` sommaire

CEREMONIE SOLENNELLE A LA MEMOIRE

DU PROFESSEUR JACQUES PARISOT

Grand Amphithéâtre de la Sorbonne - 14 février 1968

Fiche de Jacques PARISOT  (1882-1967)

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Un grand serviteur du Pays - Le Doyen Jacques Parisot par G. RICHARD

SOMMAIRE DES TEXTES

 

IN MEMORIAM par L. Aujoulat

 

DISCOURS

LE PROMOTEUR DE L'ÉDUCATION SANITAIRE ET DU SERVICE SOCIAL par X. Leclainche

LE PATRON par R. Senault

LE PATRIOTE par R. Debénédetti

LE PIONNIER DE LA MÉDECINE SOCIALE par R. Debré

LE GRAND SERVITEUR DE LA SANTÉ DANS LE MONDE par M. Candau

HOMMAGE AU DOYEN PARISOT par C. Fouchet

 

SOUVENIRS

UN HOMME AU SERVICE DES AUTRES par E. Aujaleu

LE PROFESSEUR PARISOT DANS LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE par E. Bernard

SOUVENIRS par E. Berthet

PARISOT A LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE LA SANTÉ QUI A ADOPTÉ EN JUILLET 1946 LA CONSTITUTION DE L'O.M.S. - SOUVENIRS D'UN TÉMOIN par J. Cayla

LE DOYEN PARISOT ET L'OCÉANOGRAPHIE MÉDICALE par M. Aubert

UNE ACTION EXEMPLAIRE par R. Cassin

LA PENSEE DU  DOYEN PARISOT par F. Beer

 

Textes publiés dans : « Stèle pour Jacques Parisot » Editions nouvelles et impressions - Paris 1968

 

 

INTRODUCTION

 

IN MEMORIAM

 

Louis-Paul Aujoulat

ancien Ministre

 

C'est sous le signe de la plus austère simplicité et en l'absence de tout éloge et de tout honneur (les honneurs militaires de rigueur exceptés) que Jacques Parisot gagnait sa dernière demeure nancéenne en cette lourde matinée du 10 octobre 1967.

« Les éloges qui vont à un défunt », il pouvait en effet les juger vains et superflus n'avait-il pas eu le privilège de les entendre de son vivant, voire de les apprécier et de les relever avec cette hauteur finement ironique qui fut la sienne jusqu'au bout ? C'était à l'occasion de la Cérémonie de reconnaissance qui avait permis de le célébrer dans sa Faculté de Médecine de Nancy, voilà déjà plus de dix ans (2 mars 1957).

Avait-il pu pressentir qu'une cérémonie plus éclatante encore viendrait, dès sa disparition, prolonger et amplifier l'hommage de Nancy. Ce cadre prestigieux de la Sorbonne au sein duquel il « officia » tant de fois, l'aurait-il accepté pour cette pieuse manifestation à sa mémoire ?

Aurait-il davantage autorisé la publication de cette « Stèle » par laquelle nous voudrions à la fois fixer l'image de l'inoubliable séance en Sorbonne du 14 février 1968 et en même temps perpétuer le souvenir d'une des plus grandes figures médicales de notre siècle ?

A ces questions, nous préférons ne donner qu'une réponse : Jacques Parisot, qui fut toute sa vie si attentif aux délicatesses de l'amitié, n'a jamais récusé les gestes dictés par l'affection.

On trouvera donc dans les pages qui vont suivre, d'abord les évocations prononcées en Sorbonne avec l'émotion et la ferveur que l'on peut imaginer.

Successivement le Docteur Xavier Leclainche, le Professeur Raoul Senault, le Médecin-Général Debénédetti, le Professeur Robert Debré, le Docteur M.G. Candau ont fait revivre : le Promoteur de l'éducation sanitaire et du service social, le « Patron », le « Patriote », le pionnier de la Médecine Sociale, le Serviteur de la santé du monde.

Propos pleins de souvenir, chargés de vénération et qui se conjuguaient dans une parfaite harmonie. Admirable symphonie oratoire à laquelle la Musique de la Garde Républicaine vint apporter le complément qui s'imposait.

C'est à Monsieur Christian Fouchet, Ministre de l'Intérieur, que revenait la mission d'apporter l'hommage du gouvernement. Le Ministre s'en acquitta avec un rare bonheur, non sans avoir au préalable présenté à Madame Jacques Parisot l'appréciation personnelle du Président de la République, tenant à affirmer « en quelle estime le Général de Gaulle tenait ce grand Français ».

 

Mais tous les témoignages n'ont pas pu trouver place dans les limites restreintes d'une cérémonie en Sorbonne. Nous en avons donc rassemblé quelques autres pour contribuer à l'édification d'une Stèle qui soit aussi complète que possible.

Parmi tant de personnalités qui ont ouvré avec Jacques Parisot, les plus éminents ont répondu à notre appel en égrenant leurs souvenirs. Voici le Dr Eugène Aujaleu, Directeur de l'I.N.S.E.R.M. et successeur du Doyen à la tête de la délégation française à l'Organisation Mondiale de la Santé; le Pr Étienne Bernard, Président du Comité National de Défense contre la Tuberculose; le Dr Cayla, Directeur de l'École Nationale de la Santé; le Dr Berthet, Directeur Général du Centre International de l'Enfance; le Président René Cassin, de l'Institut; le Pr C.E. Turner, premier Président de l'U.I.E.S. Que pourrait ajouter à tant de témoignages illustres le signataire de cette introduction ? Il n'a que trop conscience de figurer parmi la longue lignée des disciples du grand maître nancéen, comme l'un des derniers venus. Notre premier « colloque singulier » remonte, il est vrai, à 1932. Mais c'était celui du candidat au doctorat avec son examinateur. En me faisant subir, il y a trente-six ans, les dernières épreuves de médecine, le Professeur Jacques Parisot ne se contentait pas cependant d'apporter à mes années d'étudiant leur consécration terminale. Il m'ouvrait les portes d'une vie médicale orientée vers la santé publique à laquelle déjà il avait su imposer un style nouveau.

Malicieusement, il me rappelait cette première rencontre lorsque, en juin 1954, le Maître vénéré et comblé venait offrir son concours le plus total au disciple, fraîchement promu Ministre de la Santé Publique.

Entre temps, au lendemain de la guerre, l'éducation sanitaire nous avait déjà rassemblés autour de Lucien Viborel et de Pierre Delore. Et voici que, pour finir, il m'entraînait dès 1960 dans cette passionnante aventure, pleine d'écueils et d'inconnu, dont il prenait sans hésiter l'animation au plan national et international. Cette aventure s'appelle l'éducation de la population au plan de la santé et du social. C'est celle à quoi Jacques Parisot continua à consacrer son énergie et sa lucide intelligence jusqu'à la limite de ses forces...

Je pourrais presque dire jusqu'à son dernier jour, si je songe qu'une réunion de l'Union Internationale pour l'Education Sanitaire se trouvait convoquée à Nancy-Flavigny pour les jours mêmes où il nous a quittés.

 

Qu'allions-nous chercher à Nancy au long de ces pèlerinages répétés qui ont marqué pour nous, responsables de l'éducation sanitaire et sociale, les deux dernières années de la vie du chef intrépide et fidèle ? Un patriarche plein de sagesse, de foi et de courage ? Sans doute. Mais tout autant le « grand patron » demeuré à l'écoute de l'actualité la plus aiguë et en état de prospective féconde vis-à-vis de l'avenir, proche et lointain.

Le Patron ! Bien qu'il ait consenti à m'incorporer au rang de ceux pour qui depuis toujours il était « le Patron », je dois avouer que la distance qui séparait voici trente ans le Maître admiré et suivi du disciple conquis et déjà fervent, n'a guère été amortie par les années ou les événements. A moins que l'affection, doublée d'un- attachement sans réserve, ne détienne ce pouvoir.

C'est une telle grâce dans une vie d'homme que d'avoir sous les yeux ce témoignage permanent d'un personnage comblé qui a réussi à façonner sa vie presque à sa guise, non pas seulement pour en faire une réussite éclatante, mais plus encore pour lui donner une prodigieuse fécondité.

Jacques Parisot aurait pu se contenter de n'être qu'un grand bourgeois, un universitaire illustre, héritier d'une peu commune lignée, adulé par les siens, premier dans son milieu lorrain. Il est devenu tour à tour :

le Doyen de province que Paris réclamait et chargeait de responsabilités;

l'Universitaire de haut rang qui a lié son nom aux initiatives sociales les plus concrètes de ce siècle;

le libéral ombrageux dont l'État a pu faire son serviteur le plus respectueux;

le créateur inlassable de réalisations pilotes auxquelles il donnait le meilleur de son temps;

le pionnier de la Médecine Sociale, de la Santé Publique et de l'Education Sanitaire;

l'ambassadeur hors pair de la coopération internationale et de l'union européenne.

Après la Société des Nations, l'Organisation Mondiale de la Santé avait trouvé en lui plus qu'un fondateur éphémère, mais à la lettre un de ses piliers les plus sûrs.

Au vrai, homme plus que comblé mais qui, perpétuellement, a su se dépasser pour mettre ses fonctions et jusqu'à ses honneurs au service de l'humanité la plus nécessiteuse.

Dès le début de sa carrière et dans les circonstances exceptionnelles de la guerre et de l'après-guerre, il n'avait jamais hésité, lorsqu'il fallait choisir entre deux voies, à opter pour la plus exigeante.

Aussi pouvait-il constater (paraphrasant un mot célèbre) que c'était aussi « la moins encombrée ».


 

DISCOURS

 

LE PROMOTEUR DE L'ÉDUCATION SANITAIRE ET DU SERVICE SOCIAL

 

Docteur Xavier Leclainche

Président du Comité Français d'Education Sanitaire et Sociale

Président du Comité Français du Service Social et d'Action Sociale

 

Dans ce prestigieux amphithéâtre qui a vu le triomphe de Pasteur, prendre la parole devant un tel auditoire, et devant tant de notabilités, constitue une redoutable épreuve.

L'amitié et la confiance dont me gratifiait celui dont nous célébrons la mémoire, m'incite à la tenter, avec l'intime souci de ne trahir, dans mon exposé, ni la pensée, ni les desseins de notre illustre Maître.

Les deux Comités que j'ai le grand honneur de présider, succédant à Jacques Parisot conformément au désir qu'il en avait manifesté, ont pris l'initiative de cette cérémonie.

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous exprimer notre reconnaissance pour avoir bien voulu en accepter la présidence.

Je remercie les éminentes personnalités françaises et étrangères dont la présence dans cet hémicycle donne à notre hommage le lustre que nous avons souhaité.

Je salue tout spécialement M. le Directeur Général de l'O.M.S. ainsi que les représentants présents des pays membres de l'Union Internationale pour l'Education Sanitaire.

Je remercie enfin toutes les auditrices et tous les auditeurs, dont certains ont fait un long voyage pour venir, avec nous, honorer la mémoire de Jacques Parisot.

 

Madame,

C'est à vous - aussi et surtout - que je dois exprimer nos sentiments de respectueuse gratitude. D'abord pour nous avoir permis d'organiser cette cérémonie du souvenir et ensuite pour avoir accepté d'y assister, en dépit des émotions que vont vous causer les évocations qui seront faites devant vous d'un être cher dont vous avez si dignement partagé la vie, et si utilement secondé les efforts.

Dans ce concert d'éloges, dont je dois donner les premières notes, des amis de Jacques Parisot, choisis parmi les plus qualifiés, vont mettre en lumière la physionomie de l'homme, les réalisations du professeur et de l'hygiéniste, l'action du résistant, le rôle du serviteur de la Santé Mondiale.

Il m'incombe d'évoquer l'œuvre du Président des deux Comités Nationaux auxquels il était particulièrement attaché.

 

C'est en pleine guerre, au printemps de 1940, que Jacques Parisot accepte de prendre la présidence du Comité Français du Service Social et de l'Action Sociale.

Depuis de nombreuses années, il a déjà réalisé, comme l'écrit Pierre Larcque, que l'effort social est un des traits essentiels de la civilisation contemporaine et qu'il imprègne aujourd'hui la structure de la vie entière des nations ».

D'emblée, il mesure le rôle que le Comité peut jouer dans cette période d'épreuves pour la France; il comprend les possibilités qu'il peut offrir de faciliter, de stimuler et surtout d'harmoniser l'action des multiples organismes qui travaillent dans le secteur. Dès cette époque, il est choqué de l'incohérence de notre équipement, que le Président Laroque décrit si heureusement en ces termes : « Notre cartésianisme est dérouté devant cet amas anarchique d'initiatives simultanées ou successives, privées ou publiques, cet ensemble complexe, vivant, mouvant et traversé de courants contradictoires. »

Tel était aussi le sentiment de Jacques Parisot qui n'a jamais cessé de déplorer l'absence, dans notre pays, d'une vaste politique sanitaire et sociale bien coordonnée et résolument tournée vers l'avenir.

La présidence du Comité Français lui fournit l'occasion d'améliorer une situation aussi regrettable, en mettant à profit sur le plan national l'expérience acquise dans le cadre régional, car à cette époque, il avait déjà largement utilisé les services sociaux dans les différentes branches de son Office d'Hygiène départemental de Meurthe-et-Moselle, cette création-pilote magistrale qui sera tout à l'heure évoquée devant vous.

Avec l'inestimable collaboration de Madame Edmond Gillet et de Mademoiselle de Hurtado, il dirige le  Comité Français avec son autorité et sa perspicacité habituelles. Dans ces temps douloureux il prévient les moindres découragements parmi ceux qui l'entourent, et communique à tous sa foi clans des lendemains victorieux. Il poursuit sa mission au service de la population accablée sans jamais se soucier des réactions de l'occupant.

A la fin de la guerre, dès son retour des camps de concentration, il reprend toutes ses activités, avec un dynamisme accru, en dépit des altérations de sa santé. Dès lors c'est essentiellement à l'échelle internationale qu'il développe son œuvre. Fort des attributions dévolues au Comité, en tant que section française du Conseil International de l'Action Sociale, il obtient que la première Conférence Internationale se tienne à Paris, sous sa présidence.

Et c'est ainsi que du 23 au 28 juillet 1950 il accueille, dans cette salle même, plus de 2000 travailleurs sociaux venus de tous les points du globe, pour confronter leurs points de vue, et aussi pour rendre hommage à une France ressuscitée.

Jacques Parisot est de ceux qui ont compris, dès l'origine, la contribution que la Sécurité Sociale fournit à l'amélioration de la condition de chaque individu. Aussi apporte-t-il aux Caisses, non seulement son adhésion, mais encore sa collaboration active tant sur le plan régional que sur le plan national.

Je ne saurais terminer cette évocation du rôle de Jacques Parisot dans cet immense domaine, sans rappeler quelques points essentiels de sa doctrine.

Il estimait que l'action sociale ne pouvait être dissociée de l'action sanitaire. Il jugeait ces deux actions aussi inséparables que l'âme et le corps. Aussi a-t-il toujours milité afin que des notions médicales soient dispensées dans la formation première de tous les travailleurs sociaux, quelles que soient les opinions et les pratiques différentes adoptées, à cet égard, sur d'autres continents.

Il estimait également que les services sociaux doivent toujours coordonner leur action avec celle des hôpitaux et des services de protection de la Santé Publique.

Ces conceptions se sont aujourd'hui imposées dans presque tous les pays d'Europe. Ainsi s'affirme, une fois de plus, la pertinence des vues de Jacques Parisot.

D'ailleurs, l'ensemble de sa doctrine se trouve bien exprimée par ces quelques mots qu'il prononça un jour : « Le travail social doit être avant tout organisé (nous dirions aujourd'hui « planifié ») en fonction de besoins sérieusement évalués; il doit être coordonné entre tous ceux qui l'accomplissent, si l'on veut qu'il soit efficace et durable. Mais il doit aussi garder sa liberté dans la diversité de ses institutions. »

« Unir sans absorber », telle était en somme sa devise.

Les institutions, comme les peuples, aspirent à rencontrer des hommes capables de les conduire sur les chemins de leur idéal. Jacques Parisot fut pour nous un de ces hommes exceptionnels. C'est pourquoi les travailleurs sociaux conservent si précieusement sa mémoire.

 

Il m'appartient maintenant d'évoquer un autre domaine dans lequel Jacques Parisot a fait également figure de grand pionnier; c'est celui de l'Education Sanitaire.

