1929-1999
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ELOGE FUNEBRE
Le Professeur Jean Schmitt nous a quittés le 9 août dernier dans la quiétude des vacances pour beaucoup d'entre nous. Cette disparition dans la discrétion et la simplicité, après avoir lutté avec courage et dignité face au mal implacable qui l'emportait, et en assumant jusqu'au bout ses multiples responsabilités, est à l'image de sa vie. Moins de trois ans après la disparition de Professeur Gérard Cuny, la médecine interne est à nouveau endeuillée. Ces événements tragiques tournent sans doute une page de l'histoire de notre établissement, marquée par la place éminente qu'ont tenu les cliniques médicales A et B dans le développement du CHU. C'est dans ce creuset que se sont nées la plupart des spécialités médicales et que se sont formés nombre de nos maîtres, dont beaucoup sont ici présents. L'un était « d'Herbeuval », l'autre de « Kissel ». Tous deux chérissaient leur maître et sont restés fidèles à son enseignement. Jean Schmitt était très proche du Professeur Pierre Kissel pendant toutes ces années où ils se sont côtoyés quotidiennement à l'hôpital Central. Il s'était pleinement identifié à son maître, au point d'en devenir le gardien jaloux de la mémoire. Proximité jusque dans la mort un début d'août et des obsèques dans la même église Saint-Mansuy de Nancy.
Jean Schmitt est né à Nancy le 1er avril 1929. Bachelier en 1947, il choisit les études de médecine. Externe des Hôpitaux de Nancy en 1950, Interne des Hôpitaux en 1952, il est Docteur en Médecine en 1958, puis assistant des hôpitaux l'année suivante et Médecin des Hôpitaux de Nancy en 1963. Il gravit rapidement les échelons universitaires à la faculté de médecine Nancy. Assistant de bactériologie, titulaire des Certificats d'Études Spéciales de Sérologie et de Neuropsychiatrie, il est Chef de Clinique Neurologique de 1958 à 1960, Maître de Conférence Agrégé de Médecine Générale en 1963, Professeur sans chaire en 1967, Professeur à titre personnel de Médecine Interne en 1971 puis Praticien Hospitalier - Professeur des Universités de Médecine Interne en 1985. Il accomplit ses obligations militaires comme Médecin Lieutenant au Maroc en 1953 -1954, où il fera la connaissance de sa future épouse. Il est rappelé en Algérie en 1956, en tant que Médecin Capitaine de Réserve, et il évoquera souvent les souvenirs de cette campagne pour laquelle il fut décoré, et de ce pays auquel il restait attaché.
Nommé en 1971 Chef de Service de Médecine Interne dans le service de Médecine H à l'Hôpital Central, il y accomplira le reste de sa carrière jusqu'à sa retraite volontairement anticipée en 1992. C'est dans ce service que je le rejoignais en 1984, suivant ainsi tant de jeunes médecins qui avaient choisi son service pour l'excellence de la formation qu'ils y recevaient et l'atmosphère paisible qui y régnait, en dépit de l'activité médicale intense multidisciplinaire. La qualité du service était attestée par tous et je me souviens de la réflexion pleine de modestie du Professeur Cuny lors d'une réception des internes fraîchement nommés : « ah, vous avez choisi la médecine H, vous avez bien fait, c'est le meilleur service ! ». Dans ce véritable département de Médecine interne, à la manière anglo-saxonne, on se frottait à tous les domaines de la médecine au carrefour de nombreuses disciplines : la neurologie et la myopathologie, qui étaient les domaines de prédilection de Jean Schmitt, l'hépatogastroentérologie et la médecine vasculaire. Il faut souligner que, malgré la charge de travail importante liée aux activités cliniques et techniques multiples et à l'accueil incessant des urgences, le manque de personnel, déjà, et l'hôtellerie précaire, Il régnait dans ce service une atmosphère bonne enfant, à la fois studieuse et décontractée. Nul doute que la personnalité du chef de service y était pour beaucoup. Il exerçait pleinement son autorité, mais avec simplicité et discrétion sans un mot de trop et sans jamais hausser le ton. Lorsqu'il cessait de nous écouter et tournait les talons sans mot dire, nous savions qu'il désapprouvait... Jean Schmitt fut un maître patient, toujours en retrait, mais attentif à nos progrès. Sans trop nous en rendre compte, nous jouissions d'une grande liberté et d'une particulière autonomie dans le domaine des soins de l'enseignement et de la recherche. Néanmoins, sa présence au service était exemplaire jusqu'à la fin de son activité, puisqu'il voyait 2 fois par semaine tous les malades, une soixantaine environ, en passant pas moins de 8 visites hebdomadaires où nous allions à l'essentiel. Jean Schmitt accueillait avec bienveillance nos initiatives et nous conseillait en peu de mots. À telle enseigne, alors que nous nous lancions en 1984 dans l'aventure « Helicobacter », au tout début de son ère, il m'avait simplement dit : « ne lâchez pas le sujet, il est porteur ». Il n'avait pas tort...
