` sommaire

Leçon d’ouverture du cours de clinique médicale

de Paul Spillmann - 1887

 

Dès le début de mon enseignement dans cette enceinte, je me suis rappelé avec une profonde émotion, et les maîtres qui ont dirigé mes premiers pas et les professeurs qui m'ont précédé dans cette chaire. Aux uns et aux autres j'éprouve le besoin de payer un tribut de filiale reconnaissance ou de respectueuse affection.

 

Mes devanciers ne sont pas nombreux. Agrégé en 1834, Schützenberger devenait en 1844 professeur de clinique à la faculté de Strasbourg. Il a formé plusieurs générations médicales. Il a laissé un volume de leçons cliniques et de fragments de philosophie médicale où respire toute son âme. Écrivain et professeur, il honora l'école de Strasbourg. Il a marqué sa trace dans l'histoire de la médecine contemporaine.

 

Lorsque, dans un jour de deuil, on ferma la Faculté, il ne put se résoudre à quitter la cité malheureuse. Retenu par de douloureux souvenirs, il fonda une Faculté autonome et continua l'enseignement français. Cet enseignement devait bientôt succomber sous les attaques des envahisseurs.

 

La Faculté de Strasbourg fut transférée dans la capitale de la Lorraine. Alors à Schützenberger succéda M. le Professeur Victor Parisot. Depuis de longues années M. Parisot occupait la chaire de clinique médicale à Nancy. Vous vous rappelez les brillantes qualités de ce maître aimé : il y a quelques mois à peine sa parole ardente retentissait encore dans cet amphithéâtre. Maintenant, devenu maître à mon tour, j'ai charge d'intelligences ; j'imiterai les exemples que j'ai reçus et je me dévouerai à mes élèves. Dès les premiers moments, j'ai senti qu'il me fallait réunir toutes mes forces pour accomplir ma mission. J'ai compté sur le sentiment du devoir et sur votre cordial concours. Par expérience, je sais quels liens étroits se forment de jour en jour entre le maître et l'élève ; il existe entre nous une solidarité qui rendra ma tâche facile ; unis par un esprit de confiance réciproque, nous marcherons ensemble vers le même but.

 

Je vais vous exposer ce que j'attends de vous, dire la dignité de la médecine, et insister sur la méthode de l'enseignement clinique.

 

Avant tout, vous avez dû comprendre toute l'importance de la mission qui vous sera confiée. Pour mériter le titre de médecin, il faut être un homme de sens, de coeur et de bien ; il faut être l'homme de sa profession, compatir à la souffrance et dévouer toute sa vie au service du prochain. Comprenez toute la beauté de la science médicale. Dans cette oeuvre de dévouement, au milieu de bien des peines, on goûte une double joie ; d'abord on éprouve une profonde admiration pour cette merveille de l'organisme humain, puis on soutient une lutte énergique et souvent victorieuse contre la maladie. Car d'un côté, suivant le mot d'Hippocrate, l'homme tout entier est une maladie, et d'autre part chaque individu porte en lui des germes nombreux de mal. D'abord inaperçu, le mal fait des progrès lents, puis rapides ; devant cette structure vivante et si belle, minée par la maladie, ravagée de toutes parts et qui succombe sous ses assauts répétés, le médecin est pris de pitié et de commisération ; il faut qu'il regarde, découvre, comprenne, qu'il lutte quelquefois avec angoisse ; mais aussi, s'il parvient au succès, non seulement il a sauvé une vie, mais il a comme un gage assuré de nouvelles victoires. Quel malheur si, par sa faute, il laissait mourir ou faisait périr un seul homme ! Sans ce sentiment d'intelligente admiration et de pitié effective vous manqueriez votre but, et manquer votre but ce serait faillir à votre devoir, ce serait assumer une responsabilité terrible.

 

Pour étudier avec succès la médecine, il faut l'aimer et l'aimer avec passion ; et comment ne pas l'aimer avec passion quand on comprend toute la beauté de la science médicale ? Si donc vous n'avez pas de vocation, si vous n'avez pas l'amour du métier, le sentiment du devoir, de l'abnégation, du sacrifice, retirez-vous. Ne venez pas échouer à la redoutable épreuve d'un examen. Car nous vous promettons d'avoir une affectueuse et prévoyante sévérité : tout nous la commande.