Dès le début de sa carrière d'hygiéniste il acquiert la conviction que la médecine préventive doit être intimement associée à la médecine de soins. Avec René Leriche il affirme à ce sujet

La médecine n'est plus l'art samaritain de soigner les malades, mais la Science de la vie humaine.

Cette notion est à l'origine de sa large conception d'une médecine sociale active et féconde, pour laquelle il va militer pendant plus de trente ans. Cette médecine ne peut être exercée qu'au profit de populations capables d'en comprendre les impératifs individuels et collectifs. Or cette compréhension ne peut être obtenue sans une éducation sanitaire générale des masses.

C'est pourquoi Jacques Parisot a toujours encouragé, et souvent provoqué, les efforts accomplis en faveur de cette discipline nouvelle.

L'appui de son énergie et de son autorité fut loin d'être inutile. Tous ceux qui connaissent les vicissitudes de l'Education Sanitaire en France, depuis ses lointaines origines jusqu'à nos jours, en seront aisément convaincus.

On sait que les premières tentatives pour éveiller l'attention du public sur la protection sanitaire furent effectuées vers 1922, à l'issue de la première guerre mondiale, sous l'égide du Comité National de Défense contre la Tuberculose, par Louis Forent et Lucien Viborel. Il s'agissait, à l'époque, d'écarter de notre pays le péril mortel de la tuberculose. Les campagnes en faveur du timbre antituberculeux, menées avec tous les moyens de propagande dont on disposait, contribuèrent au résultat escompté la tuberculose n'est plus aujourd'hui un fléau aussi menaçant; elle fait cependant encore des milliers de victimes chaque année. Or elle pourrait être définitivement vaincue, chez nous comme chez nos voisins, si notre population était éduquée à suivre les conseils des médecins et des autorités sanitaires.

Une action analogue fut, avec le même succès, poursuivie en ces temps héroïques, contre le péril vénérien, contre la mortalité infantile et contre certaines maladies épidémiques.

Ces performances auraient dû conférer à l'Education Sanitaire ses lettres de noblesse, et engager les pouvoirs publics à lui donner les moyens d'étendre son action, en largeur et en profondeur, à tous les secteurs de l'action sanitaire.

 

En 1964, Jacques Parisot définit la doctrine à observer et les objectifs à atteindre.

Il répète que les facteurs sanitaires sont intimement liés aux facteurs sociaux et économiques. Il recommande que l'action entreprise soit toujours bien adaptée aux conditions de vie et au duré de développement des populations. On doit, selon lui, tendre à créer du bien-être, aussi bien qu'à assurer la sauvegarde de la santé et de la vie. Il admet, en somme, la prééminence des problèmes sociaux et économiques sur tous les autres.

Il insiste sans cesse sur la nécessité de réaliser, dans toutes les entreprises, une coordination aussi étroite que possible entre les différents services sociaux, quelle que soit leur orientation ou leur spécialisation.

Il conseille d'encourager chez toutes les personnes concernées le goût et la volonté de s'instruire et d'agir, afin que chaque individu devienne l'artisan de sa propre santé et de son propre bonheur.

Considérant que les objectifs jusqu'à présent poursuivis sont aujourd'hui dépassés, il suggère des champs d'action nouveaux et pratiquement illimités, puisqu'ils s'étendent à la prévention de tous les incidents et de toutes les perturbations qui peuvent survenir dans la vie des individus, quel que soit leur âge. C'est ainsi que cette éducation vise aussi bien les grands fléaux sociaux que les accidents dont les enfants sont victimes et les insuffisances alimentaires ou les problèmes des grands ensembles.

Il étudie tous les moyens à mettre en œuvre. Il discute leur efficacité en fonction des différents milieux dans lesquels ils sont utilisés. Et il apporte cette conclusion dont la valeur reste entière :

« L'Education Sanitaire et Sociale s'avère comme une création continue; sans cesse des perspectives nouvelles s'offrent à elle, et s'imposent à la réflexion comme aux activités de ceux qui en sont les responsables. »

 

Sur le plan pratique, et en vue de dispenser cette éducation, une organisation a dû être créée en France comme dans tous les pays évolués.

Avec son objectivité et son sens aigu de l'efficacité, Jacques Parisot a courageusement discuté et critiqué les différentes formules qui, au cours de ces vingt dernières années, ont été successivement proposées. Il a, en toute occasion, apporté des suggestions originales et constructives.

On est ainsi arrivé à la structure actuelle. Celle-ci comprend :

Le Comité Français, organisme fédératif de coordination entre les services publics et les Comités Nationaux.

  Le Centre d'Études et de Réalisations, organisme technique central travaillant en liaison directe avec les 17 Centres inter-départementaux chargés de l'action auprès du public, et faisant appel à tous ceux que nous appelons les « acteurs permanents de l'éducation sanitaire » (médecins, pharmaciens, assistantes sociales, éducateurs et moniteurs, etc.).

Jacques Parisot a accepté cette structure. On peut donc espérer qu'elle sera efficace, et que l'éducation sanitaire va prendre chez nous un nouvel essor. Nous voulons trouver une nouvelle assurance de cette heureuse évolution dans le fait que le Secrétariat Général du Comité reste entre les mains d'un médecin, le Dr Aujoulat qui, après avoir exercé en Afrique noire, a été Ministre de la Santé Publique, phis Ministre du Travail et qui, depuis plusieurs années, a montré qu'il possédait toutes les rares qualités nécessaires pour conduire au succès l'entreprise qui lui est confiée.

Certes, nous sommes encore loin des réalisations obtenues dans certains pays. Toutefois on commence à admettre, dans divers milieux, que cette éducation est aussi indispensable que l'éducation générale et qu'une nation qui l'a négligée n'est plus dans la voie du progrès. Et, à cet égard, on ne peut qu'approuver la formule lapidaire de notre Secrétaire Général :

« Face à la maladie qui tue, et à l'absence de culture qui aggrave les périls, il faut dresser, avec persévérance, l'éducation qui sauve. »

Toutes ces conceptions, qui étaient bien celles de Jacques Parisot, ont été, depuis longtemps, adoptées sans réserves par les organismes de Sécurité Sociale (Caisse Nationale, Caisses Régionales et Caisses Primaires) qui ont, jusqu'à ce jour, assumé, pour la plus grande part, le financement de nos activités. C'est grâce à eux que notre discipline a pu survivre au milieu des remous qui l'ont agitée au cours de ces dernières années; avec toute la population bénéficiaire, nous ne saurions leur témoigner une trop profonde reconnaissance.

Jacques Parisot devait faire plus encore pour l'Education Sanitaire. Comme il l'a fait pour le Service Social, il provoque et encourage toutes les initiatives sur le plan international. C'est grâce à lui et à la haute compréhension du Ministre de la Santé Publique de l'époque, Monsieur Pierre Schneiter, qu'est née, en 1951, l'Union Internationale. Il fut tout naturellement élu d'abord Président, puis Président d'Honneur de cet organisme qui groupe un grand nombre de pays, et dont la France conserve le Secrétariat Général, si heureusement confié au Dr Aujoulat. L'action de coordination et d'animation de cette Union se manifeste et s'amplifie sur tous les points du globe. Dans certains pays elle prend le caractère d'une véritable « Science de l'Homme ». Sous l'impulsion personnelle de son Secrétaire général elle se développe actuellement avec un bonheur particulier sur de vastes territoires du Continent africain. Les gouvernements de ces peuples en voie de développement ont compris qu'un de leurs premiers devoirs consiste à sauvegarder, par l'éducation, la santé de leurs administrés.

Le rappel de ces quelques faits permet de comprendre la portée humaine de l'ouvre de Jacques Parisot.

En réalité il ne fut pas seulement un animateur et un réalisateur. Il fut essentiellement une volonté au service d'un grand idéal. Et de lui on peut dire ce qu'a dit le Professeur Debré à propos de Léon Bernard :

« Il appartenait à une belle génération qui croyait au triomphe de la raison, à la noblesse de la pensée libre, à l'union des peuples et à la paix. »

Nous ne pouvons admettre que Jacques Parisot ait été dans l'erreur, et, comme lui, nous voulons espérer que tous les hommes, sur cette terre, seront de mieux en mieux éduqués, et deviendront ainsi, un jour, meilleurs et plus heureux.

 

 

LE PATRON


Discours du Professeur Raoul Senault

Président de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle

 

Comme Louis Lavelle l'a écrit dans son traité « De l'Etre », si « la mort crée une absence corporelle qui est révélatrice d'une présence plus pure », on comprendra que, craignant de trahir par une expression imparfaite celui dont au contraire on voudrait montrer la grandeur, je me trouve à l'instant d'évoquer en quelques traits mon maître Parisot confronté à une tache que l'émotion ne facilite pas.

Cependant il me revient ce soir, avant eu l'insigne honneur d'être son dernier élève, depuis plusieurs années le collaborateur et le confident admis dans l'intimité de son œuvre, de dire, au nom de ceux qui dans le monde sont fiers d'être ses disciples, ce que fut cet homme auquel la noblesse de caractère et la grandeur de l'œuvre réalisée conférèrent des dimensions inaccoutumées.

Il est juste aussi que ceux qui ne pourront plus découvrir de lui qu'un grand nom sachent reconnaître, en Jacques Parisot, parmi la poignée d'hommes éminents couvrant avec foi et désintéressement à l'avènement des grandes entreprises sanitaires d'aujourd'hui, l'un des meilleurs.

Il représentait une époque, une grande époque... Nombreux sont ceux qui s'enorgueillissent, parlant de lui, de pouvoir dire le « Patron ». Quel beau titre que celui-là, chacun y associe respect, affection reconnaissante et fierté d'avoir été accepté pour élève. Jamais concours ne pourra le décerner.

En vrai, qui n'aurait subi l'ascendant de ce Maître ? Alerte prestance, silhouette toujours droite, le fume-cigarette à la bouche, la démarche légèrement talonnante, il avançait sûr de lui jugeant vite et rarement se trompant.

Visage modelé dans la distinction, le regard mobile, attentif et vif, tout en lui exprimait l'élégance morale et physique, le caractère, l'intelligence, la loyauté.

Homme fier et courageux qui jamais ne transigea avec l'honneur, il aimait répéter que toujours l'intérêt particulier doit s'effacer devant l'intérêt général. Indépendant sans être indifférent, il prenait parti et pour défendre les idées qu'il croyait justes, n'hésitait jamais à s'engager en parole comme en acte.

De ce courage, de cette indépendance il a, tout au long de sa vie, donné les preuves les plus émouvantes. Par pudeur de sentiment, il ne les évoquait qu'exceptionnellement et seulement dans les fugitifs moments d'abandon qu'il s'autorisait. C'était alors sur le ton de l'amicale confidence, lévocation de souvenirs heureux ou malheureux, d'anecdotes riches d'enseignement, toujours marqués par la longue expérience qu'il avait du commerce de ses semblables.

Ces moments privilégiés, pour qui les a vécus à ses côtés, laissaient transparaître la grande et foncière bonté de l'homme, cependant parfois déconcertant par la manière abrupte qu'il avait de dire les choses. Plus d'un qui le connaissait mal en était dérouté.

Fidèle à ses amis, il aimait rappeler la mémoire de ceux très chers, trop tôt disparus et ne manquait jamais d'en vanter les mérites. La courtoisie qui s'alliait chez lui à cette politesse raffinée des hommes de sa génération lui conférait un charme séducteur dont il usait parfois pour obtenir ce que son autorité aurait pu exiger. Pour ceux qu'il honorait de son estime, de son amitié ou de son affection, il savait être le plus attentif, le plus bienveillant, le plus indulgent, le plus efficace des conseillers, des amis. Se voulant disponible pour chacun, il avait fait choix de servir les hommes avec les ressources de sa belle intelligence; à ce service il mettait aussi la richesse d'un cœur dont il cachait les élans pour n'être pas victime de sa grande sensibilité.

Il n'est sans doute lieu plus propice que cet illustre amphithéâtre pour évoquer le grand universitaire que fut Jacques Parisot.

 

Fils, petit-fils et neveu de Maîtres qui illustrèrent notre Faculté lorraine, il fut et avec quel succès, le continuateur d'une brillante tradition familiale. L'estime unanime de ses collègues la consacra en l'appelant à la charge décanale. Égrenant ses souvenirs, il le disait « J'aimais bien cette Faculté et comment ne l'aurais-je pas aimée, élevé que j'ai toujours été dans l'attachement à son histoire, à sa vie, dans le respect de ses maîtres par ceux des miens qui la servirent... »

Sa première charge universitaire, c'est à 20 ans qu'il l'assume lorsqu'en 1902 il est nommé au concours aide-préparateur dans le laboratoire de Physiologie où son grand-oncle Léon Parisot avait enseigné à partir de 1849. Malgré l'orientation que par la suite sa carrière prendra, il restera toujours marqué par ce premier contact. Il citait volontiers Charles Richet qui, en 1893, dans sa leçon inaugurale disait :

« opposer le médecin au physiologiste et l'homme de science au clinicien cela signifie qu'on n'a rien compris ni à la physiologie, ni à la médecine ». Il souhaitait souvent que l'enseignement de la médecine donnât plus qu'il ne le fait, de place à la connaissance de l'homme normal, connaissance aujourd'hui des plus nécessaires au développement d'une médecine préventive et sociale efficace.

Après quatre années consacrées à la recherche physiologique, associée à l'enseignement, il est, en 1906, nommé Chef de Clinique Médicale. En 1910 admissible à son premier concours d'Agrégation, il sera trois ans plus tard reçu Agrégé dans la section de Médecine Générale. A 31 ans sa carrière semble clairement tracée, l'estime de ses pairs et de ses condisciples le voue déjà à une brillante réussite clinique que ses titres hospitaliers justifient.

Mais vint la première guerre mondiale... C'est de là sans doute que date sa définitive orientation.

Pour cet esprit curieux, épris de recherche mais aussi de souci d'efficacité pratique, cette époque est l'occasion d'études épidémiologiques sur la grippe, la tuberculose de l'Africain, le typhus exanthématique des prisonniers libérés, la lutte antivénérienne.

Cette confrontation à des problèmes différents de ses antérieures préoccupations scientifiques éveille en Jacques Parisot, par la nouveauté et la variété des questions, la gravité de l'heure, un intérêt croissant avec l'ampleur de la tâche. Lui-même écrira : « La paix faite et alors qu'une place prépondérante incombait à l'Hygiène dans la coalition des efforts faits pour conjurer le péril qui menaçait la vitalité même du pays, je n'hésitais pas à m'engager vers un but aussi noble et d'un intérêt scientifique et pratique aussi grand. »

Le choix est décidé. Partant à la conquête de son destin, délaissant un sillon bien tracé, l'homme qui devenait le Maître allait donner toute sa mesure et mettre en pratique cette pensée de Léon Bernard dont il s'honorait d'être l'élève et l'ami « L'Hygiène n'est pas une science contemplative, c'est une science d'action. »

En 1924, Professeur sans chaire, il rejoint au Conseil son père Pierre Parisot, médecin légiste de haute renommée; en 1927, il accède à la chaire d'Hygiène.

Malgré ses lourdes charges, jamais il n'oublie sa mission d'enseigneur. Il avait conscience que pour atteindre à sa véritable dimension, le professeur, tout en tenant compte des enseignements du passé, des connaissances du présent, doit se tourner résolument vers l'avenir. Ce sens prospectif que son ami Gaston Berger devait plus tard définir, il le possédait au plus haut degré, et il s'efforçait de le faire partager.

Tout au long de sa carrière il porta un particulier intérêt aux problèmes de formation médicale, estimant que « sans la formation de techniciens spécialisés, pas d'hygiène publique possible, sans la collaboration dans l'exercice de la médecine d'un corps médical animé d'une conscience nouvelle orientée vers les buts et les méthodes de la médecine préventive et sociale, l'action des techniciens demeurerait restreinte et imparfaite, sans une éducation sanitaire rationnelle des masses populaires, l'effort fait en leur faveur resterait incompris, alors que bien instruites elles doivent se montrer progressivement les artisans de leur propre relèvement.

Et c'est pour cela que selon lui la chaire d'Hygiène ne devait pas être d'ordre théorique mais basée avec avantage sur un Institut d'Hygiène Universitaire, qui par ses laboratoires et ses services techniques apporte un concours à l'administration sanitaire dans le cadre local ou régional, en collaboration avec les institutions de protection sanitaire et sociale.

