PARISOT Jacques

1882-1967

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Un grand serviteur du Pays - Le Doyen Jacques Parisot par G. RICHARD

Un ensemble de textes : discours, souvenirs (cérémonie solennelle à la Sorbonne).

ELOGE FUNEBRE

L'austère simplicité formellement demandée par le Doyen Jacques Parisot pour la cérémonie de ses obsèques, a laissé dans le souvenir de tous ceux qui y ont assisté une profonde marque d'émotion et de grandeur. Cette volonté de refus des éloges était bien l'aboutissement d'une ligne de conduite toujours parfaitement droite de celui qui, ayant oeuvré sans relâche durant toute une longue existence, n'attachait que bien peu de valeur aux manifestations extérieures et n'acceptait les honneurs que comme la récompense naturelle de son labeur acharné.

C'est pour obéir à l'exemple qu'il nous a donné et aux consignes qu'il nous a laissées que les paroles que je vais prononcer ici, au milieu de cette assemblée de Faculté, ne seront pas un vain éloge, mais un exposé aussi objectif que possible de la carrière universitaire d'un des maîtres de notre maison. Elles voudront surtout être un hommage pour tout ce que nous lui devons pour la grandeur et le rayonnement de l'enseignement médical à Nancy.

Le 7 octobre 1967 ne représente pas seulement pour nous tous la perte d'un maître vénéré, et d'un collègue hautement estimé ; cette date marque en plus la fin d'un très long chapitre d'histoire de notre institution, histoire de cent  trente-sept  années  durant  lesquelles la famille Parisot a été intimement unie à l'évolution, au développement, au prestige de l'école de médecine de Nancy, à sa faculté ensuite..

Le 8 novembre 1830, un jeune étudiant de 19 ans s'inscrivait pour la première fois sur les registres de l'école secondaire de Médecine ; Victor Parisot était le premier représentant de cette famille qui devait donner cinq professeurs à notre Faculté. Titulaire de la chaire de clinique interne à l'école puis à la Faculté de Médecine, il fut un clinicien de renommée. Son frère, Léon Parisot, de quatre ans son cadet, devenait en 1849 titulaire de la chaire d'anatomie et de physiologie de l'école de médecine. Une mort prématurée, en 1871, survenait au moment même du traité de Francfort, dont une des conséquences fut le transfert à Nancy de la Faculté de Strasbourg.

Pierre Parisot, que les plus anciens d'entre-nous ont bien connu, a suivi l'exemple de son père Victor. Agrégé de médecine, il devint un éminent médecin légiste dont les interventions retentissantes dans les grands procès sont restées célèbres dans les annales judiciaires. Son beau-frère, Albert Heydenreich, fut un remarquable chirurgien et un administrateur averti ; doyen de la Faculté de Médecine, il fut enlevé trop tôt à la grande estime de tous ses collègues. C'est de cette longue lignée et de cette noble tradition d'enseignement médical que Jacques Parisot était l'héritier ; il sut non seulement s'en montrer parfaitement digne mais porter encore plus haut le flambeau qui lui avait été transmis par ses pères.

Né à Nancy le 15 juin 1882, c'est tout naturellement à la médecine que Jacques Parisot se destine. Brillant élève de la Faculté, il se distingue immédiatement parmi ses camarades étudiants et recueille déjà de nombreuses distinctions : prix de physiologie en 1902, prix de médecine en 1903, prix de l'Internat et prix Bénit en 1906, enfin prix de thèse en 1907. Sa carrière universitaire va s'ouvrir dès l'âge de 20 ans, en 1902, il est nommé  après concours  en qualité d'aide préparateur, puis de préparateur titulaire au laboratoire de physiologie, dirigé alors par le Professeur Meyer. Durant quatre années, il participe activement aux travaux de ce laboratoire non seulement pour l'enseignement mais plus encore pour la recherche. Nommé chef de clinique médicale en 1906 dans le service alors dirigé par le Professeur Paul Spillmann, Jacques Parisot n'en continue pas moins à poursuivre ses travaux de recherche fondamentale.

Dès son clinicat terminé, il se présente, en 1910, au concours d'agrégation de médecine générale où il est déclaré admissible. Il est alors chargé des conférences de clinique médicale et de pathologie dans le service du Professeur Schmitt, dont il assure la suppléance. En 1913, il est reçu définitivement à l'agrégation de médecine générale, juste avant la première guerre mondiale qui devait interrompre ses activités universitaires.

A son retour, après la fin des hostilités, la Faculté de Médecine lui confie, en 1919, la charge de l'enseignement de la pathologie générale et expérimentale, discipline à laquelle il était particulièrement bien préparé du fait de sa double formation physiologique et médicale. Nommé professeur sans chaire en 1925, il accède ainsi à l'âge de 43 ans, au Conseil de la Faculté, où son père siège depuis de nombreuses années déjà. Enfin, en 1927, à la suite de la retraite du Professeur Macé, il est désigné comme titulaire de la chaire d'hygiène et de médecine préventive qu'il occupera jusqu'à sa retraite. C'est dans cette chaire que Jacques Parisot devait donner toute sa mesure.

Au lendemain de la première guerre, le pays était profondément meurtri malgré sa victoire. Il était nécessaire de panser ses plaies et de venir en aide aux nombreuses détresses physiques et morales, séquelles douloureuses de longs combats, il fallait préserver la nouvelle génération appelée à prendre la relève de ceux qui étaient tombés au combat. C'est ainsi que, résolument, Jacques Parisot changea totalement son orientation ; abandonnant la recherche fondamentale, c'est vers les applications pratiques de l'hygiène sociale et de la médecine préventive que tous ses efforts vont se tendre. Avec une persévérance sans relâche, une ténacité imperturbable, il va, durant un demi-siècle, devenir un réalisateur incomparable dans notre ville, dans notre département et dans toute la région lorraine.

Sa parfaite réussite fera de son oeuvre un modèle et tout naturellement c'est vers ses conseils que se tourneront les dirigeants de notre pays puis ceux de tous les pays du monde. Avec une parfaite sérénité, il acceptera les responsabilités les plus lourdes et les plus multiples, son action sera toujours pleinement efficiente et couronnée de succès. Aussi est-ce vers lui que le Conseil de la Faculté se tourna en 1949 pour prendre à un moment difficile la charge décanale. En l'espace de six ans, le Doyen Parisot devait prouver son sens de l'organisation et sa puissance de réalisation.

Développement des moyens d'enseignement, stimulation de la recherche, direction ferme mais justifiée par une incontestable autorité telles furent les objectifs qu'il s'était fixés, et auxquels il parvint rapidement. Il fallait alors donner à nos locaux étriqués et désuets de l'espace et de la lumière, dégager des laboratoires encombrés, assurer à l'administration des moyens décents d'exécution. Cette tâche, il la réalisa en bien peu de temps. Enfin, la Faculté fut dotée d'un grand amphithéâtre digne de ce nom et de locaux de réception adaptés à leur mission. C'est très justement que la Faculté a témoigné et sa gratitude et son admiration pour cette oeuvre en donnant le nom de son réalisateur à ce nouvel amphithéâtre. Tous les jours, nous pouvons apprécier la qualité de l'oeuvre accomplie et des perspectives d'il y a près de vingt ans qui se sont montrées si exactes.

