1926-1986
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ELOGE FUNEBRE
Le Professeur Jean MARTIN s'est éteint le 11 octobre 1986, après une longue et cruelle maladie et il me revient, à moi son successeur et l'un des élèves qu'il a formés, l'insigne et douloureux honneur de rappeler la carrière brillante du médecin et du scientifique et d'évoquer les qualités humaines de celui qui fut non seulement notre collègue mais, pour beaucoup d'entre nous, un véritable ami.
Né à Villandraut en Gironde, le 28 janvier 1926, le Professeur Jean MARTIN effectua toutes ses études de médecine à Nancy où il se révéla comme un sujet d'élite. Entré en 1945 à la Faculté de médecine, à 19 ans, il est reçu Externe des Hôpitaux en 1948 et veut d'abord prendre une orientation neuro-psychiatrique, ce qui le conduit à passer une licence de philosophie et de psychologie en 1948 et 1949. Cependant dès 1950, il travaille au laboratoire d'électro-encéphalographie qui venait d'être créé par le Professeur KISSEL et se passionne pour la cybernétique. Il se sent alors attiré par la Physique Médicale mais passe d'abord le concours d'Internat en 1951. Il est reçu Major de sa promotion.
Après avoir terminé son service militaire au Maroc, il prépare une licence ès-Sciences et se voit confier un poste d'Assistant dans le laboratoire du Professeur KELLERSOHN. Il reçoit pour objectif de développer la section d'exploration fonctionnelle par les isotopes radioactifs. Sa thèse de Médecine qu'il passe en 1957 et que récompense le prix SCHEMEL, est le résultat de quatre années de travail sur la cartographie isotopique avec, comme application, l'analyse des anomalies morphologiques de la glande thyroïde. Il termine à cette date son Internat en Médecine.
Un an plus tard, il est reçu Assistant des Hôpitaux en Radiologie. Ses travaux de recherche sont alors dirigés d'une part vers la radiobiologie, d'autre part vers certaines méthodes de détection des isotopes émetteurs bêta purs. Il montre que les réactions humorales des malades irradiés permettent de prévoir le syndrome clinique du « mal des rayons ». Ceci lui vaut le prix du Congrès de Lisbonne des Médecins Electro-radiologistes de culture latine. Il me plaît de rappeler qu'à cette époque, certains calculs concernant des problèmes de collimation, l'amènent à prendre contact avec mon père, alors directeur du Centre de calcul automatique et à s'initier pour la première fois à la manipulation d'un ordinateur. En 1959, l'Académie de Médecine lui décerne le prix APOSTOLI pour ses travaux.
Admissible au concours d'Agrégation de Biophysique Médicale en 1958, en l'absence de place à Nancy, il lui faut attendre 1961 pour être nommé Maître de Conférences Agrégé. Le Professeur BURG qui avait remplacé le Professeur KELLERSOHN à la tête de la Chaire de Biophysique de Nancy, le pousse fortement à étudier l'application des techniques informatiques aux problèmes médicaux. D'abord réticent, il est peu à peu conquis par ce domaine absolument neuf et difficile. Il s'y est préparé par une formation scientifique poussée qu'il a acquise à la Faculté des Sciences où il a obtenu en 1959 la Licence es Sciences avec sept certificats.
En 1965, le Conseil de la Faculté décide la création d'une Section de Biomathématiques, Statistique et Informatique Médicale qu'il lui confie. Cette décision lui permet de constituer un petit groupe et d'orienter les recherches vers la modélisation compartimentale et les applications statistiques. En 1970, il est nommé Professeur à titre personnel en Informatique Médicale. Un an plus tard, il est chargé de la direction d'un groupe de recherche INSERM d'Applications Médicales de l'Informatique.
Sous son impulsion, ses chercheurs et ses collaborateurs se mettent à défricher cette nouvelle discipline. Avec Mlle MONOT, il s'intéresse à la modélisation des systèmes compartimentaux. Avec MM. Jean-Marie MARTIN, CHAU et BENAMGHAR, il aborde la mise en place et l'exploitation des dossiers médicaux informatisés. La première expérience a eu lieu dès 1969 dans le département d'anesthésie-réanimation du professeur PICARD. Elle a été rapidement suivie de nombreuses autres à une cadence croissante année après année. Une enquête réalisée en 1975 montre déjà que plus de la moitié des services hospitaliers de Nancy sont ou ont été utilisateurs de ces techniques informatiques ! C'est vers 1967, et je m'en souviens avec émotion, que j'ai commencé de travailler avec lui et nous avons mis au point de nouvelles méthodes de traitement mathématique des images scintigraphiques. Par ailleurs, conscient de la nécessité de former les utilisateurs, médicaux ou non, aux techniques informatiques, il crée, dès 1974, un enseignement spécialisé dans le cadre de la biologie humaine, comprenant certificat, diplôme de recherche et thèse. Plus de 200 médecins, dont beaucoup sont restés dans le cadre hospitalier du CHU, ont suivi cette formation et constituent des interlocuteurs privilégiés.
