WOLFF René

1899-1982

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ELOGE FUNEBRE

Je dois aujourd'hui parler d'un homme hors du commun, par ses origines, par le non conformisme de sa formation initiale, par les difficultés particulières que les grands événements de notre temps lui ont imposées, mais surtout par la qualité de sa personnalité qui lui a permis de surmonter ces obstacles avec simplicité, avec un apparent détachement, chaque épreuve faisant naître en lui de nouvelles possibilités créatrices.

Le Professeur René WOLFF est né à Colmar, le 29 janvier 1899. Après de brillantes études secondaires au lycée de sa ville natale, il entre à l'Ecole de Chimie et entreprend des études à la Faculté des Sciences de Strasbourg. Licencié es sciences physiques, ingénieur chimiste de l'Université de Strasbourg, il devient à 21 ans préparateur à l'Institut de Physiologie de la Faculté de Médecine et sous la direction du Professeur A. MEYER s'initie à la recherche expérimentale et aux disciplines médicales ; il réalise alors ses premières publications qui sont présentées à la Société de Chimie Biologique. L'intérêt croissant qu'il porte à la recherche médicale qu'il vient de découvrir, le conduit bientôt à assurer la direction du laboratoire du Professeur WIDAL à la Faculté de Médecine de Paris et à préparer les travaux pratiques de chimie chez le Professeur DESGREZ, titulaire de la chaire de Paris. Parallèlement, il entreprend des études de médecine et présente sa thèse inaugurale en 1929 qui porte sur : « la mesure du quotient respiratoire en clinique et son application à l'étude du métabolisme des hydrates de carbone dans le cancer ». Il devient alors assistant du Professeur DESGREZ.

En 1933, il est reçu au concours d'agrégation de chimie biologique et prend ses fonctions à la Faculté de Médecine de Nancy où il retrouve avec plaisir une région proche de son Alsace natale, à laquelle il restera toujours très attaché. Il entreprend alors de nombreuses recherches en collaboration avec plusieurs services cliniques, recherches brutalement interrompues lorsqu'éclate la seconde guerre mondiale. Il est mobilisé le 7 septembre 1939 avec le grade de médecin lieutenant. Au mois de juillet 1940, il retrouve sa famille dans le sud de la France, il est mis à la disposition du Recteur de Toulouse.

Il se souviendra, toujours avec reconnaissance, de l'accueil amical et chaleureux qu'il trouva auprès du Professeur VALDIGUIE, titulaire de la chaire de biochimie de Toulouse. Révoqué quelques mois après par le régime de Vichy, il trouve pour un temps refuge dans le laboratoire de Roger BELLON et participe à la mise au point de plusieurs extraits thérapeutiques. L'emprise du nazisme se resserrant sur notre pays, il doit alors quitter la France et subir plusieurs mois d'internement en Suisse.

Avec la fin des hostilités, il retrouve la Lorraine et notre Faculté de Médecine. Il est nommé titulaire de la chaire de Chimie Médicale. Après la tourmente, tout est à reconstruire. Suit alors une très longue période, plus paisible mais néanmoins toujours très active, d'un travail fructueux d'enseignement et de recherche qui honora l'Université de Nancy en une période où la biochimie est en plein essor. C'est auprès de lui que de très nombreux médecins installés dans la région ont été initiés à cette discipline. Certains d'entre eux ont fréquenté quelques temps son laboratoire pour y trouver la rigueur du raisonnement et de l'expérimentation scientifique : les Professeurs DE LAVERGNE, DESGREZ, LARCAN, le Recteur MAGNIN, le Docteur ROYER par exemple. D'autres, conquis par la biochimie ont fondé des laboratoires : Madame KARLIN à Lyon, Monsieur BRIGNON à Nancy ou sont devenus à leur tour des Maîtres dans cette discipline : Les Professeurs PAYSANT, Pierre et Francine NABET.

Les éminents mérites du Professeur WOLFF ont été consacrés par les honneurs officiels, il a été fait Chevalier de la Légion d'Honneur et Commandeur des Palmes Académiques. Il était membre correspondant de l'Académie Nationale de Médecine. La fin de l'année 1972 a marqué pour lui une nouvelle période, celle de la retraite, une retraite active comme l'a été toute sa vie. Il participait très assidûment aux séances de l'Académie de Médecine où il retrouvait toujours avec plaisir les membres nancéiens de cette assemblée.

Les travaux scientifiques de Monsieur le Professeur WOLFF recouvrent la presque totalité de notre discipline. Consacrant tout son temps à son laboratoire, travaillant avec une modicité de moyens, qui fera plus tard l'étonnement de beaucoup, il a présenté au cours de sa carrière plus de 250 communications et mémoires scientifiques. Ceux-ci portèrent principalement sur l'étude des électrolytes et des phénomènes d'oxydo-réduction, sur le métabolisme des glucides et des lipides et sur les hormones, les coenzymes et les vitamines.