Mais toutes ces qualités d'organisateur et de réalisateur risque de nous faire oublier que pendant de nombreuses années Jacques parisot s'adonna  avec  ardeur à la recherche  scientifique  et que son oeuvre médicale constitue un appoint remarquable à nos connaissances dans le domaine de l'endocrinologie plus spécialement. Au début de ce siècle, la Faculté de Nancy fut un foyer actif des recherches dans un domaine alors presque inexploré, celui des glandes endocrines. Sous l'impulsion de Prenant et de Nicolas, relayés par Ancel et Bouin, une véritable école endocrinologique se fonda dans notre Faculté. Les morphologistes purs entraînèrent dans leur sillage les physiologistes comme Meyer, Herrmann, Jeandelize et Lambert, c'est dans cette école que Jacques Parisot fit ses premières recherches.

C'est une liste de cent soixante-quinze publications que Jacques Parisot pouvait présenter, dès 1913, lors de son concours d'agrégation. L'ensemble de ses travaux se rapporte avant tout aux glandes à sécrétion interne, à leur action spéciale sur l'appareil cardio-vasculaire au point de vue clinique, expérimental, anatomopathologique, comportant parfois certaines déductions thérapeutiques.C'est ainsi que pendant plusieurs années, Jacques Parisot orienta essentiellement ses recherches sur les surrénales, la thyroïde, l'hypophyse, les glandes génitales, le foie et les reins. Il envisagea plus spécialement le rôle que plusieurs d'entre elles pouvaient jouer dans la pathogénie de certains  diabètes  ou  glycosuries.  L'action   des  sécrétions internes sur l'appareil cardio-vasculaire l'amenèrent à étudier les lésions, la pathogénie, le mécanisme étiologique de l'athérome expérimental et de l'athérome  spontané. Le résultat de ces recherches fut consigné dans sa thèse inaugurale présentée en  1907 sous le titre de  «  pression artérielle et glandes sécrétion interne », oeuvre très remarquable éditée en monographie qui fut couronnée non seulement du prix de thèse de la Faculté mais du prix Bourceret, de l'Académie de Médecine.

Nombre de ces recherches furent poursuivies en collaboration étroite avec un de ses amis, le Doyen Maurice Lucien. Le travail en commun de l'anatomiste et du physiologiste eut de très heureux et remarquables résultats. C'est durant de très nombreuses années que cette collaboration amicale devait durer et se manifester par de multiples publications. Avec la participation de Gabriel Richard, Jacques Parisot et Maurice Lucien devaient créer, en 1923, la revue française d'endocrinologie, seul périodique français dans cette discipline et qui, jusqu'aux funestes moments de 1940, devait assurer le rayonnement de la pensée française dans ce domaine. En même temps, ils entreprenaient une oeuvre monumentale et de longue haleine, la publication d'un traité d'endocrinologie dont les cinq tomes parus avec une constante régularité, prouvent le labeur infatigable et l'étonnante maîtrise de leurs auteurs. Jacques Parisot ne fut pas seulement un chercheur mais encore un excellent médecin ; externe des hôpitaux en 1902, interne au concours de 1906, il devint rapidement chef de service des consultations externes, puis de la clinique des maladies de la tuberculose à l'hôpital sanatorium Villemin où il garde ses fonctions durant de très longues années malgré les multiples charges qui l'accablaient.

Mais au travers du professeur, du Doyen, du chercheur, du médecin, il y a l'homme dont les qualités transparaissent avec un éclat tout particulier. Nous ne verrons plus cette silhouette de grand seigneur d'aspect un peu hautain et dédaigneux qui cachait en fait un coeur très profondément humain et compréhensif. Homme de grand caractère, il savait diriger, avec une poigne parfois un peu rude la barre qui lui était confiée. Il savait surtout s'entourer d'une pléiade de collaborateurs dont le dévouement au patron devenait bien vite sans limites.

La force de son âme, la grandeur de son caractère, il a su les manifester avec une sérénité exemplaire durant les rudes épreuves qu'il a dû traverser. La guerre de 14-18 tout d'abord dont il revint avec quatre citations, la guerre de 39-40 et la captivité en Alsace ensuite. Mais ce fut surtout l'atroce déportation dans les camps de concentration hitlériens où il fit preuve d'un  sang-froid inaltérable et d'une ténacité que rien ne rebutait. D'exceptionnelles distinctions sont venues récompenser ses mérites et son labeur, il a su les accepter sans aucune vanité et sans en tirer une gloire particulière.

Si l'on n'emporte de cette terre que le bien qu'on y a fait c'est les mains pleines que Jacques Parisot nous a quittés. Son existence tout entière n'a-t-elle pas été consacrée à soulager la misère physique et morale d'autrui. Toutes ses oeuvres destinées à l'enfance, aux adultes, aux vieillards ne constituent-elles pas un témoignage éclatant de la bonté fondamentale d'un homme qui a passé toute sa vie, jusqu'à l'épuisement de ses forces, à venir au secours de toutes les détresses. Ils  sont  légion  tous   les  infirmes,  les inadaptés, les blessés, les malades, les impotents qui ont trouvé dans l'une ou l'autre des institutions qu'il avait créées, un soulagement à leur malheur ou une guérison à leur maladie.

La Faculté de Médecine de Nancy a perdu en Jacques Parisot de ses maîtres les plus éminents, un de ses doyens les plus actifs ; Nancy a perdu un de ses fils dont elle doit être fière, la France a perdu un ardent patriote, mais surtout l'humanité a perdu en lui un de ses grands bienfaiteurs.

Professeur A. BEAU

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ELOGE FUNEBRE

10 octobre 1967 : En cette brumeuse matinée lorraine, Officiels et Anonymes, dans une même communion de pensée, rendent un ultime Hommage au Doyen Honoraire, Jacques Parisot.
Quinze jours à peine se sont écoulés et force est de se rendre à l'évidence, cette rue Lionnois où il avait voulu qu'à côté de la Faculté fut installée la Direction de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle, ne verra plus la fière et droite silhouette de M. Parisot.
I1 ne passera plus, sûr de lui, la démarche légèrement talonnante, le regard mobile, attentif et vif, le fume-cigarette à la bouche ; il ne passera plus avec cette naturelle et élégante distinction qu'un discret détail de recherche vestimentaire rehausse encore.
On parle mal de ceux auxquels vous lient affectueux respect et admiration, et cependant, il me faut ce soir essayer de camper en quelques traits, l'Homme, le Maître auquel la noblesse de caractère comme la grandeur de l'oeuvre réalisée ont conféré des dimensions inaccoutumées.