Les conditions de travail laissent alors à désirer. Les locaux, au 30, rue Lionnois, sont vétustes et mal adaptés. Les moyens informatiques initiaux sont insuffisants, l'ordinateur stocke dans sa mémoire dix fois moins qu'un modeste micro-ordinateur actuel ! Début 1976, le groupe déménage sur le plateau de Brabois et s'installe dans 1000 m2 de locaux parfaitement installés. Un nouvel ordinateur performant est reçu la même année. Une période féconde s'ouvre, de nouveaux domaines sont explorés sous la direction du Professeur MARTIN dont la notoriété ne cesse de croître.
La docimologie retient son attention et il évalue notamment les conditions du concours de première année en Médecine. La pharmacocinétique le conduit à aborder des problèmes mathématiques complexes. La Médecine Nucléaire n'est pas délaissée et les recherches portent maintenant sur la reconstruction des images en tomographie d'émission. Ancien radiologue, proche de la radiothérapie, il me propose d'étudier comment améliorer par le calcul certains paramètres des traitements radiothérapiques externes. Cette optimisation des doses sera employée plus tard au Centre Alexis Vautrin au bénéfice des malades irradiés. Une énumération exhaustive de tous ses travaux serait fastidieuse mais je ne voudrais pas oublier de citer ceux qui portent sur la reconnaissance rapide des médicaments en collaboration avec l'équipe du Professeur LARCAN et les études sur les diabétiques et les obèses, poursuivies avec le Professeur DEBRY. A partir de 1980, avec M. BENAMGHAR, il consacre l'essentiel de ses recherches à l'épidémiologie des affections bucco-dentaires dans le monde. La qualité de celles-ci fait nommer, en 1984, l'équipe qu'il dirige, Centre collaborateur de l'OMS.
Mais toute cette activité universitaire ne doit pas laisser dans l'ombre le versant hospitalier. Après le départ du Professeur BURG, il devient chef du Service de Médecine Nucléaire. Il se montrera très attentif au développement des nouvelles techniques et, en homme sage, distribuera les tâches et favorisera le travail de ses collaborateurs. Désireux de se consacrer plus complètement à l'informatique, il prépare à sa succession son élève le Professeur BERTRAND. Mais il lui faut attendre 1982 pour que soit créé le Service d'Informatique Médicale qu'il appelait de tous ses voeux. La discipline qu'il avait contribué à forger, était enfin reconnue à part entière. Bientôt, il allait participer au recueil et à l'exploitation des résumés de sortie ainsi qu'à l'élaboration du plan d'informatisation du CHU. Je suis persuadé que, conscient des profonds changements que l'outil informatique va introduire dans les services hospitaliers, il aurait aimé passionnément voir se réaliser cette nouvelle étape qui débute actuellement.
Le Professeur MARTIN était un enseignant de valeur. Il aimait la pédagogie et l'on retrouve son esprit didactique dans son ouvrage de mathématiques et de statistique destiné aux médecins qui constitue un livre de référence et qui a eu l'honneur d'être traduit. Par ses qualités humaines, le Professeur MARTIN s'attirait de profondes sympathies. C'était une personnalité attachante, un homme distingué et cultivé, au coeur loyal et généreux. Dans les milieux scientifiques, on appréciait sa grande érudition. Aimable et dévoué, il entretenait les meilleures relations avec le corps professoral de la Faculté. Par sa formation et dans sa personne, il réunissait, en un rare équilibre, me semble-t-il, l'humaniste et le scientifique de pointe.
Ses hautes compétences, son autorité, sa perspicacité dans les situations délicates font que ses pairs l'ont désigné à maintes reprises dans des fonctions de responsabilité. Il siégea de nombreuses années au comité consultatif et à la commission médicale consultative. De 1971 à 1976, il fut désigné comme vice-doyen de la Faculté. De 1976 à 1979, il fut un membre très écouté de la Commission scientifique n°8 de l'INSERM. En 1979, avec le Professeur GREMY, il fonda l'Association Française pour les Applications de l'Informatique Médicale et en devint le premier président. Très estimé par ses collègues de la discipline, il fut élu président du collège des enseignants, la même année. Enfin, l'Observatoire régional de la Santé et des Affaires sociales le porta, dès sa fondation, à sa présidence. Les distinctions honorifiques sont venues récompenser les mérites de ce Maître éminent, pionnier d'une nouvelle discipline. Nommé Chevalier des Palmes Académiques en 1977, il est élevé au grade d'Officier en 1983.
C'est en juin 1985, en pleine force de l'âge et de ses aptitudes intellectuelles, qu'il est touché par la maladie et en apprend la nature et la gravité. Il subit des interventions douloureuses qui ne font que retarder l'échéance inéluctable. Pendant quinze longs mois, ses visiteurs ont pu admirer sa patience et son courage. Il a été encouragé et soutenu moralement par l'amour de sa femme qui a montré une force d'âme exemplaire durant cette épreuve terrible. Je voudrais aussi évoquer ses convictions religieuses qui ont du l'aider dans sa dernière lutte et dont tous ceux qui l'ont approché ces derniers mois peuvent témoigner. Que Mme MARTIN et ses cinq enfants, à qui j'exprime ma profonde sympathie, soient assurés que tous ses élèves et collaborateurs garderont de lui le souvenir fidèle d'un Maître qu'ils admiraient et aimaient.
Professeur B. LEGRAS