 

Nous sommes témoins de vos efforts et de vos progrès ; nous sommes juges de votre mérite et de votre science ; nous serons des témoins sincères et de justes juges. Pour vous donner le titre de docteur et vous recommander à la confiance de la société, nous exigerons que vous ayez fait vos preuves et nous n'assumerons sur nos têtes aucune solidarité avec une ignorance coupable. Nous ne voulons point, par une excessive indulgence, vous mettre en état de jeter la désolation dans une famille et mériter ainsi de provoquer contre nous le cri de la réprobation publique. Ou vous serez dociles et doctes, ou vous ne serez pas docteurs.

 

Cette sévérité, nous l'aurons aussi dans votre intérêt. Après les examens que vous aurez passés devant nous, nous entrevoyons des examens d'une autre nature, des examens ou, à votre tour, vous serez témoins et juges : un jour, et ce jour n'est pas si éloigné, un jour, confiante dans le titre de docteur que nous vous aurons conféré, une famille vous appellera près d'un père, d'une mère, d'un fils, d'une fille : que cette famille soit riche ou pauvre, elle vous dira : Sauvez-lui la vie ; Rendez nous la joie ; Ayez pitié de nous. Alors sous le regard d'une famille et de la société, vous examinerez le malade et votre examen pourra, sous votre responsabilité, sortir ou la mort ou la vie.

 

Ayez une jeunesse non pas sombre et morose, mais laborieuse et grave ; soyez des hommes non de plaisir mais d'étude ; recherchez des amis sérieux et dignes ; lisez assidûment les auteurs qui font autorité, analysez leurs ouvrages, rapprochez de leurs observations consciencieuses vos propres observations ; vivez dans le commerce des maîtres qui par leur caractère comme par leur intelligence ont honoré la médecine. Vous aurez ainsi, tout ensemble, et une direction sûre et un noble délassement ; vous prendrez des habitudes de travail que vous ne quitterez plus de toute votre vie ; vous vous approprierez la science étrangère, et dans cette continuelle acquisition de connaissances, dans ces perpétuels progrès de votre esprit, vous goûterez une satisfaction intime qui sera votre première récompense. Souvent quand vous aurez repoussé les appels du plaisir ou secoué les tentations de la paresse, vous constaterez un fait, vous recueillerez un témoignage qui projettera de la clarté sur la situation d'un malade, et vous mériterez, vous pourrez obtenir d'arracher plus d'une victime à la mort.

 

C'est de la clinique que vous attendez toute votre initiation pratique à la médecine. Vous cherchez presque tous à devenir, non pas des savants, mais des praticiens. Quelle est la meilleure voie pour arriver au but

 

Pendant votre première année d'études, vous n'entrez pas encore à l'hôpital, et je le regrette. Excellents cliniciens, nos pères commençaient par les services hospitaliers. Pour vous, la première année est presque perdue ; vous complétez alors les connaissances exigées pour le baccalauréat ès sciences restreint. On pourrait supprimer ce dernier examen et votre première année de médecine suffirait pour donner une base scientifique à vos études médicales. Vous gagneriez ainsi du temps, et c'est beaucoup dans la vie, surtout avec les exigences de plus en plus absorbantes du service militaire.

Mais si l'on vous a habitués dans les laboratoires de physique et de chimie à la manipulation des instruments et des réactifs, si vous en avez entrevu l'utilité pour le diagnostic, vous retrouverez à la clinique la véritable application des connaissances acquises pendant les premières années d'étude.

 

Aussi est-il désirable que les parties de la chimie et de la physique applicables à la biologie vous soient enseignées en temps opportun.

 

Voyez, en effet, ce qui se passe aujourd'hui. Incomplètement préparés aux études chimiques par le baccalauréat ès sciences restreint, vous suivez dès la première année de vos études médicales un cours de chimie biologique. Le professeur vous fait des leçons importantes sur l'analyse des urines, sur celles des tissus, des liquides normaux ou pathologiques. On vous parle d'albuminurie, de glycosurie, de peptonurie, de phosphaturie, on vous enseigne la recherche et le dosage de l'urée, des alcaloïdes toxiques, etc. et vous n'avez encore aucune notion de pathologie, vous n'avez vu aucun malade ! ne pouvant saisir, ni la portée pratique, ni la portée clinique de cet enseignement, vous amassez dans votre esprit des notions confuses qu'il vous sera difficile de garder.

 

De là une conséquence déplorable. Arrivés en troisième et en quatrième année, vous avez en partie oublié les notions utiles qui pourraient éclairer le diagnostic, et bien peu d'entre vous seraient à même de faire une analyse chimique.

