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Leçon inaugurale

 

Par le Professeur Paulin DE LAVERGNE (1931)

 

 

Monsieur le Doyen, Monsieur le Directeur, Mes chers Collègues, Messieurs,

 

Remerciements, tel est le premier mot que je veux prononcer ce soir.

Et d'ordinaire, le nouveau professeur se tourne vers ceux qui l'ont désigné au choix du ministre. Il reconnaît parmi eux les maîtres qui l'ont directement formé, ou des compagnons de sa jeunesse. Et il peut alors mêler à l'expression de sa gratitude, les paroles nécessaires de reconnaissance à ses maîtres, et le tribut de l'amitié.

Mais, puisqu'il ne m'a pas été donné d'appartenir comme étudiant à cette Faculté, il me faut bien, pour remplir tous mes devoirs, évoquer brièvement le passé, et retarder ainsi d'un instant le moment de vous dire, mes chers Collègues, ce que j'éprouve pour tout ce que vous avez fait pour moi.

Fils et frère de médecin, je fis ma première année de médecine à l'Ecole de Poitiers. Reçu alors à l'Ecole du Service de Santé Militaire, c'est à Lyon que je poursuivi et terminai mes études.

Elles furent sérieuses, puisque faites dans la grande Faculté lyonnaise, où l'enseignement était solide et complet. Je garde une reconnaissance aux professeurs de Lyon à qui je dois ma première formation. Et j'ai souvent admiré combien ce que j'appris par la suite, apparaissait comme le complément harmonieux de notions reçues, étudiant…

 Les répétiteurs de l'École ont, aussi, droit à ma reconnaissance, et je voudrais rappeler le nom de trois d'entre eux : celui des médecins généraux Braun, si tôt disparu ; Chavigny que je retrouvai au Val-de-Grâce, aujourd'hui professeur de médecine légale à la Faculté de Strasbourg ; et Lafforgue  devenu professeur  d’Hygiène à la Faculté de Médecine de Toulouse. Ce fut une bonne fortune pour moi que  d’avoir rencontré M. Lafforgue à nouveau pendant la guerre ; séduit par sa vire et pénétrante intelligence, j'ai été conquis par son charme. Il a été pour moi, à ce moment, comme toujours par la suite, le conseiller le plus sûr. Je lui adresse l'expression de ma reconnaissance et de ma respectueuse affection.

Nous étions, du reste, entrainés an travail par l'exemple de jeunes médecins d'élite ; et je suis heureux de pouvoir saluer ici, ce soir, un des jeunes médecins d'élite de ce temps, en la personne du Médecin-Colonel Spick, Directeur du Service de Santé du plus beau Corps d'Armée de France, qu'entourent aujourd'hui comme autrefois, le respect et l'affection. De même, ai-je grand plaisir à retrouver le visage ami de quelques-uns de ceux qui vécurent avec moi les quatre années d'Ecole.

Vint ensuite le stage d'un an au Val-de-Grâce. Puis, après quelques mois passés dans une grande ville de l’Ouest, le retour à Paris. Aussitôt, je me préparai et réussis au concours qui ouvrait les portes de l'Institut Pasteur. Pendant un an, je m’imprégnai de l'esprit, des méthodes, des techniques en usage dans ce temple de la Bactériologie. L'ayant quitté, j'y revenais encore, comme je ne cesse d'y revenir, tenant à honneur d'être considéré comme un pastorien. Je me perfectionnai encore en Bactériologie, au Val-de-Grâce, au laboratoire de la section technique du Service de Santé, que dirigeait M. Sacquépée. Et j'étais là quand survint la guerre.

Pendant les trois premières années, je suivis comme brancardier, les régiments du 17° Corps. En 1917, je fus affecté au laboratoire de la IV° Armée, pour participer aux recherches de son chef, M. Sacquépée, sur l'étiologie de la gangrène gazeuse et la préparation de sérums anti-gangréneux. Mois d'un labeur acharné, mais combien passionnant, où  il me fut donné de connaître, quoique je ne fusse qu'un disciple, cette joie ineffable de voir des blessés condamnés à périr, retrouvant, sous l'action d’un sérum nouveau, leurs forces et la vie. Enfin, ce fut 1'armistice. Et un an plus tard, je réussissais au Concours d'agrégation du Val-de-Grâce.

