ARNOULD Pierre

1921-2002

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Les sciences physiologiques et physico-chimiques

ELOGE FUNEBRE

Un homme droit, d'une grande rigueur, riche, dans sa modestie et sa réserve, de grandes qualités de communication, pédagogue fortement investi dans la connaissance, la recherche et le sens profond d'une discipline, la Physiologie Médicale, à laquelle il a consacré l'essentiel de sa vie : tel fût notre Maître et ami, le Professeur Pierre Arnould. Il devait nous accueillir, tout jeune étudiant à la sortie du 1er cycle, comme bien d'autres après nous, et son enseignement, et tout particulièrement celui des travaux pratiques auquel il consacrait beaucoup de son temps et de son talent de réalisateur imaginatif, séduisait alors les jeunes et futurs médecins qui abordaient, dans cette partie non livresque du début de leurs études, des démarches concrètes comportant des observations ou des gestes, y compris chirurgicaux, proches de leur futur exercice médical.

L'étudiant en médecine qu'il avait été, devait être précocement confronté aux difficultés de la vie et à celles, dans les pires conditions, d'un début de pratique médicale. Quelques années de scolarité universitaire, et un concours d'externat réussi en 1942 devaient en effet paraître suffisants pour envoyer, dans une opération qui ne masquait que son nom de déportation, de jeunes étudiants malencontreusement reçus à leurs examens pour assurer une relève de médecins âgés ou malades des stalags d'Outre Rhin. Il devait cependant garder de cette expérience douloureuse l'enrichissement de contacts humains les plus divers, et des cicatrices tant morales que physiques puisqu'il avait dû surmonter un épisode infectieux particulièrement dangereux en cette période d'enfermement et l'inexistence de moyens thérapeutiques efficaces.

Une fois libéré, il reprenait ses études et pouvait accéder rapidement, dès 1946, à un poste d'interne, lors du premier concours rétabli après la fin des hostilités. Il devait garder de solides amitiés au sein de sa promotion, en particulier avec Michel Remy, lui aussi récemment disparu, et de Guy Rauber, lequel devait lui succéder des années plus tard à la tête de l'UFR STAPS, devenue depuis la Faculté du Sport de notre Université.

Cet internat lui fit choisir une voie médicale le conduisant à devenir un cardiologue joignant à de remarquables compétences cliniques de profondes connaissances physiologiques. Ce qui eut pour conséquence la thématique de sa thèse de doctorat en médecine soutenue en 1951 et consacrée à une analyse critique des différentes méthodes de mesure du débit cardiaque, de la classique utilisation du Principe de Fick à celle des courbes de dilution de Stewart Hamilton, en passant par l'interprétation des courbes de balisto-cardiographie. Son temps se partageait alors entre les services cliniques et le laboratoire de Physiologie qui l'avait accueilli comme préparateur dès 1946.

Le jeune médecin se dépensait alors auprès des malades du Dr. Louis Mathieu, qui avait été son véritable initiateur dans la discipline cardiologique, et ceux du Pr. Emile Abel, dont il devenait le chef de clinique en 1948, réalisant pour les deux services les cathétérismes cardiaques dont il a été le premier manipulateur nancéien. Au laboratoire de Physiologie, il était conduit à mettre au point les indispensables dosages de gaz du sang, au moyen de l'historique appareil de Van Slyke, inventait un dispositif de recueil d'échantillons de sang pour les épreuves de dilution, et employait un simple piézographe pour obtenir d'un sujet inconfortablement couché sur le sol du laboratoire de magnifiques tracés balistocardiographiques.

Lors de la soutenance de cette thèse de médecine, conduite et réalisée à la hauteur d'une actuelle thèse d'Université, ses maîtres les Professeurs Grandpierre et Franck ne cachaient pas leur admiration et leur affection pour leur élève, et annonçaient déjà publiquement leurs intentions de l'adjoindre comme professeur à leur équipe duale si complémentaire et déjà performante. La présence de ces deux maîtres en effet, l'un, créateur de la médecine aérospatiale française, plein de dynamisme imaginatif, l'autre, futur recteur d'académie, exigeant de rigueur tant expérimentale qu'administrative, devait fortement influencer ses choix de recherche, toujours à la jonction de la clinique et de la démarche expérimentale pratiquée chez l'animal puis chez l'homme, et en alliant ses propres compétences de cardiologue à celles des pneumologues et physiologistes respiratoires des autres membres de l'équipe.

Voilà un demi siècle ou presque, l'époque n'était pas celle des publications dans de grandes revues internationales non francophones, au terme de recherches pourtant remarquablement conduites, mais celle de présentations courtes et modestes devant la filiale nancéienne de la Société de Biologie ou mieux devant le Congrès annuel de la Société de Physiologie de langue française dont une réunion brillante devait se faire dans notre Faculté en 1962.