Les quelques-uns qui ont eu le douloureux privilège d'être à ses côtés jusqu'au dernier moment de sa vie n'oublieront jamais l'ultime et grande leçon de lucide résignation que, stoïque devant la mort, notre Maître nous a encore donnée. Lui à qui, gouvernements et institutions internationales avaient accordé les marques de la plus éclatante estime, lui, à qui les plus insignes honneurs avaient été décernés et qui, en les acceptant comme un hommage à son oeuvre plus qu'à sa personne, en mesurait cependant la précarité, a voulu, par une décision de long­temps mûrie et confiée à ses intimes, que ses obsèques revêtent le caractère de simplicité si intensément vécu par chacun. D'ailleurs, ne le laissait-il pas entendre dans la réponse qu'il fit à l'occasion des manifestations jubilaires qui marquèrent son départ de la Faculté : « Comment ne serais-je pas impressionné par les paroles flatteuses qui viennent d'honorer les activités que je poursuis depuis de longues années... éloges qui, en général, vont à un défunt... »
Il voulait en éviter la répétition publique.

Ainsi, le Doyen Honoraire Jacques Parisot nous a quittés comme il avait toujours vécu, avec dignité et grandeur !
Grand Universitaire, Grand Serviteur de la Santé Publique et de la Coopération Internationale, Grand Humaniste, le Doyen Jacques Parisot restera pour nous tous un grand Exemple.
Homme fier et courageux qui jamais ne transigea avec l'honneur, il aimait à répéter que toujours l'intérêt particulier doit s'effacer devant l'intérêt général. Indépendant, sans être indifférent, il prenait parti, et, pour défendre les idées qu'il croyait justes, n'hésitait jamais à s'engager en parole comme en acte.
De ce courage, de cette indépendance, il a, tout au long de sa vie, donné les preuves les plus émouvantes. Par pudeur de sentiments, il ne les évoquait qu'exceptionnellement et seulement dans les fugitifs moments d'abandon que parfois il s'autorisait. C'était alors sur le ton de l'amicale confidence l'évocation de souvenirs, heureux ou malheureux, d'anecdotes, riches d'enseignement, toujours marquées par la longue expérience qu'il avait du commerce de ses semblables. Ces moments privilégiés pour qui les a vécus à ses côtés laissaient transparaître la grande et foncière bonté de l'Homme, cependant parfois déconcertant par la manière abrupte qu'il avait de dire les choses. Il en déroutait plus d'un le connaissant mal. Parfois même cassant avec certains, les grands du moment n'étaient pas exclus s'il les croyait devoir mériter la rigueur de son jugement.
Fidèle dans ses amitiés, il aimait à évoquer, chaque fois que l'occasion s'en présentait, la mémoire d'amis très chers trop tôt disparus. La courtoisie qui s'alliait chez lui à cette politesse raffinée des hommes de sa génération lui conférait un charme séducteur dont il usait parfois pour obtenir ce que son autorité aurait pu exiger. Il savait aussi, pour ceux qu'il honorait de son estime, de son amitié ou de son affection, être le plus indulgent, le plus bienveillant, le plus efficace des amis, des conseillers. Se voulant disponible pour chacun, il avait fait choix de servir les hommes, avec les ressources de sa belle intelligence ; à ce service, il mettait aussi les richesses d'un coeur dont il cachait souvent les élans pour n'être pas victime de sa grande sensibilité.

Dans une remarquable évocation, M. le Doyen vient de rappeler les éminents mérites de l'Homme de Science, du Médecin, du Professeur, du Doyen. Pouvait-il en être autrement ? Fils, petit-fils et neveu de Maîtres qui illustrèrent notre Faculté, le Professeur Jacques Parisot, lui aussi, l'a particulièrement bien servie depuis cette année 1902 où il entrait comme aide-préparateur au laboratoire de Physiologie jusqu'en 1955, où, entouré de l'admiration et du respect de tous, il la quittait. S'il fallait chercher la motivation de ce dévouement à notre Faculté, ne serait-ce pas dans ces paroles prononcées en 1957... « J'aimais bien cette Faculté et comment ne l'aurais-je pas aimée, élevé que j'ai toujours été dans l'attachement à son Histoire, à sa Vie, dans le respect de ses Maîtres, par ceux des miens qui la servirent... »
Il est instructif, dans l'étude de son oeuvre Scientifique, de noter l'évolution que les événements lui imposèrent, lorsqu'en 1914 la Commission Administrative des Hospices de Nancy lui confia la direction de l'hôpital-sanatorium Villemin qui s'ouvrait et la responsabilité du dispensaire antituberculeux ; ses préoccupations scientifiques ne semblaient pas le destiner et le conduire vers les voies qu'ensuite il exploita avec la réussite que l'on sait.

Mais vint la première guerre mondiale...
Successivement médecin de bataillon, de régiment, d'ambulances, avant d'être, à la fin de la guerre, médecin consultant de la Xème Armée que commandait le Général Mangin, c'est sans doute de là que date la définitive orientation de sa carrière.
Pour cet esprit curieux, épris de recherche, mais aussi de souci d'efficacité pratique, qu'est le Professeur Jacques Parisot, cette époque est l'occasion d'étu­des épidémiologiques sur la grippe, la tuberculose de l'Africain, le typhus exanthématique des prisonniers libérés, la lutte antivénérienne... Cette confrontation avec des problèmes différents de ses habituelles préoccupations scientifiques éveille chez le Professeur Parisot, par la nouveauté et la variété des questions, la gravité et les difficultés de l'heure, un intérêt croissant avec l'ampleur de la tâche. Lui-même le disait : « La paix faite, et alors qu'une place prépondérante incombait à l'hygiène dans la coalition des efforts faits pour conjurer le péril qui menaçait la vitalité même du pays, je n'hésitai pas à m'engager dans cette nouvelle voie et à tendre mon activité vers un but aussi noble et d'un intérêt scientifique et pratique aussi grand. »
Le choix était décidé. L'Homme qui devenait le Maître allait donner ici toute sa mesure et mettre en pratique cette phrase de Léon Bernard, dont il s'honorait d'être l'élève et l'ami, « l'hygiène n'est pas une science contemplative, c'est une science d'action ».

