BEAUNIS Henri

1830-1921

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Leçon d'ouverture de physiologie

Beaunis et le laboratoire de psychologie de la Sorbonne par S. NICOLAS

ELOGE FUNEBRE

Henri Beaunis est né à Amboise (Indre-et-Loire), le 2 août 1830. Après des études secondaires au collège de Rouen, il obtint successivement les diplômes de bachelier es lettres (1848) et de bachelier es sciences physiques (1849). Il commença ses études de médecine à l'Ecole secondaire de Rouen (1848-1850), les continua à la Faculté de Médecine de Paris, et, son père venant d'être nommé directeur des contributions indirectes à Rodez, il les acheva à la Faculté de Médecine de Montpellier, où il a été reçu docteur, en 1856, après avoir présenté une thèse sur l'Habitude en général.

Beaunis se destine à la médecine militaire ; il est reçu stagiaire au Val de Grâce. Nommé major de 2ème classe en 1856, de 1ère classe en 1859, il est successivement attaché aux hôpitaux de la division d'Alger, puis au 2ème régiment du génie. Nommé médecin-major de 2ème classe en 1860, il est venu, en 1861, à Strasbourg, comme répétiteur à l'Ecole du Service de Santé militaire, fonction qu'il exerça jusqu'en 1870. C'est durant cette période qu'en mai 1863, se place son concours pour l'agrégation de médecine (section des sciences anatomiques et physiologiques), concours brillant dont il reste une thèse remarquable intitulée Anatomie générale et Physiologie du système lymphatique.

Après les trois années de stage, jadis réglementaires, il prend, en 1866, une part active à l'enseignement de la Faculté de Médecine de Strasbourg, par un cours complémentaire de physiologie, dont il a ultérieurement publié le programme. Il est en même temps attaché à l'hôpital militaire de Strasbourg, où il est chargé du service des vénériens.

En 1870, Beaunis est resté à l'hôpital militaire pendant le siège et le bombardement de Strasbourg, et a été appelé ainsi à donner ses soins aux nombreux blessés qui y ont été journellement apportés. Il a ensuite quitté pour être affecté en qualité de médecin-chef à l'ambulance de la 1ère division du 18ème  corps d'armée qu'il a suivi dans les dures épreuves des campagnes de la Loire et de l'Est. Beaunis a rendu compte de ses services pendant la guerre, dans ses Impressions de campagne 1870-1871.

Le décret du 1er octobre 1872 de transfèrement de la Faculté de Médecine de Strasbourg à Nancy confie à Beaunis, agrégé de la Faculté de Médecine de Strasbourg, la chaire de physiologie devenue vacante par suite de la mort du titulaire Küss, dernier maire français de Strasbourg, décédé le 1er mars 1871, à l'assemblée nationale de Bordeaux, où il s'était rendu à la tête des députés d'Alsace.

Le professeur Beaunis a été le créateur de l'enseignement de la physiologie à la Faculté de Médecine de Nancy. Un laboratoire absolument rudimentaire lui est d'abord attribué au rez-de-chaussée du bâtiment de l'ancienne Ecole supérieure de garçons, place de l'Académie, aujourd'hui place Carnot, bâtiment mis à la disposition de la Faculté de Médecine, pour une première installation purement provisoire. Instruments, appareils ont été envoyés par le ministre de l'Instruction publique et ont permis au professeur Beaunis de compléter l'enseignement théorique par les expériences nécessaires et d'organiser des conférences et travaux pratiques, qui, bien que nullement obligatoires encore, ont été suivis par un certain nombre d'élèves.

