MERKLEN Louis

1896-1964

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ELOGE FUNEBRE

Pour la seconde fois, en quelques jours, un deuil cruel frappe notre Faculté, et nous nous réunissons pour rendre un solennel hommage à un Collègue disparu, hommage d'autant plus justifié qu'il s'adresse à un des membres les plus éminents de notre Conseil auquel vous avez témoigné naguère à deux reprises votre confiance en le désignant pour assumer les lourdes responsabilités du Décanat. C'est avec une émotion que je ne pourrai dissimuler que je m'acquitterai ce soir de ma tâche en retraçant devant vous les étapes de la longue carrière universitaire du Doyen Louis Merklen et en rendant à sa mémoire le témoignage de reconnaissance que la Faculté de Médecine de Nancy a contracté vis-à-vis de lui.

Louis Merklen appartenait à une grande famille alsacienne, fixée en Lorraine après le désastre de 1870 et où, de tradition, on s'orientait vers les carrières libérales. Il naquit à Toul, le 20 septembre 1896, dans cette vieille ville alors très active par l'importante garnison militaire qui y était stationnée. Son père y était notaire et s'était allié à une des plus anciennes familles de la cité qui comptait une longue suite de médecins et de chirurgiens majors d'un hôpital naguère important et dont la fondation immémoriale en fait la plus ancienne Maison-Dieu de la Lorraine. Ces circonstances expliquent combien Louis Merklen fut attaché durant toute sa vie aux vieilles et nobles traditions qu'il reçut dès sa première enfance au foyer familial. C'est au Collège de Toul qu'il reçut son éducation secondaire, et il resta très attaché à cette maison et à ses vieux maîtres. Ses études secondaires brillamment terminées, il se dirige sans hésiter vers la carrière médicale et s'inscrit à la Faculté des Sciences de Nancy où il est reçu en juillet 1914 au P.C.N.

Mais, aussitôt, c'est la déclaration de guerre. Louis Merklen a dix-huit ans. Il appartient à une génération pleine d'enthousiasme, et qui n'aspire qu'à effacer le désastreux traité de Francfort qui nous a arraché l'Alsace-Lorraine, sa patrie d'origine. Son devoir l'appelle au front, et dès le 25 septembre 1914, il contracte un engagement volontaire pour la durée de la guerre. Il restera sous l'uniforme pendant quatre ans et sept mois. D'abord affecté dans une unité combattante, il contracte en 1915, une maladie en service qui lui vaudra sa première décoration, mais le contraindra ensuite aux fonctions de sergent, dans une ambulance, jusqu'en avril 1919. Rendu à la vie civile, il reprend ses études avec ses camarades de combat, forts d'une lourde expérience et mûris avant l'âge par la longue et dure épreuve de la guerre.

Dès le 1er janvier 1921, il s'oriente vers la carrière de laboratoire, et il est désigné comme préparateur de cours de physiologie à la faculté. Dès lors, et sans aucune interruption durant quarante trois ans, il consacrera toutes ses activités à la Faculté, au Laboratoire de physiologie d'abord, à celui d'hydrologie ensuite. C'est au laboratoire de physiologie qu'il reçut sa première formation auprès d'un Maître pour lequel il garda toujours une vive reconnaissance, le Doyen Meyer. Il se trouvait ainsi dans une atmosphère d'intense travail de recherches qui groupait autour du professeur Meyer des jeunes chercheurs de talent, et plus particulièrement Pierre Mathieu et Henri Hermann, destinés comme Merklen, à une belle carrière universitaire et scientifique. C'est dans ce laboratoire que Louis Merklen acquit des connaissances solides de la physiologie classique et qu'il apprit les règles rigoureuses de l'expérimentation animale.

Durant de nombreuses années, il s'appliqua ensuite à l'étude du retentissement des exercices sportifs sur la régulation vasculaire, et c'est ainsi qu'il fut à même de rédiger une thèse inaugurale, soutenue en 1926, et consacrée à l'étude du rythme du coeur au cours de l'activité musculaire. Ce travail, véritable monument d'érudition et de recherches personnelles, fut particulièrement remarqué, et lui valut le premier prix de thèse de la Faculté de Médecine de Nancy ainsi que le prix Montyon de physiologie et le prix Marc See, de l'Académie de Médecine. Dès lors, Louis Merklen s'était affirmé comme un physiologiste de grande classe et la carrière scientifique et universitaire lui était grande ouverte. Après avoir été préparateur de physiologie pendant six ans, il était tout naturellement désigné pour devenir chef de travaux, fonctions dans lesquelles il était délégué durant deux années, de 1927 à 1929.

