PERNOT Claude

1926-1989

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ELOGE FUNEBRE

« La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin » (André Malraux - L'Espoir). Comment ne pas évoquer cette pensée de Malraux devant cette disparition brutale du Professeur Claude PERNOT, tant il est vrai que Volonté et Passion ont marqué tous les événements de sa vie jusqu'à cet accident qui la lui a enlevée ?

Né à Lunéville le 13 octobre 1926 de parents tous deux enseignants, Claude PERNOT effectue l'essentiel de sa formation secondaire à Saint-Dié. C'est dans cette ville, à une période de la vie que beaucoup traversent dans l'insouciance, qu'il subit les représailles aveugles d'une armée allemande harcelée, depuis les forêts vosgiennes, par des groupes de Résistants : incendie de Saint-Dié, raffle de tous les jeunes gens de 15 à 18 ans, déportation en Allemagne. Claude PERNOT se retrouve, avec ses camarades de lycée, dans un train qui les emmène à Dachau. Arrivés dans ce camp de la mort, le nombre de déportés est tel que le convoi est refoulé sur Mannheim où ils resteront jusqu'à la libération par les troupes alliées. Cet épisode de sa jeunesse, dont il parlait peu et toujours avec beaucoup de simplicité et de discrétion a, sans nul doute, forgé son caractère, affermi sa détermination à ne jamais abandonner quels que soient les obstacles rencontrés.

De retour en France, il s'inscrit à la Faculté de Médecine de Nancy dont il sera Lauréat deux années successives. Externe des Hôpitaux en fin de deuxième année de médecine, puis Interne en 1950, il s'oriente en Cardiologie dès 1952 sur les conseils du Docteur Louis MATHIEU, fondateur de cette spécialité à Nancy. C'est à cette époque qu'un texte de loi est publié, qui autorise les Internes des Hôpitaux, nommés au Concours, à demander une équivalence de spécialité. Il préfère cependant, et c'est bien là un trait de son caractère, s'inscrire à l'examen national du CES de Cardiologie, auquel bien sûr, il est reçu brillamment. Viennent ensuite tous les concours qui constituaient alors les étapes obligatoires d'une carrière hospitalo-universitaire : Clinicat en 1955, Assistanat la même année, Médicat en 1959, puis Agrégation de Médecine Légale et de Médecine du Travail en 1961.

Durant toutes ces années de préparation aux concours, il consacre l'essentiel de son activité hospitalière à la création et au développement d'un laboratoire d'Hémodynamique où il expérimentera, pour la première fois en France, avec le constructeur Jean MASSIOT, un prototype encore rudimentaire d'amplificateur de brillance permettant, au cours des cathétérismes intra-cardiaques, de réduire considérablement l'irradiation du patient et de l'opérateur. En 1961, année de son agrégation, le Professeur NEIMANN, titulaire de la chaire de Pédiatrie, lui confie la direction d'un laboratoire d'Hémodynamique exclusivement consacré au nourrisson et à l'enfant. C'est là une étape décisive de sa carrière. Dès lors, ses objectifs hospitalo-universitaires sont fixés : enseignement de la Médecine du Travail au côté de son Maître, le Professeur PIERQUIN, et développement d'un secteur de Cardio-Pédiatrie au sein de la Clinique de Médecine Infantile.

En 1970, il est nommé Chef de Service à l'Hôpital Jeanne d'Arc, où il crée simultanément et dans des conditions difficiles qui requièrent de sa part une volonté inébranlable : un centre de réadaptation fonctionnelle pour cardiaques, qui servira de modèle à plusieurs équipes cardiologiques - un service de Cardio-Pédiatrie de réputation internationale où sont venus se former nombre de médecins français et étrangers. L'éloignement  de   l'Hôpital  Jeanne d'Arc, l'état rudimentaire des locaux, la spécificité des soins et des examens en Cardio-Pédiatrie, les difficultés propres à une réanimation pour nourrissons, rien ne l'arrête, et de nombreux malades, adultes comme enfants, viendront parfois de très loin découvrir cet hôpital de campagne, construit par les Américains à la fin de la deuxième guerre mondiale et cédé au C.H.U. de Nancy en 1967. L'ouverture de l'Hôpital d'Enfants lui permet enfin d'intégrer en 1982, des locaux dignes de son activité et de sa réputation, auxquels viendra s'ajouter, peu de temps après, et comme il le souhaitait depuis longtemps, un secteur d'adultes à l'Hôpital de Brabois.

Cette carrière hospitalière s'est traduite par une somme considérable de travaux et publications qu'il serait vain de vouloir énumérer. Tous les aspects de la Cardiologie de l'Enfant ont été abordés dans plus de 500 mémoires originaux. Il est cosignataire avec Messieurs GERARD et LOUCHET de Marseille, d'un Précis de Cardiologie de l'Enfant en 1973, et participe quelques années plus tard à la rédaction d'un ouvrage de Cardiologie Pédiatrique dont il préparait, en collaboration avec son ami le Professeur DUPUIS de Lille, une deuxième édition. Il est l'un des promoteurs, avec le Professeur CHALNOT, de la technique du cerclage palliatif de l'artère pulmonaire, de même qu'il publie, avec l'équipe chirurgicale nancéienne, le premier remplacement valvulaire mitral en France, chez un enfant de quatre ans.

