1814-1907
ELOGE FUNEBRE
Un deuil frappe la Faculté de médecine. Nous venons de perdre, il y a quelques jours, un de nos anciens collègues, le vénéré Professeur François-Joseph Herrgott, resté attaché à la Faculté par les liens de l'honorariat. Il vient de s'éteindre dans sa 93ème année. Grande a été la place occupée par le Professeur Herrgott, à la Faculté de médecine de Strasbourg et de Nancy. Selon la volonté du défunt, votre doyen a dû garder le silence devant sa tombe. Il est de mon devoir de rappeler en cette assemblée, la longue carrière toute de labeur et d'honneur, la vie dignement et noblement remplie de notre regretté collègue.
Né à Guebviller (Haut-Rhin), le 12 septembre 1814, François-Joseph Herrgott a fait ses études médicales à Strasbourg. C'est en 1834 qu'il prit sa première inscription à la Faculté de médecine. Sa scolarité a été des plus brillantes. Durant le cours de ses études, il a été successivement attaché à la Faculté comme aide de clinique surnuméraire (concours du 28 décembre 1835), préparateur du cours de médecine opératoire du Professeur Bégin (1837 à 1839), aide de clinique titulaire (concours du 25 janvier 1838). En 1837, il eut le 2ème Prix d'anatomie et de physiologie ; en 1838, le 1er Prix de chirurgie ; en 1833, le 2ème Prix de médecine. Reçu avec la mention très bien à tous les examens, il soutint sa thèse de doctorat le 30 décembre 1839. Sa dissertation inaugurale, couronnée par la Faculté, est intitulée : Essai sur les différentes variétés de forme de la matrice pendant la gestation et l'accouchement. Elle constitue une étude de valeur, établissant l'influence de la forme de la matrice sur la présentation et la position du foetus, et se trouve citée dans les traités classiques.
Reçu docteur, François-Joseph Herrgott alla s'établir à Belfort. Les fonctions multiples dont il fut aussitôt investi, montrent la situation que le jeune médecin a su rapidement conquérir. Dès 1841, il est nommé chirurgien adjoint à l'Hôpital civil. En 1842, il est inspecteur du travail des enfants dans les manufactures de l'arrondissement, membre du bureau d'administration du Collège ; en 1843, membre et secrétaire du comité de vaccine de l'arrondissement et chargé de l'organisation du service des vaccinations ; en 1848, médecin des Épidémies, et comme tel, honoré de la médaille d'argent du choléra, en 1855. Il a été chirurgien en chef de l'Hôpital de Belfort en 1849, membre et secrétaire de la Société médicale du Haut-Rhin, membre de la Société scientifique et médicale de Montbéliard.
Malgré toutes les satisfactions que le jeune docteur trouvait ainsi dès le début de sa carrière, son goût pour le travail, ses aptitudes scientifiques lui permettaient de viser plus haut. Le 15 novembre 1853, il affronte les épreuves du concours pour l'agrégation de chirurgie et accouchement. Il sort victorieux de la lutte, en même temps que Koeberlé, avec lequel il devait plus tard illustrer la Faculté de Strasbourg. Sa thèse de concours, ayant pour titre « Appréciation de la valeur comparative des sections musculaires et tendineuses et des moyens orthopédiques », témoigne des qualités de méthode et de précision, de critique judicieuse qui devaient se retrouver dans les travaux ultérieurs de notre collègue. L'année suivante, il est nommé au concours, chef des services cliniques, fonction mixte relevant a la fois de la Faculté et des Hospices, établissant le trait d'union entre les deux administrations.
En 1857, il est chargé de la clinique chirurgicale supplémentaire, que la Faculté venait de créer, et où les élèves étaient initiés aux éléments du diagnostic, aux méthodes d'exploration chirurgicale, à la pratique des pansements. Les services rendus par le jeune professeur dans cet enseignement ont été considérables. L'utilité d'un enseignement clinique élémentaire dans les Facultés de médecine est incontestable. Il a un peu disparu dans les programmes. On cherche sous des noms divers à le rétablir aujourd'hui. A partir de 1861, Joseph Herrgott est chargé en outre de cette conférence de bandages et appareils, à laquelle il sut donner un si grand attrait, et qui devait le conduire à imaginer un mode d'immobilisation des membres fracturés, auquel son nom est resté attaché.