 

Pour la physique, il y a les mêmes inconvénients. Vous connaissez la structure d'une pile, d'un appareil faradique. Mais s'agit-il de manier un appareil à courant continu ou à courant induit, et surtout d'en faire l'application au lit du malade, vous êtes bien en peine. J'en dirai tout autant des appareils enregistreurs et de ceux qui sont destinés à l'examen de l'oeil ou du larynx.

 

La réforme dont je vous parle avait été mise en pratique par le regretté professeur Lasègue. À la clinique de la Pitié, c'était par des agrégés qu'il faisait faire des conférences de physique, de chimie, d'histologie pathologique ; à la théorie il joignait ainsi la pratique.

 

Les laboratoires rendent de grands services. Mais l'art de reconnaître et de traiter les maladies ne s'apprend ni dans les leçons théoriques, ni dans les laboratoires de chimie ou d'anatomie. Pour le médecin, le vrai laboratoire c'est l'hôpital ; c'est là que vous devez passer vos journées. Rappelez-vous qu'en dehors des récréations nécessaires, votre temps c'est le temps des malades.

 

La médecine est d'abord une science d'observation. Or pour former, pour accroître l'esprit d'observation, il faut une pratique journalière et cette pratique vous la trouvez à l'hôpital. Là vous avez, réunies, soit dans une seule salle, soit dans des salles voisines, toutes les maladies qui affligent le corps humain avec leurs variétés innombrables et leurs douloureuses complexités ; là vous pouvez en même temps étudier une maladie dans ses différentes phases ; vous rapprochez, vous comparez. Quand on voit la douleur sous tant de formes, l'âme s'ouvre à la pitié, au respect, parfois à l'admiration. Dans les laboratoires de physique et de chimie, dans les amphithéâtres d'anatomie ou de physiologie, le sujet d'expérience est tout passif. En entrant à l'hôpital, pensez-y souvent, ce ne sont pas seulement des sujets ou des maladies que vous avez à étudier, ce sont des hommes malades, d'autant plus intéressants qu'ils n'ont pas autour d'eux une famille pour calmer leurs appréhensions et pour adoucir leurs souffrances. Examinez donc vos malades avec douceur et ne prononcez pas devant eux un mot qui puisse les blesser ou aggraver leur peine. Combien de ces pauvres ont contracté dans un rude labeur, dans un continuel dévouement, dans des privations méritoires, le germe de leur maladie ; combien supportent avec une silencieuse patience des souffrances qui les conduiront à la mort, ou combien attendent avec une généreuse ardeur le moment de reprendre leur travail ! Ayez de la compassion pour leur douleur ; parfois donnez leur une parole de consolation voilà un noble ministère !

 

Sachez aimer et respecter l'homme dans le malade et vous respecterez, vous aimerez votre science.

 

L'hôpital, toujours l'hôpital ! Il y a là des trésors, mais ces trésors pour les découvrir, il faut un travail continu, persévérant. C'est aux esprits vaillants, c'est aux coeurs dévoués, que la médecine découvre ses secrets !

 

Qu'un travail facile, apparent et trompeur ne vous prépare pas de tardifs regrets. Observez vous-même ! faites une large part à l'investigation personnelle ; apprenez non dans les manuels et de mémoire, mais par le coeur et auprès du malade. Ayez une patience à toute épreuve. Il vous faut un long apprentissage commencé dès le début des études médicales, poursuivi dans les hôpitaux, au lit de la misère et de la souffrance, il faut le sentiment d'un devoir, d'une mission sacrée à remplir, pour devenir un médecin et un observateur habile. Voilà votre devoir ; voici maintenant mon programme.

 

Votre but est d'observer des malades pour vous instruire, et il est nécessaire que vous les observiez vous-mêmes, afin de suivre les modifications de la maladie. Je tiens à ce que vous examiniez les entrants à tour de rôle, devant tous vos camarades, en présence du maître et suivant une méthode bien déterminée.

 

Pour que l'étude de la clinique soit profitable, il faut que vous agissiez comme pour votre propre compte et sous votre responsabilité personnelle ; il faut que, vrais praticiens, vous portiez un diagnostic et que vous posiez les indications d'un traitement. Le malade une fois examiné, pensez-y bien, lisez ce qui peut vous éclairer sur sa maladie ; s'il est gravement malade, allez le revoir à la visite du soir, restez dans un commerce continuel avec lui, suivant jour par jour la marche de la maladie, l'action du traitement : c'est à cette condition que vous vous familiariserez avec toutes les méthodes de diagnostic et de thérapeutique dont plus tard vous pourrez avoir besoin.