Esprit concret, réalisateur infatigable, le Professeur Jacques Parisot ne pouvait se satisfaire des seules spéculations intellectuelles ; il lui fallait trouver, dans la mise en oeuvre d'activités et d'institutions conformes à l'orientation humaniste de son esprit, les moyens propres à satisfaire son goût d'action et son sens créateur. Il les trouva en deux domaines à son échelle : l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle et la Coopération aux Organismes Internationaux.
Cet Office d'Hygiène Sociale, qu'en plus de quarante années d'inlassable labeur il développa, perfectionna pour en faire l'instrument qu'aujourd'hui encore les Autorités Sanitaires de notre pays considèrent comme un modèle du genre et qui, chaque année, accueille visiteurs ou stagiaires de tous les points du Monde, cet Office d'Hygiène fut sûrement dans l'oeuvre de Santé Publique du Professeur Parisot ce qui lui tenait le plus à coeur. Il lui a permis de faire la preuve d'idées-forces qu'il aimait à développer concernant la médecine sociale dont il disait qu'elle n'était pas médecine socialisée, étatisée, mais « somme d'action sanitaire et sociale, ayant pour programme fondamental la protection et le développement de la personnalité humaine considérée à la fois comme valeur économique et comme valeur spirituelle ».

L'Office d'Hygiène Sociale lui a aussi permis de satisfaire ce, qu'en matière de boutade, il appelait sa manie : « la coopération ».
« Unir sans absorber » fut la devise de sa vie.
Ce grand principe directeur de son oeuvre lui est toujours apparu comme le fondement logique et nécessaire de l'efficacité dans l'économie des hommes et des moyens. Ce qu'il a toujours prôné, et il savait entraîner par sa conviction, c'est « la persévérance dans la réalisation d'une coordination des efforts, efficace méthode pour éviter la dispersion et, au contraire, les valoriser par un appui réciproque. Politique sans doute difficile à mener à bonne fin, mais qui a pu être étendue et appréciée par tous ceux, techniciens français et étrangers, qui viennent en prendre connaissance ».
Mais, dans cette oeuvre, le Professeur Parisot n'oublia jamais sa mission d'enseigneur. N'avait-il pas, avant la lettre, concrétisé l'intégration en invitant ses collègues de la Faculté à venir lui apporter le concours éclairé de leur qualification dans les différentes sections techniques de l'Office d'Hygiène Sociale ?
Conseiller recherché, il serait trop long d'énumérer les Commissions aux­quelles, sur le plan national, il participa, mais il était une réalisation à laquelle il était particulièrement attaché pour en avoir suivi l'évolution, et présidé avec sa maîtrise coutumière les destinées, l'Institut National d'Hygiène d'abord que dirigea son collègue et ami, le Professeur Bugnard ; plus récemment, l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale auquel il se réjouissait de voir son ami, le Directeur Général Aujaleu, consacrer le meilleur de lui-même. Il croyait au rayonnement et à la valeur de cette Institution.

Grand serviteur de la Coopération Sanitaire et Sociale Internationale, il aimait à rappeler les débuts de sa participation aux deux grandes Institutions qui réunissaient ce que le monde d'alors comptait d'éminentes Personnalités, toutes animées par un même idéal, par un même engagement total dans la voie nouvelle de la Santé Publique : l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations et l'Office International d'Hygiène Publique. C'est de cette époque que par-dessus les frontières se nouèrent, entre le Professeur Parisot et une cohorte prestigieuse d'hommes, les Sir Georges Buchanan, Carozzi, Chodzko, Ricardo Jorge, Lutrarîo, Madsen, Miyagima, Stampar, Sand, Welghe, Winslow, des liens d'amitié qui jamais ne se démentiront et que la mort seule vint trancher.
Belle époque, aimait-il souvent à rappeler, où, pour la première fois, tant d'Hommes éminents, dont les noms honorés dans leur pays resteront à jamais inscrits dans les éloquentes archives des activités internationales, se réunissaient pour préparer avec foi et désintéressement les entreprises d'aujourd'hui. Dès 1929, Membre de la Délégation française au Comité d'Hygiène de la Société des Nations, il est, en 1937, appelé par la confiance de ses collègues à en présider les destinés jusqu'à la déclaration de guerre.

A la fin de la seconde guerre mondiale, alors qu'il rentrait marqué par les épreuves endurées, c'est à lui que le Gouvernement fait appel pour participer aux travaux préparatoires de l'Organisation Mondiale de la Santé, et, en 1946, au nom de la France, il signe l'acte de naissance de cette nouvelle et grande Organisation Internationale.
Expert écouté, Conseiller souvent sollicité, les hautes fonctions qu'il assumera dans cette organisation sont, comme le dira le Docteur Candau, Directeur Général de l'Organisation, « marques de respect, certes, et d'une rare densité, mais aussi marques d'une certaine volonté, de la part des Membres du Conseil Exécutif, en 1951, des délégations de l'Assemblée en 1956, de se soumettre avec confiance et sérénité à l'autorité du meilleur d'entre eux ».

Son inlassable activité dans les domaines de la Coopération Internationale lui valut de recevoir, en 1954, la Médaille et le Prix Léon-Bernard, la plus haute consécration pour une carrière vouée à la Santé Publique. En 1956, le Prix René Sand lui est décerné par la Conférence Internationale du Service Social. Elève de l'un, il fut l'ami des deux et ce lui fut l'occasion, à chaque fois, de rendre un vibrant hommage à ces hommes épris comme lui de Santé Publique. Infatigable Promoteur, il avait présidé à la création de l'Union Internationale pour l'Education Sanitaire, Président d'Honneur de cette Organisation non gouverne­mentale, il en suivait, depuis 1951, la destinée. En vrai, est-il dans le domaine de la Coopération Sanitaire Internationale une importante réalisation à laquelle n'ait été associé le nom du Professeur Jacques Parisot ?
Croyant à l'avenir de l'Europe, il apportait, depuis le début, aux Commissions spécialisées du Conseil de l'Europe les fruits de sa longue expérience des affaires sanitaires internationales et l'autorité de sa haute compétence.

Dans une oeuvre tout entière consacrée à la Santé, il était vigilant aux problèmes posés par les Pays en voie de développement et, alors, le sociologue rejoignait le médecin quand il écrivait en parlant de l'assistance technique spécialisée : « Sa valeur résidera, non seulement dans la science, la technique et l'expérience, mais également dans le tact et la compréhension avec lesquels elle sera mise en oeuvre après une sage approche éclairée par l'étude attentive du milieu social. » Il avait conscience que progressivement unis par cette Coopération Sanitaire Internationale, inspiré par cet esprit nouveau, diffusant à travers le Monde, fortement et définitivement convaincu de leur droit à la santé et à la vie, les peuples avides de quiétude imposeraient désormais leur volonté pour le droit à la Paix.

Tel était l'Homme, tel fut le Maître.
Il revenait à celui qui eut l'insigne privilège d'être son dernier élève, et, depuis plusieurs années, son collaborateur de tous les jours, admis dans l'intimité de son oeuvre, de rappeler au nom de tous ceux qui dans le monde se considèrent comme ses disciples ce que fut cet Homme incomparable.
Plus que dans le marbre ou le bronze, c'est dans le coeur de chacun que restera à jamais gravé le souvenir de ce grand Serviteur de la Santé du Monde.