Ainsi s'ouvre pour le Professeur un domaine d'action pratique, celui de la collectivité humaine tout entière.

Il professait dans les faits que la Faculté ne doit pas vivre repliée sur elle-même, dépourvue de contacts organisés avec l'extérieur, mais au contraire par intérêt réciproque, être engagée dans le circuit général de l'Action sanitaire et sociale. Il fit partager ce sentiment à de nombreux collègues qui vinrent lui apporter dans les diverses réalisations médico-sociales qu'il mit sur pied, le concours éclairé de leur qualification.

Ce fut chez lui souci constant d'associer à son action le corps médical dans son ensemble et ainsi « l'orienter, l'aider, lui faire saisir davantage la nécessité pour tous comme pour lui-même de coopérer à l'effort entrepris ». Au reste, ajoutait-il, « nous savons, et le corps médical français en a suffisante connaissance, qu'un vaste mouvement dans le monde, dont notre pays ne peut manquer de subir la répercussion, tend à étendre suivant diverses modalités la réalisation d'un service national de santé.

Il n'est pas meilleur moyen d'éviter une innovation capable, je le pense, de porter atteinte à la valeur de la médecine française, que d'en rechercher les avantages sans en subir ni les formes, ni les erreurs, ni les inconvénients. Or la participation bien réglée, active et éclairée des médecins praticiens à la médecine préventive et sociale, aussi bien dans ses applications individuelles que collectives, n'apparaît-elle pas comme la formule particulièrement apte à répondre à ces indications et la plus sûre pour prévenir les transformations profondes de l'exercice de la profession. »

 

Esprit concret, réalisateur infatigable, Jacques Parisot ne pouvait se satisfaire des seules spéculations intellectuelles, il lui fallait trouver dans la mise en ouvre d'activités et d'institutions conformes à l'orientation humaniste de son esprit les moyens propres à satisfaire son goût d'action et son sens créateur.

Alors le Professeur fit place au bâtisseur, le bâtisseur à l'administrateur. Et c'est ainsi que fut créé l'Office d'Hygiène sociale qu'en plus de quarante années d'inlassable labeur, il développa, perfectionna, pour en faire l'instrument qui chaque année accueille visiteurs et stagiaires français ou étrangers. Cet Office d'Hygiène fut sûrement dans Pauvre de Santé Publique du Professeur Parisot ce qui lui tenait le plus à cœur. Il lui a permis de faire la preuve d'idées forces qu'il aimait à développer concernant la médecine sociale dont il disait qu'elle n'était pas médecine socialisée, étatisée, mais « somme d'action sanitaire et sociale ayant pour programme fondamental la protection et le développement de la personnalité humaine considérée à la fois comme valeur économique et comme valeur spirituelle ».

L'Office d'Hygiène Sociale lui a aussi permis de satisfaire ce qu'en matière de boutade, il appelait sa manie « la coopération ». Unir sans absorber fut la devise de sa vie.

Ce grand principe directeur de son œuvre lui est toujours apparu comme le fondement logique et nécessaire de l'efficacité dans l'économie des hommes et des moyens. Ce qu'il a toujours prôné, et il savait entraîner par sa conviction, c'est la persévérance dans la réalisation d'une coordination des efforts, efficace méthode pour éviter la dispersion et au contraire les valoriser par un appui réciproque. Politique sans doute difficile à mener à bonne fin mais qui a pu être étendue et appréciée par tous ceux, techniciens français et étrangers, qui viennent en prendre connaissance ».

Dans cette œuvre, ses qualités de chef apparaissaient constamment. Avec ses instructions il donnait sa confiance, il savait commander mais en même temps susciter des initiatives, il savait écouter et accepter la discussion, voire même la contradiction, pourvu qu'elles soient toujours constructives.

A son sens de l'autorité et de l'organisation, il ajoutait celui d'un réalisme aigu sachant toujours ramener les projets qu'on lui soumettait à la juste limite entre le possible et l'impossible.

Grand serviteur de la Coopération Sanitaire et Sociale internationale, il fut là encore un Maître écouté auquel chacun souhaitait avoir recours dans les moments délicats qui marquent obligatoirement l'évolution de ces grandes institutions mondiales. Monsieur le Directeur Général Candau nous le dira avec l'autorité que lui confère la haute charge qui est la sienne.

Grand universitaire, grand serviteur de la Santé Publique et apôtre de la coopération internationale, Jacques Parisot fut aussi un grand humaniste. Chez lui souvent le sociologue rejoignait le médecin.

Dans une œuvre toute entière consacrée à la santé il était vigilant aux problèmes posés par les pays en voie de développement. Dans une étude consacrée à « La santé comme facteur de développement économique » avec une largeur de vue qui était bien dans sa manière, il recommande en guise de conclusion que l'accession à la santé et au bien-être se fasse sans atteinte à « l'âme des peuples » car « l'aide aux pays en voie de développement doit viser à la réalisation d'une vie nouvelle plus riche de santé et de bien-être, elle doit veiller à ce que cette vie nouvelle soit vraiment la leur, construite à la mesure de leurs besoins, dans la liberté de leurs aspirations, de leurs formes nouvelles de pensées, imprégnée de leurs traditions et de leurs propres civilisations ».

Tel était l'homme, tel fut le Maître.

 

Madame, c'est pour moi un devoir de vous rendre un public hommage, tant il est vrai qu'il est impossible de parler de la vie et de l'œuvre de Monsieur Parisot sans vous y associer étroitement.

Si les liens du cœur peuvent parfois se substituer à ceux du sang, qu'il me soit permis dans la solennité de cette heure, de témoigner de l'infinie reconnaissance que je dois à votre mari pour tout ce que j'ai reçu de lui, et de vous exprimer également mes sentiments de respectueuse affection.

 

 

LE PATRIOTE


Médecin-Général Raymond Debénédetti

Membre de l'Académie Nationale de Médecine
Président de la Croix-Rouge Française

 

Un hommage à la mémoire du Professeur Jacques Parisot serait imparfait si n'était évoqué un des traits les plus caractéristiques et les plus émouvants de son exceptionnelle personnalité. Animateur, organisateur, professeur, hygiéniste d'audience mondiale, clinicien, chercheur... tout cela, il le fut. Mais il fut autre chose : son cœur brûlait en effet d'une flamme, qui jamais ne s'éteignit, celle d'un patriote lorrain.

 

Celui qui, ce soir, a l'honneur de vous parler de lui, conserve devant les yeux une image ineffaçable. C'était il y a près de quarante ans. Descendant à pied de l'hôpital militaire Sédillot de Nancy, il distingua, venant en sens inverse, un médecin militaire de superbe prestance. Svelte, bien pris dans un élégant uniforme, chaussé de bottes impeccablement coupées, la croix de Commandeur de la Légion d'Honneur émergeant du col de sa vareuse, la poitrine ornée de barrettes de décorations, fumant avec distinction une cigarette fixée au bout d'un long fume-cigarette;  la tête haute, sur un visage jeune, des yeux pétillants de malice, un sourire légèrement narquois souligné par une fine moustache, il avait grand air, tant il était droit et lier : il avait l'allure d'un seigneur, d'un seigneur de Lorraine. Je garderai toujours vivante cette image du Professeur Jacques Parisot, alors médecin lieutenant-colonel de réserve, accomplissant avec enthousiasme une période militaire.

Ce grade élevé pour un médecin de réserve de son âge, ces décorations, cet uniforme d'officier français, il avait le droit d'en être fier : il en était digne.

 

Agrégé de médecine en 1913, il part pour la guerre en 1914, se séparant de celle qu'il avait épousée quelques années auparavant et qui, depuis 1908 jusqu'à son dernier souffle, n'a cessé d'être, pour lui, une admirable compagne. Il est médecin de bataillon dans un régiment lorrain, le 269, alors que ses titres lui eussent permis d'être affecté dans une formation sanitaire moins exposée. Pendant un an, il donne la mesure de ses qualités morales, professionnelles et militaires. Mieux que moi, le Doyen Simonin, qui fut son médecin auxiliaire, eût été qualifié pour faire revivre les actions d'éclat de son Maître.

Tous les combats auxquels prend part le médecin aide-major, puis médecin major Parisot sont l'occasion, pour lui, de donner la mesure de sa bravoure et de son sang-froid, de son sens inné du commandement et de l'organisation, mais aussi de ses qualités profondément humaines de dévouement aux blessés. Tous l'estiment au régiment, du colonel au plus humble soldat; tous sont irradiés par cet idéal de patriotisme et d'humanité qui l'anima jusqu'au bout. Cependant, l'hygiéniste fait bénéficier son unité de sa sagacité; le clinicien observe les gelures des pieds qui affectaient les soldats dans la boue humide et glacée des tranchées.

En juillet 1915, le médecin-major Parisot est affecté dans une ambulance du front, emportant les regrets de tout le régiment. « Si celui-ci, écrit son colonel, pendant cette longue période, a évité toute trace de maladies épidémiques, si son état sanitaire est resté constamment excellent, il le doit à la remarquable organisation de son service médical et à la vigilance constamment en éveil du médecin major Parisot. » Hors pair comme organisateur du service de relève, il reçut deux citations en reconnaissance de ses mérites et de sa rapidité à donner des soins aux blessés lors des nombreux combats auxquels prit part le 269°.

Le Docteur Parisot a été proposé pour la Légion d'Honneur le 9 novembre 1914 pour sa belle conduite en Lorraine et pendant les combats d'Izel-les-Equerchin et de Douai. La proposition a été renouvelée en janvier et mars 1915. Le 11 mai, après toute une série de combats victorieux autour de Carency, il était de nouveau proposé pour son inlassable et intelligente activité qui lui avait permis de donner ses soins à plus de 400 blessés, leur assurant une évacuation rapide et conservant au pays de nombreuses existences ».

Cette croix si méritée ne lui fut remise qu'en avril 1916 par Monsieur Justin Godart, sous-secrétaire d'État du Service de Santé.

Dans les formations où il sert par la suite, il continue à étudier la pathologie médicale de guerre, notamment les gelures des pieds et les néphrites. Pendant les périodes de calme, il professe aux étudiants mobilisés des leçons de médecine d'armée.

Il est ensuite désigné pour une ambulance de gazés. Tout en se dévouant corps et âme à ses malades, il publie de nombreuses notes sur les lésions déterminées par les gaz de guerre. Contaminé par ses malades, hospitalisé, il passe à Cannes quelques trois semaines de convalescence et se hâte de rejoindre l'Ambulance Z qu'il ne devait quitter qu'à l'Armistice. Les hautes fonctions de médecin consultant de l'Armée Mangin lui sont alors confiées. Par des mesures judicieuses, il évite à l'armée française la propagation du typhus exanthématique qui sévissait en Allemagne et combat avec vigueur les manifestations épidémiques qui menaçaient les troupes.

Le glorieux Lorrain, soldat intrépide, médecin savant et dévoué, peut retrouver avec fierté sa ville natale et son foyer. En 1920, il est promu Officier de la Légion d'Honneur.

Ainsi se termine heureusement la première phase de l'épopée du patriote lorrain.

 

Son patriotisme, il le manifeste encore pendant ces vingt années qui séparent les deux guerres. Ayant éprouvé les horreurs de la guerre des gaz, il estime de son devoir d'alerter vigoureusement les pouvoirs publics sur les dangers d'une guerre aéro-chimique. Il prononce sur ce sujet de nombreuses conférences étayées sur son expérience et sa documentation personnelles. Il en donne en particulier à la Croix-Rouge Française qu'il devait servir d'abord en Lorraine puis au Conseil d'administration de cette association. Clairvoyant, il pressent la catastrophe dans laquelle la guerre de 1939 allait plonger notre pays.

Le 3 septembre 1939, le médecin colonel Parisot prend les fonctions de médecin-consultant de la VIII° Armée. Il retrouve peu après son chef et ami, le médecin général Pilod, nommé directeur. Invité par celui-ci à la « popote » de la direction d'Armée, je retrouve le Professeur Jacques Parisot tel que je l'avais connu dix ans auparavant, toujours aussi jeune, toujours élégant, ironique et quelque peu amer. La prescience avec laquelle il jugeait la situation allait, hélas, être bientôt justifiée par les événements.

Pendant ce rude hiver d'Alsace, par le gel et la neige, inlassable, il visite cantonnements et formations sanitaires de l'Armée. Il ne néglige aucune occasion de relever le moral de ceux qu'il approche pendant cette étonnante période de la guerre. Sollicité d'accepter un poste important à l'intérieur, il refuse catégoriquement, tenant à l'honneur de servir aux armées. L'offensive ennemie est déclenchée dans le temps même où le médecin général Pilod, objet d'une flatteuse affectation, est tenu de rejoindre son nouveau poste, tandis que le nouveau directeur n'a pas encore rallié le sien. Alors, le médecin-major de la Grande Guerre revit en Jacques Parisot. Avec un courage et une énergie indomptables, il fait face à la situation dramatique. Il arrête des formations sanitaires en retraite, obligeant les médecins à les déployer et à donner leurs soins aux blessés. Au cours de la retraite, le consultant n'hésite pas à prendre des initiatives de chef il stimule les volontés défaillantes, organise les évacuations et s'efforce, par tous les moyens, de procurer aux blessés les secours qu'ils sont en droit d'attendre du service de santé. Cette tragique aventure se termine à Saint-Dié où il est fait prisonnier non sans exiger avec hauteur de ne se rendre qu'à un officier supérieur de son grade.

Dans les casernements de Saint-Dié, puis de Strasbourg, encombrés de prisonniers français, il se multiplie, s'efforçant de faire appliquer les mesures les plus élémentaires d'hygiène. Il contracte alors une dysenterie grave qui justifie son évacuation sur l hôpital Gaujot de Strasbourg où il reste trois mois en traitement avant d'être évacué par train sanitaire sur Lyon. Il est alors déclaré inapte à tout service.

Dans sa douleur de patriote, Jacques Parisot pouvait, du moins, être en paix avec sa conscience, ainsi qu'en atteste cette belle citation :

« Médecin consultant d'Armée de grande classe et de haute conscience. Désigné comme médecin consultant au G.Q.G. au moment où la situation devient brusquement critique dans la XVIII° Armée, a volontairement suivi son Directeur et gagné, avec lui, en pleine bataille, le réduit de résistance par la seule route restée libre. Se dévoue sans compter et est, pour tous, au milieu des dangers et des vicissitudes morales des dernières heures, un magnifique exemple des vertus civiques et militaires. »

 

Mais, dans le temps où de l'autre côté de la Manche une voix s'élève pour redonner aux Français confiance dans leurs destinées, Jacques Parisot ne désespère pas de la Patrie blessée. Il adapte son patriotisme aux circonstances : cette forme de patriotisme, c'est la Résistance. Il milite ainsi en faveur de la résistance à l'occupant. Dénoncé, il est prévenu par le Secrétaire Général de la Préfecture de l'imminence de son arrestation. Il prend des dispositions pour se dissimuler dans une cachette sûre, celle-là même où se terraient des moines pendant la Terreur. Toutefois, redoutant pour ses étudiants et pour les siens de graves représailles, il se livre, le 4 juin 1944 à 4 heures du matin, aux Allemands venus l'arrêter.

 

Ici, commence la « passion » de Jacques Parisot.