La rigueur avec laquelle il prend lui-même les observations, la minutie avec laquelle il examine lui-même les pièces d'autopsies, lui permettent de réunir un nombre de cas cliniques propres à certaines pathologies que peu d'auteurs avaient jusqu'alors pu rassembler. Qu'il nous suffise de citer : le syndrome d'hypoplasie du coeur gauche (à partir de 73 pièces anatomiques) - le prolapsus mitral de l'enfant (une série de 100 observations) - la myocardiopathie non obstructive de l'enfant (à propos de 53 cas) - le syndrome de Noonan : une soixantaine d'observations, la plus grande statistique mondiale. Il consacre de nombreuses monographies aux syndromes polymalformatifs : cardio-squelettique, cardio-auditif, cardio-cutané... pour ne mentionner que les plus importants.

Cette parfaite connaissance de la Cardiologie Infantile lui vaut d'être désigné, en 1970, par la Société Internationale de Cardiologie comme seul membre francophone de la commission de nomenclature des cardiopathies de l'enfant. En 1975, dès sa création, il prend en charge le secrétariat général de la filiale pédiatrique de la Société Française de Cardiologie, dont il devient le Président en 1982.

Mais, en dépit de cette compétence en Cardio-Pédiatrie, unanimement reconnue, il se voulait avant tout cardiologue à part entière. Combien de fois l'avons-nous entendu protester avec véhémence auprès de ceux qui avaient tendance à vouloir l'exclure de la cardiologie d'adultes ! De fait, n'avait-il pas là encore innové, passionné qu'il était par la cardiologie sociale, et plus particulièrement la réadaptation fonctionnelle et socio-professionnelle du cardiaque ? Il est bon de rappeler à ce propos qu'il a été l'auteur du premier travail en langue française sur la « kinésithérapie dans la réadaptation précoce des sujets atteints d'infarctus du myocarde ». A l'époque, les écoles cardiologiques françaises étaient assez peu intéressées par ces problèmes, volontiers considérés comme annexes, cependant que Scandinaves et Anglo-Saxons en faisaient un objet de préoccupation. Son expérience dans ce domaine lui a permis d'effectuer de nombreuses enquêtes et communications sur le retour au travail du coronarien ou sur l'orientation professionnelle du jeune cardiaque.

Cette activité hospitalière débordante ne l'a pas pour autant conduit à négliger les responsabilités universitaires. Dès 1971, il est élu au Conseil de la Faculté B de Médecine dont il devient Vice-Doyen en 1977. Il sera constamment renouvelé dans cette fonction jusqu'à sa disparition. Parallèlement à cette charge, il est élu au Conseil d'Université de Nancy I. Il serait vain d'énumérer les Sociétés Scientifiques dont il était membre. Qu'il nous suffise de rappeler qu'il était « Fellow » de L'American College of Cardiology, ainsi que de l'International College of Angiology.

Mais évoquer une carrière professionnelle, si riche soit-elle, si brillante soit-elle, ne donne qu'un aperçu très incomplet de ce qu'était l'homme. Tous ceux qui l'ont côtoyé au quotidien savent qu'il existait deux aspects opposés de sa personnalité. Autant il pouvait, dans les mots, se montrer impétueux, parfois même excessif, autant dans les faits, il laissait apparaître sa véritable sensibilité. Tous ses élèves gardent en mémoire nombre de visites au lit du malade où le moindre oubli était immédiatement relevé, où aucune négligence dans l'examen clinique, aucun laxisme dans la rédaction de l'observation, n'étaient tolérés. Combien d'Internes, voire de Chefs de Clinique, s'effrayaient de ses commentaires imparables ou de ses critiques redoutables. Tous cependant, sans exception, gardent de leur passage dans son service l'image d'un chef d'école qui leur a beaucoup appris et qui les a remarquablement formés.

A l'opposé, hors milieu professionnel, tous ceux qui l'approchaient découvraient un homme affable, gai, attentif, très soucieux du respect de la langue française, très attaché au rayonnement de la culture française, ne craignant pas parfois de prendre des risques quand il estimait de son devoir de le faire. C'est ainsi qu'en 1981, il partit enseigner à la Faculté de Médecine de Beyrouth alors que régnait dans cette ville une insécurité évidente. D'ailleurs, ses cours furent interrompus par des obus tombés dans l'enceinte universitaire et sur la maison même des amis libanais qui l'hébergeaient.

Tel était l'homme : enthousiaste, spontané, aussi passionné dans sa vie professionnelle que dans ses activités de loisirs, plus particulièrement l'alpinisme et surtout le cyclisme. Peu de jours avant cet accident, il me confiait, et il en était fier, qu'il avait parcouru en bicyclette 9500 km durant l'année 1988, et qu'il espérait bien atteindre les 10000 en 1989. Et de fait, il partait souvent seul, au petit matin, vers 5 heures, pour sillonner les routes de cette Lorraine qu'il aimait, dont il connaissait tous les villages, tous les vallons, et après avoir augmenté de 40 ou 50 son capital kilométrique, il arrivait le premier, vers 7 heures, dans son service, pour préparer avec minutie le programme de la journée.

La disparition brutale de Claude PERNOT est une perte inestimable, non seulement pour le C.H.U. de Nancy, mais aussi pour le monde cardiologique. A Madame le Docteur Monique PERNOT, à ses enfants Philippe, Anne et Catherine, nous adressons nos condoléances attristées et nous les assurons que ses amis, ses élèves, sauront garder le souvenir de ce qu'il fût et de ce que lui doivent la Faculté et le Centre Hospitalier Régional de Nancy.

Professeur J-M GILGENKRANTZ