1859-1938
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ELOGE FUNEBRE
La Faculté de Médecine de Nancy rend aujourd'hui les honneurs suprêmes au Professeur honoraire Pierre Parisot qui fut l'un de ses maîtres les plus éminents et un universitaire de grande lignée. Prononcer son nom, c'est évoquer l'histoire médicale de la Lorraine, c'est faire revivre la grande figure de son père, le Docteur Victor Parisot, nommé professeur de clinique médicale à Nancy en 1872, au moment du transfert de la Faculté de Strasbourg -, c'est rappeler le souvenir de son beau-frère, mon très cher maître le Doyen Heydenreich, Professeur de clinique chirurgicale.
Pierre Parisot né à Nancy, le 9 février 1859, fit ses études dans notre ville et y conquit successivement tous ses grades universitaires. Externe puis interne des hôpitaux et chef de clinique médicale, il soutint sa thèse de doctorat en 1884 et passa avec succès en 1887 le concours d'agrégation de médecine. Chargé d'abord d'un cours complémentaire de maladies de vieillards et d'une conférence sur les maladies mentales, il fut nommé, en 1904, professeur de médecine légale. Telles furent, brièvement résumées, les principales étapes d'une carrière qu'il sut rendre particulièrement brillante.
Au cours de ces étapes successives, ses travaux furent nombreux et très remarqués. Je n'en ferai pas aujourd'hui l'énumération. Ce n'est ni le lieu ni le moment. Je me bornerai à rappeler qu'ils concernaient les différentes branches de la médecine scientifique ou professionnelle. On connaît surtout, en France et à l'Etranger, ses recherches cliniques sur les maladies des vieillards et sur les affections mentales ou nerveuses et ses publications de médecine légale. Les unes et les autres témoignent d'un grand souci de la présentation, de la perfection, de la documentation, de la précision, de l'observation et de la sagesse des conclusions. Ces qualités étaient très appréciées des autorités judiciaires qui demandaient souvent au professeur une collaboration jugée très utile et très précieuse. Elles firent la réputation du médecin légiste qui fut commis, maintes fois, en qualité d'expert, dans de graves affaires ayant intéressé notre région. Elles lui permirent de faire jusqu'à la fin de la dernière année scolaire le cours de médecine légale et de police scientifique à la Faculté de Droit. Les Professeurs de cette Faculté lui sont restés très reconnaissants du concours éclairé qu'il apportait à la formation de leurs étudiants, candidats, soit au concours de la magistrature, soit aux divers services de police.
Le Professeur Pierre Parisot aurait pu devenir, comme son père, professeur de clinique médicale. C'était un excellent clinicien, examinant ses malades avec une méthode impeccable, ne laissant rien dans l'ombre, recherchant les plus petits signes cliniques avec un soin minutieux, parfois même scrupuleux, enseignant à ses élèves que le premier devoir du médecin est de ne jamais se contenter d'un examen hâtif et superficiel. Il a appris à tous ceux qui ont eu le bonheur de servir à ses côtés qu'il faut consacrer au malade tout le temps nécessaire à la manifestation de la vérité, quitte a lui sacrifier son intérêt personnel, les heures consacrées à la famille, au repos ou au délassement. J'ai eu l'honneur de l'avoir comme premier maître d'internat, dans le vieil Hôpital Saint-Julien au charme si archaïque avec son délicieux jardin, ses grands dortoirs, son chauffoir où les vieux, pressés autour du poêle de faïence, rappelaient leurs souvenirs. Je revois par la pensée le chef de service accueillant ses élèves à la porte de la clinique, salle basse, mal éclairée, très inconfortable certes, mais où l'atmosphère était faite de chaude sympathie et d'entr'aide mutuelle. Le Professeur agrégé Pierre Parisot fut pour moi un excellent maître, guidant mon inexpérience, me faisant largement profiter de ses conseils. Il fut un des premiers à m'apprendre à poser un diagnostic, à diriger un traitement, à rédiger une observation clinique. Il m'initia aux difficultés de la publication médicale, me faisant participer à la rédaction de la Revue Médicale de l'Est, dont il fut pendant de longues années l'animateur éclairé. Je dois une très grande reconnaissance à ce bon maître qui savait être très paternel sous des dehors parfois violents dont s'étonnaient seuls ceux qui n'avaient pas vécu dans son sillage. Les autres savaient que ses violences ne duraient pas. L'orage vite passé, on retrouvait le conseiller avisé dont les yeux malicieux bouleversaient les timides et dont l'esprit critique avait vite fait de remettre choses et gens à leur place normale, le médecin qui avait une grande expérience de la vie et savait se pencher sur la souffrance pour ranimer les courages défaillants.
