CUNY Gérard

1925-1996

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ELOGE FUNEBRE

Dans la dignité et la plus grande discrétion, le Professeur Gérard CUNY nous a quittés le 26 décembre 1996 à l'âge de 71 ans à la suite de ce qu'il est convenu d'appeler une longue et cruelle maladie. La carrière qu'il a su accomplir avec tant de modestie et de simplicité fût exceptionnellement riche et exemplaire tant en Médecine Interne et Gérontologie que dans le cadre des nombreuses fonctions électives et responsabilités administratives qu'il a toujours pleinement assurées. En retraite effective de ses fonctions hospitalo-universitaires depuis 1994, il continuait à oeuvrer quotidiennement pour la gérontologie en exerçant depuis 1989 les fonctions de Président de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle.

Il faisait partie des pionniers qui, à l'issue du colloque de Nancy présidé par les Professeurs Claude Laroche et René Herbeuval, avait contribué en 1978 à la création de la Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Il jouera un rôle moteur et décisif dans le développement de la Médecine Interne et restera toujours fidèle à cette discipline fondamentale qu'il exerça avec passion. Il assurera deux mandats électifs au Comité Consultatif puis au Conseil Supérieur des Universités de Médecine Interne. Il présidera avec les Professeurs Jean Schmitt et Jean-Pierre Grilliat le XIe congrès de la Société Nationale Française de Médecine Interne s'étant tenu à Nancy en 1984. Il s'acquittera de ses fonctions de coordonnateur interrégional du DES de Médecine Interne et de coordonnateur du groupe des internistes nancéiens avec le souci permanent de l'intérêt de la communauté des internistes et de la discipline. Sa dernière action pour la Médecine Interne sera de fonder en 1991 le Collège des Internistes Lorrains.

Très impliqué dans l'émergence de la gériatrie il militera sans cesse pour qu'elle se développe dans le cadre de la Médecine Interne et pour qu'elle en constitue un pilier essentiel. Il défendra cette option aussi bien dans les instances gériatriques nationales et la SNFMI, qu'à l'échelon nancéien. Il avait en effet fait le choix il y a plus de 40 ans de consacrer sa carrière professionnelle à la gérontologie.

Après des études secondaires et médicales à Nancy, il est reçu externe des Hôpitaux en 1946 puis interne des Hôpitaux en 1950. La thèse de médecine qu'il soutient en 1955 est consacrée à « l'hypertension artérielle du sujet âgé ». Couronnée par l'Académie de Médecine elle préfigure son orientation ultérieure vers la gérontologie. Les fonctions de chef de clinique qu'il exerce de 1953 à 1957 inaugurent son action dans le domaine de la gériatrie. En 1958, il est nommé chef du laboratoire de pathologie médicale de la clinique gériatrique ouvert un an plus tôt par le Professeur Herbeuval. Assistant stagiaire de pathologie médicale en 1959, il est délégué dans les fonctions d'Agrégé de médecine en 1961 avant d'être intégré comme Maître de Conférences Agrégé de Médecine Générale et Thérapeutique - Médecin des Hôpitaux en 1964. Professeur sans chaire de 1967 à 1969, il est nommé Professeur titulaire à titre personnel en 1969.

Il participera en octobre 1958 à la première réunion de la section clinique européenne de l'Association Internationale de Gérontologie à Sunderland (England) au cours de laquelle l'école nancéienne (R. Herbeuval and G. Cuny) présentera une des deux communications françaises : « Treatment of cancer of the prostate and adenoma of the prostate » dans la session consacrée à « Genito-urinary disturbances in Old âge ». Il assurera avec E. Woodford-Williams le secrétariat de la deuxième réunion de cette section s'étant tenue à Nancy et Vittel en juin 1959 sous la présidence de R. Herbeuval et la présidence d'honneur du Doyen J. Parisot. Il assistera avec assiduité aux réunions ultérieures de la section européenne et aux congrès de l'Association Internationale de Gérontologie (La Haye, Bruxelles, Copenhague, San Remo, Londres).