C'était la troisième fois qu'â des titres divers, je revenais dans cette glorieuse maison. J'y connus et subis l'empreinte, non pas de Laveran qui venait d'en partir, mais de Vaillard, l'homme dont le nom restera pour toujours attaché à celui du tétanos, qu'il sut éclaircir et vaincre par la préparation du sérum ; de Vincent, dont une seule des découvertes suffirait à la gloire d’un  bactériologiste et qui, tout récemment encore, fut choisi par ses Collègues

du Collège de France pour faire l'éloge de Claude Ber­nard ; de Dopter dont les travaux sur la dysenterie et la méningite cérébro-spinale constituent une des plus belles pages de la médecine française ; qui assura, pendant la guerre, la protection des armées contre les maladies épidémiques, avec une efficacité et une maîtrise qui n'ont point trouvé de détracteur, et qui possède, à côté de qualités intellectuelles éminentes, un cœur, dont je sais toute la bonté ; de Sacquépée enfin, dont les recherches sur les infections paratyphiques, les toxi-infections alimentaires et la gangrène gazeuse, sont célèbres, qui joint à tant de science, tant de simplicité et de modestie, et auquel je demeure attaché par les liens de la plus respectueuse affection. Tous ces hommes, qui furent mes maîtres, ont pris comme objet de leurs recherches, l’infection. Et ils ont abordé les problèmes de pathologie infectieuse, par une double voie : celle de l’observation clinique, et celle ides travaux de laboratoire. Telle est la formule qu’ils ont illus­trée ; formé  à leur image, cette formule est aussi la mienne.

Et c'est alors que, venu que venu de loin, sans attache aucune avec la Lorraine, étranger autant qu'on peut l'être, je suis arrivé parmi vous... Certes, ce n'est point sans quelque émoi que je fis mes premiers pas dans cette Faculté lorraine que le renom de ses maîtres a, de tous temps, auréolée de prestige. Mais Votre accueil dissipa ce que j'aurais pu avoir de crainte. Très vite, je sentis que vous me traitiez comme un des vôtres, et bientôt je ne comptai plus les marques de votre complaisance.

C’est à vous que vont tout d'abord  mes remerciements, cher Monsieur le Doyen SPILLMANN, à vous qui, portant un nom déjà célèbre, avez su ajouter encore à son lustre. Votre situation dans le monde médical est de tout premier plan. Mais la grande influence que vous avez acquise, vous ne l'utilisez qu'au plus grand profit de la Faculté. Vous ne songez qu'à améliorer, qu'à faciliter le travail. Votre œuvre dans cette Faculté est déjà considérable ; elle vous fera placer parmi les grands Doyens. Ajouterai-je que vous n'avez cessé de me témoigner une confiance et une sympathie dont je suis fier ? Soyez assuré, en retour, de tout mon dévouement et de toute mon affection.

Il convient que je m'adresse à vous, Jacques PARISOT. Non point pour vanter vos mérites, qui sont éclatants, mais pour témoigner publiquement combien me fut précieuse la collaboration amicale qui n'a cessé d'exister entre le professeur d'hygiène et l'agrégé à sa chaire. Je n'ai point de plus vif désir que de voir se prolonger notre collaboration, et de demeurer votre ami.

Et maintenant c'est à tous les membres du conseil de Faculté que j'exprime ma gratitude. A vous, mes chers Collègues, qui n'avez cessé de me donner successivement tout ce que je pouvais espérer avoir, et qui, par un vote quasi-unanime, en m'appelant à cette chaire, m'avez conféré le plus grand honneur. Je vous en exprime ma très profonde reconnaissance, et vous donne l'assurance que je contribuerai, dans toute ma mesure, au bon renom de notre Faculté.

Enfin, en ce jour de remerciements, je ne veux pas oublier les étudiants des années précédentes, qui m'ont donné à plusieurs reprises, et ce soir encore, des marques de leur intérêt et de leur sympathie, m'apportant ainsi le plus précieux des encouragements.

 

