de LAVERGNE Paulin (de VEZEAUX de LAVERGNE)

1884-1957

` sommaire

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Leçon inaugurale de la chaire de bactériologie

ELOGE FUNEBRE

Qu'il est douloureux de penser que ce grand savant, que cette belle intelligence, que ce médecin incomparable n'est plus, que nous ne le verrons plus. Nous ne lirons plus sur ses traits vivants et mobiles l'intérêt passionné qu'il portait à toute chose, nous ne suivrons plus sur sa figure attentive sa méditation silencieuse et féconde; son enthousiasme juvénile pour la recherche ne nous illuminera plus. Nous n'entendrons plus sa parole vive, ardente, originale, puissamment suggestive, cette parole qui soulevait son auditoire, débutants en médecine, médecins chevronnés, spécialistes et savants. Cependant, l'oeuvre scientifique du Professeur de Lavergne demeure; elle est belle ; elle est vivante. Créatrice, elle durera par elle-même et par ce qu'elle a accompli en chacun de ceux, lecteurs, auditeurs, disciples, qu'elle a instruits et marqués.

Il appartient à l'Elève qui a vécu à l'ombre de ce  Maître admirable les belles années de la jeunesse, qui a goûté le prestige et le charme de son intelligence lumineuse, qui a su tout le prix de son affection, de retracer la vie et l'oeuvre du Professeur de Lavergne. Ce devoir est cruel ; il renouvelle à chaque moment le chagrin d'un deuil irréparable. Puissé-je du moins ne pas être trop inférieur à ma tâche ; puissent ces lignes apporter au Maître que nous avons perdu le juste hommage de notre reconnaissance et de notre admiration ; puissent-elles offrir une image fidèle de ce grand savant, de ce grand médecin.

Paulin de Vezeaux de Lavergne naquit à Confolens, patrie du grand bactériologiste Emile Roux, le 8 novembre 1884. Malgré le prestige de son illustre compatriote, malgré l'exemple de son Père et de son Frère, tous deux médecins, ce n'est pas d'abord vers la bactériologie ni vers la médecine qu'il se dirigea. Après d'excellentes études classiques à Poitiers, il fit, à Paris, une année de khâgne. Il en garda un souvenir inoubliable et une profonde gratitude envers ses maîtres du lycée Henri IV à qui il devait, disait-il, toute la formation de son esprit et sa méthode. Mais, à la vérité, son intelligence concrète aimait à fonder ses plus hautes spéculations sur l'observation de la nature et de la vie. C'était un médecin et un biologiste-né; et sa véritable vocation l'emporta. Il fit alors sa première année de médecine à l'Ecole de Poitiers ; reçu à l'Ecole du Service de Santé militaire, c'est à Lyon qu'il poursuivit et termina ses études. I1 garda toujours une vive reconnaissance aux Professeurs de Lyon à qui il devait sa première formation médicale. Plus tard, il témoignait souvent de l'impression profonde que lui avait faite le Professeur Tripier, dont renseignement évocateur, partant des lésions de l'autopsie, recréait le tableau même de la maladie.

Il est certain que le jeune étudiant dut méditer longuement l'enseignement de son Maître; devenu un Maître à son tour, c'est une méthode analogue que, de façon géniale et avec un bonheur constant, il appliqua à son domaine propre, celui de la bactériologie médicale. Très vite, en effet, après son stage au Val de Grâce, M. de Lavergne s'orientait définitivement vers la bactériologie. Il réussissait au Concours qui ouvrait les portes de l'Institut Pasteur. « Pendant un an, dit-il, je m'imprégnais de l'esprit, des méthodes, des techniques en usage dans ce temple de la Bactériologie. L'ayant quitté, j'y revenais encore, tenant à l'honneur d'être considéré comme un pastorien. » Il se perfectionnera encore en Bactériologie au Val-de-Grâce au Laboratoire de la Section technique du Service de Santé que dirigeait le Professeur Sacquépée.