Conduit sous solide escorte à la Gestapo où il retrouve un groupe de patriotes lorrains, il est interrogé par le chef de la Gestapo. Celui-ci devait plus tard reconnaître que le Professeur Parisot l'avait interrogé plus qu'il ne l'avait interrogé lui-même. Toujours égal à lui-même, calme, ironique suivant sa manière, il réfute avec un imperturbable sang-froid et une habileté jamais en défaut les accusations dont il est l'objet. Cependant, huit jours après il est dirigé, avec ses compagnons, sur le sinistre camp de Royallieu où il retrouve des personnalités comme NN. SS. Theas et de Solage, dont l'attitude avait fait l'admiration de Montauban et de Toulouse. Le 8 juillet, dans des wagons à bestiaux, nus, souffrant de la soif et de la faim, les déportés sont transférés vers une destination inconnue. Accueillis à Neuengamme par des gardes armés de gourdins, escortés de chiens féroces, les malheureux parviennent au camp après une marche exténuante de 3 km. Vous entrez par la porte, mais vous sortirez par la cheminée », telles furent les paroles de bienvenue du commandant du camp ! Décrire la vie du Professeur Parisot, en ce temps et en ces lieux, consisterait à évoquer tout ce que put comporter d'humiliations, de misères et d'horreur l'existence des déportés. Du moins, le Professeur Parisot donne l'exemple de la dignité, du courage et de l'espérance. Des conférences sont organisées par ses soins, une infirmerie de fortune est installée avec de pauvres moyens et le Professeur d'exiger de ses geôliers médicaments et matériel nécessaires... mais en vain. Parmi ses compagnons, les uns succombent, d'autres tombent bravement malades. Jacques Parisot, lui-même, n'échappe pas à une congestion pulmonaire qui met ses jours en dangers. Mais il « tient », comme tenaient ses camarades de la Grande Guerre au milieu des périls et des misères. Comment cet homme de 60 ans a-t-il pu résister à une telle détresse ? C'est sa volonté, fille de son idéal de patriote, qui lui a permis de dominer tant d'atrocités.

Le 12 avril 1945, devant l'avance alliée et la menace corrélative de voir massacrer les déportés, le Comte Bernadotte, de la Ligue des Sociétés de Croix-Rouge, réussit à éloigner du sinistre camp un groupe de 360 patriotes. Après de dramatiques tribulations, le Professeur Parisot et ses compagnons parviennent à Prague où le Professeur se propose de négocier auprès du Gauleiter le rapatriement de ses camarades. O surprise : partout flottent des drapeaux tchèques, la foule est en délire, les S.S. arrachent leurs insignes : la révolution tchèque avait éclaté; les troupes soviétiques arrivaient; les S.S., qui avaient mission de détruire au lance-flamme tous les déportés d'un camp voisin, sont pendus aux réverbères, arrosés d'essence et brûlés sans autre forme de procès.

La radio tchèque émet un message de Jacques Parisot. Madame Parisot l'entend bien, mais, si elle reconnaît le style de son mari, elle n'en reconnaît pas la voix.

Enfin, le 18 mai 1945, Jacques Parisot, impassible, retrouve son épouse qui, pendant cette interminable période de déportation, avait vécu dans l'angoisse sans pourtant jamais désespérer.

Toute la Lorraine, en fête, célébrait le retour du Professeur Parisot et de ses compagnons.

La nouvelle connue, le Ministre de la Guerre propose immédiatement pour la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur le Professeur Jacques Parisot, commandeur depuis 1932. C'est à Nancy, sur le front des troupes, qu'au milieu de l'émotion unanime, le nouveau dignitaire est décoré par le Général de Lattre de Tassigny.

Sur cette apothéose, le rideau tombe sur le troisième acte de la vie ardente du patriote lorrain.

 

La dernière apothéose, hélas, il ne la vit pas. Il ne la vit pas du moins sur cette terre, mais sans nul doute au Ciel où sa mort édifiante l'a conduit après une vie sans peur et sans reproche. A l'issue de la cérémonie religieuse, où l'assistance recueillie entendit avec émotion la voix d'un prêtre ami, le corps du Doyen Parisot fut exposé sur le parvis de l'église Saint-Léon de Nancy. Face au catafalque recouvert de la toge professorale, le drapeau du 26° d'Infanterie, le glorieux régiment de Nancy, ce drapeau où scintillent en lettres d'or ces mots « Honneur et Patrie » qui ont toujours inspiré la vie de Jacques Parisot, et la troupe rendent les derniers devoirs au Grand Croix de la Légion d'Honneur. C'est l'hommage de la Patrie et de l'Armée à celui qui les a si généreusement servies. Cet hommage, Jacques Parisot l'eût aimé.

Si la Lorraine portait le deuil d'un de ses fils aimés et glorieux, si la France entière partageait son affliction, le monde pleurait, lui, l'un des plus ardents serviteurs de la cause de l'Homme. Si Jacques Parisot aimait sa Lorraine natale au point de ne l'avoir quittée que pour des combats et des missions pacifiques, s'il aimait la France d'un amour profond, s'il était un PATRIOTE, en un mot, il n'était pas, pour autant, un nationaliste aux conceptions étriquées. Défendre son pays quand il était attaqué, certes, mais la paix revenue se consacrer au bien le plus précieux de l'humanité, la santé des hommes : tel  était bien l'idéal du Professeur Jacques Parisot. Sa devise aurait pu être celle du service de santé de l'Armée française dont il a honoré l'uniforme : « Pro Patria et Humanitate ! »

Toute sa vie, il a servi l'une et l'autre. Mort, par la vertu de son exemple, il les sert encore.

 

LE PIONNIER DE LA MÉDECINE SOCIALE


Professeur Robert Debré

Membre de l'Institut

 

Jacques Parisot laisse un grand vide. Il fut parmi les premiers, en Europe et dans le monde, à comprendre l'importance de la médecine sociale. Précurseur, puis créateur, organisateur et professeur - dans le sens étymologique de ce mot celui qui proclame sa foi - il a pu à la fois réaliser dans sa province natale les dispositifs qui furent et restent des modèles, répandre dans tous les pays les idées les plus justes, représenter avec un grand éclat la France parmi les assemblées et les organisations du monde vouées à la Santé. Il n'interrompit sa tâche que pour donner au cours des deux guerres l'exemple le plus beau de la dignité, de la bravoure. Jusqu'à la fin de sa vie il est resté un Maître.

 

Le nom de Jacques Parisot est entré dans l'histoire, associé à une grande idée, celle de la médecine sociale. Ce terme, le grand pionnier que fut René Sand nous l'apprend, fut créé en 1848. Le fait n'est pas surprenant.

Le monde n'a pas oublié qu'en 1848, sur toute l'Europe, se répandit comme un élan d'idées dues à des révolutionnaires généreux voués à la libération des nations et à la ferveur humanitaire. C'est alors que Jules Guérin, professeur à la Faculté de Paris, fait appel au corps médical, dans un article de la Gazette Médicale de Paris dont il était le rédacteur en chef.

Il lui demande de se soucier de la « médecine sociale », englobant sous ce nouveau vocable - je le cite « l'ensemble des rapports de la médecine avec la société ». Du premier coup le mot était créé et son sens défini.

Jules Guérin affirme que nul ne défendra les besoins des diverses classes de la société aussi bien que le médecin, parce que nul ne les connaît, ne les pratique, ne les aime autant que lui et il conclut que la médecine sociale humanitaire est la clé des plus graves questions de notre époque de régénération ».

Certes, bien avant que souffle ce grand vent d'idéalisme dont vous avez reconnu le ton et en plongeant ses racines dans l'histoire de l'humanité, la médecine avait exercé son devoir charitable non seulement vis-à-vis du patient, mais aussi par le souci de la collectivité. La médecine publique s'est associée chez tous les peuples à la médecine individuelle et a participé aux efforts collectifs en faveur des faibles, des infirmes et des déshérités. Avec le début de l'ère industrielle est née la médecine du travail, et avec l'organisation moderne, l'hygiène sociale.

Mais c'est depuis une centaine d'années que la médecine sociale, dénommée et clairement conçue, se développe avec toutes les sciences - les sciences appliquées à l'homme, les sciences humaines. A partir de l'assainissement, de l'ère pastorienne, de la médecine préventive, de l'assistance publique, de la protection des enfants, de l'aide aux mères, aux blessés, aux prisonniers civils et militaires, de l'hygiène tropicale, de la législation du travail s'est épanouie sous nos yeux la médecine sociale entraînant les praticiens et définissant les modes de leur action.

 

Quand Jacques Parisot fut-il orienté dans cette direction ? Comment en vint-il à entendre cet appel ? Quels sont les débuts de cette vocation ? Comment a-t-il été conquis par la médecine sociale avant de devenir l'un de ses apôtres ?

Dans les dernières années du dix-neuvième siècle, en France, les accoucheurs, Pinard, Budin, puis les pédiatres Marfan, Variot, avaient créé des œuvres en faveur de la mère et de l'enfant. Calmette avait ouvert des dispensaires antituberculeux; Duclaux, le premier disciple de Pasteur, avait enseigné l'Hygiène Sociale à lEcole des Hautes Etudes sociales, Fournier avait lutté contre les maladies vénériennes. La première guerre mondiale, à de lourdes pertes en vies humaines et à de terribles destructions, avait ajouté l'aggravation des fléaux morbides et en particulier de la tuberculose. Jacques Parisot, après s'être montré un brave parmi les braves, est attaché comme médecin consultant auprès des troupes d'occupation en pays rhénan. Il étudie alors l'épidémiologie et la prophylaxie des maladies infectieuses et tout particulièrement de la tuberculose - le fléau morbide le plus redoutable. Dès son retour en Lorraine, il est entraîné par l'effort général qui alors se développe. La Fondation Rockefeller, des personnalités telles que Léon Bernard, Ed. Rist, Léon Bourgeois, Honnorat reprennent et étendent l'initiative de Calmette. La lutte contre la tuberculose des soldats réformés s'étend à toute la population.

Bien vite Jacques Parisot sent - et ce fait est notable - que la bataille doit être livrée contre d'autres fléaux. Son Service de tuberculeux et le sanatorium Villemin ne lui suffisent pas, il lui faut travailler hors des murs de l'hôpital, entreprendre une tâche plus générale de médecine préventive. Il fonde l'Office public d'Hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle en 1920. En 1925 il publie avec Louis Spillmann un ouvrage fondamental sur la prévention collective des maladies, sur l'organisation générale de la lutte contre les fléaux morbides et sociaux. Il intitule ce livre « Guérir c'est bien, prévenir c'est mieux ». En 1927 il est nommé Professeur titulaire à la Faculté de Nancy et la chaire qu'il occupe s'appelle Chaire d'Hygiène et de Médecine préventive.

 

Comme son maître et son ami Léon Bernard, parti de la phtisiologie, Jacques Parisot est parvenu à la médecine sociale. Au cours des huit années qui ont suivi la fin de la guerre, Jacques Parisot a fixé sa pensée et déterminé sa vie.

Comment ? Ce n'est pas seulement en enseignant et en écrivant mais en créant. Il a établi des institutions, il a construit, il a organisé, il a conduit le travail de tous. Sa doctrine, c'est l'action même. Celle-ci englobe les domaines les plus divers : la prophylaxie des infections contagieuses, la récupération et la réhabilitation des mutilés et des infirmes, l'orientation professionnelle de l'ouvrier, les conditions du travail industriel, les problèmes du travailleur immigré, le secours aux détresses de la mère seule, l'amélioration de la santé du nourrisson et de l'enfant, l'assainissement du milieu et aussi le relèvement de la natalité dans un pays affaibli par une affreuse saignée et qui se dépeuple. Il organise des foyers pour les étudiants et les soldats, s'attaque aux taudis, vient à l'aide des incurables. Il ne saurait négliger l'hygiène mentale qui nous préoccupe tant à présent. Il contribue à la formation d'un service social. Il entraîne les praticiens dans une collaboration indispensable aux services de la protection sanitaire. Il intègre les enseignements de la Faculté de Nancy dans les services de la santé publique. Il associe les hôpitaux aux tâches de la Faculté. Il groupe autour de cette ouvre les infirmières visiteuses, les sages-femmes, les assistantes sociales. Il forme enfin - œuvre essentielle - les étudiants aux méthodes les meilleures, les plus modernes de la médecine. Il fait comprendre à chacun que dans l'exercice libéral de sa profession le praticien doit remplir un rôle dans la médecine publique.

Pour réaliser ce grand dessein on imagine ce qu'il fallut de clairvoyance, de lucidité intellectuelle, de sagesse, d'énergie et de continuité dans l'effort.

Cette énumération à la fois sèche et incomplète n'évoque que bien mal la puissance d'imagination et d'autorité de Jacques Parisot. Dès cette époque cruciale de son existence il a montré à tous ce que pouvait réaliser un professeur qui n'est pas seulement un maître de la pensée et de l'enseignement, mais un homme voué à la tâche, une des plus belles celle de chercher où est la souffrance des hommes, d'en comprendre les causes, de savoir - car il faut beaucoup de savoir - les faire cesser ou tout au moins les atténuer.

 

Indépendant de caractère jusqu'à en être farouche, aussi humain que courageux, Jacques Parisot a mené son existence en gardant son air de distinction un peu froide et de finesse impressionnante. Frappant dès l'abord par sa grande silhouette, son regard bleu et pénétrant, son visage aux traits délicats, son maintien droit, sa démarche ferme, son langage de chef, il impose l'admiration et le respect. Partout il marque de sa forte personnalité les fonctions qu'il remplit, il sait discerner la voie juste, celle qui mène vers l'avenir. Il anime et entraîne ceux qu'il conduit. Jacques Parisot regarde les problèmes en face, juge les hommes avec une équité sévère, impose les vues les plus sages avec la belle audace d'un novateur. Lorsque, autour de lui le débat devient confus, les opinions se heurtent, on se tourne vers lui. Avec une clarté remarquable de l'idée et de l'expression, un dédain très apparent pour les médiocrités, il montre en quelques mots tranchants où est la bonne route.

C'est ainsi que son audience s'étend non seulement à la France entière, mais bien loin au-delà. Il siège, il préside - disons mieux, il dirige - comités et commissions. Il soulève l'opinion, il anime les administrations, admoneste les gouvernements, réclame des crédits, critique avec sévérité et parfois ironie les entreprises qu'il considère comme insuffisantes ou mal conçues, les programmes mollement entrepris. Il devient le mentor des pouvoirs publics. Enfin, représentant de la France dans les grandes organisations internationales, il frappe chacun par la valeur de ses suggestions et la pertinence de ses vues.

Parlant de Jacques Parisot, et devant lui, Gaston Berger, qui fut un grand universitaire et un grand penseur prononça ces paroles : « Je viens, dit-il, de prononcer le mot d'autorité : c'est celui qui traduit peut-être le mieux ce que votre personnalité a d'original et de puissant. Si j'avais à étudier la notion d'autorité pour voir de quels éléments elle se compose, c'est votre exemple que je choisirais le plus volontiers. C'est en examinant les raisons profondes de l'influence que vous exercez sur les autres qu'il est possible d'apercevoir plus clairement les bases légitimes de toute autorité. La première de ces bases est peut-être « le savoir ». L'autorité, d'autre part, ne saurait exister sans des qualités plus directement morales : la droiture, hase de toute confiance; la fermeté grâce à laquelle le subordonné sait qu'il peut compter sur son chef; le courage qui permet de servir effectivement les valeurs là où les autres se contentent d'en parler; l'indépendance, qui assure à un chef qu'il ne déviera jamais de la route qu'il a choisie parce qu'il la jugeait bonne. De ce courage et de cette indépendance vous avez donné les exemples les plus nombreux et les plus émouvants. » Dix ans après qu'elles furent prononcées, ces paroles de vérité retentissent en aujourd'hui pour traduire au mieux notre hommage.

 

C'est ainsi qu'au cours de quarante années de labeur Jacques Parisot - comme l'a rappelé si bien le Directeur Général Aujaleu, son collaborateur et son ami - a présidé aux destinées de l'Institut National d'Hygiène, puis de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, il a présidé ainsi le Comité National de la Santé, le Comité National de lEducation Sanitaire, a dirigé les travaux de la Commission d'Éducation Sanitaire et organisé le premier Congrès International d'Éducation Sanitaire. C'est à lui tout naturellement qu'on a demandé d'être le président et de l'une et de l'autre.

Il a présidé le Comité Français de Service Social et la plus importante des sections du Conseil Supérieur du Service Social. Et son nom a été acclamé par près de 3.000 travailleurs sociaux de tous les pays du monde, au Congrès de Munich, en juste hommage à la part éminente qu'il avait prise dans le développement du service social.

Jacques Parisot est devenu le trait d'union tout naturel entre le Ministère de la Santé Publique et celui du Travail et de la Sécurité Sociale aujourd'hui réunis sous la haute autorité de M. Marcel Jeanneney dans un ministère unique des Affaires Sociales.

M. le Directeur Général Candau, qui dirige depuis tant d'années et pour beaucoup d'années encore dirigera d'admirable façon l'Organisation Mondiale de la Santé, rappellera dans un moment ce que furent au Comité d'Hygiène de la Société des Nations, puis à l'Organisation Mondiale de la Santé, lœuvre et le prestige de Jacques Parisot, les marques de respect et d'honneur qu'on lui décerna, la valeur de sa présidence. L'unanimité des délégués le porta à la présidence de l'Assemblée Mondiale de la Santé, choisissant le meilleur d'entre eux.