Messieurs,

La Faculté de Médecine de Nancy possède maintenant une chaire de Bactériologie. Ce n'est point dire que, jusqu'ici, les microbes n'y aient été ni enseignés ni étudiés. Et vous ne me pardonneriez pas si je n'évoquais ici, avec une déférente admiration le nom des deux grands savants qui ont porté si loin le renom de la microbiologie nancéienne : celui de M. le Professeur MACE, pionnier de la Bactériologie, qui a tant contribué à sa diffusion, et dont le livre se trouve toujours sur la table des bactériologistes de tous les pays ; et celui de M. le Professeur VUILLEMIN. J'ai le souvenir très précis d'un jour où, jeune étudiant, je lisais le tome I du Traité de Pathologie Générale de Bouchard. J'en étais arrivé au chapitre intitulé : « Considérations générales sur les maladies des végétaux ». L'heure était avancée, et déjà je me disposais à fermer le livre, pendant que mes regards se portaient sur les premières lignes. Or il est arrivé qu'ayant commencé la lecture, je la poursuit-il d'une traite, jusqu' à la fin du chapitre. Et je demeurai étonné de la vive impression ressentie, du puissant intérêt qui se dégageait de ces pages qui n'avaient pu être écrites que par un grand esprit. L'article était signé Vuillemin. Et depuis, je n'ai jamais lu d'écrits de Vuillemin et notamment son dernier et admirable livre sur les Animaux infectieux, sans me rappeler cette impression de jeunesse, et aussi sans la revivre à nouveau. Car on ne peut méconnaître l'exactitude, la précision, la rigueur dune description scientifique parfaite. La documentation est complète ; elle témoigne de la plus vaste érudition. Mais, de plus, tous les faits exposés sont dominés par une intelligence dont la lucidité est extrême ; la logique est irrésistible ; le pouvoir de généralisation, puissant. Et je ne m'étonne point de ce que les naturalistes de notre temps tiennent M. le Professeur Vuillemin pour un des plus grands parmi eux.

Enfin, je voudrais étendre cet hommage, si imparfait qu’il soit, rendu à M. le Professeur Vuillemin, à son élève direct, M. le Professeur THIRY, chargé de l'enseignement de la parasitologie, que l'estime de tous environne pour sa science et son dévouement ; je lui adresse mon plus cordial salut.

Ce qui est nouveau, c'est que l'enseignement de la bactériologie, jusqu’ici annexé à un autre enseignement magistral, est devenu lui-même autonome et complet. Cette création correspond à l'importance prise par la bactériologie en médecine, importance qui n'est discutée par personne et qui n'est plus à démontrer. Aussi, la nouvelle chaire sera-t-elle de bactériologie médicale, le mot de bactériologie étant pris, non pas dans son sens strict, mais dans sa signification la plus large, qui le rend synonyme de microbiologie médicale.

Il ne faut point se représenter la bactériologie médicale comme une sorte de bactériologie fragmentaire, ni même comme une bactériologie dapplication, qui consisterait à ne retenir de l'étude complète d'une espèce microbienne que quelques traits, seulement, immédiatement applicables au diagnostic et au traitement de l'infection correspondante. La bactériologie médicale possède un domaine bien à elle, vaste et complète, nettement délimité cependant. Elle ne s'intéresse qu'aux seules espèces microbiennes pathogènes pour l'homme, et se propose avant tout, spécialement, d'étudier le « pouvoir infectieux » de l'espèce. Pour elle, les microbes ne sont objets d'étude qu'en tant qu’ils représentent des  virus.

En bactériologie médicale, il faut d'abord et nécessairement commencer par étudier chaque microbe : connaître les mœurs, la biologie de l'espèce et toutes ses caractéristiques : posséder les techniques qui permettent de le retrouver, de l’isoler, de le cultiver, de l’identifier. Mais, si complète et minutieuse que soit l’étude d'un microbe, faite in vitro, elle ne peut en rien renseigner sur le pouvoir pathogène de ce microbe. Pour le déceler, il n'est qu'un seul réactif, la vie. Et c'est pourquoi, nous aurons tout particulièrement à étudier le comportement du microbe in vivo : chez l'animal en expérimentation, et chez 1homme, d'après les données de la clinique.

Il nous faudra rechercher, suivant chaque espèce, quel est son habitat et d'où provient l'agression ; quelles sont ses voies d’accès : quel est son cheminement à l'intérieur de l'organisme ; quelles sont ses armes, infection ou toxi­-infection. Et, il nous faudra aussi étudier les divers processus par lesquels l'organisme réagit à l'invasion de l’agent pathogène, ce qui nous conduira à toucher aux questions d'allergie et d'immunité. Enfin, parvenus au terme du grand conflit qu'est l'infection, nous déduirons tout naturellement, bien groupées, cohérentes, les applications à l’étiologie, à la pathogénie, au diagnostic, au traitement, à la prévention de la maladie infectieuse correspondante ; toutes notions indispensables au médecin, constamment aux prises avec l'infection.

 

Telle est la bactériologie que nous ferons, avec son double aspect : étude de l'espèce, étude surtout, du pouvoir infectieux de l'espèce.

D'une telle bactériologie, il m'eût été agréable de vous retracer l'histoire, qui n'est qu'une longue suite de merveilles ; mais il vaut mieux regarder l'avenir...