Un arrêté ministériel du 14 avril 1870 désigna Herrgott pour un cours complémentaire de maladies des oreilles, premier enseignement officiel d'une spécialité si florissante aujourd'hui. Notre collègue ne portait pas seulement son activité sur l'enseignement chirurgical, il n'oubliait pas qu'il appartenait à une section de l'agrégation qui comportait encore l'obstétrique. En 1868 et 1869, il est chargé d'une conférence spéciale d'Embryologie.
Citons les nombreuses suppléances dans les services de clinique chirurgicale et obstétricale de ses maîtres Sédillot, Rigaud, Stolz où Herrgott a eu occasion de faire preuve de son talent de clinicien, de son habileté opératoire et de réunir tant de documents qui ont été, pour lui, le point de départ de ses études et travaux ultérieurs. En outre de la part si active qu'il prenait à l'enseignement, en sa qualité d'agrégé, Joseph Herrgott était médecin titulaire à l'Hôpital civil (15 février 1865), et chargé comme tel d'un service de maladies chroniques. Membre de la Société de médecine de Strasbourg ; secrétaire de la Société en 1855 et 1856, les suffrages de ses confrères l'élevèrent plus tard à la Présidence.
Comme tant d'autres, Herrgott eut son activité scientifique brusquement interrompue par les douloureux événements de 1870. Pendant le siège et le bombardement de Strasbourg, Herrgott a été chirurgien en chef des ambulances des grand et petit séminaires. Cinq cent trente blessés militaires et civils ont reçu ses soins dans ces établissements, qui, pas plus que les autres ambulances, pas plus que le vieil Hôpital civil, n'ont été épargnés par les projectiles ennemis ; au grand séminaire, un obus en éclatant a tué trois personnes ; au petit, cinq ont été blessés.
Le décret d'octobre 1872, qui transféra la Faculté de médecine de Strasbourg à Nancy, nomma Joseph Herrgott professeur d'accouchement. Notre collègue garda l'enseignement théorique de l'obstétrique jusqu'en janvier 1879, ou il succéda à son maître, le Professeur Stolz, dans la chaire de clinique (décret du 22 novembre 1879). Quelques années plus tard, il est nommé directeur de la Maternité et de l'École départementale des sages-femmes.
Notre collègue retrouva dans les enseignements qui lui furent confiés à Nancy, un champ fécond d'observation et d'activité qui lui permit de développer et d'étendre ses travaux, si heureusement commencés ailleurs ; ses études gynécologiques et obstétricales lui valurent un juste renom dans le monde scientifique. Longue est la liste des travaux du Professeur Herrgott en chirurgie comme en obstétricie. C'est avec le plus vif intérêt que notre collègue suivait les progrès de la science médicale. Il n'a jamais cessé de prendre une large part aux discussions élevées dans nos Sociétés savantes, dont il enrichissait les comptes rendus et les mémoires. De nombreuses publications dues à sa plume se trouvent dans nos journaux et revues de médecine. Je ne puis vous citer tous les travaux de notre collègue. Je ne vous rappellerai que les principaux, et les plus importants.
Elève de Sédillot, un des promoteurs de l'insensibilisation par le chloroforme, notre collègue s'est appliqué à l'étude de cet agent anesthésique. Une de ses premières publications concerne les règles pratiques de l'administration du chloroforme. Dans la mémorable discussion, élevée en 1838, devant la Société de médecine de Strasbourg, sur la chloroformisation, nous trouvons un important discours de Joseph Herrgott. Un des premiers, notre collègue a insisté sur l'utilité de la thermométrie en clinique chirurgicale. Nous lui devons d'intéressantes observations sur les résections nerveuses dans la névralgie trifaciale, sur le traitement des tumeurs érectiles. Je dois mentionner d'une façon spéciale l'immense service que Joseph Herrgott a rendu à la chirurgie, par la vulgarisation des appareils plâtrés et l'heureux perfectionnement qu'il a su apporter à leur confection. C'est à notre collègue que les chirurgiens doivent de savoir appliquer des gouttières en linge plâtré. La « gouttière Herrgott » se trouve décrite dans les thèses de deux élèves, Gallet et Muller (1864 et 1807), puis dans un mémoire original, paru à Nancy en 1874.
