaré flexible), il décrit bien cette
hypertonie localisée des mâchoires,
puisqu'il considère que le trismus est quasi constant : « Les mâchoires
et les dents », écrit-il, « se serrent avec tant de force que les plus violents efforts ne peuvent les désunir ».
S'il n'est pas fait mention d'autres signes nerveux, HARMANT remarque également que parfois, les victimes surprises gardent une position familière. La bourgeoise de Nancy était assise sur sa chaise, ayant le bras appuyé sur une table et le corps légèrement incliné sur le bras ; elle paraissait assoupie.
Les
signes respiratoires et cardio-vasculaires sont assez bien décrits. A la
phase prémonitoire, HARMANT signale une respiration gênée, pseudoasthmatique, et décrit magistralement les signes de l'arrêt respiratoire. Pas un mot, et pour cause, des données de
l'auscultation. Mais le pouls, nous
dit-on, est le plus souvent intermittent et parfois « s'éclipse » .
Plus
originale et valable est la remarque faite par HARMANT du caractère coloré de la face. « Les joues sont
gonflées, colorées, d'un rouge pourpre ». Ce signe, que nous connaissons bien, de la teinte cochenille des téguments, et des modifications
vasomotrices, semble bien ne pas avoir échappé à HARMANT. Pas un mot, par contre, au sujet des phlyctènes.
Les
signes de l'asphyxie respiratoire avec gonflement de la face (« la face se gonfle et se colore »), et yeux
exorbités (« les yeux sont ouverts et
saillants ») sont évidents. Ceux de la syncope cardiaque également ; « le pouls s'éclipse, le sujet est comme mort ».
Certains
aspects de l'intoxication oxycarbonée, en particulier sa forme délirante, sont signalés sans qu'HARMANT insiste
cependant. Par contre, nous ne
pouvons confirmer la tuméfaction considérable de l'estomac et du ventre qui s'observent parfois au
cours des asphyxies, mais qu'HARMANT décrit comme un signe
constant de son intoxication.
Bonne description enfin du
réveil lorsque, spontanément ou sous l'influence
du traitement, l'intoxication se dissipe. HARMANT souligne la disparition progressive de l'encombrement
respiratoire qui, on le sait,
est en
général mixte, trachéo-bronchique et alvéolaire. L'expectoration,
remarque HARMANT, est faite de glaires « épaisses et écumeuses ». Telles sont bien les caractéristiques de l'expectoration bronchique, et celles aussi
de l'œdème pulmonaire. Les mouvements respiratoires reprennent de façon saccadée, à la façon de « petits hoquets ». Il peut y avoir des vomissements noirs. Mais surtout, et nous retrouvons là la finesse et l'objectivité de la description d'HARMANT, la parole reste embarrassée, souvent
incohérente. On note parfois un tremblement. Les sujets restent « pour
l'ordinaire dans un délire réel », et distinguent mal les objets qui les entourent. Ainsi, les troubles psychiques et l'astéréognosie si fréquents après l'intoxication oxycarbonée, sont bien décrits. L'amnésie n'est cependant pas signalée en tant que telle. Dernière notation intéressante, les céphalées réapparaissent, en
particulier les céphalées occipitales si caractéristiques des réveils de
l'intoxication oxycarbonée.
La
description anatomo-pathologique donnée par HARMANT est assez précisément celle que plus tard les
médecins légistes, en particulier TARDIEU et BROUARDEL nous fourniront au cours des états d'asphyxie : l'état de
congestion viscérale diffuse qui caractérise ces morts est bien évoqué. «
Le cadavre est comme battu et meurtri », nous dit HARMANT, qui remarque l'enflure du bas-ventre. « Les boyaux sont enflés et gros comme le bras. La tuméfaction de la langue, les
signes d'œdème pulmonaire (la trachée
est encombrée d'une humeur gluante et écumeuse), et avant sa description
par TARDIEU, les taches ecchymotiques
(« les poumons sont tachetés de marques
noires »), la congestion, en particulier
veineuse, du système nerveux (« les méninges sont tendues, les veines
variqueuses... »), le purpura médullaire, apparaissent également dans la description
d'HARMANT. Enfin, les modifications de
teinte du sang ainsi intoxiqué se retrouvent dans cette constatation : « les
muscles droits étonnèrent par leur
noirceur ».
Ce mémoire demeurerait déjà fort intéressant en l'absence du récit assez surprenant de cures thérapeutiques. Mais le détail d'un traitement original, et, semble-t-il, efficace, mérite de retenir nôtre attention.
HARMANT
note d'abord la gravité de ces intoxications et n'hésite pas à frapper notre
imagination en rappelant que les
victimes étaient déjà considérées
comme mortes. « Les funérailles du cuisinier
s'apprêtaient ». On pardonnera à HARMANT cet humour involontairement macabre. Il souligne l'absence de tout traitement valable, et la vanité des
moyens usuels : de la saignée bien sûr, de la pincée de tabac dans
le fondement, et aussi de ce moyen si souvent préconisé en Lorraine, du bain de
fumier fumant. Malheureusement, il ne fait pas état des tentatives de réanimation par pipe, tuyau ou roseau
introduits dans la trachée, signalées
par TOFFACH, d'Edimbourg, et qui constituent des préfigurations du bouche à
bouche et de l'intubation.
Il donne en passant quelques conseils de bon sens qui consistent à « tirer promptement la victime de son lit et de l'endroit infecté, à le déshabiller et à l'exposer au grand air ». Il établit les règles de prudence de sauvetage pour éviter une intoxication en série de ceux qui portent secours aux intoxiqués.
