1935-2007
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ELOGE FUNEBRE
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Nous pleurons tous, aujourd'hui, un collègue aimé et respecté, un ami fidèle et dévoué, et, en ce qui me concerne, un élève brillant et admiré. Lorsque, le 1 octobre 1963 - il y a 44 ans - j'ai pris mes fonctions de Chef de Service des Maladies Infectieuses à l'Hôpital Maringer à Nancy j'ai trouvé, déjà, auprès des malades, un jeune interne, Philippe CANTON, dont les qualités intellectuelles et les valeurs humaines m'ont tout de suite frappé. Depuis cette date, nous ne nous sommes jamais quittés : il a été mon Interne, mon Chef de Clinique et Assistant, puis, nommé Agrégé de Maladies Infectieuses et Tropicales, il a été mon collaborateur puis mon collègue et enfin mon successeur. En somme, nos deux carrières se sont déroulées parallèlement avec un décalage de 10 ans. Je laisse au Professeur Thierry MAY, son élève, le soin de rappeler sa brillante carrière.
Je voudrais, pour ma part, vous parler de l'homme que j'ai pu apprécier durant toutes ces années de travail en collaboration, dans une amitié réciproque. Philippe CANTON avait un charisme qui attirait sympathie et attachement. Et cela était justifié : une intelligence vive, une mémoire étonnante, une culture vaste et profonde et une empathie naturelle pour les autres, favorisée par une grande capacité d'écoute. L'intelligence était profonde, mais loin des brillances superficielles. Elle était pratique, « les pieds sur terre », enrichie par l'expérience au contact des malades, des familles, des confrères et des étudiants. Il aimait enseigner avec un style direct et personnel qui subjuguait ses étudiants, sensibles à son sens pédagogique. Sa mémoire était surprenante et l'on s'étonnait de le voir rappeler telle ou telle observation d'un patient soigné il y a des années. Il avait des connaissances, toujours très concrètes, qui touchaient tous les aspects de la médecine et même au-delà. C'était, en effet, un homme de grande culture. Il lisait beaucoup et pas seulement des ouvrages de médecine. J'étais souvent étonné de constater qu'il pouvait aborder dans la conversation de multiples sujets qu'il maîtrisait parfaitement dans les domaines littéraires ou philosophiques, dans celui des sciences humaines, voire même dans la recherche spirituelle. Il était parfaitement au courant des développements de l'actualité culturelle grâce à son goût de la lecture. C'était un humaniste pragmatique, ouvert à tous les différents courants du monde contemporain.
Ces qualités intellectuelles étaient enrichies par ses qualités humaines. Philippe avait un sens profond des autres, parfois masqué par une ironie, toujours bienveillante, mais qui était parfois déroutante pour ceux qui le connaissaient mal. Il était très sensible aux malheurs des autres, de ses malades, de ses collègues, de ses amis. Il savait écouter ses interlocuteurs, quels qu'ils soient.
J'ai toujours été frappé par sa capacité à connaître personnellement tous ses collaborateurs, même les plus humbles, tous ses étudiants, sachant les appeler par leur noirs ou leur prénom, malgré des années d'éloignement. Il en était de même pour ses malades, les reconnaissant des années après les avoir soignés. Nul doute que le respect dont il était entouré en tant que Président de l'Ordre des Médecins de Meurthe-et-Moselle n'était que le fruit de ses qualités : qualités exercées aussi au service des visiteurs de malades dans les hôpitaux, dont il avait accepté la présidence à son départ en retraite. Enfin, Philippe avait une qualité discrète mais profonde, sa fidélité en amitié. Ses nombreux amis en témoignent. Dans cette longue période de collaboration que nous avons partagée, je n'ai pas le souvenir d'une ombre dans notre amitié, même si nous n'étions pas toujours d'accord. Je me souviens avec émotion de sa sollicitude lors de la maladie puis du décès de mon épouse. Il n'a jamais cessé d'être attentif à mon égard, me manifestant respect et reconnaissance.
Homme de qualité, homme de compassion, homme de fidélité, Philippe restera pour nous tous un exemple que nous garderons dans notre coeur. Je crois que les membres de sa famille peuvent être fiers de lui.
Qu'ils acceptent ici l'expression de toute notre sympathie attestée.
Professeur J-B. DUREUX
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Le Professeur Philippe CANTON nous a quittés ce jeudi 6 septembre des suites d'une longue maladie. Il n'était âgé que de 72 ans.
Né à Granges sur Vologne, précédé par trois soeurs, auprès desquelles, nous disait-il, il n'était pas toujours facile de se faire entendre. Après l'école primaire, dont sa mère était directrice, il effectue son enseignement secondaire au lycée d'Epinal, avant de rejoindre Nancy pour ses études à la Faculté de Médecine.