C'est en 1875-1876 qu'un laboratoire de physiologie, en tout point satisfaisant à l'époque, a été installé au 1er étage de l'aile droite du bâtiment élevé le long de la rue de la Ravinelle, sur le terrain du jardin de l'Académie, et mis à la disposition de la Faculté, bâtiment actuellement occupé par l'Institut de Zoologie de la Faculté des Sciences,

Dans son nouveau laboratoire, Beaunis a pu développer l'organisation de ses travaux pratiques. Les élèves y sont venus de plus en plus nombreux ; bientôt ils n'ont plus pu être admis que par séries. Le succès ainsi obtenu démontrait toute la valeur de la direction du maître. D'autre part encore, le professeur Beaunis installa dans son laboratoire, les instruments et appareils nécessaires aux études et aux travaux de physiologie. Il y fit les expériences et les recherches exposées dans les mémoires qui ont illustré son trop court passage à Nancy.

Anatomiste et physiologiste éminent, professeur érudit, travailleur de laboratoire, expérimentateur passionné, Beaunis s'était acquis une réputation justement méritée par ses travaux d'anatomie et de physiologie. Son premier travail, conçu avec la collaboration de son collègue Abel Bouchard, agrégé à la Faculté de Médecine de Strasbourg et de Nancy, plus tard professeur d'anatomie à la Faculté de Médecine de Bordeaux, est un traité d'anatomie hautement apprécié, intitulé Nouveaux Eléments d'anatomie descriptive et d'embryologie. La première édition remonte à 1867, et a été rédigée à Strasbourg. Quatre éditions ultérieures, 2ème édition en 1873, 3ème édition en 1879, 4ème édition en 1885 (traduite en espagnol), 5ème édition en 1893 (volume de 1072 pages avec 557 figures dont 272 originales), démontrent toute la valeur de l'ouvrage. Comme complément, il convient d'ajouter le Précis d'anatomie et de dissection (volume de 568 pages), publié en 1887, également écrit en collaboration avec A. Bouchard, et traduit successivement en espagnol et en italien.

Nommé professeur de physiologie, Beaunis publia bientôt un ouvrage de haute importance, les Nouveaux éléments de physiologie humaine comprenant les principes de la physiologie comparée et de la physiologie générale, avec une première édition en 1876 (volume de 1140 pages avec 282 ligures), bientôt suivie d'une 2ème édition en 1880, puis d'une 3ème édition en 1888, en 2 volumes de 730 et 936 pages avec 241 et 626 figures, dont la majeure partie originales. Comme annexes, il convient de citer le Programme du cours complémentaire de physiologie fait à la Faculté de Médecine de Strasbourg et publié à Nancy en 1872 ; puis une leçon d'ouverture du cours de physiologie faite à la Faculté de Médecine de Nancy, en 1875, sur les Principes de la physiologie  ; une autre leçon d'ouverture du cours de physiologie, en 1878, sur Claude Bernard .

Nous croyons devoir rapprocher de ces leçons d'ouverture, en raison de son intérêt tout particulier, un discours fait par Beaunis à la séance de rentrée de la Faculté de Médecine, le 31 octobre 1888, sur l'Ecole du Service, de Santé militaire de Strasbourg et la Faculté de Médecine de Strasbourg de 1856 à 1870. Nombreuses sont les communications faites aux Sociétés savantes (Académie des Sciences, Académie de Médecine, Société de Biologie, Société de Psychologie physiologique, Sociétés de Médecine de Strasbourg et de Nancy, Société des Sciences de Nancy) ; les mémoires et articles divers publiés dans les Revues et Journaux de sciences et de médecine (Revue philosophique, Revue scientifique, Gazette médicale de Strasbourg, Gazette médicale de Paris, Revue médicale de l'Est, Science et Nature, etc.)

Lorsqu'on 1883, son collègue à la Faculté de Médecine, le professeur de clinique médicale Bernheim entreprit ses travaux sur la suggestion et l'hypnotisme, Beaunis s'intéressa aussitôt à la question et ses dernières publications à Nancy portent sur l'étude physiologique de cette partie de la science médicale. Beaunis a été un des initiateurs de l'étude de la psychologie scientifique en France.