Les centres d'intérêt scientifiques du Professeur Schmitt étaient multiples. En témoignent les 580 publications et communications dont il fut l'auteur ou le coauteur dans le domaine de la médecine interne, de l'angiologie, des maladies infectieuses, de la gastro-entérologie, de la neuromylogie, de la pharmacologie et de la thérapeutique. Il était membre de nombreuses sociétés savantes nationales et internationales. Sa Fidélité à l'Académie Nationale de Médecine, où il fit plusieurs communications notamment de travaux de recherche menés avec des médecins généralistes, lui valut l'honneur d'en être élu Membre Correspondant en 1995, ce dont il était fier. Il rejoignait ainsi d'éminents professeurs de notre Faculté, dont le Professeur Alain Larcan, ami de longue date.
Membre titulaire de l'Association Pédagogique Nationale des Enseignants de Thérapeutique et longtemps son correspondant à Nancy, il céda volontiers sa place au Professeur Paille, dont il soutînt vigoureusement la nomination comme Professeur de thérapeutique malgré la rechute de sa maladie coronarienne. Coordonnateur du Certificat de Synthèse Clinique et Thérapeutique, il était aussi président de l'Association d'Étude et de recherche de Pharmacologie Clinique et de Métabolisme des Médicaments depuis 1978. Une amitié de longue date, remontant au lycée, le liait au Professeur René Jean Royer et a contribué à la réalisation de nombreux travaux dans le champ de la pharmacologie et de la thérapeutique.
Jean Schmitt avait de nombreuses responsabilités en Médecine Interne et avait organisé notre congrès national à Nancy en 1985. Il était un interniste considéré et écouté au niveau national. Directeur du Diplôme Universitaire d'Angëiologie de Nancy, coordinateur régional, responsable de l'enseignement de la capacité d'angëiologie, et membre du collège français de médecine vasculaire, Jean Schmitt s'est aussi beaucoup impliqué pour le développement de la médecine vasculaire dans notre région. Pionnier et animateur du Sème cycle de Médecine générale aux côtés du Professeur Jean Pierre Grilliat, le Professeur Schmitt a participé à tous les développements de l'enseignement spécifique de la médecine générale de notre faculté. Il avait de nombreux et fidèles amis parmi les médecins généralistes enseignants de notre faculté, particulièrement le Professeur Voilquin et le Docteur Aubrège avec lesquels il a mené plusieurs initiatives pédagogiques et scientifiques.
Jean Schmitt eut beaucoup à lutter non seulement contre la maladie, mais aussi pour maintenir la pluridisciplinarité de son service, et obtenir les moyens nécessaires à son humanisation, dont il ne verra pas la concrétisation durant son activité. Malgré les difficultés rencontrées, le Professeur Schmitt restait serein en apparence, sans jamais faire preuve d'agressivité vis-à-vis d'un de ses collègues. Une certaine désillusion avait fait place à l'enthousiasme des débuts et il ne cachait pas qu'il avait du mal à vivre les changements qui s'opéraient à l'hôpital et en particulier le déclin de l'autorité médicale, dont il n'avait jamais abusé. Ces réflexions avaient nourri son désir d'abréger sa carrière, également motivé par son souhait de favoriser ma propre carrière. Néanmoins, il ne quittait pas vraiment la scène médicale, poursuivant ses activités à l'Académie de Médecine et dans de nombreuses associations et acceptant volontiers de présider le club des professeurs Honoraires créé par notre Doyen le Professeur Jacques Roland. Petit clin d'œil à la littérature, il mettait à profit ses réelles qualités d'écrivain pour publier 2 ouvrages, salués par la critique, consacrés aux médecins célèbres de Nancy et d'ailleurs, qui ont donné leur nom aux rues de notre agglomération.
Loin de se cantonner à ses fonctions hospitalo-universitaires, le Professeur Schmitt développa jusqu'à sa mort une intense activité bénévole dans le domaine social ou culturel, en Lorraine et au delà, en faisant partie de nombreuses associations : Président de l'Association Lorraine d'Aide aux Grands Handicapés de Nancy, l'ALAGH, dont il était le dynamique président depuis 1980 ; Président du Comité de Pilotage de la Maison du XXIè siècle à Saint-Dié accueillant des enfants handicapés, dont il obtint le soutien ministériel ; Vice-Président de l'Association pour l'Aide Bénévole aux Personnes Âgées Dépendantes, membre de l'Association Départementale d'Aide aux Personnes Agées ; membre de l'Institut du Monde de l'Olivier depuis 1997 et Président de l'Association des Études de la ville de Nyons, dont il était devenu citoyen d'honneur. J'ai reçu de la part des responsables de ces associations des témoignages émouvants soulignant l'activité exemplaire du Professeur Schmitt au service des plus démunis, avec un désintéressement et une efficacité forçant l'admiration même lorsque ses forces déclinaient.
Pour ses nombreuses activités au service de la collectivité, le Professeur Schmitt était Officier des Palmes Académiques et décoré de la Médaille de Vermeil de la Croix Rouge Française. Marié en 1954 avec Christiane Marion, originaire de Saint Donat dans la Drôme, le Professeur Schmitt était père de cinq enfants et grand-père attentif de trois petites-filles. Qu'il me soit permis de rendre ici hommage au dévouement et à l'affection que toute sa famille a témoigné à Jean Schmitt tout au long de sa carrière et pendant les longs jours de la cruelle maladie qui l'a emporté. Tous ceux qui ont eu le privilège d'approcher et de travailler avec le Professeur Schmitt, resteront marqués par sa simplicité et son dévouement. Ils garderont le souvenir d'un médecin de grande classe, d'un humaniste et d'un homme de cœur.
Professeur JD de KORWIN