NEIMANN Nathan

1906-1992

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ELOGE FUNEBRE

C'est une mission particulièrement émouvante que vous m'avez confiée, celle de rendre à notre Patron, Monsieur NEIMANN, l'hommage de ses Collègues, de ses élèves, de ses amis et, au-delà de Nancy, de la communauté pédiatrique française. Car cela est profondément vrai que toute la Pédiatrie est en deuil. Monsieur NEIMANN s'est éteint le 6 mars dernier, au terme d'une cruelle épreuve de plusieurs années, mais, heureusement, entouré de ses enfants et dans sa maison. Retraité depuis 1978, il restait en contact avec nous, mais en 1984, le décès de Madame Neimann l'avait terriblement affecté et précipité les effets de la maladie qui l'écartait progressivement du monde.

Né le 3l décembre 1906 dans une petite localité de Moldavie, rattachée alors à l'empire russe, il appartient à une famille modeste. Après les bouleversements de la première guerre mondiale, il devient citoyen roumain et poursuit ses études à Bucarest. Son frère aîné vivant en France, ingénieur de l'institut électrotechnique de Toulouse, était déjà l'auteur de nombreux brevets, dont le plus célèbre est : « l'antivol ». C'est grâce à ce frère que le jeune Nathan put commencer ses études de Médecine à Nancy.

Une intelligence hors pair et une volonté de travail exceptionnelle lui permirent des études brillantes : Externat et Internat des Hôpitaux en 1930 (le premier Médecin étranger reçu à ce concours difficile). Naturalisé français en 1934, il accomplit son service militaire dans la 6ème région. Il s'oriente ensuite vers la Médecine des enfants, passe sa thèse en 1937. Chef de Clinique, puis Assistant dans le Service de Médecine infantile, il est le collaborateur très apprécié du Professeur CAUSSADE, qui lui fait présenter le concours d'Agrégation en juin 1939.

Il épouse Andrée Leclerc, qui sera la compagne de sa vie pendant quarante ans et la mère de ses trois enfants : Jean-Louis, Michel et Laurence. Il est mobilisé quelques jours plus tard et fait la campagne 1939-1940. Sa conduite lui vaudra la Croix de Guerre 1939-1945 et plus tard, la Légion d'Honneur. A la fin des hostilités, il reprend son poste à Nancy et passe le concours de Médecin des Hôpitaux en 1946. Il sera le collaborateur principal de la Chaire et du Service de Médecine Infantile jusqu'au départ de son Maître, le 1er janvier 1956. Il dirigea alors, comme Professeur titulaire, jusqu'à sa retraite en octobre 1978.

L'oeuvre médicale et scientifique accomplie pendant cette belle carrière est considérable. Son oeuvre scientifique est exemplaire et marque son époque à l'instar de celle de Robert DEBRE. Elle a débuté avant la Première Guerre mais surtout à son retour en 1945 comme adjoint du Professeur CAUSSADE, il transforme la médecine des enfants et la tourne délibérément vers le courant scientifique venu des Etats-Unis grâce à son ouverture d'esprit et sa connaissance des langues alliées à une capacité de travail peu commune.

Chaque matin, à la Clinique Infantile, il fascinait l'équipe médicale par l'identification d'une pathologie récemment isolée. Son diagnostic était éclatant, pertinent et documenté par ses lectures. C'est ainsi qu'étaient reconnues en peu de temps toutes ces maladies nouvelles : la fibrose kystique du pancréas, les hémoglobinoses, les mucopolysaccharidoses, la maladie coeliaque, les maladies métaboliques, cystinose, oxalose etc. et toutes sortes de syndromes malformatifs de nature génétique. De nombreuses publications faisaient connaître la Clinique Infantile de Nancy.

Devenu titulaire de la Chaire en 1955, il réorganise avec dynamisme l'enseignement de la discipline des enfants, et le Service Hospitalier. Il s'entoure d'une jeune équipe et perçoit très vite l'intérêt d'orienter chacun vers une spécialisation plus précise à l'intérieur même de la Pédiatrie : il réalise en quelques années un remarquable réseau de compétences pédiatriques que d'autres C.H.U. nous envient. Ainsi, on verra peu à peu se constituer :

- Un groupe pour la pathologie endocrinienne et génétique qu'il anime avec Michel PIERSON pour les études sur la thyroïde : il y découvre la cause réelle du myxoedème congénital : le défaut de migration des ébauches thyroïdiennes : il s'intéresse aux anomalies de la différenciation sexuelle, à l'hyperplasie des surrénales et l'identification du corpuscule de Barr, il perçoit l'intérêt de l'étude des noyaux cellulaires pour la génétique et oriente Simone GILGENKRANTZ vers ce qui deviendra plus tard la Cytogénétique.

- Avec Michel MANCIAUX, il engage les pédiatres à s'intéresser au problème insupportable des enfants battus et à toute la pédiatrie préventive et sociale, bientôt J-P. DESCHAMPS viendra les rejoindre et ensemble devenir les leaders de celle discipline.

- Vers les années soixante, les balbutiements de la réanimation néo-natale le convainquent de la nécessité de travailler activement avec les accoucheurs pour la prévention des accidents de naissance et une collaboration s'instaure avec Paul VERT et l'association obstétrico-pédiatrique, avec le succès que l'on connaît, bientôt rejoint par Pierre MONIN.

- Claude PERNOT, hélas disparu tragiquement en 1989, entra dans le groupe pédiatrique à l'appel de M. NEIMANN pour y apporter sa compétence et son dynamisme infatigable. En quelques années une véritable école de Cardiologie Infantile acquiert une grande réputation dans l'Europe entière, avec la collaboration de A. M. WORMS.