L'activité et le dévouement que Beaunis n'a cessé d'apporter à l'accomplissement de ses fonctions de professeur de physiologie et de directeur des travaux pratiques se rapportant à sa chaire, le labeur continu qu'il consacrait à côté de ses charges universitaires à des travaux personnels ont eu un retentissement fâcheux sur son état de santé et l'ont déterminé à faire valoir prématurément ses droits à la retraite.

Beaunis a été nommé professeur honoraire de la Faculté de Médecine de Nancy par décret du 15 janvier 1894. Il a été un des membres assidus des Sociétés de Médecine de Strasbourg et de Nancy, de la Société des Sciences de Nancy ; il a été un des membres fondateurs de la Revue Médicale de l'Est. Il était chevalier de la Légion d'honneur depuis 1870, officier d'Académie (1873) et de l'Instruction publique (1881).

Beaunis a quitté Nancy, laissant parmi ses collègues de la Faculté, les regrets les plus sincères et un sentiment de profonde reconnaissance pour la collaboration si précieuse qu'il avait apportée à l'installation de la Faculté de Médecine de Strasbourg à Nancy et dont il avait hautement contribué à assurer tout le succès.. I1 s'est d'abord retiré à Paris, où il avait continué ses études préférées et avait été appelé à organiser à la Sorbonne, le premier laboratoire de psychologie physiologique. Nous connaissons de lui un compte-rendu de ses travaux de l'année 1892. Lorsqu'il quitta la capitale, il alla demeurer en Normandie, aux Veulettes, plus tard à Cannes et enfin au Cannet dans les Alpes-Maritimes.

En sus de tout l'intérêt qu'il a continué à porter aux progrès de la science et en particulier de la physiologie et de la psychologie, Beaunis s'adonnait avec passion à la musique, à la peinture, au modelage, enfin à des oeuvres littéraires. Nous connaissons de lui une longue liste de publications, en prose et en vers (*).

Deux événements ont profondément touché le professeur Beaunis pendant ses dernières années. Lors de l'inauguration de l'Université de Strasbourg, le 21 novembre 1919, il a été nommé professeur honoraire de la Faculté de Médecine de l'Université de Strasbourg. La distinction qui lui a été accordée devait lui rappeler le brillant début de sa carrière universitaire à la Faculté de Médecine de Strasbourg, dont il a si puissamment contribué à importer les nobles traditions à Nancy. Par un décret de 1919, le ministre de l'Instruction publique lui accorda la rosette si hautement méritée d'officier de la Légion d'honneur à laquelle il appartenait comme chevalier depuis 1870.

Le professeur Beaunis vient de mourir à l'âge de 91 ans, le 11 juillet dernier, dans sa propriété du Cannet. J'ai tenu à faire connaître en ces lignes, la vie si dignement et noblement remplie du professeur Beaunis, qui laisse les plus sincères regrets parmi tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher, parmi les nombreux élèves qui ont profité de son fructueux enseignement, ses collègues des Facultés de Médecine de Strasbourg et de Nancy, auxquels il avait apporté la collaboration la plus dévouée et la plus utile dans l'accomplissement de leur tâche. J'ai encore à remplir le douloureux devoir de payer par cette notice un tribut de reconnaissance personnelle et d'affection au collègue aimé et estimé, dont la Faculté de Médecine déplore la perte, et profondément attristé, je viens rendre un dernier hommage à sa mémoire.