Mais
surtout, sans trop nous dire pourquoi il en eut l'idée, il préconise un traitement assez particulier qui
semble bien lui avoir donné des résultats spectaculaires. Il consiste à jeter
brutalement au visage de la victime
une eau très froide et à renouveler ce geste aussi longtemps qu'il le faudra jusqu'à reprise des
mouvements respiratoires. De telles
pratiques nous surprennent, mais en l'absence de l'oxygénothérapie, sans connaître la physiologie respiratoire
la plus élémentaire, il faut bien penser que certaines pratiques empiriques
susceptibles d'agir par voie réflexe
pouvaient avoir une certaine efficacité. Il est en effet très probable que les incitations dues au choc et
au froid dans le territoire du
trijumeau sont capables d'agir sur les syncopes respiratoires.
Sans
trop nous appesantir, nous remarquerons certes le pittoresque de ces interventions nécessitant l'emploi de verres
d'eau très froide jetés fortement par
des sujets se relayant sans interruption, la confiance du thérapeute en sa méthode surprenante qu'il demande
de poursuivre sans discontinuité
plusieurs heures, malgré l'incrédulité de l'entourage. Certaines observations font état de cinq heures de
cet « exercice fatigant et
singulier ». Ne peut-on voir là la préfiguration de ces tentatives de
ressuscitation par respiration artificielle ou respiration bouche à bouche qu'il faut continuer avec persévérance,
souvent contre tout espoir raisonnable
: « mon expérience m'a convaincu qu'il fallait s'armer d'une patience à l'épreuve de tout découragement ».
On
conçoit que l'originalité de cette méthode et, semble-t-il, ses résultats, aient suscité une légitime fierté : « Je
suis le seul de cette ville à qui
cette cure soit confiée par les succès qui ont toujours résulté de mon traitement ». On conçoit que le Docteur HARMANT, un
peu comme DIEULAFOY, ait été appelé à Nancy pour les cas apparemment les plus désespérés. On conçoit également que
curieusement, l'échec de l'épreuve de
l'eau constitue en quelque sorte un arrêt de mort cette fois définitif. « Le malade qui
résiste à l'épreuve de
l'eau est perdu sans ressource
».
On conçoit enfin une légitime auto-satisfaction que l'on pardonnera volontiers à HARMANT : « La santé est la récompense la plus flatteuse dans cette circonstance où j'ai cru devoir me frayer une route nouvelle et travailler d'après mes propres idées », à une époque où le magister dixit et l'autorité de la Faculté de Paris continuaient à avoir force de loi. Honneur au noble docteur HARMANT !
Il reste à situer la description de HARMANT dans le cadre des connaissances médicales de son époque. Certes, on
peut retrouver dans des textes
anciens mention de cette intoxication par les vapeurs de charbon. On cite la mort de l'empereur JOVIEN et,
d'après Valère Maxime, le supplice de
Quintus Luctatius Carlus,
collègue de Marius au consulat et
enfermé dans une chambre sans issue où on brûlait du charbon. GALIEN, CEALIUS AURELLANUS semblent bien
avoir dit quelques mots des
circonstances de l'intoxication.
Mais après le livre de HOFFMANN (1695), il faut bien reconnaître la valeur de l'observation faite en 1710 devant
l'Académie des Sciences, et qui
rapporte l'histoire du boulanger de Chartres. Notre mémoire succède aux considérations de RAMAZZINI (1717), de
Joseph RAULIN (1754), de BOUCHER, médecin de Lille en 1760, de VETILLART (1765), de
NACHET (1767), de RENARD (1769). Il est contemporain de celui de BANAU
(1775), et succède de quelques mois seulement au livre fameux de PORTAL (1774) aux multiples éditions, qui a
trait aux effets des vapeurs
méphitiques sur le corps de l'homme. Comme toujours, l'idée était dans l'air, et le développement de l'emploi
des braseros devait conduire à de
multiples descriptions plus ou moins simultanées. Nous avons cependant signalé les mérites de la
description précise et méthodique d'HARMANT. Quant à sa thérapeutique, elle
serait citée par BOERHAAVE, par
RENARD, par BOREL de SAUVAGES, par BANAU et par PORTAL. Mais il s'agit
en fait uniquement de l'emploi de la glace, et là encore, la méthode si
curieuse de HARMANT paraît originale.
S'il restait quelque doute, le soin que met le Parisien PORTAL, médecin de Monsieur, à nier l'originalité du
travail de HARMANT, le prouverait « a
posteriori ». Ecoutons en effet PORTAL :
« J'ai publié mon ouvrage sur la vapeur du charbon environ un an
avant que celui de Monsieur HARMANT parut. Quand bien même ce médecin aurait eu
le sien dans son portefeuille depuis longtemps - ce qui pourrait bien être, mais ce que j'ignore - ce serait sans fondement que l'auteur du journal « Histoire de
la Médecine » a avancé que le traité de
HARMANT est le premier qui ait paru. »
« Monsieur HARMANT a donné à notre ouvrage l'approbation la plus authentique dans une lettre qu'il nous a
écrite, et son suffrage est pour nous du plus grand poids. Qu'importe
lequel des deux ait écrit le premier sur cette matière. Les plus anciens
médecins s'en sont occupés, et ont recommandé
les mêmes secours... ».
Tel est l'hommage indirect de PORTAL, seul médecin, en dehors d'HARMANT,
ayant publié sur ce sujet à la fin du XVIIIème siècle.
Références bibliographiques dans le texte des Annales
Frontispice du mémoire d’HARMANT