DROUET Paul-Louis 

1892-1955

` sommaire

Autres photos : cliquez ici

HOMMAGE FUNEBRE

Aujourd'hui, réunis devant cette plaque commémorative, c'est le souvenir de notre Maître que nous désirons faire revivre. Le caractère intime de cette réunion convient mieux à un cadre et à un lieu où le Professeur Paul-Louis DROUET a vécu, enseigné et travaillé, plus de dix années en collaboration et en entente confiante avec tous. Si de nombreuses autres occupations, si d'autres devoirs l'ont bien souvent sollicité, c'est ici qu'il se trouvait chez lui et c'est ici que son souvenir reste vivace.

Presque toujours premier arrivé à son Service chaque matin, ponctuellement, lorsque ses fonctions de Vice-Président de la Commission des Hospices ne l'avaient pas retenu, il se plaisait à méditer, seul dans son bureau, sur quelque cas difficile, sur les éludes et les recherches biologiques qui pourraient venir étayer un diagnostic incertain ou bien encore il préparait les développements des travaux de son Ecole.

Un peu plus tard, l'heure de la visite le voyait appa­raître dans les salles, imposante silhouette soulignée par une blouse aux multiples plis et sanglé du tablier tradition­nel. Il est certain qu'étudiants, externes et internes ne se sentaient pas d'emblée très à l'aise devant lui pendant les premières semaines de leur présence au Service, car sa réserve, accordée à sa dignité, lui permettaient de masquer sous une attitude un peu distante de froideur apparente, une discrétion naturelle, une bonté et une compréhension affable pour les jeunes. Leurs requêtes ne se heurtaient jamais avec lui à un refus et si les nécessités de la conduite du Service l'obligeaient parfois à faire quelque remarque, il savait toujours en tempérer la portée par un sourire indulgent.

Mais, dès le cap du clinicat franchi, l'amical - j'allais dire paternel - accueil du Patron transformait les relations normales de travail en une collaboration confiante et fructueuse, jamais à court d'idées, admettant toutes les sugges­tions, s'attardant à les discuter, même si elles lui paraissaient d'emblée inadéquates, expliquant à leur auteur l'erreur de point de vue commise, discutant longuement et toujours aimablement avec les médecins traitants venus s'informer de leurs malades, il admettait généreusement et sans aigreur aucune toute contradiction et toute argumentation de bonne foi.

Le jeu des idées dans la discussion devenait avec lui un plaisir subtil que l'on souhaitait voir se prolonger. Et de fait, il nous arrivait de passer auprès de certains lits, autour du même malade, parfois près d'une heure. Ces discussions animées, où chacun des élèves, du plus jeune au plus ancien, selon son tempérament et sa spécialisation, intervenait tour à tour, guidées par ce Maître à l'esprit ouvert, au vaste savoir, resteront dans notre souvenir comme le plus savoureux, le meilleur de son enseignement, celui de la grande tradition clinique, qu'il avait lui-même héritée de son Maître le Professeur G. ETIENNE

Mais gardant des longs et fructueux travaux de pathologie expérimentale menés pendant plusieurs années au Laboratoire du regretté Professeur Remy COLLIN le goût de l'expérimentation et de la recherche, il s'attachait à nous en démontrer l'intérêt primordial. Il n'hésitait d'ailleurs pas à nous présenter lui-même dans le petit laboratoire qu'il avait fait aménager au Service certaines techniques curieuses et difficiles. Dans d'autres circonstances il demandait à l'un d'entre nous de se rendre à la Faculté, au Laboratoire de physiologie ou d'histologie pour confirmer telle hypothèse et ses vastes connaissances lui permettaient de guider les expérimentateurs.

Parallèlement, sa confiance dans les ressources du laboratoire, dans la valeur de ses techniques était entière. Il recherchait soigneusement et longuement dans les publications spécialisées tout ce qu'elles pouvaient apporter de neuf en ce domaine. Il réclamait toujours aux biologistes, aux chimistes des mises au point ou des essais plus complets avant d'introduire ces méthodes en clinique. Tout ce qui joignait à l'attrait de la clinique, la nécessité de larges explorations histologiques et la possibilité de brillantes déductions pathogéniques avait d'emblée sa faveur.

