SIMONIN Pierre

1890-1970

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ELOGE FUNEBRE

Le 22 février 1970, mourait le Doyen Pierre SIMONIN, huit jours après un banal accident qui malheureusement devait être suivi d'une série de complications aboutissant à l'issue fatale. Une semaine avant, il était encore dans toute la force d'une vieillesse bien conservée, lui laissant une intelligence toujours aussi brillante et une santé physique qui semblait sans défauts. Cette brutalité nous fait sentir douloureusement combien nous sommes vulnérables, à la merci du moindre épisode qui vient rompre un équilibre en apparence solide. Et pour le Doyen SIMONIN, c'était une notion dont il avait pleine conscience et dont il se défiait, connaissant trop bien la fragilité et la faiblesse de l'homme. Aussi se terminait une longue carrière, après 50 ans de vie féconde dans notre Faculté.

Pierre SIMONIN était né à Nancy le 19 mars 1890, et après des études secondaires très réussies, lui ayant toujours laissé le goût des « humanités », il entrait très jeune à la Faculté de Médecine et était déjà Externe des Hôpitaux à l'âge de 19 ans, puis aide de Clinique Médicale à 23 ans, en même temps qu'il devenait Préparateur au Laboratoire d'Histoire Naturelle Médicale. Il avait déjà fait son service militaire pendant deux ans, de 1911 à 1913, dans ce régiment typiquement lorrain qu'était le 26ème régiment d'infanterie. Mais, comme tous ceux de sa génération qui devaient payer un lourd tribut à l'armée, il était rappelé sous les drapeaux pour cinq ans pendant la grande guerre.

Mobilisé le 2 août 1914 comme Médecin auxiliaire, il devait donner le meilleur de lui-même et je ne puis mieux le faire que de citer les paroles élogieuses de son Médecin de bataillon, le regretté Doyen Jacques PARISOT, avec lequel il fit douze mois de campagne côte à côte : « Il fit preuve des plus belles qualités tant au feu qu'auprès des blessés. Nommé Aide-Major, il apporta dans les ambulances, où il fut affecté, le concours le plus dévoué soit comme Médecin traitant, soit comme bactériologiste ; il contribua en particulier en 1918 à l'heureux essai de méthodes thérapeutiques qui, chez les intoxiqués par gaz, puis ultérieurement chez les grippés, permirent d'abaisser dans des proportions importantes le taux de mortalité ». La Croix de Guerre, en 1915, devait récompenser son dévouement. Il devait encore repartir en 1939 comme Médecin Capitaine à la direction du service de santé de la vingtième région. Ces années de guerre l'attachèrent tout particulièrement au Doyen PARISOT qui, après l'avoir eu sous ses ordres en 1914 et 1915, le retrouvait comme collaborateur au Laboratoire de Pathologie Générale et Expérimentale et à l'Hôpital Villemin.

De retour dans notre Faculté, Pierre SIMONIN mettait un terme à ses études médicales en soutenant sa thèse en 1920, thèse récompensée par le premier prix et couronnée par l'Académie de Médecine (Prix BARBIER - 1921). Cet ouvrage intitulé : « Introduction à l'étude des toxines vermineuses, étude clinique et pathologie expérimentale » était le fruit du travail effectué dans le Laboratoire de Pathologie Générale et Expérimentale dont il était chef de travaux, après avoir été longuement préparé dans le Laboratoire de Parasitologie et de Bactériologie du Professeur VUILLEMIN.

C'est une oeuvre très importante ne comportant pas moins de 323 pages et 50 figures et traduisant parfaitement l'esprit de Pierre SIMONIN, homme de laboratoire et clinicien, appuyant ses travaux cliniques sur la recherche expérimentale, dominant le problème pour aborder à ce sujet toutes les questions de l'intoxication protéique et de l'anaphylaxie. Cet esprit de recherche devait se manifester par la suite par de nombreux travaux menés dans le même sens, sur les protéotoxies, la skeptophylaxie, la tachyphylaxie, les crises hémoclasiques... C'était un travail de précurseur en 1920, en face du renouveau actuel de l'immuno-allergie, qui devait se poursuivre par la publication, en 1925, d'une importante monographie sur « les vaccins et la pratique de la vaccinothérapie ».

