DEMANGE Emile

1846-1904

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

C'est profondément attristé et avec une douloureuse émotion que je viens, au nom de la Faculté de médecine, rendre les derniers hommages à un de ses membres, aimé et estimé de tous. Samedi dernier, notre collègue, le professeur Demange, se trouvait encore au milieu de nous, à une séance du Conseil, prenant part à nos discussions ; mardi, dans l'après-midi, nous l'attendions pour une soutenance de thèse, quand nous fûmes prévenus qu'il venait de se trouver subitement indisposé. Hélas !..... Brutalement terrassé par un mal implacable qui l'avait miné lentement, sourdement, notre collègue venait d'être frappé de la façon la plus inattendue, la plus cruelle.

Issu d'une vieille et honorable famille nancéienne, Emile Démange est né le 26 avril 1846 ; il disparaît soudainement à cette période de la vie où l'homme donne toute son intelligence, toute son activité. Après ses études classiques couronnées par l'obtention des grades de bachelier es lettres et de bachelier es sciences complet, ses dispositions pour l'étude incitèrent Emile Démange à étendre plus spécialement ses connaissances en chimie et en physique. En juillet 1866, il subit avec succès les épreuves de la licence es sciences.

Le noble exemple que lui donnait son vénéré père, praticien estimé, universellement apprécié, alors professeur à l'Ecole préparatoire de médecine, d'un dévouement sans bornes aux multiples devoirs de la profession et de l'enseignement, ce noble exemple devait déterminer chez le fils le désir de continuer les traditions paternelles. Emile Démange se décide à suivre la carrière médicale. Il commence ses études à l'Ecole où enseignait le père. Préparateur de chimie, deux fois lauréat, interne au vieil hôpital Saint-Charles, ses débuts sont du meilleur augure.

Pour terminer sa scolarité, il lui faut se rendre au siège d'une Faculté de médecine. Ayant choisi la Faculté de Paris, il y conduit ses études vers le doctorat. Comme tous les élèves d'élite, Emile Demange eut pour premier objectif d'arriver à l'internat des hôpitaux. Externe en 1867, interne provisoire en 1869, il est nommé interne titulaire au concours de 1871. La même année, il obtint une médaille de bronze de l'Assistance publique. Successivement attaché aux services hospitaliers de Moissenet, E. Labbé, Simonnet, Vidal, Labric, aux cliniques des professeurs Richet et Laugier, c'est auprès de ces maîtres qu'Emile Demange sut acquérir ses solides connaissances en clinique. Malgré le temps que lui prenaient les exigences de son service d'interne, il ne néglige pas les études de science pure. Pendant deux années consécutives, il est élève de l'Ecole pratique des hautes études et travaille au laboratoire du professeur Ranvier, au Collège de France.

En 1874, il présente à la Faculté de Paris sa thèse de doctorat, travail important sur un sujet encore peu connu à l'époque, « la lymphadénie ». Reçu docteur, Emile Demange revient dans sa ville natale, où, après les cruels désastres de 1870, venait d'être transférée la Faculté de médecine de Strasbourg. Son ambition légitime devait être de se voir attaché à la Faculté. Bientôt il est chargé des fonctions de chef de clinique au service du professeur Victor Parisot; il se prépare à l'agrégation.

Elu au concours de 1878, il est nommé agrégé de la section de médecine, pathologie interne et médecine légale, et désigné pour la Faculté de Nancy. Dès son entrée en exercice, au 1er novembre 1878, Emile Demange est chargé du cours de clinique annexe des maladies des vieillards. C'est de cette époque que date pour notre collègue une période brillante, fructueuse à la fois pour la pratique et la science. Dans son service clinique du vieil hospice Saint-Julien, Emile Démange entreprend une longue série de patientes et fécondes recherches dans le champ de la pathologie sénile.