La doctrine de la Médecine Sociale, Jacques Parisot a plus que tout autre contribué à l'établir. La médecine clinique et la médecine préventive avec leurs objectifs : soulager, guérir, empêcher le mal, ont chacune leur domaine privé et individuel et aussi leur domaine public.

C'est le domaine public où s'associent les effets de tous aux deux parties fondamentales de la médecine sociale. Dès qu'une action collective ou privée ou municipale ou régionale ou nationale ou internationale s'exerce, la médecine devient sociale.

Elle fonde son effort sur trois éléments : l'organisation administrative, l'enseignement, l'éducation populaire. Jacques Parisot a donné l'exemple sur ces trois terrains où se sont exercées sa pensée et son action. En parcourant rapidement les étapes de son existence nous avons indiqué - trop sommairement - ce que furent ses tâches d'organisateur et d'administrateur; il nous faut, pour terminer, indiquer celles du professeur et de l'éducateur.

Par la parole et le modèle qu'il fut, il montre que dans les études médicales, la médecine préventive et l'hygiène doivent être enseignées d'une façon attentive, après avoir bien indiqué aux étudiants leur importance, leur intérêt, leur inestimable valeur, leur nécessité pour la tâche des praticiens. Pareil enseignement ne doit pas rester théorique. Il convient de le poursuivre sur le terrain et en particulier sur le lieu même de notre travail. Dès 1958, dans sa remarquable introduction au rapport de Gundy et Mackintosh présenté à l'O.M.S., il prône la création de Centres particuliers annexés à la Chaire magistrale. Il écrit ces mots qui ne sont, hélas, aujourd'hui encore ! que prophétiques :

« La création de ces centres dans les régions sièges de nos écoles est l'aboutissement logique d'une coopération du Centre Hospitalier et de son personnel, de la Sécurité Sociale et de la Faculté de Médecine et réclament aussi la participation de l'ensemble du corps médical. »

D'autre part, concevant la médecine publique et la santé publique comme des spécialités d'une haute importance, Jacques Parisot a lutté pour les développements d'enseignement particuliers et d'Ecoles de Santé, et vu avec plaisir de pareilles institutions naître dans les différents pays d'Europe, puis en France. Que de conversations passionnées je puis évoquer en rapportant les pensées qu'il exprimait lorsqu'il concevait la médecine préventive, la médecine publique, l'organisation des services de santé comme l'objet d'un enseignement sérieux et solide et dont le développement devait être réalisé par la coopération de nombreuses disciplines, comme c'est le cas aujourd'hui de toutes les spécialités, car chacune exige des connaissances encyclopédiques.

S'il en est ainsi pour la médecine préventive et l'hygiène, par contre la médecine sociale définie comme il a été indiqué, doit imprégner tout l'enseignement de la médecine. Le diagnostic social et la thérapeutique sociale (ces mots sont de lui) doivent compléter dans chaque cas le diagnostic et la thérapeutique cliniques. La démarche de l'esprit pour tout médecin quel qu'il soit, est incertaine s'il ne tient pas compte de l'environnement économique, du milieu où vit le patient, où va évoluer l'homme que l'on doit protéger et guider. En un mot la médecine sociale représente plus un état d'esprit, une orientation de l'enseignement, une manière valable d'aborder chaque problème et chaque cas. Elle doit inspirer chaque enseignement, imprégner chaque programme, pénétrer partout au cours de la formation du futur médecin et contribuer à l'information du corps médical dans son ensemble.

Mais le corps médical ne peut agir efficacement que si la population et chacun accepte, comprend, coopère. Jacques Parisot l'a proclamé : il est parfaitement inutile de légiférer, même dans les pays où la contrainte peut s'exercer, à plus forte raison dans les autres, si l'opinion publique n'est pas informée. D'où l'importance qu'il a toujours donnée à l'éducation et à l'information populaires. « L'époque de la propagande sanitaire est largement dépassée », dit-il. Est venue l'époque de l'éducation permanente du peuple. Celle-ci naturellement doit être adaptée à chaque région du monde, à chaque pays. Elle doit être fondée sur la connaissance de chaque collectivité, de ses moeurs, de ses préjugés, de ses tendances, de ses comportements et de leurs motivations, de manière à l'émouvoir, l'intéresser, l'entraîner. Elle doit être, dit-il, une « éducation appropriée ». L'éducation de la santé doit pénétrer dans l'éducation de base, pour reprendre avec lui l'expression de l'UNESCO, faire partie des programmes pédagogiques pour les enseignants, inspirer les administrations et les pouvoirs publics. Le magnifique discours de Jacques Parisot à l'ouverture du congrès de Rome de 1956, expose en vérité le programme même du Comité français d'éducation sanitaire et sociale que M. le Ministre Aujoulat et M. le Conseiller Xavier Leclainche s'efforcent d'appliquer en démontrant que la lutte entreprise au profit de la santé doit, suivant Jacques Parisot, viser avant tout, autant à la réalisation du bien-être qu'à la sécurité dans la vie.

Le plus bel hommage qu'un pays puisse rendre à ceux qui, voulant le bien public, ont disparu avant de voir leur œuvre entièrement accomplie, est de réaliser ce qu'ils ont conçu de grand et de juste...

 

LE GRAND SERVITEUR DE LA SANTÉ DANS LE MONDE


M.G. Candau

Directeur Général de l'Organisation Mondiale de la Santé

 

Parler de Jacques Parisot, c'est retracer lœuvre de santé internationale à laquelle son nom a été intimement lié pendant plus de quarante ans.

Dès 1927, il donne, dans sa Revue d'hygiène et de prophylaxie sociale de Lorraine, des chroniques sur l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations, alors à ses débuts. En 1929, il est au sein de la Délégation française à l'Organisation d'Hygiène l'adjoint de Léon Bernard, cet autre Lorrain, son maître à penser en matière de médecine sociale. En 1934, il est membre titulaire du Comité d'Hygiène. Il en devient Président en 1937, succédant à Léon Bernard. A l'époque troublée du début de la deuxième guerre, jusqu'en 1940, il tient ferme la barre du Sous-comité d'urgence.

Au Comité d'Hygiène, il fait figure de pionnier. Ce clinicien, tôt venu à la Médecine sociale où il devait atteindre à l'éminence, a montré dès ses premiers contacts avec la Société des Nations une étonnante compréhension - je dirais une intuition géniale - de ce que nous appelons maintenant les problèmes du développement. Issu d'un milieu de grands universitaires nancéens, attaché à sa patrie par de fortes racines provinciales, il n'avait, des pays sous-développés, aucune expérience directe. Et pourtant il a su, de ce qu'il observait dans la vie rurale de sa Lorraine, extrapoler des conceptions révolutionnaires à l'époque, et aujourd'hui reconnues universellement. Influence profonde du milieu ambiant, interdépendance de l'économique et du social, eux-mêmes indivisibles de la santé, telles sont les bases des formulations pratiques qu'il soumettait, dès 1931, pour lamélioration de l'hygiène rurale et qui devaient être les thèmes des Conférences internationales, celle de 1935 pour l'Europe et celle de 1937 pour l'Asie et l'Extrême-Orient. Dès cette époque, il insistait sur l'étude approfondie des conditions locales, sur le rôle de l'habitat, sur l'association de la médecine curative et de la prévention, sur la notion d'une infrastructure étayée sur des centres de santé dont, déjà, il définissait le rôle. D'année en année il développe ces idées-clés. Il soulève le problème que posent l'industrialisation et l'urbanisation dans des populations rurales non préparées. Il souligne l'importance de l'alimentation et se fait le défenseur des études sur la nutrition encouragées par le Comité d'Hygiène. Autre exemple de son rôle de précurseur, il soutient, au Comité, l'expansion de la collaboration technique avec la Chine - préfiguration de l'Assistance technique d'aujourd'hui.

Les années sombres au cours desquelles il a tant souffert, lui donnèrent le loisir de méditer sur ces problèmes, et c'est avec une autorité encore accrue qu'il devait reparaître sur la scène internationale. En 1946, il participe, en qualité de Président du Comité d'Hygiène de la Société des Nations, aux travaux de la Commission technique préparatoire qui rédige le projet de Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé. Nous voyons là Jacques Parisot se faire le champion de deux idées-forces qui vont influer profondément sur la vie de l'O.M.S. En se prononçant pour le titre « Organisation Mondiale de la Santé », il préconise une conception beaucoup plus vaste que celle que recouvre le mot « hygiène », puisqu'elle tient compte de tous les facteurs économiques, politiques et sociaux qui interviennent dans la solution des problèmes de la santé. Il insiste également sur la nécessité pour l'O.M.S. de jouir à l'égard de l'Organisation politique des Nations Unies d'une indépendance qui la garantisse contre les vicissitudes qui avaient affecté l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations. Plus tard, dans la même année, il signe au nom de la France la Constitution de PO.M.S., à la Conférence internationale de la Santé à New York.

A travers les sessions de la Commission intérimaire de l'O.M.S., qui de 1946 à 1948 édifient patiemment les structures de l'O.M.S., Jacques Parisot continue à jouer le rôle de guide éclairé, et fort de son expérience auprès de la Société des Nations, il veut éviter à la jeune organisation les écueils qui ont entravé l'action du Comité d'Hygiène qu'il présidait. En 1951, il est élu à l'unanimité Président du Conseil exécutif de l'O.M.S. En 1954, il reçoit le Prix Léon Bernard décerné par l'Assemblée mondiale de la Santé. En 1956, il est Président de l'Assemblée mondiale de la Santé.

Dans son discours présidentiel, Jacques Parisot devait alors évoquer ses réflexions au lendemain de la guerre, lors de la création de l'O.M.S. Fallait-il, en 1946, envisager l'Organisation nouvelle sous la forme d'une reconduction pure et simple des organismes qui, du fait des événements, venaient de prendre fin ? » Au contraire, dit-il, les transformations imprimées à la vie des peuples et les progrès de la science imposent « une politique non seulement originale mais véritablement audacieuse s'évadant des principes et des limites primitivement appliqués ». Il ajoute que nul projet de développement économique, nul programme destiné à élever les niveaux de vie ne sauraient aboutir si des mesures visant à l'amélioration de la santé n'étaient prises parallèlement.

Enfin, il garde l'espoir « de voir quelques parcelles des ressources immenses affectées aux instruments de mort distraites au profit des armes dispensatrices de vie, de l'œuvre mondiale de notre Organisation ». « C'est là un rêve, mes chers collègues », dit-il, mais le rêve n'est-il pas souvent l'expression des pensées qui nous hantent et celles-ci ne sont-elles pas les nôtres à tous ?

Sur le plan de la politique sanitaire mondiale, les deux principes fondamentaux de l'O.M.S., régionalisation et décentralisation, sont les soucis constants de Jacques Parisot et il applique à leur mise en œuvre sa clairvoyance et sa sagesse. S'il appuie toutes les initiatives visant à décentraliser l'action de l'O.M.S. pour la rendre plus concrète au niveau même des pays où s'exerce son action, Jacques Parisot insiste pour que l'Assemblée Mondiale de la Santé, instance suprême de l'O.M.S., continue à intégrer cette action sur le plan mondial afin d'en empêcher l'éparpillement. Cette philosophie de l'action, il la résume en une phrase : « Le rôle de l'Assemblée est de s'élever au-dessus des attitudes et des conceptions régionales et d'intégrer les problèmes régionaux dans un tout qui est précisément la santé mondiale. »

Sa haute autorité s'employait toujours à trouver des solutions justes dans les conflits qui s'élèvent immanquablement dans une assemblée internationale où des conceptions diverses sont amenées à s'affronter et où les problèmes politiques sous-entendent les questions purement techniques. Ainsi lors d'une crise qui paralysait l'action de l'O.M.S. dans une de ses régions, la subtile diplomatie de Jacques Parisot a contribué à la solution qui devait permettre à nouveau le fonctionnement normal de l'institution. Cet homme, qui s'est toujours défendu d'être un politicien, avait réussi là où les politiques avaient échoué.

Servi par des dons exceptionnels de clarté et de netteté, parlant une langue admirable de pureté et d'élégance, Jacques Parisot, au sein de l'O.M.S., a eu un rôle éminent en exigeant la rigueur dans l'expression. Il connaissait l'importance du verbe pour convaincre et pour éduquer et à travers tous les documents qui retracent son action à l'O.M.S. nous voyons l'attachement qu'il y porte.

Son dernier geste à l'égard de l'O.M.S., peu de semaines avant sa mort, a été de répondre à un questionnaire sur la valeur des quelque 350 rapports techniques publiés en une quinzaine d'années. En cinq pages, d'une lumineuse clarté, il fait en une analyse approfondie et consciencieuse la somme de tous ces rapports, et nous fait bénéficier des réactions et des avis d'un lecteur clairvoyant et passionnément intéressé, dont le but reste comme toujours l'éducation, l'instruction, la diffusion et l'échange des connaissances.

 

En dehors des hautes charges qu'il a occupées dans les organes directeurs, le Professeur Parisot a rempli un rôle essentiel dans les travaux techniques de l'O.M.S. Il a ainsi participé à des réunions d'experts, des colloques, des conférences, dont les rapports forment une somme parfaitement cohérente et complète en matière d'enseignement médical et d'éducation sanitaire. En voici quelques exemples : plusieurs cessions du Comité d'experts de la Formation professionnelle, dont l'une tenue à Nancy, le Comité d'experts de l'Education sanitaire réuni par l'O.M.S. et l'UNESCO à Paris, les Discussions techniques de la Quatrième Assemblée Mondiale de la Santé sur la Formation du Personnel médical et de Santé publique, qu'il a présidées avec sa distinction habituelle, la Conférence européenne sur la Formation en matière de Médecine préventive, à Nancy, dont il a également été Président, la Conférence sur la Formation post-universitaire des Médecins en matière de Médecine préventive et sociale à Göteborg, la Conférence de Zagreb sur le même thème, et le Symposium de Nancy sur l'Enseignement de la Médecine préventive dans les Facultés de Médecine d'Europe.

En 1954, quand l'Assemblée mondiale de la Santé a décerné à Jacques Parisot la Médaille et le Prix de la Fondation Léon Bernard, c'est un Africain, alors Président de l'Assemblée, qui devait rendre hommage à Jacques Parisot pour ses travaux et ses réalisations remarquables en matière de médecine sociale, et souligner combien sa carrière, déroulée pour ainsi dire tout entière à Nancy, n'en avait pas moins une influence qui étendait ses effets bienfaisants à la France tout entière et, au-delà, au vaste monde.

En acceptant le Prix, Jacques Parisot soulignait que c'était le représentant d'une jeune République africaine en rapide ascension économique et sociale qui remettait au professeur d'une université de la vieille Europe le prix dont l'honorait l'Assemblée Mondiale de la Santé. Et il s'écriait : « N'est-ce pas là, mes chers collègues, une démonstration véritablement symbolique tout à la fois du progrès et de cet accord de nos aspirations et de nos activités qui veulent, dans une alliance non politique mais purement humaine, loyale et féconde, apporter à tous les hommes plus de santé, de bien-être, de prospérité dans la vie et ainsi de bonheur et de sécurité dans la paix... N'est-ce pas de cette communauté d'efforts que doit surgir et s'étendre dans le monde une nouvelle mystique capable, nous l'espérons tous, de vaincre un jour l'autre mystique, encore si redoutable, celle de la force et des égoïsmes nationaux. »

Ce grand Lorrain et ce grand Français se trouvait à l'aise dans tous les milieux où l'amenait sa carrière internationale et parlait un langage commun avec les médecins des pays les plus divers. Comment ne pas évoquer son amitié avec le Yougoslave Stampar, avec Shousha l'Egyptien, avec l'Américain Winslow, le Brésilien Paula Souza, la Princesse Amrit Kaur de l'Inde, et ne pas souligner que c'est en association avec le Professeur Arcot Mudaliar de l'Inde également qu'il avait soumis à l'Assemblée le moyen de résoudre la crise politique à laquelle j'ai fait allusion plus haut ?