Les progrès et résultats de tous ces travaux, conduits sous la houlette dynamique de ce trio de maîtres, se concrétisaient surtout par la réalisation de thèses, toujours volumineuses, marquant les étapes et les carrières de futurs enseignants de notre Faculté : celles successivement de Pierre Lamy consacrée au nerf phrénique sensitif et végétatif, d'André Simon et de Jacques Petit à la circulation et à la chémosensibilité pulmonaires, de Maurice Lamarche puis de Michel Boulangé sur la mesure de la masse sanguine et les composantes liquidiennes de l'organisme, et plus tardivement de Philippe Canton sur l'action dépressive respiratoire d'agents pharmacodynamiques, et de Jean-Pierre Deschamps sur l'équilibre acido-basique en hypothermie.

Chargé des fonctions d'assistant, de chef de travaux, puis de Maître de Conférences agrégé de Physiologie, de 1948 à 1955, Pierre Arnould était brillamment admis au concours d'agrégation de cette dernière année, après en particulier une remarquable leçon sur un sujet alors d'avant garde consacré à la physiologie du muscle lisse. Il avait préparé ce concours sous la conduite attentive de ses maîtres mais avait aussi parallèlement acquis les certificats d'études supérieures scientifiques dont il avait suivi les enseignements avec plusieurs jeunes collègues constituant une équipe amicale et soudée, les futurs professeurs Lamarche, Paysant et Ribon.

L'activité d'enseignant et de recherche de Pierre Arnould ne devait alors plus souffrir d'aucun répit. La période estivale dite de vacances le voyait chaque année gagner l'Institut de Recherches Cardiologiques de Royat dont il partageait la responsabilité avec le Pr. Jourdan, éminent pharmacologue lyonnais, et son ami clermontois, le Pr. Pierre Duchène Marullaz. Ces universités d'été accueillaient une pléiade de jeunes chercheurs futurs enseignants de Physiologie ou de Pharmacologie de nombreuses universités françaises ou étrangères : les futurs professeurs Faucon, Flandrois, et Mornex à Lyon, Montastruc à Toulouse, Leusen à Gand, Bouverot, Boulangé et Mallié, à Besançon et Nancy, Schaff à Strasbourg, Lavarenne à Clermont-Ferrand, Potocki à Poitiers.

Les thématiques abordées comportaient des expérimentations animales qui se prolongeaient souvent à Nancy, telles les recherches sur le tonus cardioaccélérateur, ses modalités d'expression périphérique ou la localisation de ses centres, sur les régulations persistant chez le chien sans moëlle ou sur les circulations locales, cérébrales et coronaires en particulier. Les talents chirurgicaux de Pierre Arnould se traduisaient par une patience et une minutie faisant de lui un avant-gardiste d'interventions miniaturisées : telles les gastrectomies réalisées chez le rat quelques années plus tard au bénéfice du travail de thèse expérimentale de Pierre Nabet.

Le départ pour une carrière rectorale du Pr. Claude Franck et le transfert dans la Chaire de Physiologie de Bordeaux du Pr. Robert Grandpierre conduisaient Pierre Arnould, animateur et coordinateur des activités du laboratoire, à en devenir le responsable, dirigeant une équipe renouvelée avec la venue et la nomination de nouveaux agrégés : Pierre Bouverot, Michel Boulangé puis Michel Boura. Cet âge d'or de la physiologie médicale nancéienne et de la carrière universitaire de Pierre Arnould devait se traduire par des activités et des réalisations multiples. Toujours fidèle à l'Institut de Royat dont il partageait à partir de 1964 les fonctions de direction avec Pierre Duchène Marullaz, il devait, dès la première sollicitation, répondre aux demandes du Doyen Beau afin de faire participer l'équipe nancéienne à la création de l'enseignement médical du Maroc, à Rabat tout d'abord puis ultérieurement à Casablanca. Il entraînait dans son sillage aux côtés du Professeur Paul Sadoul tous les enseignants de physiologie et de médecine expérimentale, voire d'autres disciplines, tel le Professeur Claude Burlet initialement orienté vers une carrière de physiologiste, mais aussi de collègues d'autres facultés en particulier le Professeur Georges Schaff de Strasbourg qui devait ultérieurement lui succéder à la direction de l'Institut de Recherche Cardiologique de Royat. Une phalange de jeunes étudiants marocains en fin d'études dans des facultés françaises fut alors placée sous la responsabilité de Pierre Arnould pour devenir les futurs cadres de l'enseignement pratique de la physiologie dans leur pays.