Au 1er octobre de cette année 1929, une chaire d'hydrologie et de climatologie était créée à la faculté de Médecine de Nancy, et le Professeur Daniel Santenoise était désigné pour en être le premier titulaire. Daniel Santenoise était venu à Nancy deux ans auparavant comme agrégé de physiologie dans la chaire occupée par le Professeur Lambert, et tout de suite une grande sympathie était née entre lui et Louis Merklen. La création de la chaire d'hydrologie entraînait par suite la désignation d'un collaborateur, et Louis Merklen était nommé le 1er novembre 1929 comme assistant dans ce laboratoire. Dès lors, une nouvelle orientation, bien proche d'ailleurs de la première, devait infléchir la carrière de Merklen, et c'est dans le domaine de l'hydrologie qu'il devait demeurer et acquérir une réputation de premier plan.

Entre temps, il s'était présenté au Concours d'Agrégation qui, à cette époque, comportait deux séries d'épreuves, la première écrite, sorte d'admissibilité souvent longtemps prolongée, la deuxième orale et pratique, donnant l'admission définitive. C'est ainsi qu'après des épreuves difficiles, dont il sut brillamment triompher, il fut nommé agrégé de physiologie à la Faculté de Médecine de Nancy le 1er janvier 1934. Au départ du Professeur Santenoise, appelé à d'autres fonctions en 1937, Louis Merklen fut désigné pour lui succéder comme professeur d'hydrologie et de climatologie le 19 avril 1938. Peu de temps après, c'est la seconde guerre mondiale. Louis Merklen, qui est resté très attaché à l'armée, et plus particulièrement au Service de Santé de l'Armée de l'Air, est rappelé sous les drapeaux pendant onze mois en qualité de médecin capitaine. Malgré l'interdiction par les autorités occupantes de la région lorraine, Merklen peut regagner très rapidement Nancy et y reprendre son enseignement.

Son activité et son dynamisme le désignent pour être élu par le Conseil Doyen de la Faculté de Médecine le 18 mars 1946. Il s'attelle à cette nouvelle charge avec beaucoup d'enthousiasme. C'est le lendemain de la Libération, les idées comme les choses ont beaucoup évolué durant la triste époque d'occupation : il s'agit maintenant de rétablir l'équilibre moral et matériel, et de préparer un avenir qui rompt totalement avec le passé. C'est ce à quoi le Doyen Merklen va s'appliquer avec une intense activité. Tout d'abord, compléter et amplifier les cadres du corps enseignant, certains laboratoires d'enseignement fondamental en sont totalement dépourvus. Il n'hésite pas à faire appel à des collaborateurs venus de l'extérieur pour pallier un recrutement difficile. Ensuite, restaurer matériellement la Faculté, durement éprouvée par la guerre, en locaux et en équipement.

C'est sous son Décanat que seront mis en route les premiers travaux d'agrandissement de la Faculté qui seront ensuite poursuivis par son successeur. Cette mise en route au lendemain de la guerre se heurtait à de nombreuses difficultés : libération des bâtiments occupés par des administrations et surtout obtention de crédits d'aménagement et de construction, spécialement délicate à une époque où le pays était ruiné et ou les demandes affluaient de toutes parts dans les Ministères. Mais, avec ténacité et persévérance et surtout grâce à l'audience qui lui était réservée, le Doyen Merklen parvint à vaincre ces difficultés. Et cependant, cette tâche difficile et délicate de Doyen ne le satisfaisait pas dans ses aspirations, comme par ailleurs de nombreuses activités nationales et internationales l'absorbaient dans son domaine propre de l'hydrologie et de la climatologie, il préféra résigner ses fonctions de Doyen le 31 octobre 1949, date à laquelle ses collègues demandèrent que l'honorariat lui fut confié en témoignage de gratitude. Son autorité et ses qualités administratives avaient d'ailleurs été justement appréciées au Ministère où de nombreuses jonctions lui furent confiées dans les conseils : Membre du Comité Consultatif des Universités, Membre du Conseil de l'Enseignement Supérieur, Membre de la Section permanente et Membre du Conseil Supérieur. Tous ces titres prouvent combien ses conseils et avis étaient écoutés et appréciés au Ministère de l'Education Nationale.