En commun avec ces grandes figures de la santé mondiale, il avait un dévouement absolu à l'idéal de la collaboration internationale. Il connaissait la vanité des querelles de prestige entre les peuples, car il respectait chez tous les valeurs humaines et scientifiques.

Il me plaît de rendre ici hommage à Jacques Parisot, serviteur de la santé, l'un de ces grands commis de l'humanité qui prennent leur place dans l'histoire parce qu'ils ont su la comprendre, la modeler et la poursuivre.

 

HOMMAGE AU DOYEN PARISOT


Christian Fouchet

Ministre de l'Intérieur

 

L'homme à qui nous rendons hommage aujourd'hui fut un homme si complet que nous devons honorer en lui, maintenant que nous évoquons sa mémoire, le savant aussi bien que le fils de la Lorraine, le patriote français tout autant que le promoteur des plus vastes entreprises internationales.

D'autres que moi pourraient sans doute mieux dire ce que fut son œuvre scientifique, mais ce qui me frappe dans le destin de M. Jacques Parisot, c'est plutôt l'histoire d'un homme de notre province, et je crois bien en y songeant aujourd'hui que cette histoire fut exemplaire.

La plupart d'entre nous ont vécu, en un moment privilégié de leur existence, une épreuve ou une expérience qui a déterminé toute leur vie. Pour Jacques Parisot ce fut sans doute, comme pour tous les hommes de sa génération, la Première Guerre Mondiale où, soudain, en ce bel été de 1914, tous ceux de son âge se trouvèrent précipités dans le premier des grands drames de notre siècle. La France d'avant la Grande Guerre, cette France paisible, tranquille, mais peut-être trop sûre d'elle-même, trop prisonnière de ses traditions, trop enfermée dans ses vieilles divisions, bref, trop égoïste, allait subir une immense secousse. Inévitablement, la société tout entière en serait ébranlée et les Français les plus généreux sauraient en tirer toutes les conséquences pour la conduite de leur vie. Il en fut ainsi pour M. Jacques Parisot.

A son propos, j'ai souvent pensé à cette grande œuvre littéraire que sont Les Thibault », qui valut le Prix Nobel de littérature à M. Roger Martin du Gard. L'un des personnages principaux est un jeune médecin, issu d'une longue lignée de bourgeois français, bien installé dans la vie, promis à une carrière médicale prospère et tranquille, déjà résigné à mener une existence feutrée et cossue. Mais le voilà jeté dans la tourmente de l'été 1914, et, au soir de la guerre, blessé et gazé, il rêve avant que la mort ne l'empêche de réaliser ses désirs, de changer l'orientation de sa vie et de sa carrière, de consacrer sa science de médecin et des qualités d'homme à la recherche et à la lutte contre les maladies et la misère de cette masse immense de Français dont il avait découvert les conditions d'existence et les problèmes au contact des combattants de la guerre.

M. Jacques Parisot fut médecin de bataillon, de régiment, d'ambulances avant d'être, à la fin de la guerre, médecin consultant de la X° Armée que commandait le général Mangin. Ses amis en ont témoigné c'est là que se fixa l'orientation définitive de sa carrière. C'est à partir de là qu'il devait entreprendre les grandes études sur les épidémies et les maladies sociales qui allaient être le domaine privilégié de son action scientifique, en même temps que le but de cet Office d'hygiène sociale qu'il créa et qui devint le modèle auquel on se réfère encore, non seulement en France niais dans le monde.

Ne peut-on dire que, dès ce moment le destin de M. Jacques Parisot était exemplaire ? Homme de son temps et de sa génération, le voilà qui, à la suite des grandes épreuves que l'Europe vient de traverser, découvre les voies nouvelles de la médecine, pressentant les grandes tâches qu'elle va devoir remplir, et se lance dans cette aventure intellectuelle et sociale. Aujourd'hui, chacun sait que la lutte contre les grandes maladies, le combat pour l'amélioration constante de l'état sanitaire d'un pays ou d'une société, sont une œuvre collective, l'une des plus essentielles de notre époque moderne. Nous savons tous que c'est là l'un des champs d'action principaux de la recherche scientifique médicale et technique où rivalisent toutes les nations industrielles. A cette œuvre immense, la plus caractéristique peut-être de notre temps, il fallait des pionniers. M. Jacques Parisot fut l'un d'eux, sa vie reste l'un des plus beaux exemples de la grande aventure scientifique de notre temps. Mais son destin ne fut-il pas exemplaire aussi de cette province lorraine à laquelle il était si passionnément attaché qu'il ne voulut jamais vivre ailleurs qu'à Nancy ? Lorrain, et par conséquent patriote français, comment n'aurait-il pas pris toute sa part du formidable effort national que la France sut s'imposer de 1914 à 1918 ? Lorrain, c'est-à-dire enfant d'une province qui fut l'un des sanctuaires de l'industrie moderne en Europe, comment n'aurait-il pas été passionné par cette grande entreprise moderne qu'est l'hygiène sociale ? M. Jacques Parisot fut de ceux qui firent de la Lorraine le meilleur exemple, peut-être, de l'aptitude des Français à vivre pleinement leur époque et à faire face à tous les problèmes qui sont inévitablement ceux d'un pays et d'une société qui veulent vivre au rythme de leur siècle.

La Lorraine tient sans doute cette vocation de sa place et de son rôle en Europe. Ce grand carrefour de notre vieux continent ne peut ignorer les vastes courants qui remuent le monde et on sait ici, en Lorraine, beaucoup mieux qu'ailleurs, qu'il n'y a pas de frontières qui puissent arrêter les changements, qu'il n'y a pas de frontières dans la bataille que les hommes mènent pour le progrès.

M. Jacques Parisot, là encore, en a donné un témoignage exemplaire. Comment n'aurait-il pas compris que le grand combat pour l'hygiène sociale contre les maladies ou les épidémies, pour la recherche médicale, était un combat qu'il fallait mener à l'échelle humaine ? En même temps qu'il établissait la liaison entre l'hygiène sociale, dont il était l'un des protagonistes, et ces institutions nationales que furent les assurances sociales, la Sécurité Sociale, les allocations familiales, la mutualité, la sécurité minière, il contribuait à forger le lien indissoluble entre l'action qu'il menait en France et celle que l'on menait partout dans le monde pour le même but et avec le même enjeu. C'est ainsi qu'il eut sa place, dès avant la guerre, à l'Organisation d'hygiène de la Société des Nations et l'Office International d'Hygiène publique.

 

Mais je ne peux m'empêcher d'évoquer surtout ce que furent dans le destin de M. Jacques Parisot, les années 1945 et 1946.

1945 : c'est un déporté qui revient chez lui. Il avait été arrêté le 9 juin de l'année précédente, alors qu'il était désigné pour prendre les fonctions de commissaire de la République de la région de Nancy. C'est dire, qu'une fois de plus, il avait témoigné, jusqu'à l'extrême limite, de sa fierté de Lorrain, de son patriotisme français, de sa passion de résistant. Il est toujours admirable que de grands esprits, quand l'heure de l'épreuve est venue, deviennent au service de leur pays de simples combattants. Il était normal que M. Jacques Parisot comptât parmi les patriotes qui assumèrent l'honneur de la France dans les années d'épreuve. Mais son courage et son dévouement lui valaient aussitôt de grandes responsabilités il était d'autant plus exposé aux coups de l'ennemi et, par avance, il avait accepté les plus grands sacrifices.

1946 : ce résistant, ce déporté, est à la table d'une grande conférence internationale. Au nom de la France, il signe l'acte de naissance de l'Organisation Mondiale de la Santé. Entre le patriote lorrain et le savant international, le trait d'union s'est imposé de lui-même : ce qu'il avait fait pour son pays, il ne pouvait envisager que cela ne vaille pas pour tous les hommes du monde entier. Voilà, je crois, le trait le plus exemplaire du destin de M. Jacques Parisot. Et quand nous évoquons la cause qu'il a servie, celle qui lui a mérité l'estime de ses compagnons et le respect universel, comment ne pas songer à ce mot d'ordre que lançait au monde le général de Gaulle, devenu Président de la République : « La seule cause qui vaille est celle de l'homme ».

 

 

SOUVENIRS

UN HOMME AU SERVICE DES AUTRES

 

Professeur Eugène Aujaleu

Directeur Général de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale

 

Pendant près de 30 ans, j'ai été associé, et souvent très intimement, à la plupart des activités du Professeur Parisot, tant sur le plan national que sur le plan international. D'autres diront ses qualités intellectuelles, la hauteur de ses vues, ses idées souvent très en avance dans les domaines où il avait choisi de se tenir, son autorité, son courage. On pourra aussi dire, en employant un langage familier qui ne lui eut pas déplu, qu'il n'était pas commode tous les jours. Pour ma part, je dirai que cet homme était sensible et bon et qu'il a toute sa vie cherché à rendre service aux autres.

 

Mon premier contact avec lui a été rude. Je procédais à la suppression d'une certaine forme d'organisation administrative de médecine préventive et d'hygiène sociale que je jugeais périmée. Le Professeur Parisot défendit l'Office d'hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle, non pas comme tant d'autres l'auraient fait, en utilisant son prestige, ses relations, l'audience qu'il avait dans les sphères gouvernementales ou politiques. Il mit en avant, mais avec quelle véhémence, uniquement des arguments techniques, les succès obtenus, les collaborations acquises et qui se dénoueraient, les dévouements qui s'éteindraient. Il gagna, et, lors de son jubilé, j'ai présenté cet Office d'hygiène sociale comme l'œuvre centrale et caractéristique de sa vie.

La véhémence m'avait surpris. Que pouvait donc représenter cet attachement à un organisme couvrant un seul département, qui, de toutes façons, allait être de plus en plus soumis à la tutelle des pouvoirs publics, pour cet homme, parvenu aux plus hautes fonctions universitaires et au faîte des honneurs ?

Le goût du pouvoir ? La puissance conférée par la présidence de cet office privé était dérisoire pour celui que, seule la déportation, avait empêché d'être Commissaire de la République de sa province natale, et qui avait dans de multiples instances nationales et internationales une influence considérable.

Le désir d'un levier en vue d'une action politique ultérieure ? La suite a bien montré que non.

Voulait-il conserver un banc d'essai lui permettant de mettre en œuvre ses conceptions de médecine préventive, souvent novatrices, toujours originales et obtenir ainsi leur application à l'échelle nationale, voire dans d'autres pays ?

 

Ce n'était rien de tout cela, je le compris peu à peu. La direction de l'office était pour le Professeur Parisot le moyen de rendre service à ses concitoyens. A l'âge où tant d'autres se reposent, se bornant tout au plus à maintenir ce qu'ils ont réalisé au cours des années fécondes de l'âge mûr, le Professeur Parisot, constamment et jusqu'à sa mort, rechercha de quelle façon il pourrait le mieux venir en aide, grâce à ce remarquable instrument qu'il avait forgé, aux malades les plus délaissés; aux enfants, passant, au gré des variations de la morbidité des tuberculeux aux poliomyélitiques et aux paralysés; aux adultes victimes d'accidents; aux jeunes mères qu'il ne séparait pas de leurs enfants; aux vieillards enfin dont il eut le souci de maintenir la dignité en leur offrant des possibilités de réadaptation. Tout cela sans préjudice d'une action préventive qui multipliait l'efficacité de ses efforts.

Rendre service, mais ne lamais en parler que sous l'angle technique et volontairement froid du succès des réalisations sanitaires.

 

Un autre de mes étonnements, au début de mes relations avec lui, fut de constater, dans les réunions internationales, la sympathie et souvent l'affection qui se mêlait à l'admiration respectueuse que tous avaient pour lui, même ceux qui auraient pu se sentir écrasés ou écartés par la personnalité de cet homme certainement orgueilleux, d'apparence un peu méprisante et qui n'était pas d'un abord facile. Mais tous avaient vite discerné tout ce qu'il y avait de sensibilité et de désir d'aider derrière cette attitude. Le prestige dont il a joui, dans les milieux internationaux était certes dû à son autorité technique, mais aussi en grande partie motivée, parce que l'on savait qu'il était toujours prêt à rechercher et à faire prévaloir les solutions les plus efficaces pour venir au secours des pays ou des communautés les plus déshérités.

Lorsque je sus qu'il allait bientôt mourir, invoquant un prétexte qui le trompa, je vins à Nancy.

 

Alité, les membres inférieurs envahis par l'œdème, il parla longuement comme à son habitude, mais à peine de sa maladie. Il parla du succès de certains des établissements de l'office d'hygiène, des réalisations récentes, des projets nouveaux, de son désir de m'aider encore à l'INSERM, de son espoir de continuer à répondre aux demandes du Conseil de l'Europe qui le mettait si souvent à contribution.

Venir en aide, rendre service... jusqu'à la mort. Au-delà de la mort même, comme je l'ai récemment appris et cette fois sans étonnement.

 

LE PROFESSEUR PARISOT DANS LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE

 

Professeur Etienne Bernard

Membre de l'Académie Nationale de Médecine

Président du Comité Français de Défense contre la Tuberculose

 

Le Professeur Jacques Parisot fut professeur d'Hygiène et de Médecine Préventive à la Faculté de Médecine de Nancy, chargé de la Clinique des Maladies Tuberculeuses, médecin de l'Hôpital-Sanatorium et du dispensaire Villemin, et président de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle.

Il assumait ainsi des charges multiples qui se complétaient et que son esprit organisateur unissait dans une heureuse harmonie. Il tenait en mains tous les leviers de commande, mais son attitude se résumait ainsi : Unir sans absorber, appliquant une de ses propres formules.

 

Il y a plus de 40 années il éclairait les grandes lignes de la lutte contre la tuberculose. Ses idées furent exprimées dans deux ouvrages : « Guérir est bien, prévenir est mieux » paru cri 1926 et L'organisation de la lutte antituberculeuse dans le cadre départemental » publié deux ans plus tard.

Il montrait que c'est le département qui représente la cellule constitutive, à elle seule complète au point de vue de sa vie et de son administration; c'est donc dans ses limites que doit être envisagée I organisation antituberculeuse.

Il estimait toutefois que plusieurs départements ont intérêt à réunir leurs efforts pour former un groupement interdépartemental en vue de la création d'établissements importants tels qu'un hôpital-sanatorium, un sanatorium ou un préventorium. Et il soulignait tout l'intérêt d'une organisation régionale quand il s'agit d'hygiène ou d'assistance.

Surtout il montrait que pour lutter activement et efficacement contre la tuberculose, il faut un organisme central bien constitué techniquement et administrativement, capable d'assurer l'unité de méthode et d'action et un effort soutenu de propagande éducative. Faut-il rappeler que cet organisme qu'il créa dans son département, l'Office d'Hygiène Sociale, demeura toujours, parce que c'était lui, un organisme privé.

 

Voici quelques-unes de ses idées-forces. Celle-ci d'abord : «  Pour combattre une maladie telle que la tuberculose, c'est une lutte de tous les instants, un continuel perfectionnement de l'organisation et des méthodes qu'il faut instituer ».

Celle-ci encore : « En matière d'hygiène sociale, pour le succès, il faut une discipline : librement consentie pour les uns, ceux instruits et persuadés par une propagande éducative bien conduite, mais strictement imposée à tous ceux qui ne veulent, qui ne peuvent pas comprendre ».

 

La prévention de la tuberculose fut son constant souci. Après la première guerre mondiale, il fut un des premiers en France à souligner et à démontrer l'importance de la prémunition par la vaccination B.C.G. Au fil des années l'application de la vaccination sous son impulsion na cessé de s'étendre.

En 1962, le pourcentage global des vaccinations dans son département était singulièrement élevé puisque 90 % des enfants d'âge scolaire étaient en règle avec la législation dans la circonscription de Nancy.

Toujours dans le domaine de la prévention de l'enfance, rappelons la création grâce à lui du préventorium de Flavigny en 1925 et du placement familial surveillé de Thorey-Liautey en 1928.

La santé des étudiants fut aussi une de ses préoccupations. Sous son impulsion l'Université de Nancy fut dotée dès 1932 d'un Centre Universitaire de médecine préventive, dont une des tâches essentielles fut le dépistage et la prévention de la tuberculose parmi les étudiants.