En 1926, Pierre SIMONIN était nommé Professeur Agrégé, section Médecine Générale, et se voyait chargé du cours de clinique propédeutique à l'hôpital Saint-Julien jusqu'en 1930, date à laquelle il revenait comme chef de service à la Clinique des Maladies tuberculeuses de l'hôpital Villemin qu'il ne devait quitter qu'à sa retraite en 1960. En 1936, il devenait titulaire de la Chaire de Thérapeutique où il succédait au Professeur Maurice PERRIN. Mais le titre de sa Chaire devait évoluer à quatre reprises et sur sa demande, dans le sens de ses préoccupations principales, ce qui lui permit d'avoir toujours un titre parfaitement en conformité avec son activité. C'est ainsi que la Chaire de Thérapeutique devint en 1938 Chaire de Pathologie Générale et Expérimentale, en 1944 Chaire de Pathologie Générale et Clinique de la Tuberculose, et enfin en 1954 Chaire de Clinique de la Tuberculose. Dans toute cette période, ses travaux s'orientèrent de plus en plus vers la pathologie pulmonaire, traitant entre autres des scissures, de l'hérédité tuberculeuse, de l'asthme, de l'ultra-virus tuberculeux, des abcès du poumon, du pneumothorax, etc., avant de s'intéresser aux problèmes d'exploration fonctionnelle dont il lança l'essor avec le Professeur SADOUL.

Il faisait preuve dans toutes ses recherches d'un esprit original, clair et méthodique, scrupuleux même, empreint de bon sens, sachant utiliser de façon judicieuse et pondérée l'expérience de la clinique et les ressources du laboratoire. On ne peut mieux juger de sa prudence et de ses scrupules qu'en citant la conclusion qu'il donnait à l'un de ses articles sur la streptomycine en 1948 : « Conscients de sa valeur, méfions-nous de ses dangers : car, à côté d'inconvénients réels, il est des incidences lointaines que l'on soupçonne sans en bien mesurer la portée. Et souhaitons que l'abondance grandissante du précieux produit n'entraîne pas l'essor irraisonné de ses applications, et que l'ardeur des néophytes demeure tempérée par de justes et sages appréciations ». C'est là une leçon de sagesse dont nous devons tous nous inspirer chaque jour.

Son autorité devait le conduire au décanat en 1955, comme successeur du Doyen Jacques PARISOT, et c'est comme Doyen de la Faculté de Médecine qu'il terminait sa belle et longue carrière en 1960. En fait, il ne la terminait pas complètement et revenait souvent à l'hôpital Villemin où il aimait revivre toute son activité passée. C'est là que j'ai pu apprécier au cours de longues conversations amicales et détendues, toutes les qualités de cet homme exceptionnel.

Sous un aspect un peu sévère, qu'accentuait encore sa prestance, il cachait une extrême sensibilité. Imprégné de culture littéraire, il utilisait une langue châtiée, maniée à la perfection aussi bien dans ses écrits que dans ses parole, sans jamais aucune complaisance. Imprégné de culture musicale, instrumentiste de talent et mélomane averti, il ressentait avec  intensité  toutes  les  nuances. Il appréciait la délicatesse et la mesure. Son bon sens solide le gardait des jugements hâtifs et lui faisait peser avec sagesse toutes ses décisions.

La vie avait été particulièrement cruelle avec lui et il avait perdu successivement sa fille, emportée très jeune, son fils, le Professeur Jacques SIMONIN, et son petit-fils. Ces blessures ne s'étaient jamais refermées et son chagrin n'avait jamais été consolé. Dans le secret de son coeur, il gardait le souvenir de toutes ces épreuves et, peut-être, était-ce la raison de sa réserve devant le monde. La richesse de sa personnalité et la profondeur de sa vie intérieure en faisaient un homme d'une rare qualité. C'est avec beaucoup de respect et d'admiration, avec beaucoup d'émotion aussi, que nous garderons sa mémoire.

Professeur P. LAMY