Il était là quand survint la guerre. Pendant les trois premières années, il suivit, comme lieutenant de brancardiers, les régiments du 17ème Corps. En 1917, affecté au Laboratoire de la IVème Armée, il participa aux recherches de son chef Sacquépée sur l'étiologie de la gangrène gazeuse et la préparation de sérums antigangréneux. Enfin, ce fut l'armistice. Un an plus tard, après un concours qui lui valut l'éloge admiratif de Widal, membre de son jury, il était nommé agrégé du Val-de-Grâce. C'était la troisième fois qu'il revenait dans cette glorieuse maison. Comme élève, il y avait connu Laveran, Vaillard,  Vincent. Comme Maître, il eut l'honneur d'être le collaborateur préféré de Dopter et de Sacquépée.

De cette période de la  vie scientifique du  Professeur de Lavergne datent ses travaux sur la gangrène gazeuse, effectués avec Sacquépée, qui lui valurent le prix Buisson de  l'Académie  de Médecine, ses recherches avec Besson  sur les toxi-infections à Bacille de Morgan, le premier volume du grand Traité d'Epidémiologie de Dopter et de Lavergne, oeuvre considérable qui ne sera achevée  qu'en   1927. Enfin, c'est à la même époque qu'il publie, seul, ses éludes sur la  période d'incubation de la fièvre typhoïde et la signification biologique des lésions intestinales de cette  maladie, études d'une haute valeur, d'une remarquable originalité, étude  féconde puisqu'elles donneront la  première impulsion à l'oeuvre puissante  de  M. Reilly.

En  1923, M de Lavergne est  nommé  Agrégé d'Hygiène et de Bactériologie à la Faculté de   Médecine de Nancy. « C'est alors, dit-il, dans sa leçon inaugurale, que, venu de loin,  sans attache aucune avec la Lorraine, étranger autant qu'on peut l'être, je suis arrivé parmi vous... ». Dans cette leçon prestigieuse dont tous ceux qui l'ont entendue gardent le souvenir, il assurait ses Collègues qu'il contribuerait, dans toute  sa mesure, au bon renom de la  Faculté.  Toute  sa mesure,  en  effet, il la donnera à la Faculté de Médecine de Nancy qu'il illustrera et dont, pendant plus de trente années, il sera le flambeau.

Dès son arrivée à Nancy, le Professeur agrégé de Lavergne prend, comme Médecin des Hôpitaux militaires, la direction du service des Contagieux et du Laboratoire de Bactériologie de l'Hôpital Sédillot, qu'il conservera jusqu'à sa retraite comme Médecin-Général en 1938. Deux ans plus tard, en 1925, la clinique des Maladies contagieuses de la Faculté lui est confiée. I1 dirigera ce service, transformé en 1913 en clinique des Maladies infectieuses, jusqu'à l'heure de la retraite. Ainsi, M. le Professeur de Lavergne, qui devait être titularisé en 1931 dans la Chaire de Bactériologie médicale créée pour lui, put-il unir sons sa direction, pendant de longues années, à la fois les services des Contagieux et les Laboratoires de Bactériologie civils et militaires de la région de Nancy.

Admirable instrument de travail entre de telles mains ! Dès lors, ses travaux se succèdent, plus remarquables encore par la qualité que par le nombre. Tous mériteraient d'être cités, Ne pouvant les énumérer tous, nous rappellerons seulement ceux qui sont le plus caractéristiques de sa haute personnalité et de son esprit profondément original : sur la pathogénie des paralysies diphtériques du voile du palais, sur l'infection fuso-spirillaire, sur le tracé thermique de la spirochétose ictéro-hémorragique, sur la pathogénie des accidents sériques, sur la scarlatine puerpérale, sur les variations de la choleslérolémie au cours des infections aiguës, sur la pathogénie de la lithiase biliaire, sur l'infection ourlienne expérimentale et humaine, sur la méningite herpétique expérimentale, sur le tétanos expérimental et humain, sur la tularino-réaction et l'allergie dans la tularémie. En même temps, travailleur infatigable, il termine avec Dopter, l'oeuvre monumentale que constituent les trois gros volumes de son Traité d'Epidémiologie ; avec Ribierre, il rédige le tome consacré à la fièvre typhoïde dans le Traité de Médecine de Gilbert et Carnot ; il fait paraître ensuite une belle monographie sur l'Allergie et l'Anergie en Clinique ; en 1927, il présente au XIXème Congrès français de Médecine, un rapport remarquable sur les septicémies. Enfin, en 1951, il consacre à la Maladie infectieuse, étude à laquelle il a voué toute sa vie, un admirable livre qui est la synthèse de son oeuvre et son testament scientifique.