Le Professeur Pierre Parisot se vit confier, au cours de sa longue et féconde carrière, d'innombrables fonctions. On vient déjà de rappeler les principales. Je pourrais encore en citer beaucoup d'autres concernant l'enseignement, les services hospitaliers, les services d'hygiène publique. Je rappellerai surtout qu'il fut membre du conseil de l'Université, assesseur du doyen pendant plusieurs années, membre du conseil départemental d'hygiène, membre du Conseil municipal de 1896 à 1904. Partout il fit preuve de brillantes qualités d'administrateur impartial, prudent et avisé.
Il faisait partie de nombreuses sociétés scientifiques. Il participait activement aux réunions de la Société de Médecine et de l'Association syndicale des médecins de Meurthe-et-Moselle. L'Académie de Médecine l'avait nommé membre correspondant en 1923. Il avait présidé en 1923 le 8ème Congrès de Médecine légale. Une si féconde activité lui avait valu de nombreuses distinctions honorifiques. Il était titulaire d'une médaille d'argent décernée en 1893 par le Ministre de l'Intérieur pour le courage et le dévouement exceptionnels dont il avait fait preuve pendant l'épidémie de choléra qui avait sévi en 1892 dans notre département. Atteint, en 1911, d'une intoxication grave contractée au cours d'une expertise, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur par le Président Poincaré. Il reçut la rosette d'Officier en 1921 et ses médailles de l'Assistance publique et de l'hygiène lui avaient donné récemment le grade de commandeur dans l'ordre de la Santé publique.
D'un patriotisme ardent, il avait rempli avec joie ses obligations militaires. Engagé conditionnel en 1878, il était devenu médecin-major de 1ère classe de l'armée territoriale. Pendant la grande guerre, il n'avait pas voulu abandonner la terre lorraine à laquelle il fut toujours profondément attaché; Médecin-Chef de l'Hôpital Marin, il soigna avec infiniment de dévouement les malades militaires, réservant, par ailleurs des soins assidus à la population civile, adoucissant ses craintes et partageant ses dangers. Les heures angoissantes de la dernière mobilisation ont certainement hâté sa fin, comme elles ont hâté celle de trop nombreux français qui, au déclin de leur vie, voyaient s'approcher, non sans anxiété l'épouvantable catastrophe.
Appelé, il y a dix ans, par l'inexorable limite d'âge, à prendre sa retraite, il vivait souvent dans l'ombre de la Faculté. En sa qualité de directeur de l'Institut médico-légal, il s'intéressait à la construction du nouveau service. Connaissant les belles réalisations, dans ce domaine, des autres universités françaises, il craignait de voir péricliter l'oeuvre à laquelle il avait consacré tant d'efforts, mais il n'avait pas perdu confiance. Il savait que les Facultés sont parfois amenées à diminuer momentanément l'importance des chaires dont la succession s'avère difficile. Il attendait l'heure de la reconstitution de celle qu'il avait magnifiquement développée. L'heure vient de sonner, trop tard hélas, pour nous permettre d'accueillir le vieux maître dans une maison agrandie et transformée d'après ses plans. Le jour où la Faculté prendra possession du nouveau service qu'elle devra en grande partie à la générosité de la ville, nous rappellerons le souvenir du Maître disparu. Réalisant son rêve, nous montrerons aux jeunes générations qu'une Faculté de Médecine peut être obligée, par les circonstances, de ralentir sa marche sans pour cela renoncer à aller de l'avant. Les programmes bien étudiés s'exécutent toujours. Il n'y a plus qu'à choisir le moment favorable. Les hommes peuvent disparaître. Si leur action a été féconde, leur oeuvre continue.