Les travaux les plus importants de notre collègue concernent une question de chirurgie gynécologique. C'est le Professeur Herrgott qui fit connaître en France les procédés opératoires de Gustave Simon, de Marion Sins, de Bozemann, de Baker-Brown, pour le traitement de la fistule vésico-vaginale. En perfectionnant l'instrumentation, en imaginant en 1858 son spéculum-valve, il facilite l'exécution de l'opération ; en précisant le manuel opératoire, il établit avec la plus grande rigueur les règles du traitement de cette pénible infirmité. Grâce à sa grande dextérité, à sa patience a toute épreuve, Herrgott enregistra les plus merveilleux succès, dans les cas les plus difficiles, en apparence les plus désespérés. Nous possédons de lui, sur la question, une importante suite d'études, dont les dernières et les plus complètes figurent avec honneur dans les Mémoires de la Société de Chirurgie et de l'Académie de Médecine, Elles valurent à leur auteur les titres de membre correspondant national de la Société de Chirurgie (3 janvier 1866), de correspondant national (2 avril 1878) et de membre associé (17 juin 1890) de l'Académie de médecine. Rappelons encore que la cinquième opération d'ovariotomie en France a été pratiquée le 23 novembre 1858 par J. Herrgott. En obstétrique, J. Herrgott a fait connaître en France, en 1857, les travaux de Wigand sur la version par manoeuvres externes. Nous possédons de notre collègue une traduction du Traité des déviations utérines par Schultze, une étude complète sur la version, une autre sur le spondylizème et le spondylolisthésis, et leur importance au point de vue obstétrical.
De tout temps, J. Herrgott s'est intéressé aux études historiques de médecine. Déjà, dans la Gazette Médicale de Strasbourg, de 1858 et de 1862, il publia d'intéressants feuilletons à propos des études médicales sur les poètes latins de P. Menière, et des travaux de Pétrequin sur les médecins de l'antiquité, et les opuscules d'Hippocrate sur les hémorroïdes et les fistules. Son oeuvre capitale est la traduction de l'Histoire de l'Obstétricie de Jacques de Siebold, ouvrage en deux volumes, l'un de 340 et l'autre de 690 pages. L'étude de Siebold s'arrête à l'année 1845. J. Herrgott y ajoute des notes parfois considérables, qui comblent différentes lacunes, complètent quelques chapitres, des figures d'un très vif intérêt et un appendice qui, sous son titre modeste, constitue tout un troisième volume de 450 pages. C'est dans son appendice que J. Herrgott a fait connaître la part si importante du jeune médecin hongrois Semmelweis dans la découverte de l'antisepsie obstétricale. Semmelweis fut le premier qui donna la preuve que l'exploration était la porté d'entrée par laquelle s'introduisait le poison de la fièvre puerpérale. C'est dans son appendice encore que J. Herrgott fit connaître Soranus d'Ephèse, et nous apprit que cet accoucheur était le créateur de la version podalique de l'enfant vivant. Nous devons enfin à notre collègue la traduction, avec annotations, du Traité des maladies des femmes, que Soranus a écrit vers la fin du Ier siècle et le commencement du IIe. Les importantes publications historiques de J. Herrgott ont été présentées à l'Académie des Sciences, qui lui décerna, en 1895, le prix Mège, et l'année suivante le nomma Correspondant de l'Institut.
Tels sont les états de services, la liste des travaux de notre vénéré collègue, durant la longue période de son temps d'exercice, et même après la cessation de ses fonctions, car son activité scientifique continua à charmer les loisirs de sa retraite. La plupart d'entre vous, chers collègues, ont encore connu le Maître, se rappellent l'exactitude, l'ardeur, la science et le dévouement qu'il apportait dans son enseignement ; ils savent aussi la bienveillance, l'affectueux intérêt qu'il portait à ses élèves. Il aimait ses élèves, et combien ceux-ci ne lui ont-ils pas tous conservé, au fond de leur coeur, une véritable reconnaissance filiale, pour toutes les bontés qu'il a eues pour eux, pour tous les services qu'il leur a rendus.