Le penchant de son esprit, ses habitudes de pensée l'en­traînaient dans chacun des compartiments de médecine générale qu'il devait aborder au cours de sa carrière, à chercher d'abord à démonter le mécanisme physiopathologique des maladies. Il était naturel que sa longue collaboration avec le Professeur R. COLLIN l'inclinât à s'intéresser davantage à l'Endocrinologie. Ses travaux dans cette discipline sont demeurés classiques. Citons seulement ceux d'entre eus qui ont en le plus de retentissement : ses recherches sur le rôle de l'hypophyse dans la maladie de Basedow, dans l'hypertension, sa contribution originale au traitement de l'ulcère de l'estomac et bien d'autres encore. Mais, passionné de recherches, esprit scientifique toujours en éveil, il guida tour à tour ses élèves dans leurs travaux d'abord sur l'hématologie, plus tard sur la pathologie pulmonaire, sur la neurologie puis sur la pathologie cardio-vasculaire, mais c'est probablement la dermato-vénérologie que lui avait enseigné son Maître le Professeur P. SPILLMANN qui lui donnait le plus de satisfaction car il en avait gardé une connaissance profonde qui fit toujours notre étonnement et notre admiration.

L'enseignement aux étudiants des plus jeunes années lui tenait particulièrement à coeur et chaque matin, pendant près de 2 heures, il s'astreignait à leur présenter une ou plusieurs observations cliniques intéressantes.

Mais les libres propos au lit des malades nous entraînaient parfois à des considérations extra-médicales où notre Maître ne craignait pas, lui qui était toujours si respectueux des formes et de la pensée d'autrui, de manifester fièrement son opposition à un régime d'oppression et de contrainte. Malheureusement le secret de cette résistance au régime, malgré les conseils de prudence que nous nous permettions parfois de lui adresser, ne pouvait dans ces conditions être bien longtemps préservé. Nous fûmes atterrés d'apprendre, en ne le voyant pas à son poste un matin, que, s'il avait dérogé à ses habitudes, c'était par la contrainte brutale et qu'avec plusieurs de ses collègues de la Faculté, il était destiné à la déportation, peut-être à la mort.

Un voile de silence et presque de deuil s'étendit sur le Service, d'autant plus qu'en ces années difficiles, les salles se trouvaient très loin de présenter leur habituelle animation.

Le retour en 1944, nous ramena un Patron amaigri certes mais inchangé et, dont le long stage au Camp de Neuengamme n'avait en rien, malgré les épreuves, entamé le courage et la fierté. Jamais par la suite il ne s'étendit complaisamment sur les épreuves qu'il avait pu subir mais il lui arrivait, lors des conversations, de raconter une anecdote à ce sujet. Il le faisait sans aucune ostentation et même les horribles drames de la captivité prenaient dans sa bouche, sans doute en raison de sa souriante et naturelle philosophie, des tons plus tempérés. Nous n'oublierons jamais ces récits, ni ceux qu'il nous fit, en contraste, pleins de verve et d'enthousiasme, de sa réception en Tchécoslovaquie.

Dès son retour, la clinique médicale B changea d'aspect. L'afflux progressif et sans relâche plus nombreux des malades bousculait les traditions établies, l'Hôpital Central devenait le Centre Hospitalier Régional de Nancy, Centre d'une circonscription nationale importante et le Service devait s'étendre et s'étoffer. Cette tâche ingrate lui prit un temps important et le meilleur de lui-même de par ses doubles fonctions cliniques et hospitalières : organisation interne du Service, projets d'extension... que de fois il nous dit ses soucis et ses espoirs. Nul ne pouvait alors penser qu'il n'en verrait jamais la réalisation, tant il mettait de coeur et d'intérêt à la préparation de ses grands projets.

Dans l'organisation interne de son Service, notre Maître se plut toujours à nous dire sa satisfaction d'être secondé par un personnel hospitalier hors de pair, en particulier par nos religieuses, auxquelles il avait accordé sa confiance et sur l'abnégation et la compétence desquelles il savait pouvoir compter.

Aimable et accueillant avec les malades il excellait à mettre à l'aise ceux d'entre eux qu'impressionnait l'impersonnalité des vastes salles, la foule des étudiants ou les préparatifs d'examens redoutés. Il s'entretenait familièrement avec eux se laissait toucher par le récit de leurs malheurs et jamais nous ne l'avons vu passer devant une détresse humaine sans essayer affectueusement de la soulager. Il retrouvait parfois avec les malades des souvenirs de la première guerre mondiale ou de sa jeunesse. Il en tirait à notre usage des conseils de prudence, de pondération et d'objectivité dans le jugement et le comportement.

Cet exemple et ces enseignements sont de ceux qui ne s'oublient pas, ils s'insèrent dans la longue et belle tradition - reprise par M. le Professeur KISSEL - des Maîtres qui se sont succédés à la tête de la Clinique Médicale B.

Le souvenir de notre Maître, le Professeur Paul-Louis DROUET restera vivant et fidèlement gravé dans nos coeurs. Cette plaque commémorative où le talent du sculpteur a su rendre les traits de l'homme que nous avons connu et aimé, mais, de plus, révélé la bonté qu'un rien d'ironie masquait aux yeux du monde, perpétuera dans l'avenir la mémoire de celui que nous vénérons.

Professeur G. FAIVRE