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1914-2008
Extrait
de " Les sciences physiologiques et physico-chimiques " par P. ARNOULD
Numéro
Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974) Annales Médicales de Nancy
Dans
une période transitoire, l'enseignement fut assuré par des parisiens
«itinérants», Louis Gougerot, délégué dans les fonctions d'agrégé, et Maurice
Cara, jusqu'à la nomination de Claude Kellersohn comme agrégé en 1953 ; il
devint titulaire en 1958.
Après
l'optique, après le rayonnement X, la physique médicale venait de voir s'ouvrir
un nouveau champ de recherche et d'applications bio-médicales : la radioactivité
artificielle. Il fallait donc se procurer du matériel et former le personnel
capable de s'en servir. Le Professeur Kellersohn s'y employa activement, mais
fut rappelé à Paris à la fin de l'année 1958, pour prendre la direction d'un
nouveau laboratoire créé à l'Hôpital d'Orsay en liaison avec le Commissariat à
l'énergie atomique (retraite en 1983).
Ses
travaux à Nancy avaient porté sur la physiologie de la vision (fréquence
critique de fusion - adaptation de l'œil à la lumière émise par les tubes
fluorescents) et sur la mise au point de techniques de scintigraphie (c'était,
à l'époque, un travail de pionnier).
En
même temps que lui, partait de Nancy Pierre Pèlerin, agrégé depuis 1955, mais
laissait un élève qu'il avait eu le temps de former : le Docteur Jean Martin.
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Article
de la Semaine des Hopitaux - 1962
L'effort
réalisé pour améliorer le niveau des connaissances des étudiants en médecine,
en sciences fondamentales, se reflète dans les chaires nouvellement créées.
C'est ainsi que la physique nucléaire appliquée à la médecine, a fait
officiellement son entrée à la Faculté de Paris, le 15 novembre 1962, lorsque
le Pr. Claude Kellershohn prononça sa leçon inaugurale de professeur de la
nouvelle chaire médicale de physique nucléaire.
C'est
à exprimer publiquement sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé tout au
long de sa vie que le nouveau professeur consacra exclusivement cette leçon.
«
Prise au sens littéral, dit-il en effet, une leçon inaugurale devrait se
présenter comme un exposé essentiellement consacré à la discipline du nouveau
professeur, à la vision qu'il en a. Les faits montrent pourtant que la plupart
du temps se déroule devant nous l'histoire personnelle de l'intéressé... »
Après avoir souvent porté sur cette conception un jugement sévère, « un peu de
réflexion me montre aujourd'hui qu'une telle attitude est fausse, injuste,
voire sotte. Elle relève en tous cas d'une forme d'orgueil peu compatible avec
l'humilité de l'homme de science. Nous passons notre vie à demander et recevoir
des autres, mais ce transfert est si quotidien, s'effectue sous des formes si
variées qu'aux rares moments où nous en prenons conscience, il nous apparaît
naturel et comme dû. Je sais qu'en échange nous avons le devoir de servir, mais
le simple respect de ce devoir ne suffit pas. Je pense que la forme noble de
l'acte de demander est la prière. Je ne sais quel peut être exactement la forme
noble de l'acte de remercier, mais j'estime que, dans le monde actuel où le
temps nous est si mesuré pour l'exercer, la leçon inaugurale est une occasion
par trop unique de présenter publiquement notre reconnaissance de dette envers
ceux qui ont fait notre vie pour ne point s'en saisir... »
Le
Pr. Kellershohn évoqua alors son enfance parisienne « à l'ombre des arbres du
Champ de Mars » et l'image attachante de son père, « le plus brillant
théoricien de l'économie de l'entre-deux guerres », écrivain à qui la maladie «
ne permit pas de réaliser l'œuvre littéraire qu'il portait en lui », mais dont
« il est resté un livre qui, pour beaucoup, est le plus beau qu'un homme ait
jamais écrit sur la mort de sa mère ».