Le Professeur Pierre Parisot a suivi, pendant toute sa vie, la ligne de conduite tracée par son vénéré père. Il défendit avec une ardente conviction les mêmes idées et on peut dire de lui ce que disait le Professeur Bernheim du Professeur Victor Parisot, dans un admirable éloge funèbre : « Tolérant envers toutes les opinions honnêtes, philosophiques, politiques, religieuses, il refusait d'imposer, dans sa famille ou ailleurs, les convictions mûries dans sa conscience. Vraiment libéral, avec une grande indépendance d'esprit, ne transigeant jamais avec sa conscience, respectueux des convictions d'autrui opposées aux siennes, estimant et aimant du fond du coeur nos bonnes religieuses de Saint-Charles, qui le lui rendaient bien, indulgent aux défaillances morales inhérentes à l'imperfection de la nature humaine, ne détestant rien au monde que les sectaires de tous les cultes et de tous les gouvernements qui veulent asservir l'humanité... ».
Quelle admirable chose de pouvoir, à 43 ans de distance, donner du fils une image en tout point semblable à celle du père. Les événements se sont succédés, des hommes ont disparu, de grandes tourmentes ont secoué le monde, rien n'empêche les chefs d'une famille lorraine, honneur de l'école et de la Faculté de Médecine, de rester immuablement fidèles à leurs traditions et à leur passé. Dans les heures troubles que nous traversons, alors que l'anxiété étreint encore les coeurs, de pareils exemples nous redonnent l'espérance. Un pays qui peut faire état de pareilles forces morales ne peut pas déchoir et la mort nous aura donné une fois de plus l'occasion de reprendre confiance dans notre destin et de garder notre foi dans l'avenir.
Le Professeur Pierre Parisot vécut ses dernières années en philosophe. Il avait eu la grande douleur de voir disparaître, à vingt ans de distance, un gendre tombé au champ d'honneur et un fils qui commençait une brillante carrière à la Faculté de Droit, mais il avait eu la grande joie de suivre au jour le jour la magnifique carrière de son autre fils. Notre cher collègue le Professeur Jacques Parisot fut son légitime orgueil et sa raison de vivre après les dures épreuves qu'il avait supportées avec un stoïcisme qui faisait l'admiration de tous les siens.
Son plus grand plaisir était, aux premiers jours du printemps, de monter à sa petite maison de l'avenue de la Garenne et de se promener sous ses beaux arbres. C'est là que la mort est venue le chercher. Il l'a vu arriver avec beaucoup de courage et de résignation, ne s'illusionnant en aucune façon sur la situation, comptant les jours et les heures qui lui restaient à vivre. Il est mort comme était mort son père. Comme le disait, devant la tombe du Professeur Victor Parisot, son collègue et ami Bernheim, « il a supporté ses souffrances physiques sans impatience ni plainte. Il n'avait qu'une peur, survivre à son intelligence. Le ciel a exaucé son voeu ».
J'adresse un solennel et suprême hommage au Professeur Pierre Parisot, au nom de l'Académie de Médecine dont le secrétaire perpétuel m'a fait l'honneur de me prier de le représenter, au nom de M. le Recteur Bruntz et du Conseil de l'Université, au nom de la Faculté de Médecine, de ses maîtres et de ses étudiants, au nom de M. le Doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg qui est venu assister à cette cérémonie, au nom des maîtres de cette Faculté, au nom du corps médical lorrain. Nous conserverons pieusement et fidèlement dans notre maison commune le souvenir du Professeur Pierre Parisot aux côtés de tous ceux qui ont noblement servi leur pays et honoré l'Université.
Professeur L. SPILLMANN