Combien était touchante cette manifestation toute spontanée des anciens élèves de l'Ecole du service de santé militaire, qui, en 1875, aides-majors à Lyon, et ayant appris la présence en cette ville de leur ancien Maître, délégué pour y présider les jurys médicaux à l'ancienne Ecole secondaire, sont allés en corps lui témoigner leur reconnaissance et leur attachement envers la Faculté qu'il représentait. On est quelque peu étonné que les éminents services rendus par le Professeur Herrgott à la science, à l'enseignement, à l'instruction des élèves, n'aient été honorés que par les modestes palmes académiques et la rosette de l'Instruction publique. La croix de la Légion d'honneur a été donnée à notre collègue en 1870, par le Ministre de la Guerre, sur la proposition du général Uhlrich, pour services distingués rendus pendant le siège de Strasbourg. En 1808, le Pape Pie IX lui accorda la décoration de l'Ordre de Saint Grégoire, pour services rendus au Grand Séminaire de Strasbourg, où, durant plusieurs années, il a fait un cours d'anatomie et de physiologie aux élèves séminaristes.
A Nancy, comme à Strasbourg, notre collègue s'est livré à la pratique médicale. Partout il jouissait de la considération générale, de l'estime de ses confrères, qui lui ont accordé leurs suffrages dans nos Sociétés savantes. En 1886, il fut appelé à siéger dans la Commission administrative de l'Association de prévoyance et de secours mutuels des Médecins de Meurthe-et-Moselle. En 1877, il a été Président de notre Société de Médecine.
Que dire de la vie privée de notre regretté collègue ? Esprit lettré et érudit, bibliophile passionné, latiniste et helléniste émérite, il se plaisait à parcourir, pendant ses loisirs, ses auteurs classiques, dont sa riche bibliothèque renfermait tant d'éditions précieuses. Il aimait les beaux arts, s'intéressait à l'archéologie, à la musique, aux progrès de toutes choses. Il n'avait jamais connu un instant d'inactivité. Sa vie tout entière de science et de travail, de dévouement et d'honneur, l'affection profonde des siens, lui avaient créé un foyer de bonheur intime, qui inspirait un sentiment d'admiration profonde, imposait le respect à tous ceux qui l'approchaient. Mon collègue et ami M. Bernheim et moi, qui avons été honorés de son amitié, savent aussi les journées douloureuses qu'il eut à traverser. Les sentiments profondément religieux de notre Maître, l'affection des siens, la grande satisfaction que lui donnaient les succès de son fils, notre excellent collègue, le professeur Herrgott, l'aidèrent à surmonter les dures épreuves que la destinée lui avait réservées.
Une verte vieillesse couronna la belle carrière du Professeur Herrgott, et longtemps nous pûmes voir ce vénéré Maître et Doyen des médecins de Nancy, suivre avec une assiduité exemplaire les séances de la Société de Médecine et prendre part, avec une ardeur souvent passionnée et un entrain tout juvénile, aux discussions scientifiques et professionnelles. Une attaque d'influenza vint lentement miner sa constitution vigoureuse et déprimer graduellement des facultés si vives, qui avaient résisté jusqu'alors à l'involution de l'âge. Sa vie intellectuelle, hélas déclina et s'éteignit avant sa vie organique. Grande était l'affliction des siens et aussi de ses amis, de voir survivre à lui-même ce père, ce maître, cet homme d'élite, que tous ceux qui l'avaient connu aimaient d'une affection filiale. Elle restera gravée dans nos souvenirs, cette tête sculpturale, empreinte de charme et de cordiale bonhomie. Elle restera dans nos coeurs, cette âme généreuse, si franche, si expansive, largement ouverte à toutes les misères humaines, révoltée seulement par l'injustice, enthousiaste pour toutes les nobles conceptions scientifiques, littéraires et artistiques.
Le nom de notre maître aimé, de notre collègue vénéré, est inscrit dans le Livre d'Or de la Faculté de Médecine française de Strasbourg et de Nancy. Que son fils, notre cher collègue, notre cher ami, reçoive ici et veuille bien transmettre à Madame Herrgott, à ses enfants, à tous les siens, l'expression émue de notre plus affectueuse et respectueuse sympathie.
Professeur F. GROSS