Par ailleurs il insista maintes fois sur la nécessité d'une intervention active des médecins praticiens en matière d'hygiène et de médecine préventive et particulièrement dans la lutte contre la tuberculose. Il réalisa en Meurthe-et-Moselle un accord fructueux entre l'Office d'Hygiène Sociale qu'il présidait et l'Association Syndicale des médecins du département. Il se plaisait à constater la progression de la collaboration du corps médical à l'activité des dispensaires, en montrant l'accroissement année après année du pourcentage, sur l'ensemble des consultations, des malades dirigés sur le dispensaire par leur médecin traitant.

 

Dans son esprit s'unissaient les préoccupations de l'hygiéniste, celles du sociologue et de l'humaniste. Pour bien lutter contre la tuberculose il faut, selon lui, sortir du cadre de l'armement antituberculeux. Notamment il faut lutter pour une meilleure hygiène et contre tout ce qui diminue la résistance de l'organisme. Il insista sur le rôle néfaste du taudis et du surpeuplement. Selon lui l'infection tuberculeuse varie, peut-on dire, dans sa nocivité suivant les conditions sociales de l'existence.

Le problème de l'habitation devrait faire partie intégrante d'un programme bien conçu de lutte antituberculeuse. Il ne se contenta pas d'émettre sur ce point des idées pertinentes, il eut le sens de l'efficacité. Au sein du Conseil de Direction de l'Office d'Hygiène Sociale il fit entrer le président de l'Office d'Habitations à Bon Marché.

Il stigmatisait l'influence nocive de l'alcoolisme au regard de la tuberculose. Il en fit le bilan dans son département. Il institua une collaboration étroite entre l'Office d'Hygiène Sociale et la Ligue Lorraine contre l'alcoolisme. Il aboutit toutefois à cette conclusion : il est à craindre que les efforts locaux n'aient qu'une efficacité restreinte en l'absence des mesures générales qui s'imposeraient pour le pays tout entier. Sa conclusion est toujours actuelle.

Sur la route de la lutte contre la tuberculose, comme dans beaucoup d'autres domaines, l'activité du Professeur Parisot a largement dépassé le cadre départemental. Il entretenait des rapports étroits avec le Comité National de Défense contre la tuberculose dont il était, depuis plusieurs décennies, membre d'honneur.

Le Comité National organise chaque année la campagne du timbre antituberculeux. Or, il faut rappeler que la première campagne en France eut lieu en 1925 et qu'elle fut réalisée en Meurthe-et-Moselle sous la direction du Professeur Parisot. A la suite du succès éclatant obtenu dans ce département pilote, la campagne fut ensuite étendue à la totalité des territoires métropolitains et d'Outre-mer.

 

Sur le plan international, le rôle du Professeur Parisot dans la lutte contre la tuberculose fut manifeste. Nous ne voulons en donner qu'un seul témoignage.

Le 7 novembre 1946, le Comité Exécutif de l'Union internationale contre la Tuberculose tenait sa première séance depuis la guerre. A cette séance, présidée par le Professeur Lopo de Carvalho, ayant à ses côtés le Professeur Fernand Bezançon, Secrétaire. Général de l'Union Internationale, le Professeur Parisot était présent comme délégué de l'Organisation Mondiale de la Santé, récemment créée. Il devait déclarer au nom de cette Organisation que celle-ci était désireuse de voir s'établir avec l'Union Interna­tionale contre la Tuberculose une collaboration intime tant sur le plan scientifique que sur le plan administratif.

Et il ajoutait : « L'Organisation Mondiale de la Santé tient à préciser que par ses propositions elle n'envisage pas la moindre atteinte à l'autonomie de l'Union Internationale contre la Tuberculose dont le caractère privé et l'indépendance font la force, mais que d'autre part elle considère qu'une coopération étroite tant au niveau du Comité Exécutif de l'Union qu'à celui du Secrétariat de l'Organisation Mondiale de la Santé, serait à l'avantage de tous ».

Cette déclaration était celle d'un guide éclairé. Au cours de ces 20 dernières années, les liens entre l'Union Internationale contre la Tuberculose et l'Organisation Mondiale de la Santé n'ont cessé de se resserrer et il en est résulté une efficacité évidente.

Les paroles du Professeur Parisot avaient eu un sens prophétique. Il en était coutumier. C'était même un des traits de son esprit créateur d'introduire dans la prospective des idées justes et fécondes qui ont suscité notre admiration et notre gratitude.

 

SOUVENIRS


Docteur Etienne Berthet

Directeur Général du Centre International de l'Enfance

 

C'est dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, alors que je dirigeais à Grenoble le Centre interdépartemental d'Education sanitaire, que j'ai rencontré, au cours de réunions au Ministère de la Santé à Paris, le Doyen Jacques Parisot, et je me souviens même que c'est dans le bureau de notre ami Aujaleu, alors Directeur de l'Hygiène sociale, que je lui ai été présenté pour la première fois en 1946.

 

Je connaissais ses travaux sur la tuberculose, ses publications sur la médecine préventive et sociale, ses interventions dans les institutions internationales. Je savais aussi, par ce qu'en disaient certains, que ce n'était pas un homme de contact facile, qu'il était distant, autoritaire et volontiers sarcastique. Mais, à vrai dire, je n'ai eu que très peu d'occasions de le rencontrer dans les années 1946­1949 et ce n'est qu'en 1950, quelques semaines après une première mission pour l'Organisation Mondiale de la Santé en Méditerranée Orientale, que je l'ai revu à Genève et que je fus attiré par sa forte personnalité et frappé par son esprit synthétique, sa façon d'envisager les problèmes dans ce qu'il appelait « la réalité globale des choses ». Cette conception avait chez moi d'autant plus de résonances que je venais d'avoir mes premiers contacts avec la misère des pays du Tiers-Monde et que j'avais très vite pris conscience de la complexité du sous-développement et de la nécessité de l'attaquer sur tous les plans à la fois, économiques, sanitaires et sociaux.

Après mon retour en France, au début de l'été de 1954, nos contacts se sont multipliés, que ce soit à Nancy, dans cette maison du quai  Isabey que Mme Parisot savait rendre si accueillante, à Paris ou à Genève. Et année par année des liens affectueux se sont créés entre nous.

 

Le Doyen Jacques Parisot suivit l'évolution du travail du Centre International de l'Enfance avec beaucoup de sympathie, d'abord à cause de l'amitié qui le liait à notre Président Robert Debré, ensuite parce qu'il appréciait l'esprit qui en anime toutes les activités, où il retrouvait cette « réalité globale » des choses qui lui était chère. Chaque année il recevait à Nancy nos cours internationaux de perfectionnement. Ces voyages d'étude étaient toujours pour les boursiers d'une grande richesse, tant par l'accueil chaleureux qu'il leur réservait que par la variété et la qualité des institutions sanitaires et sociales qu'il leur montrait. L'Office d'Hygiène sociale de Nancy était pour nous une vivante illustration de cette coordination de l'action sanitaire et sociale si nécessaire et si difficile à réaliser dans tous les pays du monde. « Unir sans absorber » était sa formule et il y a de par le monde nombre de médecins et nombre de travailleuses sociales qui en ont le vivant souvenir.

Que de fois avons-nous arpenté les allées du Centre de Flavigny ! Il me prenait par le bras et me conduisait vers un bâtiment, nouvellement sorti de terre, pour la réadaptation de jeunes handicapés moteurs, ou l'hébergement de mères célibataires, ou vers l'exploitation agricole attenante à l'établissement, me montrant le verger qui produisait cette excellente mirabelle dont il était justement fier. Nous dissertions beaucoup sur les grandeurs et les missions de la coopération technique, sur les difficultés du travail de l'expert international, sur les problèmes de la difficile synthèse que doivent faire les médecins de notre temps entre l'orientation individuelle et collective de la médecine.

Toutes les rencontres avec le Doyen Jacques Parisot étaient un enrichissement pour l'esprit, toujours accompagnées de cet humour qui était le sien, qui rendait si pleines de charme et d'imprévu les conversations. Il est peu de personnalités qui laissent chez ceux qui ont eu le privilège de les connaître une aussi forte empreinte. C'était un homme d'élite au sens plein du terme : un homme qui compte, sur qui on peut compter, avec qui il faut compter.

 

Comme toutes les fois qu'un homme d'une dimension exceptionnelle disparaît, le plus bel hommage qu'on puisse lui rendre est moins dans les discours et les articles nécrologiques que dans la continuation de l'œuvre à laquelle il a voué son existence, dans la transmission du message qu'il a laissé et dont nous sommes responsables. Peut-être l'essentiel de ce message est-il dans la conclusion du discours qu'il a prononcé à l'ouverture de la Neuvième Assemblée mondiale de la Santé qu'il présida en 1956 ?

« Du temps de l'Organisation d'hygiène de la Société des Nations nous avions l'espérance que la coopération internationale dans le domaine de la santé pourrait créer entre les peuples un lien solide, développer un esprit qui soit source de paix.

« Cependant se déclencha la guerre de 1939

« Pourquoi, comme avant cette date, et même si c'est là récidiver dans l'illusion, ne garderions nous pas un espoir, celui de voir quelques parcelles des ressources immenses affectées aux instruments de mort distraites au profit des armes dispensatrices de vie et de l'œuvre mondiale de notre organisation ? C'est là un rêve, me direz-vous sans doute, mais le rêve n'est-il pas l'expression des pensées qui nous hantent et celles-ci ne sont-elles pas les nôtres à tous ? ».

 

Si nous savons hélas qu'il y a peu d'espoir que ce rêve puisse se réaliser dans sa plénitude, nous savons aussi - et toute la vie du Doyen Jacques Parisot en est la preuve - que notre travail, notre initiative, notre dynamisme peuvent apporter quelques parcelles de solution aux problèmes humains devant lesquels nous place notre métier de médecin.

 

 

PARISOT A LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE LA SANTÉ  QUI A ADOPTÉ EN JUILLET 1946 LA CONSTITUTION DE L'O.M.S.

SOUVENIRS D'UN TÉMOIN

 

Docteur J.S. Cayla

Directeur de l'Ecole Nationale de la Santé Publique

 

J'avais, pour la première fois de ma vie, rencontré le Professeur Jacques Parisot, en décembre 1937, comme membre du jury national devant lequel je me présentais pour faire carrière de médecin de santé publique. Je le retrouvais, légèrement amaigri, mais toujours aussi distingué, le 18 juin 1946, à l'aéroport de Gander, dans Plle de Terre-Neuve.

 

Le docteur André Cavaillon, alors secrétaire général du Ministère de la Santé publique, était chef de la délégation française à la Conférence internationale de la santé organisée à New York par le Conseil économique et social des Nations Unies pour créer une organisation spécialisée « ayant une compétence étendue dans tous les domaines de la santé ». Il avait siégé dans le comité de seize experts réuni à Paris du 18 mars au 5 avril 1946 par le conseil économique et social pour préparer cette conférence.

 

Le Professeur Jacques Parisot était le membre le plus important et le plus connu de la délégation française. Il avait quitté Paris la veille avec le docteur Cavaillon mais le feu ayant pris dans l'un des moteurs de leur avion au décollage de Gander, leur pilote, après avoir vidé les réservoirs d'essence, avait réussi, non sans peine, à se poser de nouveau à Gander.

 

La deuxième partie de la délégation dont je faisais partie avec le médecin général Marcel Vaucel et le docteur Xavier Leclainche, arrivant à son tour à l'escale de Gander, avait été surprise d'y retrouver ses « Chefs de file » qu'elle croyait arrivés à bon port à New York depuis la veille. Ils eurent vite fait de nous mettre au courant de leurs tribulations alors que nous prenions ensemble un café fort clair sur les bancs et tables rustiques du restaurant de l'aéroport. Le Professeur Parisot, bien que contrarié, avait conservé son calme olympien et profitait des circonstances pour faire plus ample connaissance avec les membres de la délégation. Sa mémoire était excellente et il se souvint tout de suite qu'il avait siégé dans le jury qui m'avait permis d'entrer dans les services de la santé publique. Je lui indiquais que c'était la connaissance de ses publications sur l'hygiène du lait qui m'avait permis de traiter convenablement une des questions de l'écrit. D'emblée, il m'adopta comme un de ses élèves et je devais par la suite le devenir vraiment ayant eu l'occasion de travailler souvent sous sa présidence ou sous sa direction.

 

Toute la délégation française put repartir de Gander dans le même avion et arriva à l'aéroport de la Guardia à New York sans autre incident qu'un auto-allumage des moteurs après l'arrêt. Le brusque saut fait par l'appareil qui renversa l'escalier mobile fut attribué par la délégation à un mauvais sort dont était porteur soit M. Cavaillon, soit M. Parisot.

La délégation française était logée dans un immeuble de la cité universitaire situé au bord du fleuve Hudson, non loin du pont Washington et à côté de l'Hôpital presbytérien. M. Parisot, après avoir envié les délégations somptueusement logées dans les hôtels du centre de Manhattan, s'accommoda assez vite de nos chambres d'étudiant.

L'ouverture solennelle de la Conférence internationale de la santé eut lieu le 19 juin 1946 dans l'immense hall de l'Hôtel Henry Hudson. M. Parisot était très entouré. Tous les spécialistes européens de la santé internationale lui faisaient fête, heureux de retrouver le Président de l'Organisation sanitaire de la Société des Nations. Je me souviens en particulier d'Andrija Stampar, de René Sand, de Van den Berg et de Giovanni Canaperia (qui alors était parmi les observateurs des Etats non membres des Nations Unies).

Mais il y avait aussi beaucoup de « têtes » nouvelles. De plus, le nombre des délégations s'exprimant en français était extrêmement réduit. M. Parisot, qui n'a de sa vie consenti à prononcer un mot d'anglais en souffrait sans en être gêné. Pour laborder, il fallait parler français et ceux qui utilisaient notre langue avaient seuls le privilège envié de pouvoir parler à un personnage aussi distant que respecté.

Dès le 20 juin, la conférence se transportait dans le quartier de Bronx, dans les pavillons du Humer College » alors siège provisoire des Nations Unies. La délégation française était rejointe par Jean Mabileau, chef de la mission d'approvisionnement en médicaments, qui siégeait à Washington. Avec sa connaissance des Etats-Unis, il apportait le concours de son secrétariat et de 1a voiture de sa mission. Le docteur Maurice Gaud et le docteur Robert Pierrot, observateurs représentant l'Office international d'hygiène publique étaient fréquemment avec la délégation française. Celle-ci avait, cela va sans dire, l'aide constante du docteur Yves Biraud qui était chargé, par le conseil économique et social, du secrétariat de la conférence sous l'autorité du secrétaire général, le Professeur Henri Laugier.

M. Cavaillon, chef de la délégation française, obtint un des cinq postes de vice-président de la conférence. Il fut nommé membre du bureau, membre de la commission des règles de procédures, président et rapporteur du sous-comité de rédaction des questions juridiques.

M. Parisot dut seulement se contenter des fonctions de rapporteur de la commission des questions administratives et financières et de celles de président et rapporteur de la sous-commission de rédaction correspondant à cette commission.

Xavier Leclainche, qui avait assisté en 1945 à la Conférence de San Francisco et qui avait fait partie du comité des experts de la commission préparatoire, fut nommé rapporteur de la troisième commission (questions juridiques).

Quant à moi, je fus très heureux de siéger comme membre du sous-comité de rédaction de la première commission (But et fonctions de l'organisation) et du sous-comité de rédaction de la quatrième commission (relations avec les Nations Unies et les autres organisations).

M. Parisot, souffrait, à juste titre, de ne s'être vu confier aucun des postes importants dans le bureau ou dans les commissions; il manifestait une certaine amertume dans ses rapports avec le Chef de la délégation qui, lui, était largement pourvu.

 

Mais les événements qui se passaient cependant en France allaient entraîner un brusque renversement de la situation.

Le gouvernement présidé par Félix Gouin n'avait pas survécu à ce que la presse avait dénoncé comme « le scandale des vins ». Le nouveau ministre de la santé du gouvernement de Georges Bidault. René Arthaud, désigné le 20 juin 1946, rappelait à Paris à la fin du mois de juin M. Cavaillon ainsi que moi-même et confiait à M. Parisot la direction de la délégation française. M. Cavaillon rejoignait Paris au début du mois de juillet, tandis qu'à la demande de M. Parisot, je continuais à jouer mon rôle dans la délégation française en attendant de pouvoir obtenir une place d'avion pour Paris.