Effectuant à Nancy leurs dernières années d'études et le plus souvent le suivi de diplômes de spécialité devant leur assurer de brillantes carrières de praticien après leur retour en terre maghrébine, ces jeunes médecins furent initiés aux enseignements dirigés et surtout pratiques pour lesquels l'ensemble du matériel, identique à celui utilisé à Nancy, devait être préparé et construit sur les plans de Pierre Arnould avant d'être acheminé vers le Maroc. Conjointement à leurs jeunes collègues français, les cinq futurs assistants de Rabat avaient également pu s'initier aux démonstrations expérimentales télé-visuelles réalisées au profit des étudiants nancéiens grâce à une installation, très performante pour l'époque, et dont la mise en oeuvre avait été confiée au futur Professeur Crance, dont l'investissement et la compétence en méthodologies audiovisuelles ne se sont pas démenties depuis cette date.

Quelques années seulement après son accession à la Chaire de Physiologie, Pierre Arnould voyait avec bonheur l'équipe du laboratoire s'agrandir par la création de postes de moniteurs et d'assistants de sciences fondamentales, qui permettaient à un nombre conséquent de jeunes médecins et internes de s'initier à l'enseignement et surtout aux démarches de recherche expérimentale. Se succédèrent ainsi, accédant aux fonctions de chefs de travaux pratiques les Docteurs Jacques Petit, Paul Vert, Philippe Canton, Jean-Pierre Deschamps, Gérard Ethevenot, Nicole de Talancé, Patrick Becquart, Yves Badonnel, Bernard Guittienne, Pierre Monin.

Ces derniers furent accompagnés dans leurs activités d'enseignement et de recherche en Physiologie de nombreux autres, parmi la très longue liste desquels nous ne retiendrons que ceux ayant depuis accédé à une carrière professorale : dans un ordre chronologique approximatif, nous citerons Daniel Anthoine, Pierre Gaucher, Jean-René Royer, Denise Moneret-Vautrin, François Brunotte, biophysicien à Dijon, Charles Fontenaille, néphrologue à Nantes, Gabriel Camelot, devenu Doyen de Besançon, François Paille, Hervé Vespignani, Jean-Pierre Kahn, François Math, physiologiste à la Faculté des Sciences, Philippe Perrin, à la Faculté du Sport, et plus récemment en Physiologie, François Marchal et Philippe Haouzi et enfin Paul-Michel Mertes, à la Faculté de Reims et aujourd'hui à Nancy, quelle pépinière !

Durant toute cette période des décennies 1960 et 1970, Pierre Arnould travaille donc sans relâche et dépassant les domaines familiers du laboratoire s'implique dans l'enseignement, voire la recherche en physiologie neurologique et neuro-psychologique. Il traduit dans cette perspective de nombreux chapitres du tome spécialisé du Handbook de Physiologie et met en place avec Roger Poiré, puis le regretté Philippe Lepoire, François Briquel et Nicole Fayen, un laboratoire de Neurologie et Neuro-Pharmacologie expérimentale où furent réalisées les premières démonstrations des effets centraux de nouveaux neuroleptiques.

Cet investissement tant pratique qu'intellectuel devait naturellement le conduire à une forte participation à la formation des psychologues, accueillis à l'Université de Nancy II, et dont il assumait tout le programme de physiologie nerveuse du cursus. Avec ses collègues physiologistes de la Faculté des Sciences, les Professeurs Gayet et Davrainville, il organisait conjointement avec l'Université Louis Pasteur de Strasbourg un certificat de Physiologie des Régulations pouvant s'inscrire dans une Maîtrise de Biologie, préfigurant les formations de Biologie Humaine plus tardivement mises en place.

A la Faculté de Médecine, il prenait aussi la direction du certificat d'études spéciales de Médecine Aéronautique, précédemment placé sous la houlette du Doyen Louis Merklen et intervenait en médecine et physiologie du sport avant d'en confier les rènes au Professeur Michel Boura. Il contribuait aussi aux enseignements de Pharmacologie, d'Hydrologie et de Rééducation fonctionnelle, et coordonnait les interventions des enseignants de la discipline physiologique entre les Facultés de Médecine, la Faculté de Chirurgie Dentaire, les Ecoles de Kinésithérapie ou d'infirmières. Ses compétences de gestion administrative devaient rapidement être sollicitées puisqu'il devenait, après la disparition du Doyen Louis Merklen, Président de l'Institut Régional d'Education Physique et Sportive, assurant les destinées de cette structure de formation des professeurs d'éducation physique avant que celle-ci ne devienne une UFR de l'Université de Nancy I et ne prenne le titre actuel de Faculté du Sport.