Professeur R. SENAULT

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ALLOCUTION prononcée en l'église Saint-Léon IX de Nancy par le R.P. BRANDICOURT

Un jour, la longue silhouette élégante qui, fière­ment, a repoussé la cassure des ans... Oui! Droite comme un « I » majuscule, que terminerait, en haut, la barre transversale oblique d'un feutre toujours un peu incliné sur le côté... Un jour, cette silhouette, si particulière qui fait dire, de très loin, aux nancéiens : « Tiens ! le Professeur Parisot ! » - cette silhouette, un jour, disparaît.
On chuchote en ville que le Professeur ne va pas.
Lui, le Professeur, que dit-il? Il dit: « Je suis dans une antichambre... ça durera ce que ça durera. »
- Comment entendre ce mot-là?
Il est, c'est bien évident, étant donnée la bouche d'où il sort, ce mot, un diagnostic lucide! mais il a été prononcé de telle façon, avec un tel accent, que, tout aussi évidemment, il est un acte de Foi et un acte d'Abandon.
Au-delà de l'antichambre, Il est Quelqu'un qui l'at­tend, vers Qui il va.
Voilà ce que croit Jacques Parisot.
« Je suis dans une antichambre. » Pour l'heure de rappel, il s'en remet à Celui-là.
« Ça durera ce que ça durera. »
C'est que Jacques Parisot, cet esprit supérieur, qui se sait tel et, comme tel, affiche une certaine morgue, a identifié en Dieu plus fort que lui.
Le Maître a trouvé son Maître! Loyal, il s'est incliné.
Durant les longues semaines d'antichambre, l'homme fier, osons le dire, orgueilleux que nous avons connu, se contentera d'être un fils de Dieu... oui. un simple fils de Dieu soumis:
Pas une plainte, pas un regret, pas un regard en arrière... sur la grande oeuvre accomplie.
Un fils de Dieu d'immense bonne volonté.
« Il faut tenir le coup... jusqu'au bout » dira-t-il
Et quand enfin, le soir, qui sera son dernier soir, lui sera rappelée la sidérante parole du Christ: « A moins que vous ne soyez redevenus comme de tout petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu », il ne paraîtra ni surpris... ni scandalisé par cette parole... mais se dessinera effectivement sur ses lèvres un ravissant sourire d'enfant.
Le grand Jacques Parisot n'a plus à faire antichambre, il a l'humble gabarit d'entrée au Royaume de Dieu.

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HOMMAGE AU PROFESSEUR JACQUES PARISOT

Un éclatant et solennel hommage a été rendu au professeur Jacques Parisot à la Faculté de Médecine de Nancy, le 2 mars 1957, au cours d'une cérémonie présidée par M. Albert Sarraut, président de l'Assemblée de l'Union française, en présence de M. Gaston Berger, Directeur général de l'enseignement supérieur, du Docteur Aujaleu, Directeur général de la Santé, de M. Bernard Toussaint, Conseiller au Ministère des Affaires Etrangères, et de très nombreuses personnalités venues de Paris, de Genève, de différentes villes universitaires. Toutes les autorités civiles, judiciaires, militaires, religieuses, avaient tenu à s'associer à ce témoignage de reconnaissance. La manifestation s'est déroulée dans le grand amphithéâtre de la Faculté, nouvellement achevé, qui portera désormais à son fronton l'effigie en bronze du professeur Parisot. Successivement, avec éloquence, furent magnifiées les activités si diverses du Doyen honoraire. Tout d'abord le Doyen Simonin évoqua le brillant décanat de son prédécesseur, puis le Recteur Mayer salua l'étonnante carrière du Professeur. Le Directeur général Aujaleu rendit alors hommage à l'hygiéniste, à l'administrateur et à l'homme d'action. Au nom du Ministère des Affaires Etrangères, le Conseiller Toussaint évoqua son rôle international, et le Docteur Dorolle y ajouta le témoignage du Docteur Candau, Directeur général de l'O.M.S., qui avait tenu à assurer le Professeur Parisot de son déférent attachement. Le Directeur général Berger magnifia enfin le grand Médecin.

Après avoir rendu aux orateurs qui venaient de s'adresser à lui une partie des éloges recueillis, et remercié les organisateurs et les personnalités présentes, en particulier le président Sarraut avec lequel il fut déporté au camp de Neuengamme-Hambourg, le professeur Parisot s'attacha à définir la mission des Facultés devant l'orientation de la médecine et les impératifs de révolution sociale. Enfin, rendant hommage « au grand Français, au grand patriote qui, dans une époque tragique » sut montrer un impassible courage et défendre avec une dignité héroïque les droits de ses compagnons de captivité, le vibrant discours du président Sarraut clôtura dans l'émotion générale cette très brillante manifestation.

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REPONSE du Doyen Parisot

Prenant la parole pour la dernière fois, je pense, dans cet amphithéâtre, je voudrais évoquer par quelques très brèves considérations un sujet qui m'apparaît d'importance primordiale, dont je me suis toujours préoccupé aussi bien comme Professeur d Hygiène et de Médecine Sociale que comme actif participant à l'action sanitaire et sociale sur le plan national et international : la formation du médecin. Les institutions médicales, comme toutes autres, doivent s'adapter et se perfectionner sans cesse vis-à-vis des situations nouvelles, impressionnées qu'elles sont et modifiées qu'elles doivent être par les acquisi­tions fécondes dont, depuis un demi-siècle tout particulièrement, s'est enrichie la Science médicale au profit de l'art de guérir, de prévenir la maladie, comme de conserver et de développer la santé physique et mentale, aussi bien que par le progrès social dont les constructions nouvelles visent à assurer de mieux en mieux la sécurité nécessaire à la vie des populations.

L'Economie nationale a pour base l'Economie humaine : travail, production, force d un pays sont en étroit et réciproque rapport avec la richesse du capital-santé de sa population. A cet égard donc le rôle imparti au corps médical tout entier se manifeste primordial.

Ainsi, à côté de la médecine dite « de soins » la médecine préventive et sociale constitue une étape logique dans l'évolution de la Science médicale. La Médecine sociale, en particulier, qu'il ne faut pas confondre avec la médecine socialisée, c‘est-à-dire étatisée, somme d'action sanitaire et sociale, a pour programme fondamental la protection et le développement de la personnalité humaine considérée à la fois comme valeur économique et comme valeur spirituelle. Or, je l'ai dit et écrit bien des fois et ce n'est pas une vue théorique mais une conclusion tirée de l'expérience pratique, la protection d'une population, quelles que soient les modalités de son organisation ne requiert pas seulement l'intervention de techniciens, les uns médecins hygiénistes constituant le corps des fonctionnaires sanitaires chargés, suivant l'expression consacrée, de « l'Administration de la Santé publique », les autres médecins spécialisés dans les divers domaines de la Médecine sociale, phtisiologie, vénéréologie, pédiatrie, hygiène mentale, etc... Mais elle repose également sur la coopération du Corps médical dans son ensemble, sur l'activité journalière du médecin praticien, auprès de la famille comme vis-à-vis de la collectivité, apportant le concours technique, moral, social que réclame cette protection moderne.