- Pierre TRIDON, issu de la prestigieuse Ecole neurologique du Professeur KISSEL collaborait avec la Pédiatrie et assistait également le Docteur Paul MEIGNANT qui possédait la qualification de psychiatre de l'enfant. Bientôt, ce qui s'appelait alors neuropsychiatrie infantile devenait plus tard la psychiatrie infanto-juvénile.

- L'importance croissante des affections malignes, cancer et maladies du sang et les avancées thérapeutiques des années soixante-dix amenaient Danielle OLIVE-SOMMELET à s'engager à fond dans cette direction difficile mais passionnante et obtenait bientôt un très grand succès qui allait imposer cette équipe comme l'une des meilleures en France et en Europe.

- Jean-Luc ANDRE, s'orientait à sa demande vers la même période vers les maladies rénales et réussissait à créer à Nancy l'un des tout premiers centres d'hémodialyse pour les enfants. Autour de lui s'organisait un petit groupe de Néphrologie auprès duquel de nombreux autres collègues de France et de l'étranger sont venus se former. Groupe qui fait aujourd'hui référence et autorité au niveau européen.

- Enfin, « the last one but not the least » Michel VIDAILHET s'oriente avec le groupe vers les maladies dites métaboliques grâce à une sorte de laboratoire quasi clandestin que nous avions installé avec lui. Avec J.-C. SCHAACK et BADONNEL, un embryon de laboratoire de Recherche introduit le groupe de Nancy dans le domaine des enzymopathies héréditaires et le dépistage précoce des maladies du métabolisme. A partir de là l'équipe de M. VIDAILHET s'enrichit de la collaboration de A. MORALI qui s'intéresse à la nutrition.

Il faudrait encore beaucoup de temps pour dire l'intense activité intellectuelle que Monsieur NEIMANN utilisait pour nous aider les uns et les autres à progresser. A chacun, il donnait sa confiance, entière et permanente. Son intelligence exceptionnelle était à l'affût des progrès de la Science et son souci était de nous faire partager son enthousiasme. Non seulement il ne cherchait pas à contrarier nos efforts, mais il les soutenait, toujours avec tact et discrétion, mais en plus il se réjouissait de nos succès et de nos progrès. C'était un Patron exemplaire comme Chef d'Ecole.

Si son intelligence était toute tendue vers la science, son coeur était préoccupé de la souffrance des petits. Dès le début de sa carrière, il prenait une part active aux oeuvres médico-sociales de l'enfance, initiées en Lorraine par Jacques PARISOT et Louis CAUSSADE, l'Office d'Hygiène Sociale, le Placement Familial de Thorey, le Centre de Protection de Blâmont. Il me formera aux fonctions de Médecin de l'Aide à l'Enfance, au Conseil de Famille des Pupilles de l'Etat, etc., puis le Centre d'Action Médico-Sociale Précoce. Son rêve était de réunir toutes les activités pédiatriques dans un Hôpital des Enfants. Ce rêve a fini par se réaliser, mais en 1982, il était déjà à la retraite. Il a eu quand même le plaisir de l'inaugurer et de nous y voir tous réunis.

Notre patron était une intelligence, un coeur et aussi un ami, une grande âme. Pour sa famille, si proche de sa femme disparue beaucoup trop tôt, et que nous aimions tous aussi profondément. Proche de Jean-Louis, de Laurence et de Michel, auxquels il donna le meilleur de lui-même avec amour mais aussi avec une honnêteté rare, ne voulant aucune faveur pour chacun d'eux. Proche de chacun de nous, les plus anciens, qui lui devons beaucoup pour notre carrière et nos succès, mais aussi pour beaucoup d'autres qui sont allés témoigner de la formation pédiatrique de la qualité reçue dans son Ecole. Certains sont tous proches du C.H.U., d'autres dispersés dans la France entière. Nombreux aussi sont à l'étranger : en Europe : Luxembourg, Belgique, Suisse ; au Moyen-Orient, en Amérique latine ; en Afrique du Nord, Algérie, Tunisie, Maroc, Bénin, Sénégal, Côte d'Ivoire et ailleurs. Chacun d'eux s'identifiera dans cette énumération trop brève, et ils me pardonneront de ne pouvoir citer leurs noms.

Je voudrais terminer ce trop long propos en évoquant l'exemple le plus précieux qu'il nous a donné, car c'est une qualité des plus rares qu'il possédait au plus haut degré : la dignité et le respect des autres. Dans toutes les circonstances de sa vie, il dominait les événements et conservait vis-à-vis de tous la dignité. Celle-ci prenait souvent le masque d'une très grande réserve et d'une modestie presque insolite dans un monde plutôt habilité à la vanité et aux jugements critiques. Jamais je n'ai entendu Monsieur NEIMANN dire du mal de quiconque : dans chacun, il reconnaissait ce qu'il y avait de bon et de positif. Dans toutes les actions, il cherchait le bien. Il oubliait le reste. Il ne participait jamais aux entreprises dirigées contre quelqu'un ou quelque chose. Il ne voulait causer aucun préjudice à personne. Il ne voulait aucune compromission et encore moins de lâcheté.

Chers Collègues, chers Amis, les voies de Dieu sont insondables, et surtout incompréhensibles. Cet homme, si doué intellectuellement, si bon et si généreux, si honnête, n'a pas pu achever sa vie et profiter de la sérénité de la retraite. La vieillesse pour lui fut, selon l'expression du Général de Gaulle, le pire naufrage qu'un homme puisse supporter. Nous avons souffert avec lui pendant cette trop longue et trop cruelle épreuve. Il est mort apaisé le 6 mars 1992. Que Dieu l'accueille auprès de lui. 

Professeur M. PIERSON