1835-1893
Coze, Feltz et le streptocoque par H. MONTEIL
ELOGE FUNEBRE
Un de ses professeurs les plus éminents vient de disparaître. Feltz (Victor-Timothée) est né à Hattstatt, ancien département du Haut-Rhin, le 8 janvier 1835. Il fit ses études universitaires à la Faculté de médecine de Strasbourg et y remporta tous les succès scolaires qu'un élève peut obtenir. Deux fois lauréat de la Faculté, il fut externe et interne des hôpitaux ; en 1860, il soutint sa thèse sur les grossesses prolongées qui fut couronnée par la Faculté. En juin 1865, il fut nommé au concours chef des cliniques. En décembre 1865, un nouveau concours lui valut le titre d'agrégé. Le 5 avril suivant, il conquit de même la place de directeur des autopsies et, trois ans plus tard, celle de médecin-adjoint à l'hôpital civil.
Lorsqu'en 1872 la Faculté de Strasbourg fut transférée à Nancy, Feltz fut nommé à la chaire d'anatomie et de physiologie pathologique qu'il a conservée jusqu'à sa mort. Lauréat de l'Institut, trois fois lauréat de l'Académie de médecine, correspondant national de cette Académie, Feltz fut tout entier le fils de ses oeuvres. Pendant la guerre, il fut médecin en chef de l'ambulance du collège de Haguenau, médecin principal de 1ère classe au titre auxiliaire à Tours et à Bordeaux, et médecin inspecteur à titre auxiliaire chargé de l'évacuation des blessés.
Sa carrière scientifique fut laborieuse et féconde. Il s'adonna surtout à la médecine expérimentale. Ses premières publications, des mémoires sur la phtisie des tailleurs de pierre, sur la leucémie, sur les différentes espèces de phtisie pulmonaire, ses expériences sur l'inoculation des matières tuberculeuses, ses recherches sur le passage des leucocytes à travers les parois vasculaires, révèlent un esprit chercheur et positif.
De 1860 à 1869, en collaboration avec le professeur Léon Coze, il présenta à l'Institut quatre mémoires de recherches expérimentales sur la présence des infusoires et l'état du sang dans les maladies infectieuses, ces études furent réunies en un volume intitulé : Recherches cliniques et expérimentales sur les maladies infectieuses envisagées principalement au point de vue de l'état du sang et de la présence des ferments, qui parut en 1872.
Les auteurs étudient la septicémie, la fièvre typhoïde, la fièvre puerpérale, la variole, la scarlatine, la rougeole. Leurs recherches cliniques et leurs inoculations aux animaux démontrent dans le sang des individus infectés un ferment de nature bactériforme. Cette bactérie est la cause probable de l'altération du sang et de la maladie produite. Sans doute les recherches plus modernes ont complété et modifié sur bien des points les données émises dans ce livre. Mais les auteurs ont été parmi les premiers à établir catégoriquement la nature microbienne de la plupart des maladies infectieuses ; leurs recherches font époque dans la science ; on peut dire qu'ils ont été parmi les précurseurs de la microbiologie moderne.
En 1870, parut le traité clinique et expérimental des embolies capillaires. « Il les a produites et suivies dans le système pulmonaire, la circulation aortique et le domaine de la veine porte. Observations cliniques, expériences nombreuses et variées, pièces anatomiques dessinées et colorées avec soin pour aider à l'intelligence des descriptions, il n'a rien épargné dans le but de mettre en lumière les faits déjà connus, d'en faire la démonstration expérimentale et de rendre compte, par cette étude, d'un grand nombre de lésions périphériques jusqu'ici inexpliquées dans leur mode de formation. » (Rapport sur le prix de médecine et de chirurgie fait à l'Académie des sciences par Laugier.)
Signalons encore les travaux faits en collaboration avec Ritter de 1879 à 1881, et dont les plus importants se trouvent réunis dans un volume : De l'urémie expérimentale. Les auteurs établissent que l'urine est toxique et que l'injection intraveineuse chez des chiens d'urine pure, ou concentrée par congélations successives, en quantité équivalente au volume de la sécrétion vénale de trois jours, provoque chez ces animaux des accidents identiques à ceux de l'urémie amenée par la ligature des vaisseaux rénaux. Cette toxicité n'est due ni à l'eau, ni aux principes organiques, ni aux matières extractives, dont l'injection en quantités égales à celles renfermées dans le volume d'urines toxiques ne produit pas l'urémie. Ce n'est pas la transformation de l'urée en ammoniaque qui fait la toxicité, car l'expérience montre que le sang urémique contient très peu de sels ammoniacaux et que leur injection dans le sang en quantité équivalente à celle que renferment les urines de trois jours ne détermine pas d'accidents fâcheux. Après avoir contesté ainsi la théorie de Wilson et celle de Frerichs, les auteurs cherchent à établir que la toxicité réside dans les sels urinaires, particulièrement ceux de potasse. L'injection dans le sang de l'ensemble des sels minéraux contenus dans les urines de trois jours, ou l'injection des sels potassiques dissous dans l'eau distillée en même proportion, détermine en effet les mêmes accidents que l'injection des urines normales. L'urémie serait donc l'intoxication par les sels de potasse.
Bien que cette conclusion n'ait pas été confirmée par les recherches ultérieures, les auteurs ont eu le mérite d'étudier la toxémie urinaire par l'expérimentation physiologique et d'entrer de bonne heure dans une voie féconde, dans laquelle ils comptent aussi parmi les précurseurs. Citons enfin, parmi les nombreuses communications de M. Feltz à l'Académie des sciences, ses recherches sur le rôle des vers de terre dans la propagation du charbon et sur l'atténuation du virus charbonneux (Académie des sciences, 1882), sur l'atténuation du virus charbonneux dans la terre (1880), sur le pouvoir toxique des urines fébriles (ibidem), etc.
L'activité scientifique si féconde de notre collègue ne se ralentit que dans les dernières années de son existence, alors qu'une clientèle de consultation très étendue absorbait son temps et l'appelait souvent au dehors. Jusqu'il y a quelques aimées, Feltz fut exclusivement un homme de science et de laboratoire. Depuis, il s'adonna à la médecine pratique ; il acquit une notoriété considérable, justifiée par sa valeur scientifique, son bon sens clinique et aussi par une apparence de cordiale et affectueuse bonhomie.
Feltz, pour ceux qui le connaissaient bien, était, sans qu'il y parut, une nature timide et impressionnable, qui par sa volonté énergique était parvenu à couvrir sa timidité sous un masque de vaillantise et de désinvolture, lequel s'incrusta en lui comme une seconde nature. Tout ce qui était représentation et solennité lui faisait horreur. Sur son lit de mort il demanda que ses obsèques eussent lieu sans pompe, sans discours, sans cérémonie officielle. Vivant loin du monde, ennemi des frivolités mondaines, volontairement affranchi des conventions sociales, il se concentra dans un petit cercle d'amis auxquels il se donna tout entier, avec un dévouement sans bornes. Eux seuls ont pu apprécier ce qu'il y avait en lui de cordialité, de sensibilité profonde, mêlée parfois, si je ne me trompe, d'amertume douloureuse, cachée sous une enveloppe de rudesse originale.
Le nom de Feltz restera parmi les plus éminents des Facultés de médecine de Strasbourg et de Nancy.
Professeur H. BERNHEIM