Il faut donc conclure que les besoins de celle-ci doivent être pris en considération dans l'élaboration et le perfectionnement continu des programmes comme des méthodes d'enseignement : en fait, la politique sanitaire et sociale d'un pays appelle une politique rationnelle et logiquement appropriée d'éducation médicale. On conçoit ainsi que si l'enseignement de la médecine concerne spécialement le Ministère responsable de l'Education Nationale, d'autres Ministères et Institutions ne peuvent s'en désintéresser. Et il m'apparaît particulièrement louable, qu'en plus de la Commission de réforme de cet enseignement, travaillant à cette étude depuis cinq ans au Ministère de l'Education nationale, ait été créé en septembre dernier un comité inter­ministériel pour l'étude de ce problème, placé sous la présidence de mon collègue et ami le Professeur Debré et où se trouvent associés les représentants des Ministères de l'Education Nationale, des Affaires Sociales, de l'Intérieur, des Affaires Economiques, des Secrétariats d'Etat à la Santé et à la Population, du Travail et de la Sécurité Sociale, enfin de la présidence du con­seil pour ce qui touche spécialement à cette question capitale de la recherche scientifique.

Cependant, sans attendre cette réforme qu'on doit espérer rapide, depuis vingt-cinq ans, je me suis efforcé de répondre à ces grandes indications, appuyé par des concours multiples, et visant en particulier à appliquer les directives principales suivantes, très brièvement esquissées. Il faut que d'une façon générale, sans cesse l'esprit de l'étudiant soit orienté vers l'aspect préventif et social de la médecine, et non exclusivement vers la médecine curative. S'il est normal que nos élèves soient renseignés sur les examens de laboratoire de plus en plus nombreux, sur les thérapeutiques également abondantes mais souvent coûteuses qu'ils pourront utiliser dans l'exercice de la profession, il paraît aussi rationnel qu'ils soient mis en garde contre leur abus. Sage leçon que d'enseigner l'économie, sans qu'en soit diminuée l'efficacité de l'acte médical, sage indication aussi que de les incliner à voir, dans le malade, non pas « un cas » ou le « numéro d'un lit », mais l'homme vis-à-vis de son passé et de son avenir, en tant que lui-même et au regard de sa famille et de la collectivité.

Les enseignements de pédiatrie, d'obstétrique, de phtisiologie, de vénéréologie, d'hygiène mentale, de cancérologie, etc.... si on en oriente logiquement la portée, constituent des enseignements cliniques, sans doute, mais aussi de médecine préventive et sociale. Et de même que les services hospitaliers constituent un indispensable champ d'apprentissage, tous les éléments principaux de l'équipement sanitaire et social doivent être utilisés dans le même but. Il faut en particulier que la Faculté puisse posséder ou utiliser par coopération les Centres qui permettront au mieux à l'étudiant renseignement requis en même temps que le travail en équipe avec les techniciens et le service social qui les animent. Par ailleurs, la Chaire d'hygiène de médecine préventive et sociale (peu importe sa dénomination) ne doit pas être chaire théorique. Basée avec avantage sur un Institut d'hygiène universitaire qui, par ses Laboratoires et ses Services techniques, apporte un concours à la Santé publique dans le cadre local ou régional, en collaboration étroite avec les Centres de protection sanitaire et les Institutions sociales, elle ouvre ainsi au professeur et à ses collaborateurs un domaine d'action pratique, celui de la collectivité humaine tout entière, action dont peuvent bénéficier tout à la fois leur enseignement et leurs élèves. C'est bien suivant une telle politique mise en oeuvre avec lui que mon successeur et ami, le Professeur Melnotte continue avec une équipe dynamique à développer une féconde action. Les activités de beaucoup de nos collègues ont été ainsi associées à l'Office d'Hygiène Sociale que je préside depuis plus de trente ans, à ses Centres médico-sociaux, en collaboration étroite avec la Direction de la Santé et de la Population et en spéciale union avec les Institutions de Sécurité Sociale. L'occasion m'est donnée de rendre hommage à tous ceux qui collaborent depuis tant d'années à cet ensemble coordonné spécialement aux activités de l'Office d'Hygiène Sociale, sans omettre le corps des médecins praticiens, ainsi bien formés comme étudiants, qui, par leur concours confiant et qualifié apportent à l'action de celui-ci une large part de sa force et de son succès.

De plus en plus, par une entente logique entre les Ministères de la Santé, du Travail et de la Sécurité Sociale, dans le cadre d'une législation moderne, se créent des centres de réadaptation des diminués physiques, réadaptation fonctionnelle précoce en vue d'une réadaptation professionnelle et sociale appropriée. Lorsque la Caisse régionale de sécurité sociale du Nord-Est a pris l'initiative de créer à Nancy un Centre de réadaptation de conception moderne et originale, dont il faut sincèrement la féliciter, l'esprit d'entente qui règne ici a permis d'établir une logique et nécessaire coordination technique entre le Centre de la Sécurité Sociale, le Centre Hospitalier Régional et les Sections de réadaptation qui y furent réalisées et la Faculté. Bien plus, le Directeur Général de ce Centre est le titulaire de la Chaire de Médecine du Travail et de Réadaptation créée il y a quatre ans, solution avantageuse permettant le développement en ce domaine d'un enseignement complémentaire théorique et pratique, aux étudiants et de perfectionnement aux praticiens susceptible de susciter la collaboration avertie du corps médical à l'effort utile entrepris par la Sécurité Sociale.

Ces quelques exemples prouvent que la Faculté de Médecine, pour la modernisation de son enseignement, comme pour l'utilisation rationnelle des activités techniques précieuses qu'elle peut mettre en œuvre au profit de la collectivité, ne doit pas vivre en quelque sorte repliée sur elle-même, dépourvue de contacts, mais j'entends bien de contacts pratiquement organisés, avec le Corps des praticiens, les services sanitaires et sociaux, la Sécurité Sociale ; il importe que, par intérêt réciproque, elle soit introduite activement dans le circuit général de l'action, développée au profit de la santé des populations de sa région.

Est-il anormal de voir cette expansion de la Faculté de Médecine dans le domaine de l'économie sanitaire alors, pour en effleurer seulement certains exemples locaux, que de longue date la Faculté des Sciences, par ses grandes Ecoles, apporte non seulement dans la région mais sur une beaucoup plus vaste échelle, les concours techniques les plus appréciés. Alors que l'Université elle-même, depuis les créations du Recteur Capelle, développées par le Recteur Mayer à la mesure, cependant encore insuffisante, de leur intérêt et de leur succès, nous offre les réalisations du Centre Européen Universitaire, et du Centre Universitaire de Coopération économique et sociale, futur noyau, je le souhaite, autour duquel s'aggloméreront des organisations techniques complémentaires.