 

Je conserve un merveilleux souvenir du travail qui m'a été confié pendant cette période sous l'autorité de M. Parisot. Il était détendu, radieux, ravi de pouvoir enfin diriger la délégation française dans cette conférence qui créait l'organisation mondiale de la santé de laquelle il avait longtemps rêvé et pour laquelle il avait beaucoup lutté. Il régnait sous sa direction un parfait esprit d'équipe. Il ne refusait jamais d'écouter et de discuter les arguments qui lui étaient soumis par ses collaborateurs. Une fois sa position arrêtée, ses directives étaient claires et précises. En dehors du travail, nous avons pu, Xavier Leclainche et moi-même, apprécier sa bonté pleine de délicatesse que ne pouvait arriver à cacher sa très grande réserve.

 

C'est avec beaucoup de regret que je quittais la délégation française un peu avant le 14 juillet 1946.

Je n'ai donc pas pu assister le 22 juillet 1946, à la signature dans le grand hall de l'Hôtel Henry Hudson de la constitution de l'organisation mondiale de la santé à laquelle j'avais eu la chance d'apporter une très modeste contribution.

Mais je m'en consolais aisément puisque les circonstances avaient permis que Jacques Parisot, au nom de la France, signe la constitution de l'organisation mondiale de la santé, en même temps que les actes, accords et protocole adoptés par la Conférence de New York.

 

LE DOYEN PARISOT ET L'OCÉANOGRAPHIE MÉDICALE


Docteur Maurice Aubert

Directeur du Groupe de Recherches de Biologie et l'Océanographie Médicale (C.L;.R.B.O.M. - Nice)

 

Un des traits les plus marquants du caractère du Doyen Parisot était la curiosité constructive. Ce souci d'information l'a souvent amené à concevoir et à obtenir des réalisations que bien d'autres personnalités placées dans les mêmes circonstances n'eussent point imaginé.

C'est ainsi qu'il fut amené, dans le cadre de ses préoccupations hygiénistes, à m'apporter un appui inestimable dans la réalisation d'un rêve informulé que j'avais poli pendant des années mais que la méconnaissance des portes à ouvrir n'avait pas permis de rendre concret.

 

Cet homme grand, fin, racé, à qui je fus par hasard présenté dans l.' petit laboratoire que j'occupais au Bureau Municipal d'Hygiène de Nice, avec son esprit curieux de tous les problèmes, me posa des questions sur les recherches que je poursuivais et, au fur et à mesure que je développais devant lui les possibilités que j'entrevoyais pour l'épanouissement d'une science de l'hygiène de la mer, n'hésita pas, dès ce premier contact, à donner son agrément et son appui et, par la suite, il ne cessa de faciliter cette réalisation : ainsi il lit créer par l'Institut National d'Hygiène, devenu depuis l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, le Groupe de recherche de Biologie et d'Océanographie Médicale. Étoffant d'abord mon équipe de recherche, la faisant doter des instruments de travail les plus utiles et les plus modernes, il obtint ensuite, pour faciliter notre activité, la construction d'un des plus beaux laboratoires d'océanographie situé sur les côtes françaises.

Je viens d'exposer sommairement la dette de reconnaissance que j'ai envers cet homme qui, progressivement, m'apparut plus qu'un Maître au sens technique, car bien au-delà, il fut un organisateur d'œuvre et un planificateur d'activité.

Au cours des séjours qu'il faisait dans sa propriété du Mont-Buron à Nice, il n'a jamais cessé de nie prodiguer conseils et appui. Lors des très fréquentes visites que je lui renflais, il m'apprit au détour de conversations, à la fois l'intuitive subtilité nécessaire au chef d'une équipe scientifique mais, également, une vertu bien rare à notre époque tourmentée : la ténacité. Établissant dans la méditation sa doctrine, ayant évalué le poids des arguments qui la justifiaient, il n'en changeait plus. Cet entêtement lucide pour des idées dont avec le recul du temps on peut juger maintenant la valeur, il le possédait au suprême degré. Quel que soit l'interlocuteur : jeune chercheur demandant conseil, jeune patron déjà confirmé, Doyen de Faculté, Membre du Gouvernement, je ne l'ai jamais vu infléchir sa ligne une fois qu'il l'avait patiemment définie. Cette fidélité à ses idées se reflétait dans la fidélité qu'il portait à ses amis et il fallait qu'ils fussent bien indignes pour qu'il les abandonna à leur propre destin.

 

Travailleur infatigable, se tenant constamment au courant jusque dans les derniers jours de sa vie, il continua cette exploration méthodique des hommes et des faits. C'est avec émotion que je me souviens que jusqu'à il y a deux ans, il tint à venir régulièrement présider le Conseil Scientifique de notre Centre de Recherche, bien que son état de santé fut déjà précaire et je garde précieusement la lettre d'amicales félicitations et de joie affectueuse qu'il m'adressa quelques semaines avant sa mort, à la suite de ma nomination à la maîtrise de recherche.

Si l'on réfléchit à ce que cette démarche, faite dans un domaine qui ne lui était pas familier, le milieu marin, devait représenter pour lui d'insolite, d'original et même d'aventureux, on ne peut que s'étonner de la lucidité de son esprit et de la capacité prévisionnelle de sa pensée. En effet, le développement actuellement rapide tant en France qu'à l'étranger des préoccupations de cet ordre de recherche montre que l'appui initial qu'il avait donné à cette idée, si étrangère qu'elle fût à ses propres activités, était justifié, et l'étude des pollutions chimiques ou bactériennes de la mer s'est, au cours de ces dernières années, particulièrement développée.

 

Comme j'aurais souhaité qu'il fût présent au Congrès International d'Océanographie Médicale qui s'est déroulé en septembre dernier et auquel assistaient plus de 150 chercheurs pour la plupart d'origine étrangère ! Il eut pu voir le couronnement d'une des nombreuses idées pour lesquelles il avait combattu, l'extension au milieu marin des principes de lHygiène Publique et de la Prévention Sanitaire qui avaient guidé toute son œuvre scientifique et médicale.

 

UNE ACTION EXEMPLAIRE

 

Président René Cassin

Membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques

 

A la fin de la guerre 1914-1918, le Professeur Parisot, membre du Conseil de la puissante Association des Mutilés et Anciens Combattants de Meurthe-et-Moselle, dénommée usuellement l'A.M.C., avait consenti à la représenter au sein du Conseil d'Administration de l'Office Départemental des Pupilles de la Nation, créé en 1918, pour aider à l'éducation des nombreux orphelins de guerre, ou enfants de grands invalides adoptés comme Pupilles de la Nation.

 

Or, le département de Meurthe-et-Moselle était, à cette époque, un des plus mal notés en France, à cause de la mortalité de sa population, due à la tuberculose.

Grâce à l'application de ses méthodes, la mortalité des orphelins et enfants d'invalides est devenue une des plus basses, sinon même la plus faible, de toute la France.

 

L'Union Fédérale des Mutilés, Anciens Combattants et Victimes de Guerre, dont l'Association des Mutilés et Anciens Combattants fait toujours partie, s'est empressée de demander que, par l'intermédiaire de l'Office National des Pupilles de la Nation, siégeant à Paris, les autres offices départementaux soient mis au courant et invités à s'inspirer des méthodes inaugurées grâce au Professeur Parisot. Les résultats ont été probants dans toute la France pour nos enfants.

 

Du coup, on peut considérer le Professeur Parisot comme un des protecteurs de la santé de la jeunesse la plus exposée, et, je me suis laissé dire, que la médecine scolaire est les casiers usités dans nos écoles primaires publique, ont pour une grande part, redevable à l'exemple créé à Nancy par le Doyen Parisot pour une catégorie particulièrement exposée et digne d'intérêt.


 

LA  PENSÉE DU  DOYEN PARISOT

 

Docteur François-Joachim Beer

Directeur Exécutif de lUnion Internationale pour l'Education Sanitaire

 

I

Je savais la pieuse sérénité devant la mort longue à venir, la profondeur de paix, une paix ultime, et les satisfactions de la conscience de celui qui, comprenant que de tous les biens spirituels et matériels, on ne laisse vraiment, après le grand départ, que ce qu'on a donné, pouvait dire : « Je suis dans une antichambre... ça durera ce que ça durera... ». Pourtant, lorsque samedi 7 octobre, le télégramme du Professeur Senault m'apprit la mort du Doyen, brutalement mon espoir de le revoir s'écroula à jamais et c'est un gouffre absurde qui s'ouvrit auprès de moi... Jacques Parisot ne fut pas seulement le plus prestigieux des maîtres, le « patron » dans le sens excellent et touchant que comporte ce terme, le chef d'École exerçant sur ses élèves une tutelle méritée. Pour moi qui ne l'ai connu qu'au soir de sa vie, et surtout en ses instants de loisirs, à Nice, il fut un des trois ou quatre directeurs de pensée, avec René Leriche et Henry-E. Sigerist, auxquels je garde une reconnaissance durable, une fidèle déférence, parce que leur rencontre, leur œuvre et leur fréquentation personnelle, ont déterminé ma propre orientation.

 

II

Tout le monde a été fasciné, attiré et tenu à distance du même coup, par son regard bleu, ses veux qui avaient la luminosité des lacs de haute montagne, son beau visage modelé du dehors et du dedans par le temps et par la pensée, et que je n'ai vus à personne.

Il n'était pas homme à s'en faire accroire à lui-même et il n'avait nul besoin d'une dignité empruntée. Il pensait juste, allait d'emblée au plus exact, et ses méfiances constellées de certitudes faisaient de lui un témoin et un arbitre, rassurant comme ii ne s'en rencontre presque jamais.

Ferme, austère, rugueux même, vrai homme de 1Tst, ii semblait éloigner les sympathies qui s'offraient à lui, et il dissimulait son cœur sous une apparence de sécheresse. On le trouvait quelquefois un peu absolu, mais ceux qui avaient besoin de son appui et qui emportaient de leurs entretiens avec lui une impression de sécurité, préféraient certainement son « Non, car... » à un « Oui, mais... ». Perçant mais aimable, fixé mais bienveillant, d'esprit taquin, il lançait ses flèches teintées d'ironique détachement dans les directions les moins attendues. On a dit de lui qu'il n'était pas homme de contact facile (Berthet), car il rudoyait parfois ceux qu'il aimait. Mais au-delà des boutades, il savait être tendre et fidèle.

« Si j'avais à étudier la notion d'autorité, c'est votre exemple que je choisirais », a dit Gaston Berger dans son discours en hommage au Doyen Parisot et il en souligna les qualités, le savoir et lhumanité, la droiture et la fermeté. Après lui, le Doyen P. Simonin a dit le profit que la Faculté de Médecine de Nancy, « menée d'une main ferme, voire un peu forte, par affection et pour son bien » tira de son « autorité partout reconnue ». Mais tous nous avons été séduits par l'autorité naturelle du Doyen Parisot, cette autorité bienveillante à laquelle répondait un respect affectueux : « Da mihi animas ; caetera tolle », ce consentement des esprits, cette action concordante et mutuellement dévouée qui ont été son secret.

 

III

Examinant la courbe de sa vie, il pouvait se féliciter d'avoir conduit une carrière rapide et brillante. Certes il eut la chance d'avoir la santé, le feu sacré, mais la « veine », il l'a secondée par un travail sous haute tension. Marchant de succès en succès, il a accompli jusqu'au bout l'œuvre qui lui valut des positions d'influence universelle, des postes exceptionnels d'action. Le destin a favorisé avec constance un demi-siècle d'allant et de verve, de bonheur qui, à son foyer, s'éclairait de la présence d'une compagne de vie exemplaire, élue dès ses années de jeunesse.

Si la seconde guerre mondiale l'a meurtri à mort, - il en a surgi un être nouveau, - déjà la première avait exalté en lui à la fois les espérances d'entente universelle et le patriotisme. Marqué par ces deux grandes guerres, il estimait avant tout le courage, physique et moral. Vous n'avez jamais craint d'exprimer vos idées... de leur donner une netteté exclusive de tout compromis... Vous n'avez jamais cédé, ni devant les intimidations des uns, ni devant les séductions des autres... Votre bravoure et votre résolution vous donnent même une impassibilité... Votre calme n'est pas celui de l'indifférence... Il montre que les passions sont dominées... » (Gaston Berger).

 

IV

D'importantes parties de son activité ont été consacrées par le Doyen Parisot aux problèmes de l'enseignement dont la réforme lui tenait à cœur et qu'il considérait comme la pierre angulaire dans la reconstruction de notre pays. Soucieux de la promotion et de la diffusion de la culture (Gaston Berger y insistait en célébrant en lui le médecin et le professeur au service de l'homme), Jacques Parisot s'attachait au problème de l'unité de la culture générale et de la formation professionnelle, préconisait la culture comme correctif contre la tendance d'enfermer l'être humain dans le cadre de sa spécialité, souhaitait une culture permettant à l'individu de rester humain. Il plaçait au premier rang l'école qui était pour lui une véritable entreprise de la culture, car c'est elle qui prépare l'accès à la vie sociale, oriente la formation du caractère et joue un rôle essentiel pour l'éducation sanitaire. La culture vivante et humaine correspond au double devoir de personnalité et de solidarité qui forme l'essentiel de toute morale humaine, et c'est elle qui permettra à l'individu de comprendre autrui, se mettre au point de vue des autres, collaborer à leur tâche comme à une tâche commune. La culture, se plaisait-il à rappeler après Leriche, est sens de l'humain et respect de l'homme, présence de l'homme.

L'humaniste est attentif au corps et le médecin, qui se doit de le soigner non seulement en tant qu'un objet ordinaire, mais en tant qu'une personne, peut le faire en calmant la souffrance et en aidant à la supporter. « Cette vocation du philosophe et cette vocation du médecin, vous avez su les réunir dans votre personne et dans votre œuvre », a pu dire Gaston Berger en faisant l'éloge du Doyen Parisot, et il ajouta : « Nul n'a été plus attentif que vous à l'aspect social des problèmes médicaux », la médecine sociale, ce facteur essentiel de l'amélioration de la condition humaine ayant été pour le Doyen Parisot le domaine où son sens profond des valeurs humaines s'est enrichi de sa participation cordiale à la vie personnelle d'autrui ».

 

V

« Je ne suis pas naturellement désapprobateur », affirma-t-il un jour de lui-même. Pessimiste et individualiste à la fois, il ne se faisait guère d'illusions sur le monde actuel, ronchonnait contre nos sociétés qui se perdent en discussions oiseuses, savait que les ambitieux, les impatients qui brûlent de signer une réforme, sont condamnés à l'inaction et qu'il ne leur reste, quand ils descendent de la carlingue du rêve, qu'à récapituler leurs amertumes dans la Tour de Montaigne.

Mais jusque dans ses dépits, se faisait jour son optimisme qui l'empêchait d'abandonner les hommes à leur misérable condition. Le penseur dépourvu de préjugés qui était en lui, avait conscience qu'il n'est plus possible d'admettre que le bonheur appartiendra dans le temps futur à une humanité qui consentirait à devenir raisonnable, à s'ouvrir aux « lumières », et que nous ne pouvons nous attendre qu'à un avenir planifié, voué à la discipline des masses, un monde qui devra s'accommoder de conditions sociales difficilement conciliables avec la liberté individuelle, telle que la concevait la bourgeoisie libérale de la fin du siècle passé, époque que connut Jacques Parisot au sortir de ses études.

La perpétuation des conflits entre peuples était à ses yeux un scandale et il la déplorait au regard d'une solidarité, d'une interdépendance de fait. Il avait le sentiment que son combat se faisait sur des positions perdues d'avance et son optimisme se doublait du pessimisme le plus radical. De là venait son dédain du « politicien », chez qui il voyait à lœuvre tout ce que lui-même s'efforçait de fuir, mais non le refus de la politique, ce qui eut été refus de participer aux souffrances de l'homme.

 

VI

Au-dessus des mêlées, le Doyen Parisot poursuivait le même dessein, sans se laisser détourner de sa voie idéale par aucune pression. Je l'ai revu la veille de son dernier anniversaire et, trois mois après, lorsqu'il devint évident quil ne pourrait pas recevoir chez lui le groupe de travail qui espérait beaucoup de son influence, j'ai pris la liberté de lui écrire : « C'est au respect dont vous entourent vos disciples toujours fervents, que je discerne cette autorité et cette pensée qu'il importe de restituer dans ce recueil de souvenirs et de témoignages dont j'ai toujours rêvé... ».