Sous l'impulsion de son Maître, le Professeur René Herbeuval, il prend la difficile décision d'orienter sa carrière vers la gérontologie. Il contribue ainsi à réactiver l'école gérontologique nancéienne qui avait de 1878 à 1913 assuré un enseignement complémentaire de gériatrie et développe dès lors ce courant avec détermination. Membre fondateur de la Société Française de Gérontologie en 1961, il en assure la présidence de 1970 à 1974. Parallèlement, il fonde la Société de Gérontologie de l'Est qu'il préside de 1976 à 1979. Il sera également membre fondateur de l'Office Nancéien des Personnes Agées (ONPA). En 1971, il crée le club franco-britannique de gériatrie dont la première réunion siégera à Glasgow et qui deviendra ultérieurement le club gériatrique européen.

Dans le même temps, il développe à Nancy la réadaptation gériatrique. Tandis qu'il s'enrichit des expériences acquises à Londres auprès de Miss Warren puis en Suède, le Doyen J. Parisot et le Professeur Herbeuval concrétisent le projet d'un Centre de Réadaptation dans la région nancéienne. Gérard Cuny en sera le maître d'oeuvre avant d'en devenir le conseiller technique. Après avoir exercé les fonctions de Directeur adjoint de la section médico-sociale d'aide aux personnes âgées de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle, il en est élu Président en 1989 et poursuivra son action médico-sociale tant dans le domaine de la gérontologie que dans celui de l'enfance jusqu'en mai 1996, date à laquelle, sous l'emprise de sa maladie, il démissionne de ses fonctions.

Sa notoriété, non seulement nationale mais internationale, dans le domaine de la gérontologie où ses travaux font autorité, lui vaut d'être élu ou nommé dans de nombreux organismes régionaux, nationaux ou internationaux : Président du Centre Lorrain de Gérontologie Sociale, Président de la Fondation Lorraine pour la recherche, membre du conseil scientifique du Centre de Médecine Préventive de Nancy, chargé de mission au Conseil de l'Europe en Suède, en Norvège et au Danemark, expert QMS, Président de la commission nationale hospitalo-universitaire, membre du conseil scientifique de l'Institut National d'Etudes Démographiques, membre de la commission du conseil scientifique de la Fondation Nationale de Gérontologie, membre du Haut Comité Médical de la Sécurité Sociale. Il assurera de nombreuses années la coordination interrégionale du DESC de gériatrie et la direction régionale de la capacité de gériatrie. En 1993, il crée le Certificat Européen de Gérontologie en Action Sociale dont il présidera le comité scientifique jusqu'en 1996. Sa dernière action dans le domaine gériatrique sera de coordonner avec ténacité la conception d'un précis de gériatrie.

Il assumera de nombreuses fonctions administratives parmi lesquelles celles de Vice-Président de la Commission Médicale d'Etablissement du CHU et de Vice-Doyen de la Faculté de Médecine de Nancy, période au cours de laquelle il assurera plusieurs missions d'enseignement dans les Universités de Lavai, de Sherbrooke, de Montréal et de Québec. Les distinctions honorifiques sont venues récompenser le mérite de ce Maître éminent, pionnier d'une nouvelle discipline. Nommé Chevalier dans l'ordre des Palmes académiques en 1971 il est élevé au grade d'Officier en 1978 et reçoit le titre de Chevalier dans l'Ordre national du Mérite en 1982.

Son image restera à jamais ancrée dans nos mémoires, à travers sa vie de médecin, d'enseignant, de responsable et, pour les plus enviés, de compagnon, d'ami... De l'enseignant que beaucoup ont eu le privilège d'avoir, se dégageaient déjà l'autorité naturelle et la qualité du pédagogue qu'il aura su personnifier tout au long de sa vie. Son souci permanent de la rigueur, son assurance dans la prise de décision, son esprit critique et d'analyse se retrouveront dans l'homme de soins auprès duquel ce fut un honneur de travailler. Ses patients ont pu bénéficier de ses qualités humaines favorisant tout naturellement la confiance réciproque nécessaire à une démarche clinique de qualité. Toujours soucieux de la relation médecin-malade, il a été un exemple, un modèle pour ceux qui ont pu bénéficier de l'observation de son approche du malade, tant dans la voix, le regard, que dans le geste, toujours assurés et rassurants.