En quittant le Décanat, Louis Merklen ne devait pas pour autant  ralentir  son  activité mais  la  consacrer  toute  entière au thermalisme. Président de la Fédération thermale et climatique des Vosges et de l'Est de la France dès 1938, il a été désigné comme Président de la Sous-Commission du thermalisme social au Ministère du Travail en 1949. Désigné aux hautes fonctions de Président de la Fédération thermale et climatique française en 1954, il devait occuper ce poste jusqu'à l'année dernière. Pendant neuf années, il se dépensa sans compter pour défendre les intérêts du thermalisme français et pour améliorer les conditions matérielles de son équipement. Sans relâche, il part en mission en France et à l'étranger pour étudier sur place les problèmes nombreux et souvent difficiles à résoudre qui se posent dans ce domaine. On le voit ainsi dans les diverses stations thermales françaises faire de longs séjours, surtout dans celles qu'il affectionnait plus particulièrement dans les Vosges comme Bains-les-Bains et Contrexéville. Je sais pour l'avoir entendu dire par des médecins comme par des administrateurs les services remarquables et grandement appréciés qu'il rendit pendant cette longue période. D'ailleurs, cette activité ne se limita pas au simple plan national puisqu'il fut élu ensuite premier Vice-Président de la Fédération Internationale du Thermalisme et du Climatisme.

Ses activités ne se bornaient d'ailleurs pas à de simples besognes administratives. Merklen avait toujours conservé le goût du travail et intellectuel de la recherche scientifique, et ses préoccupations se tournèrent naturellement vers l'étude du mécanisme et des modalités d'action des eaux minérales de l'Est de la France. De nombreuses thèses réalisées dans son laboratoire en sont la preuve évidente. L'activité du Doyen Merklen ne s'est pas cantonnée dans ce domaine de l'hydrologie et de la climatologie. De nombreux autres aspects se présentent à nous qu'il est juste de rappeler maintenant. Tout d'abord sa thèse inaugurale prouve bien une orientation Première vers le domaine des sports et de son contrôle physiologique. Dans cet ordre d'idées, il fut un novateur et un promoteur. Grâce à son dynamisme, il parvenait à faire créer à Nancy, le 8 mars 1929 un Institut Régional d'Education Physique de l'Université dont il était nommé Directeur, fonction qu'il occupa 'jusqu'à sa mort. Il fallut organiser matériellement cet Institut, le doter de personnel enseignant, assurer son fonctionnement dans des circonstances souvent précaires. Néanmoins, malgré toutes ces traverses, le Professeur Merklen sut former de nombreuses générations d'élèves et de maîtres qui, répartis maintenant dans la région lorraine ou très éloignés de nous, sont restés attachés à l'Institut où ils reçurent leur formation première. Cette action dans le domaine du sport, il a su aussi la faire rayonner en s'intéressant et en aidant les différentes associations sportives, surtout universitaires, de Nancy et de sa région. Il a donné en cette matière un exemple qui devrait être suivi et non dédaigné, comme c'est malheureusement souvent le cas en France.

C'est par l'intermédiaire de l'Institut d'Education Physique qu'il me fut donné de bien connaître le Professeur Merklen. Ayant personnellement terminé mes études avant qu'il ne fut nommé agrégé, je ne bénéficiai pas de son enseignement. Mais, dès avant la guerre, il me demanda d'enseigner dans son Institut l'Anatomie et la kinésiologie aux futurs maîtres d'éducation physique, et c'est ainsi que pendant de très nombreuses années, nos contacts jurent fréquents dans cet Institut où il consacrait une grande part de son temps. Plus tard, il m'encouragea vivement à accepter la charge de Doyen que votre Assemblée voulut bien me confier et me donner à de nombreuses reprises de judicieux conseils, fruits de son expérience.

Mais, il est temps maintenant, après ce long rappel de son oeuvre, de retracer devant vous les traits les plus caractéristiques de ce collègue qui vient de disparaître. Le Doyen Merklen était évidemment l'une des personnalités les plus affirmées de votre Conseil. Il en imposait aussi bien d'ailleurs par son physique que par son autorité intellectuelle. Cette personnalité, elle s'explique très simplement par ses antécédents et par les circonstances auxquelles il fut mêlé au cours de sa vie.

Son ascendance alsacienne était évidente et s'exprimait dans son caractère et dans ses goûts personnels. L'Alsace, comme l'a écrit, un très ancien auteur est « comme un paradis, un jardin richement préparé pour la bonne chère que ses habitants ont le talent de savoir apprécier ». Mais aussi bien, c'est une province que ses richesses ont fait toujours convoiter par ses voisins et qui n'a gardé son aspect particulier que grâce à la ténacité de ses habitants qui ont bien souvent appris à leurs dépens au cours des siècles le prix de la liberté. Ceci explique bien exactement que leur caractère soit rudement trempé et prêt à subir tous les assauts contraires et à savoir se défendre âprement. Ce sont d'immenses qualités que de savoir apprécier avec justesse les valeurs intellectuelles comme les valeurs matérielles, que de savoir aussi les mettre à profit quand elles vous sont données. Tous ces traits de caractère n'étaient-ils pas évidents chez notre collègue ?

