1874-1937
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ELOGE FUNEBRE
Au cours des derniers mois, la Faculté a eu la douleur de perdre un de ses maîtres les plus aimés, le professeur de clinique chirurgicale Gaston Michel. Né dans la Meuse, à Bussy-la-Côte, le 19 août 1874, Gaston Michel avait pris sa première inscription de médecine le 22 avril 1893, aide d'anatomie de 1894 à 1895, prosecteur de 1895 à 1896, externe puis interne des hôpitaux, il soutint sa thèse de doctorat le 11 mai 1898. Il devint peu après chef de clinique chirurgicale dans le service du Doyen Gross et fut nommé agrégé de chirurgie le 1er novembre 1901. A la fin de ses neuf années d'agrégation, la Faculté le chargea, en qualité d'agrégé libre, du cours de médecine opératoire qu'il devait conserver jusqu'au 1er novembre 1921, date de sa titularisation comme professeur de médecine opératoire puis comme professeur de clinique chirurgicale. Telle est, rapidement résumée, la carrière universitaire du professeur Gaston Michel.
Il n'avait pas tardé à occuper une place de premier plan parmi les chirurgiens français et étrangers. L'Association française de chirurgie, l'Académie de chirurgie, la Société internationale le comptaient parmi leurs membres actifs ou correspondants. Au milieu de très nombreuses publications, empreintes d'un très grand sens clinique, je rappellerai surtout son beau travail sur la pancréatite présenté en 1911 au Congrès de Bruxelles, son rapport au Congrès de Paris de 1926 sur les arthrites gonococciques et son important mémoire sur les lésions traumatiques du rachis, mémoire présenté au Congrès international des accidents du travail, à Genève, en 1931. Il eut le grand honneur, en octobre 1935, de présider à Paris le Congrès français de chirurgie. Il prononça, à cette occasion, un magnifique discours où il célébrait en termes élevés la profession du chirurgien et le rôle qu'il est appelé à jouer dans la Société.
Gaston Michel n'ayant pas fait de service militaire, la mobilisation de 1914 le surprit dans un modeste emploi de soldat du service auxiliaire: dès les premiers jours de la guerre, il fut néanmoins et, fort heureusement, placé à la tête d'un important service chirurgical à l'hôpital du Bon Pasteur de Nancy où il sut donner la mesure de son dévouement. Plus tard, au moment de l'évacuation de la plupart des services hospitaliers de la ville, il fut mobilisé, reçut une affectation correspondant à sa situation universitaire et fut affecté à l'Hôpital d'armée de Saint-Nicolas où il reprit son enseignement clinique à l'Ecole d'Instruction organisée pour les étudiants mobilisés. Il fut décoré de la Légion d'honneur au titre militaire.
En jetant un coup d'oeil rétrospectif sur cette belle carrière, il est des constatations pleines d'enseignement. Agrégé de chirurgie à l'âge de 27 ans, Gaston Michel devint agrégé libre en 1910. Il n'avait pas eu l'honneur d'être pérennisé, bien qu'ayant vaillamment combattu pendant plusieurs années pour obtenir le vote du décret sur la pérennisation de l'agrégation, décret paru quelques mois avant la fin de son mandat d'agrégé. Il resta agrégé libre jusqu'en 1921, soit pendant 11 ans. Je sais bien qu'il y eut dans cet intervalle près de cinq années de guerre, mais sans la guerre la situation ne se fut pas modifiée à son avantage. Ces chiffres et ces constatations sont, je crois, de nature à calmer l'impatience de certains jeunes qui, de nos jours, veulent à tout prix brûler les étapes, s'imaginant - et combien à tort - que leurs aînés sont arrivés, sans avoir jamais attendu leur tour, aux plus hautes situations universitaires.
Chirurgien habile, d'un dévouement et d'un désintéressement à toute épreuve, d'une haute conscience professionnelle, le professeur Gaston Michel avait acquis une très grande notoriété. Innombrables furent les malades qui se confièrent à lui. C'était un excellent professeur, d'un diagnostic sûr autant que prudent, très expert en l'art de poser les indications opératoires. Très aimé des étudiants qui fréquentaient son service, il avait réuni autour de lui une pléiade de collaborateurs. On vit rarement union plus affectueuse entre le maître et ses disciples. Gaston Michel fut pour ses anciens camarades et pour ses collègues un ami très fidèle.
D'un tempérament habituellement très calme, il avait parfois des sautes d'humeur que rien ne paraissait légitimer. D'une stature imposante, il s'emportait, paraissait vouloir tout renverser, mais redevenait bien vite très doux, très bon et très conciliant. Peut-être certains se souviennent-ils aujourd'hui d'avoir quelque responsabilité dans ces emportements aussi vite apaisés que déchaînés.
Gaston Michel fut enfin un bon patriote très attaché à sa petite patrie. Il sut faire revivre en milieu académique les maîtres de la vieille université de Pont-à-Mousson et du collège royal de chirurgie de Nancy. Il était devenu en quelque sorte l'historien de notre Faculté de Médecine. Il était un fervent admirateur de notre pays lorrain.
En 1896, pendant notre internat, au cours d'un voyage en Russie, à l'occasion du Congrès international de Moscou, nous nous étions arrêtés à Cracovie. Il faisait une admirable journée et la chaleur était torride. Nous avions abandonné Gaston Michel sur un banc, dans un jardin public. La visite de la ville effectuée, nous l'avions retrouvé accablé, toujours à la même place. Lorsque nous lui avions demandé: « Comment as-tu passé ton après-midi ? ». Il nous avait répondu : « J'ai hâte de rentrer dans la Meuse : l'ouverture de la chasse est proche ». Ce jeune interne des hôpitaux ne s'occupait plus de son voyage et des merveilles qu'il se faisait une fête d'admirer. Il songeait aux horizons de son pays natal, aux labours de ses plateaux, à ses ruisseaux et à ses forêts. Il repose maintenant là-bas, dans cette terre qu'il a tant aimée. Nous garderons, dans cette Faculté, pieusement et fidèlement, le souvenir de celui qui fut un bon médecin, un maître dévoué et un excellent ami.
Professeur L. SPILMANNN