I1 faudrait pouvoir analyser chacun des travaux, chacune des communications de M. le Professeur de Lavergne. Cette analyse mettrait en pleine lumière l'originalité de l'hypothèse, la rigueur de la méthode, l'ingéniosité de l'expérience, la puissance de la déduction. Attiré par sa tournure d'esprit vers la recherche des mécanismes pathogéniques et des modalités de l'infection, M. de Lavergne s'intéressa passionnément, dès ses premiers travaux, au mystère de la période d'incubation, à cette phase inapparente de la maladie pendant laquelle, silencieusement, se tendent tous les ressorts de l'agression infectieuse.

On sait comment son génie, appliqué au problème de la fièvre typhoïde, montra que, dans cette maladie, le drame tout entier se joue an cours de la période d'incubation : pendant cette phase de latence, le microbe envahit lentement le réseau lymphatique mésentérique ; il le sensibilise ; arrivé dans le sang, il revient, « par un singulier jeu de bascule d'aller et retour », dans l'intestin. Mais, un état nouveau d'allergie s'est installé. Alors, et alors seulement, la maladie   éclate, alors seulement se produisent lésions et signes fondamentaux de la fièvre typhoïde. Plus tard, étudiant les oreillons, il montrera de même que le virus est présent chez l'homme dans les méninges à la période d'incubation, et qu'il n'accède aux glandes que par un détour préalable par le système nerveux. Conduit par voie nerveuse descendante, le virus ourlien crée alors les lésions spécifiques de la parotidite. Alors, et alors seulement, se manifestent les signes fondamentaux des oreillons et le début clinique de la maladie.

Si, dans la recherche de l'explication des maladies infectieuses, M. de Lavergne était aidé par une imagination créatrice incomparable et par une intelligence d'une lucidité extrême, dans l'exposé de ses découvertes, il était servi par un magnifique talent, par un style personnel. « tel à la plume qu'à la bouche », par une langue expressive et savoureuse. A la personnalité d'un savant. M. de Lavergne alliait une âme d'artiste. Il suffit de lire ou de relire « l'histoire merveilleuse du charbon » qui sert d'introduction à la Maladie infectieuse, pour être convaincu par une démonstration éclatante, que M. de Lavergne était un grand écrivain. Ainsi que lui-même le dit de Pasteur : « Cette description, admirable entre toutes, par sa simplicité, sa rigueur et sa puissance, présente un caractère unique et proprement merveilleux ». Et c'est pourquoi, toujours, à la fin de chacun de ses cours, « éclataient des applaudissements et jaillissait de toutes les bouches une acclamation ».

M. de Lavergne, en effet, était un enseigneur remarquable et ses dons d'orateur ne le cédaient en rien à ses qualités d'écrivain. Chef d'école, il groupa très tôt auprès de lui toute une pléiade d'élèves dont il animait le zèle, dont il inspirait les recherches et dirigeait les expériences, auxquels il communiquait son amour de la médecine et de la bactériologie. Beaucoup d'entre eux sont devenus, depuis, professeurs, agrégés, médecins des Hôpitaux civils ou militaires. A tous, il a prodigué les marques de sa bienveillance et les témoignages de son affection; à tous, il a donné son appui efficace et la chaude sympathie de son coeur généreux. Mais, sans doute, n'eut-il pas de disciples plus enthousiastes que les simples élèves de 2ème ou de 3ème année de médecine, qui, à chacun de leurs cours, avaient l'heureuse fortune d'entendre une « histoire merveilleuse », celle du charbon, celle de la fièvre typhoïde, de la scarlatine, du B.C.G., et tant d'autres, à qui M. de Lavergne fit comprendre et aimer la médecine et qui lui gardent au fond de leur coeur une reconnaissance infinie.