Louis Merklen appartenait par ailleurs à une génération dont l'enfance fut particulièrement heureuse à une époque où la joie de vivre avait sa pleine signification, où les difficultés matérielles étaient bien légères sinon inexistantes, et où la lutte pour la vie n'avait guère de place. Et cependant, c'est cette même génération des jeunes de 1914 qui est montée pleine d'ardeur et de panache se faire faucher comme des épis mûrs à l'été d'une invasion dans les champs de la Marne et plus tard dans les sombres boyaux de Verdun. Pour ceux-là, l'armée c'était une grande leçon, les décorations, c'était la sanction de la bravoure et du dévouement, nul doute que ceux qui en sont revenus lui demeuraient profondément attachés. Le port de l'uniforme était un honneur surtout quand il était constellé de décorations. Celles-ci, le Doyen Merklen les portait avec fierté, comme il revêtait volontiers l'uniforme du médecin-colonel de l'armée de l'air.

Ces distinctions, elles étaient la marque et la récompense de ses activités militaires et civiles et le témoignage des services rendus. Je ne saurais les énumérer tant elles furent nombreuses : Officier de la Légion d'honneur, Grand Officier de la Couronne de chêne du Luxembourg, Officier de la Couronne de Belgique, Commandeur de la Santé Publique. Ce simple rappel pour vous prouver que non seulement en France, mais chez nos voisins et amis belges et luxembourgeois, la valeur de notre collègue Merklen était justement appréciée. Cette cravate de l'Ordre de la Santé Publique que le Ministre tint à lui remettre personnellement fut son ultime joie. Elle sanctionnait matériellement la reconnaissance du pays pour son action éminente dans le thermalisme et le climatisme.

Les traditions d'humanisme se retrouvaient aussi chez lui et dans sa grande culture et dans l'aménité de ses relations. Le Doyen Merklen était un grand travailleur intellectuel. Il lisait beaucoup autant les oeuvres de la littérature classique qui lui étaient toutes familières et dans lesquelles il aimait trouver un moment de délassement que dans les publications médicales qu'il suivait attentivement. J'ai été bien souvent étonné de son érudition, lisant couramment l'anglais et l'allemand, il ne manquait pas de lire attentivement tous les traités de sa spécialité, de les annoter et au besoin de les traduire à de nombreuses reprises. Je bénéficiai personnellement de ses connaissances et de ses notes. Traditionnel, il l'était dans l'urbanité de ses relations et nul de ses collègues du Conseil n'oubliera qu'il présida en  jaquette les séances de l'Assemblée du temps de son Décanat. Entretenant une nombreuse correspondance, il ne manqua jamais de répondre à une lettre, même insignifiante, estimant ce geste comme un acte d'élémentaire courtoisie. Louis Merklen fut aussi un homme, essentiellement bon et compréhensif. Il aimait les humbles et cherchait toujours à leur venir en aide. C'est dans cet esprit qu'il se lança à un moment donné de son existence dans la politique municipale et qu'il occupa durant quelques années un poste d'adjoint à l'Hôtel de Ville de Nancy.

Mais enfin quelle leçon n'a-t-il pas donné à tous durant son ultime et cruelle maladie. Quelles souffrances ne dut-il pas endurer sans jamais se plaindre ? Se berça-t-il d'illusions sur son sort ? Je ne le crois pas. Sa force de caractère était telle qu'il acceptait les pires épreuves qui devaient lui être réservées : la multiplicité des interventions chirurgicales et des hospitalisations, des traitements exténuants auxquels il dut se soumettre pour finalement se voir dans l'impossibilité de s'alimenter et sombrer dans l'inanition. J'ai pu le voir quelques jours avant sa mort et m'entretenir longuement avec lui : aucun mot d'amertume, encore moins de révolte, ne vint sur ses lèvres, mais seulement un grand calme et une parfaite sérénité. Il m'avait donné un ultime témoignage de particulière affection en venant présider en juin dernier l'assemblée électorale de la faculté, et il vous avait donné rendez-vous dans trois ans. A ce rendez-vous, il ne sera pas, mais nous garderons pieusement son souvenir. C'est l'assurance que je puis donner de tout coeur à sa famille par le sang comme à celle par l'amitié.

Professeur A. BEAU