Combien ont été mis en difficulté face à la pertinence de ses questions qui, indirectement, avaient toujours pour finalité d'améliorer la prise en charge du malade. Le respect qu'il inspirait, son charisme, la manière qu'il savait utiliser dissipaient tout malaise et sentiment de crainte. Beaucoup regretteront ces moments enrichissants, constructifs et motivants.

Quelle clairvoyance était la sienne ! Avec l'intuition de l'avenir qui le caractérisait, bien avant les textes et règlements désormais nécessaires, éthique et déontologie ont toujours été pour lui naturelles. Il nous a appris à ne jamais dissocier le corps, l'esprit et l'homme dans sa dimension sociale. Cette approche globale du malade qu'il pressentait comme incontournable est désormais reconnue de tous et les acteurs sanitaires et sociaux se rejoindront bientôt dans les filières et les réseaux. Tous les membres de son personnel ont encore le souvenir de l'homme d'équipe qu'il a su être. Avec sa simplicité, sa modestie, son sens de l'écoute, le temps qu'il savait consacrer au dialogue, une fréquente note de paternalisme mais aussi avec son autorité naturelle et son charisme, il a su imprégner chacun d'un esprit de travail collectif au profit du malade et cela sans heurts, sans à-coups. Son action humaniste ne s'est pas arrêtée aux portes des établissements hospitaliers. Toujours avec la même conviction, la même pédagogie, il a oeuvré pour la santé et la meilleure prise en charge du malade à domicile en intervenant auprès des aidants, des familles et des associations de malades avec un dévouement sans limite. Nombreux sont ceux qui ont pu apprécier à travers son investissement caritatif l'homme social et sociable qu'il était. Grâce à sa très grande expérience des hommes et des structures il a également su être un homme de conseils dont auront su bénéficier beaucoup de ses collègues, jeunes et moins jeunes. Jusqu'aux dernières fonctions administratives qu'il a exercées pendant plus de sept ans, il est resté l'homme de référence, l'homme d'excellence dans son domaine. Il a su incarner l'intégrité, la droiture, le souci de l'équité. Il lui fallait peu de temps pour analyser autrui avant de lui attribuer sa confiance qui une fois gagnée l'était à jamais. Peu nombreux sont ceux qui peuvent s'enorgueillir d'avoir su allier comme lui savoir, rigueur, humanisme, intégrité, dévouement et modestie. Etudiants, patients, soignants, aidants, collègues, et toutes les personnes qui ont eu l'avantage de le connaître garderont, indélébiles, les nombreux messages qu'il a su leur transmettre.

Mais sa dernière épreuve fut certainement sa plus grande, sa plus belle leçon. Avec un sens aigu du jugement et une lucidité rares, il a, d'un trait, tracé sa fin de vie, abandonnant du jour au lendemain ses fonctions dans le souci constant, de ne pas nuire mais aussi afin d'assurer au mieux une continuité. Il aura su jusqu'au terme nous montrer la force morale, le courage sans faille qui l'animaient, à de nombreux titres exemplaire. Il aura su jusqu'au bout faire preuve d'une dignité exceptionnelle. Lui qui a consacré sa vie à autrui, il s'est éteint sans bruit, entouré de tous les siens, Madame Cuny, ses enfants et petits-enfants a qui nous assurons notre plus profonde et respectueuse sympathie.

Nous garderons en mémoire sa silhouette toute de simplicité et d'humilité, sa voix toujours sûre et chaleureuse. Nous regretterons de ne plus goûter aux plaisirs de ces entrevues, de ces rencontres puis de ces visites qui nous paraissent maintenant trop courtes et lointaines. Qu'il soit assuré que tous ses élèves et collaborateurs garderont de lui le souvenir fidèle d'un Maître incontesté qu'il admiraient et aimaient.

Professeur C. JEANDEL