Les mêmes qualités de solidité et de brillant se retrouvaient dans l'enseignement clinique de M. le Professeur de Lavergne, au service des Contagieux. Du cas le plus banal en apparence, il savait toujours  mettre en  lumière  la  particularité originale, et partir de cette observation concrète pour s'élever à des considérations générales de pathologie infectieuse. Clinicien incomparable, son diagnostic était sûr; sa thérapeutique savait être prudente et audacieuse a la fois. Les résultats, qu'il obtenait étaient excellents, comme en font foi entre autres, ses statistiques de guérison de la méningite cérébro-spinale avant l'ère des antibiotiques, de la méningite tuberculeuse dès l'aube de la streptomycine. Mais, M. de Lavergne ne se bornait pas à prodiguer à ses malades toutes les ressources de sa science, il les soignait avec tout son coeur. Il était étonnant de voir combien cet homme vif, nerveux, qui ne tenait pas en place, pouvait montrer de douceur, de patience, de bonté vis-à-vis de ses malades. Il les rassurait, mettait en confiance les enfants, réconfortait les familles, affichait l'optimisme. Bien souvent, le soir, préoccupé par quelque malade en danger, il quittait le laboratoire dans une méditation anxieuse, remontait à son service, interrogeait la Soeur, l'Interne, réexaminait le patient, modifiait encore une fois le traitement. La même bonté, le même atmosphère familiale régnaient au service des contagieux militaires. M. de Lavergne était adoré de ses soldats; comiquement, il les dénommait tous « les pères » et les traitait comme ses enfants. Auprès de jeunes recrues venues de provinces lointaines, dépaysées, effrayées par la maladie, la solitude, l'éloignement familial, il se montrait paternel, affectueux, encourageant. Souvent, de longues années après, il recevait de soldats qu'il avait soignés et guéris, des lettres naïves et touchantes, de remerciements et de reconnaissance.

Sans qu'il les recherchât, les honneurs et les titres étaient venus couronner son mérite : Médecin général, Officier de la Légion d'Honneur, membre titulaire de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, Médaille d'Or du Service de Santé, pour ses travaux scientifiques. Président de la Société de Biologie, Membre de la Société française de Microbiologie, Membre correspondant national de l'Académie de Médecine, Membre de la Society of American Bacteriologists of New-York, Membre de l'Académie de Stanislas... Mais, à ses hantes qualités intellectuelles, M. de Lavergne unissait la vertu d'une extrême modestie. Aussi, ne prêtait-il qu'une médiocre attention aux distinctions qui viennent auréoler les succès de la carrière. Bien qu'il eût une juste conscience de sa valeur, il se satisfaisait difficilement lui-même, soumettait toute son oeuvre à une critique serrée, et hésitait longuement avant de publier ses plus belles découvertes.

Dédaigneux d'un encens grossier, il se montrait sensible à l'estime de l'élite, heureux du suffrage et de l'approbation que ses Pairs lui réservaient. Fuyant les assemblées nombreuses, il préférait les entretiens intimes et familiers avec d'anciens et fidèles amis et quelques disciples choisis. De caractère très gai, extrêmement cultivé, s'intéressant à tout, aimant la poésie et la musique, ses goûts romantiques lui faisaient préférer Victor Hugo, Balzac, Tolstoï, Beethoven, Chopin, Weber. C'est dans l'intimité de son foyer qu'il goûtait ses délassements favoris. Le cercle de famille n'était pas pour lui un vain mot. D'une extrême sensibilité, tendre, émotif et passionné, il ressentait profondément les blessures de la vie, mais, aux heures de joie comme aux heures de soucis, de chagrins et de deuils, il trouva toujours auprès des siens l'affection et le soutien dont il eut besoin. Mme de Lavergne fut pour lui une compagne admirable ; vivant intensément la vie de   son mari, elle en partagea les espoirs, les peines, les succès. Elle sut l'entourer de sa tendresse attentive, de son inlassable dévouement, et de  tout  son  amour. Ses enfants, qu'il aimait tendrement, avaient pour lui une profonde affection mêlée d'admiration, et, vivant avec lui dans une intimité constante, ils lui rendirent en joies, en jeunesse, en gaîté, tous les soins qu'il leur avait prodigués.