Publiés dans la Revue de médecine, et les Mémoires de la Société anatomique de Paris, dans notre Revue médicale de l'Est, dans les Bulletins de notre Société de médecine, les travaux de notre collègue, par leur importance et les résultats nouveaux, mirent en relief l'originalité du chercheur et son individualité scientifique. Emile Démange est resté chargé de la clinique des maladies des vieillards jusqu'au jour où il eut le bonheur de devenir titulaire.

Après la retraite du vénéré professeur Tourdes, la Faculté le propose en première ligne pour la chaire de Médecine légale. Le ministre de l'instruction publique ratifia le choix de la Faculté, et par décret du 16 avril 1889, Emile Demange est nommé professeur titulaire. Notre collègue était pleinement préparé à ses nouvelles fonctions par ses connaissances solides en pathologie et en clinique, sa compétence dans les recherches anatomo-pathologiques, l'expérience acquise comme médecin légiste attaché au parquet depuis une série d'années déjà, enfin par des travaux originaux sur différents sujets se rapportant à la médecine légale.

Esprit ingénieux et investigateur, précis et consciencieux, notre collègue apporta dans son nouvel enseignement, si délicat, si complexe, si difficile, les qualités que nous lui connaissions et qu'il avait montrées dans ses fonctions et ses travaux antérieurs. Les connaissances étendues qu'il avait acquises par sa longue pratique des hôpitaux, à l'hospice Saint-Julien dont il était médecin en chef, valurent à Emile Démange une grande notoriété médicale. Praticien éclairé, sage et prudent, il appliquait dans l'exercice de la profession les règles que lui avaient si bien tracées son honorable père, la conscience et le dévouement, la probité professionnelle et un sentiment élevé de la confraternité.

Le renom du professeur et du médecin devait signaler notre collègue à l'attention des autorités. En 1887, il est nommé membre du Conseil central d'hygiène du département de Meurthe-et-Moselle; en 1898, directeur de l'assistance médicale départementale et de la vaccine. Il était médecin des Écoles normales, médecin de la maison des Orphelines. Membre de la Société de médecine, l'estime de ses confrères le porte en 1888 à la présidence. En 1900, l'Académie de médecine de Paris le choisit comme correspondant national. Les services rendus dans l'enseignement lui ont valu successivement les palmes académiques et la rosette d'officier de l'Instruction publique.

Depuis quelques années, nous vîmes l'activité de notre collègue se ralentir. La cause du changement produit nous échappait. Seul, il la savait ! Il cache ses appréhensions. Une crise passagère le force un jour à confier son terrible secret à sa courageuse compagne, à deux collègues et amis. Sans illusion sur la nature et l'évolution du mal qui le minait, il prévoyait la catastrophe. Mardi dernier, subitement elle éclata..... A cette nouvelle inopinée, nous sommes frappés de stupeur, et quand nous apprenons que notre collègue connaissait sa maladie et souffrait son martyre avec une impassible fermeté d'âme, tout en continuant sa noble mission de médecin, une angoisse douloureuse et sympathique nous étreint. Nous perdons en notre collègue un homme de coeur et d'intelligence, d'un grand sens judicieux, d'une grande bienveillance, d'idées larges et libérales ; nature droite et loyale, cachant sous une apparence rude, une grande impressionnabilité, une grande bonté. Sa vie modeste et simple s'écoulait entre les devoirs de la famille et sa mission professionnelle, heureux, la journée bien remplie, de retrouver dans son foyer domestique l'affection de celle qui fut associée à sa vie et la tendresse de ses enfants. Sa dernière joie familiale fut la nouvelle d'un succès prochain de son fils, qui promet de soutenir l'honneur du nom paternel.

Puisse cette manifestation spontanée de regrets et de sympathie apporter quelque adoucissement à la grande douleur d'une famille éplorée. Votre souvenir, cher collègue, restera impérissable dans nos coeurs. Au nom de la Faculté de médecine, cher Demange, je vous dis un suprême adieu.

Professeur F. GROSS