Externe des Hôpitaux en 1957, interne en médecine de 1961 à 1966, il est initialement attiré vers la physiologie et devient rapidement chef de travaux au laboratoire du Pr. Arnould puis se tourne vers la pédiatrie, séduit par les qualités de l'école nancéenne des Prs Neimann et Pierson. Au service des contagieux du Professeur Gerbaut à l'Hôpital Maringer, il est initié à la réanimation respiratoire des malades atteints par les épidémies de polio ou par le tétanos.
D'une passion débordante, parfois fougueux, voire emporté mais toujours maîtrisé, il s'imposait naturellement par la force de sa personnalité et son pouvoir de séduction.
Lors se son service militaire effectué à l'hôpital militaire Sédillot, c'est la prise en charge des jeunes recrues victimes de méningite cérébro-spinale qui détermine son choix pour une carrière dorénavant consacrée aux maladies infectieuses. A partir de 1967, assistant chef de clinique au service des contagieux, il formera avec son aîné, le Pr. J-B. Dureux, un couple indissociable dans la lutte contre les Maladies infectieuses et Tropicales pendant près de 30 ans. La qualité de ses travaux et publications sur le tétanos, les méningites ou les septicémies, lui permet d'obtenir en 1972 la nomination au titre de professeur agrégé.
En 1975, le service de Maladies Infectieuses et Tropicales s'installe sur le plateau de Brabois et c'est désormais au 9° étage consacré aux maladies contagieuses pédiatriques et aux pathologies tropicales que soufflera l'Esprit. A partir des années 1985 et pendant près de 20 ans, il se consacrera essentiellement à la prise en charge des patients atteints du Sida. Il avait par son rayonnement imposé un modèle de prise en charge globale, médicale, psychologique et sociale et avait toujours combattu la stigmatisation et la discrimination des personnes contaminées par le VIH, en partenariat avec les associations de patients.
Il avait innové en créant très tôt dans un service de maladies infectieuses un poste de psychiatre et un poste d'éducateur spécialisé pour la prise en charge des toxicomanes infectés. Son enseignement des Maladies Infectieuses et Tropicales d'une rare qualité a profondément marqué des générations d'étudiants en médecine. Malgré les nouveaux moyens pédagogiques, il était resté fidèle à la craie et possédait un don unique pour transmettre son savoir. Vice-Doyen pendant dix ans, il réforma la pédagogie de notre Faculté et s'investit largement dans la rédaction et la coordination du Pilly, ouvrage de référence de la discipline. Il était fier d'avoir été élevé, comme sa mère et ses soeurs, officier dans l'ordre des Palmes Académiques.
Son sens diagnostique et clinique était hors du commun et il n'avait cessé de faire régner un esprit scientifique et une ambiance familiale au sein de son service dont il était particulièrement proche, aussi bien de ses collaborateurs, de sa surveillante, de ses secrétaires, de ses infirmières, que des patients qui, tous, le lui rendaient bien.
Bien évidemment, sa dimension dépassa le cadre de la Lorraine et il fut reconnu par ses pairs comme Président de l'Association des Professeurs de Pathologies Infectieuses et Tropicales. Il contribua par son rayonnement et son esprit d'école à former des élèves qui essaimèrent à travers toute la France : Yves Etienne à Saint-Dié, Jean-Luc Schmitt à Amiens, Bruno Hoen à Besançon, Corinne Amiel à Paris, Hélène Schuhmacher à Epinal, Vincent Baty à Lyon, Laurent Thomas à Bry-Sur-Marne et tant d'autres...
Après son départ en retraite en 2000, et après nous avoir confié les clefs du service, il n'avait cessé de s'impliquer dans la vie médicale en intégrant le Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins dont il devint naturellement rapidement Président. En quelques années, il en rénova les structures et le fonctionnement, s'appuyant sur son fidèle secrétaire Bruno Boyer.
Son esprit et sa parole étaient libres et il possédait un talent unique pour appréhender les hommes et les événements. Dévoreur de littérature pendant la semaine, il était toujours resté fidèle à ses racines vosgiennes et à sa famille qu'il retrouvait immuablement tous les week-ends. Il suivait avec fierté le parcours de ses neveux et nièces. Charmeur, élégant, fidèle en amitié, c'est un des grands Patrons de l'infectiologie française qui s'en va.
Et aujourd'hui, avec Christian Rabaud, Thanh Lecompte, Sybille Bevilacqua, Laurence Boyer, Christine Burty et tout un service, nous pleurons le départ de notre maître, et un peu de notre père.
Monsieur Canton, merci et au revoir.
Professeur T. MAY