 

Assistez également aux consultations de l'hôpital. Là encore vous verrez passer sous vos yeux de nombreux malades, enfants, adultes, vieillards, indigents, pauvres honteux, étrangers ; tout ce monde vient demander un conseil et présente souvent des maladies aiguës ou chroniques que vous ne retrouverez pas dans les salles.

L'interrogatoire d'un malade est une oeuvre difficile, délicate. Suivant que vous vous en acquitterez bien ou mal, votre appréciation de la maladie sera juste ou fausse. Et vous comprenez toutes les conséquences !

 

Or pour interroger avec ordre et saisir un diagnostic, une pratique assidue et une bonne méthode lèveront toutes les difficultés.

 

Bien que les malades changent chaque jour, et que les cas les plus variés, les plus complexes, se présentent à vous, nous ne pouvons, en quelques mois, faire passer devant vos yeux tous les types pathologiques, mêmes les plus importants. C'est par la méthode seule, que vous observerez avec sagacité et pourrez juger et traiter même les cas nouveaux que, sans conseils, vous aurez le devoir d'étudier.

 

Vous voyez employées à l'hôpital deux méthodes d'interrogation.

 

La première, que j'appellerai expéditive est appliquée à la consultation. Là on ne peut donner à chaque malade qu'un temps assez court. Il faut, par un coup d'oeil rapide, et à la suite d'une interrogation sommaire, poser un diagnostic. Basé sur quelques signes frappants, tels que l'oedème des membres inférieurs, un état cachectique, de la dyspnée, ce diagnostic ne dispense pas de reprendre ensuite l'histoire du malade et recourir au second procédé d'interrogation, au procédé méthodique.

 

L'examen d'un malade varie suivant les professeurs et suivant les sujets. Chacun, dans sa pratique, se fait un procédé pour atteindre son but. Mais en clinique, où chacun doit pouvoir suivre et comprendre ce qui se fait, il faut bien adopter une méthode unique. Cette méthode, j'y insiste chaque jour au lit du malade.

 

La première question en s'informant des souffrances actuelles doit être : où avez-vous mal ? souffrez vous ? montrez l'endroit malade. Depuis quand souffrez vous ? vous pourrez ainsi commencer votre examen par l'étude de l'organe ou de la fonction troublée.

Procédez toujours avec ordre : que rien ne soit livré au hasard. Sachez que l'interrogation des malades est un des points les plus difficiles, les plus délicats de la clinique. Choisissez un schéma que vous pourrez chacun développer selon les occasions.

 

Préparez vous plusieurs schémas : l'un pour l'examen des malades atteints de maladies générales ou de fièvre, les autres pour les maladies de l'appareil respiratoire, circulatoire, digestif, pour les maladies du système nerveux. Suivez ces schémas avec conscience et par conscience, et vous arriverez, à cette condition, à prendre vos observations justes et vous poserez un diagnostic exact d'où vous pourrez déduire et le pronostic et le traitement.

Vos camarades qui auront suivi pas à pas l'examen fait par vous, donneront à leur tour leur avis.

J'aurai ainsi l'occasion de signaler l'erreur ou l'exactitude des appréciations, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une conclusion sûre. Vous acquerrez ainsi beaucoup de connaissances pratiques. Enfin, quand l'issue de la maladie est la mort, une partie importante de l'enseignement clinique c'est l'inspection du cadavre. Vous savez combien les lésions constatées servent à l'appréciation du diagnostic et du traitement.

Combien ces investigations anatomiques ne vous seront elles pas plus utiles que si vous examiniez des organes malades dans un laboratoire sans avoir vu le sujet ! Nous vous tiendrons au courant de toutes les recherches, de toutes les découvertes nouvelles ; on donnera un soin tout particulier aux analyses chimiques ; avec son dévouement habituel, mon chef de clinique, M le docteur Haushalter, vous initiera à tous les progrès de la bactériologie.

Que de perspectives nouvelles, que de secrets jusqu'alors cachés, les découvertes de Pasteur ne nous laissent-elles pas entrevoir ! La bactériologie sert tout ensemble et la pathogénie et la thérapeutique. Nous connaissons les bactéries pathogènes du charbon, de la tuberculose, du choléra, de la rage, etc. s'il en est qui nous tiennent encore en échec, combien d'autres que nous savons déjà combattre ! L'antisepsie n'a-t-elle pas produit une véritable révolution en chirurgie et en obstétrique ? Aussi le médecin, souvent découragé par son impuissance, a repris la lutte avec ardeur ; sans pouvoir encore vaincre comme les chirurgiens, nous avons, nous aussi, l'espoir d'obtenir des succès. La découverte des virus atténués n'est elle pas, en effet, une des merveilles de la médecine contemporaine ? En présence de ces grands travaux ne devons nous pas travailler de toutes nos forces, sinon pour les étendre, du moins pour les appliquer !