Il eut la satisfaction  de voir son  fils, le  plus jeune de ses disciples, suivre sa trace, être reçu premier au Concours d'agrégation et, quelques mois plus tard, réussir brillamment au Concours des Hôpitaux. La mort est venue brutalement mettre un terme à ce bonheur familial, mais le souvenir de M. de Lavergne restera impérissable au sein de la Faculté qu'il a illustrée, et dans le coeur de ses Amis et de ses Elèves. Puissent ces témoignages de fidélité et d'affection apporter quelque adoucissement, dans leur extrême chagrin, à Mme de Lavergne et à ses Enfants, et leur dire combien la mémoire de ce grand Maître demeurera profondément gravée dans le coeur de tous ceux qui l'ont connu et aimé.

Professeur P. KISSEL

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Réponse de M. le Professeur de LAVERGNE lors de la remise du Grand Prix de l'Académie de Stanislas en 1955

Au moment où prennent fin mes fonctions de Professeur de Faculté, je me souviens, sans tristesse, de ce mois d'octobre 1923, où, nommé Professeur Agrégé à la Faculté de Médecine de Nancy, je débarquais dans la capitale de la Lorraine. Je ne connaissais Nancy que pour l'avoir traversée à plusieurs reprises, au cours de la guerre 1914-1918. La ville, comme la province, m'étaient connues seulement par leur renom. Rien de personnel ou de familial ne m'y attirait. J'y étais venu parce que le Concours m'avait permis, en entrant dans cette Faculté réputée, de pouvoir trouver dans mes fonctions, de grandes possibilités de travail.

Quel parti en ai-je tiré ? Voici ce que, après plus de trente ans, je voudrais rechercher.

Dans ce regard en arrière, je ne veux point sé­parer mon activité professionnelle à Nancy, de celle que j'avais au préalable, exercée comme Professeur Agrégé au Val-de-Grâce. Je veux les confondre, elles forment un tout. Elles se sont traduites par plus de 300 communications ou publications dans diverses Sociétés, ou de nombreux journaux de Médecine. Elles m'ont amené à rédiger des articles dans le Traité de Médecine, l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale, dans la Pratique Médico-Chirurgicale. Elles m'ont conduit à rédiger les trois tomes du « Traité d'Epidémiologie », en collaboration avec Dopter, un livre sur « L'Allergie et l'Anergie en Clinique » et enfin, « La Maladie Infectieuse ».

Mais je veux ne retenir aujourd'hui que quelques-uns de mes travaux groupés, ceux qui m'ont donné le plus de satisfaction.

Et d'abord, ceux qui concernent les Infections à Bacilles anaérobies. Mon premier travail impor­tant, effectué avec mon regretté maître Sacquépée, a porté (1919) sur l'Etiologie de la gangrène gazeuse. Cette redoutable complication des plaies avait été fréquente chez les blessés de la Grande Guerre. Son étiologie était restée longtemps imprécise. Or, tant par l'étude bactériologique des plaies que par « l'épreuve des cobayes protégés », nous avons pu établir que, presque toujours, plusieurs espèces anaérobies se trouvaient en cause : non seulement le Vibrion septique (seul incriminé autrefois), mais le Bacille Perfringens, et une espèce nouvelle, hautement toxigène. Cette donnée nous avait conduit à la préparation d'un sérum antigangréneux efficace.