Très écouté lors de la mise en place des Facultés de Médecine et de l'Université nouvelles, ses connaissances des textes et des procédures juridiques alliées à son bon sens ont beaucoup contribué à l'aboutissement de cette difficile démarche, grâce à l'ascendant qu'il exerçait sur ses collègues et sur les personnels et étudiants impliqués dans un travail auquel ils n'étaient nullement préparés. Siégeant au sein du premier conseil de l'Université en tant que représentant de l'Institut d'Education Physique, il devait ensuite assurer des fonctions de Vice-doyen de la Faculté A de Médecine auprès du Doyen Streiff, de 1976 à 1982 jusqu'à la réunification des UFR médicales en une seule Faculté. Durant cette période d'extension des enseignements médicaux, aux besoins desquels il s'était totalement engagé, il devait garder, malgré la dualité des structures, et en parfaite harmonie avec l'ensemble de l'équipe physiologique, un rôle de direction dans toutes les démarches pédagogiques, avec une unicité d'organisation et de gestion des travaux pratiques, et la coordination de tous les enseignements médicaux, paramédicaux ou de formations de 3ème cycle ressortissant à la discipline. Il pouvait éprouver une très légitime fierté de toute cette oeuvre accomplie qu'il pouvait situer dans le prolongement de celle de ses prédécesseurs qu'il sut si bien décrire dans l'article précis et exhaustif qu'il avait rédigé à l'intention des Annales médicales de Nancy pour la célébration en 1974 du centenaire de cette revue.

Bien qu'ancien interne et ancien chef de clinique de Médecine générale - ce que le premier jury de Physiologistes qu'il dut affronter avant de devenir chef de travaux lui avait reproché - Pierre Arnould dut, à l'inverse, attendre de longues années après la mise en place de la réforme hospitalo-universitaire pour accéder à des fonctions de Biologiste des Hôpitaux, puisqu'il ne devait obtenir, bénéficiaire d'une intégration dite initialement à effet ultérieur, qu'en 1975 sa nomination en tant que chef de service d'explorations fonctionnelles cardio-vasculaires aux côtés du Professeur François Cherrier. Les efforts qu'il avait personnellement consentis pour s'approprier les concepts et techniques de l'informatique médicale trouvèrent dans ces dernières fonctions leur application immédiate, permettant la mise au point de nouvelles méthodologies sophistiquées d'explorations fonctionnelles cardiologiques.

Ces dernières années d'activité hospitalo-universitaire ne l'avaient donc vu faiblir dans aucun de ses engagements. Il avait pu voir apparaître de nouveaux collaborateurs et contribuer à la nomination de nouveaux professeurs de Physiologie : après ses élèves directs Michel Boulangé, Michel Boura et Jean-Pierre Crance, ce furent Jean-Pierre Mallié, issu de Besançon et rattaché à Nancy après un séjour en coopération, Hubert Uffholtz, après la disparition de la discipline Médecine expérimentale, puis François Marchal et Philippe Haouzi dont il allait suivre le début des carrières. L'avenir de la discipline pouvait donc lui paraître pleinement assuré.

Son accession à la retraite en 1987 lui permettait de contempler avec bonheur tout ce chemin parcouru durant plus de quatre décennies, avec tant d'étudiants accueillis et formés, de collaborateurs initiés à une discipline à laquelle il avait consacré toute son énergie et son intelligence. Il pouvait se féliciter à juste titre du brillant avenir vers lequel il leur avait permis de s'engager. Trop modestement, à son image, la reconnaissance officielle de ses mérites avait été parcimonieusement reconnue, ayant été promu Officier des Palmes Académiques et Chevalier de l'Ordre National du Mérite, et Médaillé d'Honneur de la Jeunesse et des Sports.

Pierre Arnould possédait deux familles, sa famille naturelle, celle dont il était issu et dont les engagements professionnels dans des carrières juridiques l'avaient fortement influencé, le conduisant à une rigueur réfléchie dans l'abord des problèmes de la vie quotidienne, famille qu'il avait accepté de construire en apportant une attention et un dévouement paternel à deux de ses jeunes nièces qui avaient perdu très précocement leur père. Son autre famille était celle du laboratoire de Physiologie : ne l'avait-il pas exprimé, sortant de sa réserve toujours si pudique en demandant, quelques heures avant son décès, que son ancienne équipe soit prévenue de sa disparition qu'il sentait très proche.

Il avait, dans sa philosophie souvent résignée et pessimiste, qu'il rattachait avec humour à sa date de naissance du 2 novembre, accepté cette échéance comme il avait déjà assumé le deuil de la disparition de ses proches et de ses maîtres de la Faculté. Il avait discrètement mais profondément souffert de voir le devancer dans la mort des collaborateurs tous devenus ses amis, d'André Simon à Maurice Lamarche, de Pierre Bouverot à Roger Poiré, sans omettre Philippe Lepoire si tragiquement disparu. Dans sa retraite partagée entre sa résidence nancéienne et sa thébaïde rustique de Craincourt, il s'était préparé à cette fin de vie tout en gardant le contact avec les membres de tous grades de cette famille universitaire qui se devait aujourd'hui de lui rendre un hommage ô combien mérité.

Professeur M. BOULANGE