Dominique-Alexandre
GODRON
Michel BOULANGE
Conférence donnée à la Société des
Professeurs honoraires de Nancy (2014)
Dominique-Alexandre GODRON réussit à Nancy une double et exceptionnelle carrière de médecin et de scientifique puisque professeur et directeur de l’école préparatoire médicale nancéienne de 1847 à 1850, il fut nommé en 1854 professeur de sciences naturelles et doyen de la Faculté des Sciences au moment de sa création. Ce Lorrain, né à Hayange en 1807, eut une enfance difficile et douloureuse puisque orphelin de père dès 1812. L’attention bienveillante d’un oncle prêtre, celle paternaliste du Maître de Forges de Wendel, employeur de son père, lui permirent une formation classique acquise dans sa Lorraine natale puis dans un collège parisien aux côtés d’un fils de son protecteur. Le décès de sa mère au moment où, son baccalauréat obtenu, il souhaitait s’engager dans des études médicales, devait encore différer son inscription à la Faculté de Médecine de Strasbourg. Ces études, qualifiées de brillantes, furent couronnées par une thèse portant sur une forme de placenta prævia et sa formation en obstétrique lui permit à la fois de s’installer comme généraliste à Nancy, au terme de ses études, mais aussi de concourir à un poste de professeur suppléant à l’école secondaire médicale chargé d’enseigner opérations chirurgicales et accouchements.
Mais un intérêt sinon une passion pour la botanique acquise auprès de son maître strasbourgeois Nestler devait le conduire à postuler en 1843 une nomination à Nancy en tant que professeur de Matière médicale et à soutenir devant la Faculté des Sciences de Strasbourg une thèse consacrée à l’hybridité végétale, sujet de recherche qu’il devait poursuivre durant toute sa vie et dont les résultats eurent des conséquences multiples tant dans les concepts de l’évolution, l’affirmation de l’unicité de l’espèce humaine que dans l’application des connaissances des mécanismes de l’hybridation dans l’obtention de variétés végétales et floristiques nouvelles : l’école nancéienne des grands horticulteurs que furent Léon Simon, Victor Lemoine et François-Félix Crousse, créateurs de centaines de nouveaux cultivars de pivoines, de fuchsias, de lilas ou autres bégonias diffusés dans le monde entier est en grande partie redevable à l'œuvre scientifique de Dominique-Alexandre Godron. Un jeune élève du maître de la botanique nancéienne devait aussi dans son propre domaine tirer le plus grand profit de ses leçons d'herborisation : Emile Gallé, dans son œuvre artistique, mais aussi par ses propres recherches et travaux en botanique, peut être considéré comme le continuateur de l'œuvre de Godron.
Très tôt responsable du Jardin des Plantes créé un siècle plus tôt à proximité de l'Ecole de Médecine par Charles Bagard, à l'instigation du roi Stanislas, et succédant au chimiste Braconnot, Dominique-Alexandre Godron fut amené à construire, tant pour l'enseignement que pour ses recherches, une serre grandiose dont il ne reste malheureusement aujourd'hui que le mur de protection septentrional incorporé dans le bâtiment de l'ancien Institut agricole de la rue Sainte Catherine. Depuis quelques années confié à la Direction du Service des Parcs et Jardins de la Ville de Nancy, ce jardin historique à fonction de Jardin d'essais porte fort opportunément le patronyme de Dominique-Alexandre Godron. Mais nous possédons plusieurs autres héritages toujours concrets de l'œuvre de Godron : son remarquable et abondant herbier, conservé au Jardin botanique de Nancy, et les volumineux ouvrages rédigés par ses soins, tant de zoologie régionale que de botanique, en particulier une Flore de Lorraine, éditée deux fois de son vivant et rééditée et complétée après sa disparition, ainsi qu'une Flore de France, fruit d'un travail d'une dizaine d'années partagé avec son collègue bisontin Charles Grenier.
Les dernières années de la vie de Godron furent attristées par les événements politiques désastreux de 1870, année de sa retraite, qui voyaient Hayange aussi bien que Strasbourg, cités de sa jeunesse, annexées par le nouvel empire allemand, alors même que Nancy se trouvait soumise à une occupation militaire prolongée. Malgré cet environnement psychologiquement néfaste, il continua jusqu'à sa fin en 1880 à travailler, à écrire et à publier, et à défendre les intérêts de son jardin botanique, la gestion en ayant été convoitée par le Doyen de la nouvelle Faculté de Médecine Joseph Alexis Stoltz, dont le patriotisme à l'égard de la France n'égalait sans doute pas celui de Godron, et avant que n'en soit confiée la destinée en 1877 à son successeur Georges Le Monnier.
Pédagogue apprécié, chercheur passionné et administrateur avisé, Godron, qui avait été recteur départemental en Haute-Saône, dans le Doubs et dans l'Hérault avant son retour à Nancy, avait inauguré ses nouvelles fonctions décanales avec les paroles d'un visionnaire : « Les Facultés des Sciences n'ont plus aujourd'hui pour but exclusif de développer des connaissances théoriques, mais aussi d'enseigner avec soin les applications de ces connaissances aux diverses industries de la région ; elles ont pour mission, non seulement de former des hommes instruits, mais en outre de donner au pays des citoyens utiles », discours qui n'a rien perdu de sa force en ce début du XXIème siècle.