En opposition avec cette flore anaérobie des gan­grènes gazeuses, si hautement pathogènes, comme il est facile de s'en rendre compte par inoculation au cobaye, la flore anaérobie des gangrènes viscérales se montre au contraire dénuée de pouvoir pathogène expérimental, lorsque l'inoculation est pratiquée chez un cobaye normal. Nous avons pu rapprocher ce qui se passe dans l'appendicite gangreneuse, des constatations faites par H. Vincent sur l'infection fuso-spirochetaire. Comme, elle, les infections gangreneuses viscérales ne sont que des « infections secondes ». Elles jouent, certes, leur rôle chez l'homme, mais elles n'ont pu se développer que sur des tissus préalablement altérés par une infection primaire qui ne leur est pas due.

Chargé d'un Rapport sur les septicémies médicales au XIIème Congrès de Médecine de Paris, j'avais tracé un tableau des septicémies à bacilles Perfringens, qui fut, je crois bien, la première description d'ensemble de cette infection. Depuis, cette descrip­tion a été souvent reproduite. Ultérieurement, j'ai rapporté des faits « d'origine biliaire » de ces septicémies. Et aussi des faits de « bactériémies » à Clostridium Perfringens chez des malades porteurs de lésions intestinales, ou chez des femmes présentant des lésions de l'appareil génital.

Sur la Diphtérie. En 1920, il était généralement admis que le liquide céphalo-rachidien était normal au cours des paralysies diphtériques. On en jugeait ainsi par le nombre des lymphocytes, qui n'était point, en effet, modifié. J'ai été de ceux qui ont montré, par un nombre important d'examens, que le liquide céphalo-rachidien était, au contraire, constamment altéré, même dans les paralysies diphtériques limitées au voile du palais : la modification caractéristique consiste en une dissociation cyto-albuminique avec hyperglycorachie. Cette donnée a été, depuis, admise par tous. Par la suite, j'ai pu montrer qu'une modification du liquide céphalo-rachidien, de même formule, se retrouvait aussi au cours de cette autre toxi-infection qu'est le Botulisme. Mais comment interpréter pareille altération du liquide au cours des paralysies diphtériques ? Je me suis ainsi trouvé conduit à proposer une pathogénie des paralysies diphtériques, par cheminement de la toxine par voie nerveuse, qui, pour une partie, tout au moins, est aujourd'hui très généralement acceptée. Sur la Scarlatine. Parmi les publications que j'ai faites sur la scarlatine, celles qui concernent la scarlatine puerpérale me paraissent les plus importantes. L'existence d'une scarlatine survenant chez les accouchées est une réalité depuis longtemps incontestée. Mais cette forme présente des caracté­ristiques cliniques et épidémiologiques qui ont suscité de nombreuses discussions sur sa nature. Or, j ai pu montrer que chez de telles malades, l'agent pathogène, ici encore, est un streptocoque toxigène, mais que son siège se trouve, non pas dans le rhino-pharynx, mais dans les voies génitales (utérus). Cette topographie explique de la façon la plus claire pourquoi de telles scarlatines se présentent, cliniquement et épidémiologiquement, avec des caractères différents de ceux de la scarlatine ordinaire où le streptocoque a toujours son siège dans le rhino-pharynx. De plus, la découverte d'un streptocoque toxigène dans tous les cas de scarlatine : à siège rhino-pharyngé dans la scarlatine « médicale », se trouvant dans les plaies en cas de « scarlatine chirurgicale » et dans le col utérin quand il s'agit de scarlatine « puerpérale » montre la solidité de la conception de Dick : conception aujourd'hui très généralement admise, encore que, récemment encore, des auteurs importants hésitent à abandonner l'étiologie « virale » de la scarlatine.