C'est
à Henri IV, où il passa ses deux bachots, et où il fit une année d'hypotaupe
que Claude Kellershohn découvrit sa vocation mathématique et scientifique. «
Une de mes premières joies scientifiques m'a été procurée par un petit problème
simplet, le problème de « la cuillère dans le bol », il s'agissait en effet de
déterminer à partir des lois de la statique la position d'équilibre d'une
cuillère placée dans un bol de diamètre supérieur à sa longueur »... Pour avoir
résolu ce problème, il se sentit « une âme de Le Verrier au petit pied ».
Il
s'orienta alors vers Polytechnique, mais une première atteinte tuberculeuse
l'obligea à abandonner cette voie pour un travail moins difficile : le P.C.B.
auquel il joignit le certificat de chimie biologique. Une caverne pulmonaire le
mena alors au sanatorium de Saint-Hilaire du Touvet et l'obligea à abandonner
tout espoir de préparation des concours. Guéri, il continua d'abord à Grenoble,
puis à Paris, sa double formation de médecin et de scientifique.
La
guerre et la mort de son père l'obligèrent en automne 1939 à gagner sa vie. Il
entra ainsi au Laboratoire du Pr. Fleury, titulaire de la chaire de physique
générale du Conservatoire national des Arts et Métiers, où celui-ci l'orienta
vers l'optique physiologique et plus particulièrement la colorimétrie. «
Orienté comme physicien vers l'optique physiologique, ajouta l'orateur, je crus
bon comme médecin d'enrichir mes connaissances médicales sur l'oeil. C'est
ainsi que, durant trois années, je fréquentais trois après-midi par semaine
comme assistant bénévole, le service de Monsieur le Docteur Marcel Kalt, à
l'hospice des Quinze-Vingts... »
C'est
en octobre 1946 qu'il entra définitivement comme assistant au laboratoire de
physique de la Faculté de médecine de Paris. Le Pr. Kellershohn évoqua alors
ses maîtres et collaborateurs de la Faculté : Strohl, Henri Desgrez, Djourno,
Gougerot et Michel Berger.
Blessé
accidentellement à la jambe « à l'heure délicate du premier concours
d'agrégation », il dut abandonner le laboratoire pendant un an, mais trouva
dans une longue hospitalisation l'occasion d'un double enrichissement : « tout
d'abord pour le médecin qui doublait en moi l'homme de laboratoire, celui de la
vie hospitalière prolongée vue sous l'optique du malade... Enfin celui qui m'a
procuré le contact le plus direct qui soit avec le plus grand chirurgien et
l'un des hommes les plus éminents que j'ai connu : le Pr. Merle d'Aubigné... ».
En
1949, admissible à l'agrégation, il fut envoyé à la faculté de médecine de
Nancy, mais c'est en 1952 qu'il fut définitivement nommé. Installé à Nancy, il
travailla particulièrement avec Cara et Pierre Pellerin.
Rappelé
à Paris par le Pr. Dognon, dont le nouveau professeur évoqua « Les talents
d'expérimentateur et le sens physique hors de pair, la simplicité et
l'efficacité des solutions qu'il apporte aux problèmes les plus difficiles de
notre discipline », il reprit place au laboratoire de la Faculté, et assume
depuis la responsabilité d'un service de recherches médicales, créé par le Pr.
Coursaget dans le cadre du département de biologie du Commissariat à l'énergie
atomique : le service hospitalier Frédéric Joliot.
En
conclusion, le Pr. Kellershohn proposa à la méditation de son auditoire cette
phrase de Louis Armand : « Etre grand, c'est aujourd'hui (sauf en mathématiques
pures et en poésie) être à la tête d'une équipe dont les préoccupations sont
tournées vers l'avenir ». Si je ne l'admets pas complètement, dit-il, elle
renferme une large part de vérité et présente peut-être la solution future de
nos contradictions actuelles... ».