Bien préparé par un enseignement approprié, conscient de « l'Unité de la médecine », le praticien ne comprendra-t-il pas mieux le rôle qu'il peut et doit jouer dans la vie contemporaine, se rendant compte que, dans son action peuvent s'associer, eu proportions variées, médecine individuelle et médecine collective, dans l'application même de la médecine préventive, curative et sociale.

Rejoignant l'humanisme dans sa culture de la personne et l'économie humaine dans son souci du rendement en valeur de santé, de travail, de bien-être, de vie, la Médecine Sociale, partie intégrante de la Médecine d'aujourd'hui, loin de viser à la disparition de la médecine individuelle, en multiplie l'efficacité pour couronner son effort séculaire vers la santé de tous. Inspirée, certes par des directives générales applicables en tous lieux, elle doit cependant s'adapter aux conditions et aux nécessités locales. En outre, elle ne saurait se targuer d'une définitive stabilité ; vivante, elle échappera à tout cadre rigide et à toute routine stérilisante, s'efforçant de rechercher les solutions pratiques que réclament les problèmes posés sans relâche par la vie et la situation nationales, d'orienter et de perfectionner ses interventions à la lumière du progrès médical et social. Mais sa mission et ses devoirs imposent que, dans ses applications collectives, elle n'en procède pas moins vis-à-vis de chacun suivant les règles de la médecine individuelle, dans le respect de la liberté et de la dignité personnelles comme des principes de la Charte Médicale, et que, pour être sociale, elle n'en reste pas moins avant tout foncièrement humaine.

En dehors de sa collaboration dans ce cadre organisé, le médecin, dans l'exercice de sa pratique journalière, individuelle, se doit aussi d'intervenir non comme hier uniquement dans un but curatif, mais également au double point de vue préventif et social. Le malade est une unité, sans doute, mais au milieu d'une collectivité : la famille, l'atelier, la cité. Une médecine qui poursuivrait son but propre sans tenir compte de l'ambiance et des influences réciproques qui en résultent, sans se soucier de savoir si elle contribue au maintien ou à la destruction de la famille, serait insuffisante, et dangereuse pour la Société. De même qu'il doit avoir l'esprit d'observation, le sens clinique, le médecin doit aujourd'hui posséder, de plus en plus, une formation qui lui permette de prendre eu considération l'influence du milieu social au même titre que celle du milieu physique.

Ainsi la Médecine, surpassant chaque jour davantage les limites de l'action et des responsabilités qui normalement lui sont imparties pour la sauvegarde de la Santé, ne peut demeurer étrangère aux transformations sociales du monde moderne ; elle doit s'y associer et participer, de façon constructive, à l'essor de la Société. En vue d'une telle orientation et pour une telle qualification des futurs praticiens, une Faculté de Médecine doit savoir prendre ses responsabilités.

Peut-être, à l'exposé volontairement restreint de conceptions et de réalisations qui m'apparaissent logiquement répondre à quelques impératifs des temps que nous vivons, certains critiques, plus imbus de formalisme qu'inspirés par un esprit clairvoyant, constructif et social, objecteront-ils que c'est là s'écarter du rôle traditionnel imparti à une Faculté de Médecine.

Certes je sais bien qu'il est de mode aujourd'hui, pour certains, de vouloir paraître jeunes en perdant le souvenir des Anciens, comme si pour devenir un peuple jeune, il fallait oublier son passé, alors qu'en vérité le nôtre, que beaucoup nous envient, doit demeurer la source fortifiante du présent. En cette région lorraine et spécialement dans cette Maison, nous ne désirons être jeunes qu'en demeurant fidèlement attachés à ceux qui nous précédèrent, comme aux traditions qu ils nous transmirent.

Car, ce n'est point dire qu'une respectueuse mais rigide observance des habitudes anciennes doive s'opposer à une évolution rationnelle des esprits et de Faction vis-à-vis de circonstances et de nécessités nouvelles. Qu'ainsi soient empêchées des réformes, des mesures légales, des activités inédites et sans doute peu conformes au statut réglementaire de nos Etablissements d'Enseignement, utiles cependant pour le présent et en vue de l'avenir et dont, en vérité peuvent dépendre les modalités de l'exercice, la valeur de la médecine française et l'intérêt général de la Santé et de l'Economie nationales. Nos traditions sont trop riches d'exemples et de vertus pour qu'elles n'inspirent pas les esprits dans cette recherche de la modernisation de nos efforts et sans qu'atteinte soit portée à la dignité de notre action vis-à-vis des structures nouvelles imposées, pour le bien public, par le progrès social.

En vérité les transformations du monde moderne, découlant de la conjoncture économique et sociale, des progrès immenses en tous domaines, des besoins et des aspirations des collectivités, ne peuvent manquer d'intéresser la profession médicale, et spécialement nos Facultés. Or cette évolution, d'autant plus inexorable qu'elle ne concerne pas seulement notre pays mais l'ensemble du monde, faut-il s'en désintéresser au risque de s'exposer un jour, inéluctablement, à subir les conséquences de mesures hâtives répondant à ses impératifs, insuffisamment méditées quant à leur efficacité et à leur répercussion. N'est-il pas logique au contraire d'étudier attentivement les transformations en cours et celles à venir, de leur apporter un soutien rationnel en envisageant suffisamment à temps, dans la réflexion et la sagesse, les solutions et les activités nouvelles qui s'imposent, telles aussi que soient évités des bouleversements capables de nuire à l'avenir de la Médecine.

Ainsi que je l'esquissais précédemment, notre Faculté s'est engagée dans cette voie ; l'avenir prouvera, j'en ai la profonde conviction, que se faisant, elle répond, dans l'ordre et la mesure, à cette haute mission qu'est la promotion du progrès médical et social. Je suis certain que cette vieille Maison, sans cesse rajeunie par l'animation de ses maîtres et par l'émulation de ses élèves, poursuivra sa marche ascendante dans la dignité de ses traditions et en complète harmonie avec les Facultés dont l'ensemble fait la juste renommée de notre Université. Je souhaite que, par le rayonnement de son enseignement et la valeur de ses recherches, elle manifeste toujours davantage la vitalité de son ardeur et de son enthousiasme consacrés au perfectionnement scientifique et à l'honneur de la Médecine française, qu'enfin elle persévère dans le concours apprécié qu'elle apporte à l'effort solidaire et confiant mené par le Corps Médical et les Institutions d'Action Sanitaire et Sociale, au service de la Santé et du bien-être des populations laborieuses de notre région lorraine.