Sur la Leptospirose ictéro-hémorragique. Ayant eu l'occasion d'observer de nombreux cas de cette infection, et m'y étant intéressé, j'ai pu faire un certain nombre de remarques : j'ai pu montrer que le cycle évolutif si particulier de la température, chez de tels malades, était en rapport avec l'apparition de l'azotémie. La leptospirose est relativement rare, alors que dans les grandes villes, le pourcentage de rats parasités est élevé. A Nancy, j'ai constaté que le nombre de ces rats parasités est de 35 %, chiffre correspondant à celui trouvé dans d'autres villes de France. C'est par les variations du pH que l'urine de tous ces rats parasités ne transmet que rarement la leptospirose à l'homme. Cette affection ne se transmet que par voie digestive : plus rarement, le parasite pénètre par effraction tégumentaire. J'ai pu démontrer expérimentalement que la durée de la période d'incubation varie suivant la voie, ce qui se retrouve chez l'homme. Il m'a en enfin, été donné de rapporter des observations de « forme chirurgicale » de la leptospirose ictéro-hémorragique.

Sur le Tétanos, si fréquent en Lorraine, au point que j'en ai observé plusieurs centaines de cas. L'étude des résultats thérapeutiques de ces longues séries montre que le traitement est décevant. Quoi­que certains auteurs aient écrit, ne considérant que ce qui s'était passé chez quelques malades seulement, il n'existe pas de thérapeutique héroïque, et en définitive, la mortalité ne s'abaisse guère au-dessous de 50 %. La sérothérapie antitoxique est, à coup sûr, absolument nécessaire. Mais elle ne suffit pas. C'est que, comme toute sérothérapie antitoxique, le sérum antitoxique n'agit, utilisé chez le malade, qu'au titre de « prévention »; il ne fait que neutraliser la toxine que continuent de sécréter les bacilles de la plaie ; mais il ne défixe pas la toxine déjà fixée. Or, quoique dans la diphtérie aussi, le sérum antidiphtérique n'agisse qu'à titre de prévention, le sérum se montre beaucoup plus efficace que dans le tétanos. Ce qui tient à ce que le premier signe de la diphtérie, l'angine, marque le début de l'intoxication alors que dans le trismus, premier signe du tétanos signifie que la toxine a déjà atteint les centres. De là, l'inégalité dans l'efficacité de la sérothérapie dans la diphtérie et dans le tétanos. Ayant observé des cas (rares) de diplégie faciale tétanique, nous avons pu préciser les conditions de son apparition. De même, avons-nous analysé le mécanisme de l'hydrophobie tétanique, conditionnée essentiellement par une contracture laryngée. Le pronostic du tétanos n'est pas lié seulement à l'intensité du pouvoir toxique de la souche : des souches hautement toxigènes ne déterminent pas nécessairement un tétanos mortel. Un autre facteur intervient, de grande importance, celui de la virulence du bacille. Nous avons pu ainsi montrer, pour le tétanos, ce que Ramon et R. Debré avaient montré pour la diphtérie. De même, avons-nous pu étudier la marche de l'azotémie au cours du tétanos, en montrer la signification et en soupçonner le déterminisme. Par ailleurs, il nous a été possible de reproduire, les premiers, en expérimentation, le tétanos céphalique de l'homme, avec, à volonté, le type contracture ou le type paralytique bénin ou mortel. Enfin, nous avons signalé que la paralysie faciale « n'était pas toujours, comme il est dit, le signe d'un tétanos à porte d'entrée « céphalique » : on en peut observer (et aussi des paralysies oculaires) dans des tétanos généralisés ayant comme point de départ une plaie siégeant à un membre.

Sur les Oreillons, je voudrais brièvement évoquer quelques travaux : ceux qui (pour la première fois) ont montré que le sérum de convalescents exerçait un rôle de prévention de l'Orchite ; ceux qui ont trait à l'anatomie pathologique de la Parotidite (biopsies) avec mise en évidence d'inclusions nucléaires, signant l'intervention du virus ; ceux qui ont trait à la description des signes et lésions de l'encéphalite ourlienne ; ceux qui ont trait à la question si discutée des parotidites chroniques ; ceux qui ont montré qu'au cours même de la période d'incubation des oreillons existe habituellement une modification cyto-chimique du L.C.R.