Monsieur le Professeur WOLFF a toujours eu le souci d'appliquer ses découvertes fondamentales à la biologie et à la recherche médicale comme sa double formation de scientifique et de médecin le lui permettait. Dès ses premières recherches, il s'est révélé être un précurseur en introduisant en France la mesure du quotient respiratoire et de la dépense calorique totale, mettant au point un dispositif original qui rendait possible les mesures en série. On sait le retentissement que connurent ces travaux qui restent toujours d'actualité.

Puis le Professeur WOLFF s'intéressa au métabolisme des substances minérales en procédant à de nombreuses recherches sur le calcium et le magnésium dans le sang et dans les tissus de divers organes et en étudiant les variations physiologiques, pathologiques et expérimentales de ces éléments à l'aide de techniques personnelles de microdosage. Il mit ainsi en évidence l'existence d'une étroite corrélation entre la concentration en magnésium et la chronaxie musculaire.

Il orienta ensuite ses recherches sur l'étude des stérols et des lipides du sang : développant des techniques de dosage du cholestérol, des acides gras, des phosphoaminolipides ; il étudia les facteurs qui modifient la résorption intestinale de ces substances et leur captation par le tissu adipeux sous l'influence d'une lipoprotéine lipase : le facteur clarifiant. Il mit ainsi à la disposition du clinicien un certain nombre d'épreuves afin de tenter de faciliter le diagnostic précoce de la maladie athéromateuse.

Une longue expérience de l'étude du métabolisme intermédiaire des microorganismes et de celle des vitamines, acquise au cours de travaux sur l'acide folique, la vitamine B12, lui permit de proposer une technique microbiologique de dosage de la vitamine B12 peu de temps après l'identification de cette vitamine. Il appliqua cette technique de dosage aux liquides biologiques et tissus chez des sujets sains et pathologiques et les valeurs qu'il définit, font toujours autorité. Poursuivant les recherches en ce domaine, il étudia le mécanisme d'absorption intestinale de cette vitamine qui se trouve sous la dépendance du facteur intrinsèque gastrique de Castle. Il proposa alors une technique de détection du facteur intrinsèque qu'il ne cessa de perfectionner.

La curiosité intellectuelle et la jeunesse d'esprit du Professeur WOLFF le conduisirent à aborder le problème récent des maladies auto-immunes mettant en évidence l'activité des auto-anticorps et décrivant la présence de ceux-ci dans divers liquides biologiques. Il apporta ainsi des arguments à l'éventuelle origine auto-immune de certaines anémies par carence en facteur intrinsèque.

Il ne nous est pas possible de résumer en si peu de temps les travaux conduits au cours d'une carrière si longue et si fertile et nous nous contenterons de mentionner encore ceux consacrés en particulier aux acides nucléiques, à l'adénosine triphosphorique et aux hormones hypophysaires. La richesse et la valeur de cette recherche étaient l'expression de la qualité d'une âme et d'un esprit. Il était tout entier tourné vers la vérité d'où sa franchise, qui pouvait peut-être sembler un peu rude à certains, et son refus des faux semblants. Il se consacrait pleinement à la science et conscient de la relativité des choses, il refusait de se prendre totalement au sérieux.

Alors qu'en 1972, à la veille de son départ en retraite à Paris, j'osais enfin lui demander : « Pourquoi vous mettiez-vous tellement en colère lorsque vous constatiez des dégradations dans le matériel ? », il m'a répondu sur son ton inimitable : « Parce que je n'aime pas que l'on me casse mes jouets ! ». Tout l'homme est là, avec sa générosité qui refusait de s'attribuer le mérite de son activité au service de la science pour n'en faire qu'un jeu gratuit du reste bien réel, avec son humour qui dissimulait sous une boutade le total engagement de son être. Il était profondément humain et semblait toujours se protéger des excès de sa sensibilité sous des dehors faussement bourrus qui ne pouvaient guère tromper.

Chercheur d'une science très spécialisée, il ne s'est jamais laissé enfermer par les limites de sa discipline, de ses habitudes et de sa nation, il était un homme ouvert sur le développement scientifique, disponible pour toutes les innovations, il avait su créer des liens par-delà les frontières : « On dit bien vrai qu'un honnête homme, c'est un homme mêlé ». Ce sont toutes ses qualités, celle de sa recherche comme celle de l'homme qui lui ont permis de donner à son laboratoire une personnalité internationale.

Tel était, je crois, le Maître que j'aimais, tel fut pour vous le collègue, qui pendant près de 39 ans, contribua grandement, au renom et au prestige de la Faculté de Nancy.    A madame WOLFF qui l'a discrètement et efficacement soutenu dans son oeuvre et à ses trois enfants qui suivent ses traces de médecin et de chercheur, nous présentons l'expression de notre affectueuse sympathie, ils peuvent être assurés que la mémoire du Professeur WOLFF ne s'effacera pas dans nos coeurs et qu'elle demeurera dans l'histoire de notre Université.

Professeur J.P. NICOLAS