Vous citerai-je le bacille de la tuberculose, dont la recherche est si bien entrée dans l'usage, que la plupart des médecins instruits se servent de ce moyen pour éclairer le diagnostic. Il en sera peut-être bientôt de même pour d'autres bactéries.

 

Tel sera, Messieurs, mon système d'enseignement. Les mardis et les samedis, nous ferons à l'amphithéâtre une leçon relative aux faits et aux cas spéciaux observés dans nos salles. Nous insisterons sur les difficultés de diagnostic et de traitement qui se sont présentées, nous discuterons les doctrines pathologiques et nous ne manquerons jamais de vous présenter les pièces anatomiques des sujets qui auront succombé dans le service. Les jeudis, nous ferons une leçon au lit du malade, en interrogeant les entrants ; enfin les autres jours de la semaine nous visiterons ensemble tous les malades de nos salles.

Cette méthode est bien préférable à celle des universités allemandes.

En Allemagne, l'élève n'a pas le droit d'entrer dans les salles : il voit chaque jour une seule fois un malade nouveau, et ce malade, il ne peut le suivre ; s'il le revoit c'est à l'amphithéâtre, quand la maladie s'est finie par la mort. Il ne peut ainsi connaître, ni la marche de la maladie, ni l'effet des traitements. Telle ne doit pas être la clinique !

Les leçons, les interrogations du maître doivent vous servir de modèle pour vos études. Soyez non pas des spectateurs oisifs, mais d'actifs coopérateurs. On n'apprend pas la musique ou la sculpture dans des concerts ou des musées. Fixez votre attention sur un nombre restreint de malades. Constatez sous forme de note la conséquence de vos observations journalières. Écrivez l'histoire de chaque malade ; regardez chaque malade comme votre client. Intéressez vous au progrès de sa guérison ; votre sollicitude soutiendra votre attention et le coeur vous donnera de l'esprit. Puis aux heures solitaires du soir, réunissez vos souvenirs, parcourez vos notes, vos observations de la journée ; voyez ce que disent les auteurs, écoutez ce que le professeur n'a pas dit. La lecture est le complément nécessaire des études cliniques. Repassez ainsi vos notions d'anatomie, de physiologie, de pathologie et de thérapeutique. Vous utiliserez ainsi tous ces matériaux et vous développerez sûrement votre intelligence scientifique.

C'est la condition pour devenir de vrais praticiens !

 

Et maintenant, messieurs, un dernier conseil. Le domaine de la médecine est bien étendu, bien riche. Vous connaissez tous les trésors de la science et d'expérience dont vous pouvez disposer et où vous pouvez puiser à pleines mains : livres, laboratoires, hôpital, tout est en harmonie avec notre haute et noble mission.

 

Pensez à vous acquitter de bien des devoirs. Vous-même, vous qui aspirez à un si noble service, gardez inviolable le sentiment de votre dignité : de vos jours faites des journées. Pendant que vous le pouvez, employez les moyens qui sont mis à votre disposition. Ces moyens, la plupart d'entre vous les auront seulement quelques mois, quelques années : qu'ils ne l'oublient pas : plus tard ils seront isolés ! Messieurs, ne vous exposez pas à avoir un jour conscience de votre propre insuffisance. Pensez à la responsabilité qui pèsera sur vous. Prévenez les regrets navrants, les remords terribles qui vous tourmenteront sans cesse, si, par votre faute, vous étiez au-dessous de votre tâche, si appelés pour sauver un malade, vous aviez le malheur de le tuer. Ne perdez pas votre temps en futiles plaisirs ; il y a des plaisirs qui vous prépareraient des crimes.

 

Je comprends quelle tâche m'est confiée et rien ne me coûtera pour guider vos premiers pas dans votre carrière. Ma ferme volonté, mon voeu le plus ardent, est de faire de vous des hommes généreux, prodiguant tous les soins de votre art aux malades. Je serai heureux de remplir ainsi la haute mission que la Faculté m'a fait l'honneur de me confier, et je serai, Messieurs à votre service, pour qu'un jour vous soyez au service de la société !