Sur la Tularémie. Cette infection était très rare et surtout très mal connue. L'apparition d'une importante épidémie survenue en Lorraine en 1949-1950 nous a permis d'apporter une très importante contribution à la connaissance de cette maladie. Sans même parler de l'étude clinique et épidémiologique que nous avons faite, je voudrais seulement rappeler ce que nous avons apporté de nouveau dans son aspect biologique. C'est la démonstration précise de ce que l'on peut attendre de trois méthodes pour le diagnostic de la tularémie : la recherche directe du germe, d'abord, avec ses différents modes de mise en évidence, et la limite de cette recherche (stérilité habituelle des adénites parvenues à la phase de suppuration), la séro-agglutination ensuite (méthode déjà connue) avec son inconvénient de n'être utile qu'assez tardivement ; la tularino-réaction, enfin, que nous avons créée, méthode sûre et spécifique, si bien que c'est notre formule de préparation de la tularine qui a été adoptée par l'Institut Pasteur de Paris. Cette réaction est d'ordre allergique, et nous avons, pour la première fois, mis en évidence tout l'intérêt théorique et pratique que présente la connaissance de « l'Allergie dans la Tularémie ».

Sur la Fièvre Typhoïde enfin : c'est par elle que je veux terminer, car ce sont les travaux que j'ai entrepris sur elle, qui, aujourd'hui encore, me donnent le plus de satisfaction. C'est avec un très grand plaisir que je relis toujours mes deux articles sur » La Période d'Incubation de la Fièvre Typhoïde » et « La Signification biologique des Lésions des Plaques de Peyer «. Ils étaient, en effet, entièrement neufs, et devaient avoir des grandes conséquences. Très brièvement, je rappellerai que 1a démonstration était apportée du rôle majeur de la voie lymphatique mésentérique, dans le déterminisme de la fièvre typhoïde. C'est par la voie lymphatique que les bacilles ingérés passent de l'intestin dans le sang, ce qui va conditionner les caractères de continuité de l'état septicémique qui marque le début de la maladie. Une infection lymphatique mésentérique l'a précédé, une adénite mésentérique, gîte des bacilles typhiques représentant « les lésions de la période d'incubation ». Mais les bacilles venus de l'intestin, et conduits au sang par la lymphe seront rejetés dans la bile, et pour la deuxième fois, reviendront dans l'intestin. Le cycle pourrait se continuer ; mais lors de ce retour, les tissus, sensibilisés par le premier passage, se trouveront en état d'allergie, et alors, et alors seulement, se produiront les lésions caractéristiques de la fièvre typhoïde, véritable « Phénomène de Koch » intestinal. Cette conception a conduit Reilly à mettre en évidence le rôle de l'irritation sympathique. Mais il ne faut point opposer, comme il est fait quelquefois, la théorie allergique à la théorie sympathique ; elles se rejoignent puisque les réactions d'allergie sont commandées par les sympathiques.

En rappelant ces travaux, je me suis exprimé comme si j'avais été seul à les signer. Et pourtant, en parcourant la liste des publications, je vois bien que j'ai été amené à collaborer avec presque tous les Professeurs ou Chefs de notre Centre Hospitalier. Quant aux recherches de Laboratoire, elles n'ont été menées à bien qu'avec le concours successif de plusieurs jeunes médecins qui ont travaillé de tout cœur avec moi. Plusieurs d'entre eux sont aujourd'hui jeunes Professeurs ou Agrégés de Médecine dans cette Faculté, et ils comptent parmi les meilleurs. C'est là ma plus grande satisfaction. Certes, j'ai reçu de nombreuses distinctions flatteuses, telles que d'être Membre titulaire de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris, Membre correspondant de l'Académie de Médecine, Membre de la « Society of American Bacteriologist ». Mais je préfère à tout, de laisser après moi, dans cette Faculté que je quitte, plusieurs de mes élèves, devenus à leur tour, ou sur le point de le devenir, des Maîtres.