Professeur F. GROSS

* L'Italienne. Scènes des guerres contemporaines. Drame en un acte et deux tableaux, en vers, Alger, 1859 ; Les Suppliantes d'Eschyle. Drame lyrique en deux tableaux, en vers, Paris, 1891 (sous le pseudonyme de Paul Abaur) ; Contes physiologiques. Madame Mazurel, Paris, 1895 (sous le pseudonyme de Paul Abaur) ;. Les Fantoches de la Côte d'Azur. Fantaisie-Revue en 1 acte et en vers, 1908 ; Théâtre composite (huit pièces de théâtre), 1911 ; La fille naturelle. Comédie en 3 actes, en prose, 1913 ; Marcelle. Drame en 5 actes, en prose, 1913 ; Deux drames d'Eschyle. Prométhée enchaîné. Les sept devant Thèbes, 1913 ; Poésies (1850-1913), Fantaisies-Boutades, Feuillets d'album, Images d'Epinal, Scènes antiques, Préhistorique, Entre cour et jardin, Fragments philosophiques, Hermine, 1913 ; Heures tragiques, 1870-1871, 1914-1919 ; Poésies, 1919 ; L'Après-Guerre. Considé­rations sur les conséquences morales et physiques de la guerre et sur les moyens de réaliser l'Union sacrée de la paix, 1919 ; La paix. Vers l'avenir. 1919 ; Sonnets d'art, 1920 ; Sonnets fantaisistes ; Silhouettes contemporaines, 1920.

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La Presse Médicale 13/08/1921; n°65; 1175

Henri Beaunis fonda le laboratoire de psychologie physiologique à l'Ecole de Nancy avec Liébault et Liégeois. Il étudia l'hypnotisme et publia l'Anatomie générale du système lymphatique en 1863, le Somnambulisme provoqué en 1886 et l'Evolution du système nerveux en 1890.

Le physiologiste Henri Beaunis, qui fut aussi un des initiateurs de la psychologie scientifique, vient de mourir au Cannet (A.-M.) à 91 ans. Il était l'un des derniers, sinon le dernier professeur de la Faculté de Strasbourg avant 1870 ; en souvenir et pour affirmer la tradition, une fois l'Alsace récupérée, H. Beaunis avait été nommé professeur honoraire à son ancienne Faculté.  
Nous avons tous pratiqué l'Anatomie classique qu'il a publiée avec A. Bouchard, et ses Eléments de Physiologie en deux gros in-8, ouvrage méthodique et sûr, que son auteur tenait au courant des progrès du laboratoire et de la clinique et que sa retraite lui a malheureusement fait abandonner à la 3° édition.  
Transporté, après 1870, de Strasbourg à Nancy, H. Beaunis prit aussitôt une part active aux recherches de l'Ecole de Nancy et à ses discussions contre l'Ecole de la Salpétrière - son livre sur le Somnambulisme provoqué (1886) résume sa contribution expérimentale, et expose son point de vue. En même temps, il publiait ses Recherches sur les conditions de l'activité cérébrale, et s'orientant du côté de l'étude des fonctions mentales, commençait un travail expérimental et documentaire sur la physiologie du cerveau et la psychologie physiologique.  
Il venait d'être appelé à organiser à la Sorbonne le premier laboratoire français de psychologie, lorsque la maladie lui fit prendre une retraite prématurée. Durant sa courte direction de ce laboratoire, Beaunis avait donné les Sensations internes (1889) et fondé, avec A. Binet, l'Année Psychologique.  
La retraite n'immobilisa pas cet esprit actif, méthodique et curieux : de 1892 à 1921, H. Beaunis a publié près de cinquante articles ou monographies sur les questions de psycho-physiologie qu'il pouvait encore aborder en dehors du laboratoire. Il meurt en pleine activité cérébrale puisqu'il avait encore donné en janvier 1921 à l'ancienne Revue de Th. Ribot, une étude fouillée sur l'interprétation des sensations des aveugles de naissance.  
Ce médecin psychologue sut garder à sa toque de professeur un joli brin de plume : en marge de son œuvre scientifique, il a publié de menues comédies, une traduction poétique d'Eschyle et, pendant la Guerre, un recueil de vers de circonstance bien frappée. Médecin divisionnaire à l'Armée de la Loire, il en avait rapporté - «Impressions de Campagne» souvenirs écrits tout vifs, où l'on sent le Français et l'Homme.