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NOTICE BIOGRAPHIQUE

- Titres universitaires

Préparateur de Physiologie : 1904 - Chef de Clinique médicale : 1906 - Docteur en Médecine : 1907 - Chargé des fonctions d'agrégé : 1910 - Agrégé des Facultés de Médecine : 1913 - Chargé de cours de Pathologie générale et expérimentale : 1919 - Professeur sans Chaire : 1925 - Professeur titulaire de la Chaire d'Hygiène et de Médecine préventive : de 1927 à 1955 - Doyen de la Faculté de Médecine : de 1949 à 1955 - Professeur et Doyen honoraire : 1955.

- Fonctions remplies au titre de l'université - plan départemental et régional

Vice-Président du Conseil de l'Université - Vice-Président du Conseil d'Administration du Centre Européen Universitaire - Vice-Président du Comité de Médecine Préventive de l'Enseignement Supérieur - Membre du Comité Régional des oeuvres en faveur de la Jeunesse Scolaire et Universitaire - Membre de la Commission de la Mutuelle Générale des Etu­diants de Lorraine et de la Section locale de la Sécurité Sociale des Etudiants.

- Fonctions remplies au titre de la santé publique - plan départemental et régional

Président de l'Office d'Hygiène Sociale du département de Meurthe-et-Moselle depuis 1922 - Membre du Conseil départemental d'Hygiène - Vice-Président du Comité départemental du Service Social de la main-d'oeuvre étrangère - Membre du Conseil d'Administration du Centre départemental d'Orientation professionnelle - Membre de la Commission de Surveillance de la Prison de Nancy - Membre de la Commission de Surveillance de la Maternité départementale - Président de la Commission administrative de la Maison départementale de Secours et de l'Hôpital départemental J.-R. Thiéry - Membre de la Commission régionale d'aménagement et d'agrandissement des Hôpitaux - Membre de la Commission d'agrément des Etablissements de soins et de cure - Membre de la Commission régionale d'action sanitaire et sociale de la Sécurité Sociale.

- Fonctions remplies dans le cadre national

A) Ministère de l'Education Nationale.

Membre du Comité Consultatif des Universités - Président de la Commission consultative permanente pour les études d'Hygiène et d'action sanitaire et sociale.

B) Ministère de la Santé Publique et de la Population.

Conseiller technique du Ministère.

Membre du Conseil supérieur d'Hygiène.

Membre du Conseil supérieur d'Hygiène Sociale et Président de sa IVe section.

Membre du Conseil supérieur de l'Entr'Aide Sociale et Président de sa IVe section.

Président de la Commission des Directeurs des Centres Régionaux d'Education Sanitaire.

Président du Comité technique du Centre National d'Education Sanitaire, Démographique et Social.

Président du Conseil de Direction, du Comité scientifique et pédagogique de l'Ecole Nationale de la Santé.

Président du Conseil d'Administration de l'Institut National d'Hygiène.

Président du Comité Français de Service Social.

C) Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale.

Président du Comité technique d'Action sanitaire et sociale de la Sécurité Sociale.

Président du Comité technique d'Action sanitaire et sociale de la Sécurité Minière.

Président de la Commission nationale du Contrôle médical de la Sécurité Sociale et de la Sécurité Minière.

Membre du Conseil supérieur de la Médecine du Travail et de la Main-d'oeuvre.

Membre de la Commission d'Hygiène Industrielle.

Membre de la Commission nationale des Centres psycho­techniques du Ministère du Travail.

D) Ministère de l'Agriculture.

Membre du Conseil supérieur de l'Agriculture (111ème Section - Hygiène rurale).

K) Ministère des Affaires Etrangères.

Président de la Commission mixte des Affaires Etrangères-Santé Publique concernant la collaboration de la France à l'Organisation Mondiale de la Santé.

Membre de la Commission Consultative pour l'étude des problèmes d'ordre général intéressant la participation de la France aux Institutions spécialisées des Nations-Unies.

Représentant de la France dans plusieurs Organisations de coopération internationale (voir ci-dessous).

- Fonctions remplies dans le cadre international

A) Organisations de Coopération internationale d'ordre gouvernemental.

1° Jusqu'à la disparition de la Société des Nations remplacée par l'Organisation des Nations-Unies.

Représentant de la France au Comité d'Hygiène de la Société des Nations (Désignation du Ministère des Affaires Etrangères et du Ministère de l'Hvgiène) depuis 1934.

Président du Comité d'Hygiène de la Société des Nations depuis 1937 (élu à l'unanimité).

Membre de plusieurs Commissions du Bureau International du Travail (1934-1939).

Missions techniques nombreuses - études - conférences (en qualité de représentant de l'Organisation d'Hygiène S. D.N.) de 1934 à 1939 en tous pays d'Europe (U.R.S.S., etc...) et en U.S.A.

2° Depuis l'avènement des Nations-Unies et la constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé (O.N.U.).

Membre, puis Président de la Délégation française à la Conférence Mondiale de la Santé des Nations-Unies (New-York), juin 1946.

Délégué à l'Organisation Mondiale de la Santé au Comité exécutif de l'Union internationale contre le péril vénérien - contre le cancer - contre la tuberculose (octobre-novembre 1946).

Chef de la Délégation française à l'Assemblée Mondiale de la Santé (O.M.S.) depuis 1948.

Membre (désigné par le Gouvernement français) du Conseil exécutif de l'O.M.S.

Président du Conseil exécutif de l'O.M.S. (élu à l'unanimité, juin 1951).

Chef de la Délégation française au Comité de Santé Pu­blique du Pacte de Bruxelles depuis 1949.

Président de la 9e Assemblée Mondiale de la Santé à Genève en mai 1956.

B) Organisations internationales d'ordre non gouvernemen­tal.

Président d'Honneur de l'Association internationale de Médecine préventive.

Président d'Honneur de l'Association internationale d'Education sanitaire, démographique et sociale.

Membre Correspondant de l'Académie de Médecine des U.S.A. (New-York).

Membre d'Honneur de l'Association américaine d'Hygiène Publique.

Membre d'Honneur de la Fédération italienne des Médecins Hygiénistes.

- Titres militaires

Mobilisé du 2-8-1914 au 10-5-1919, du 2-9-1939 au 8-11-1940 - Médecin-Colonel de réserve - Désigné par la Résistance pour prendre les fonctions de Commissaire de la République (Nancy) - Dénoncé - Arrêté par la Gestapo et déporté politique (Camp de Neuengamme) - Hambourg puis Forteresse de Teresin et Camp de Travail de Brezany (Tchécoslovaquie) - Délivré par le maquis tchèque et l'Armée Rouge.

- Distinctions honorifiques

Grand-Croix de la Légion d'Honneur - Croix de Guerre 14-18 (4 citations) et 39-45 (1 citation) - Commandeur dans l'Ordre des Palmes Académiques - Titulaire de nombreuses autres décorations françaises et étrangères - Membre Correspondant de l'Académie Nationale de Médecine.