Joseph-Alexis Stoltz (1803-1896)
Doyen des deux Facultés
par Jean-Marie
MANTZ
Doyen honoraire,
Faculté de Médecine de Strasbourg
Histoire des
sciences médicales – tome XXXIV – No 2 - 2000
Petit fils et fils de médecin, Joseph-
Alexis Stoltz naît à Andlau
le 14 décembre 1803. Son père, éminent ampélographe, était ancien officier de
santé des armées de la République.
Après des études secondaires à Sélestat,
Joseph-Alexis s'inscrit à la Faculté de Médecine de Strasbourg en 1819. Quatre
ans plus tard il obtient le 1er prix d'anatomie et de physiologie. Il s'initie
à la pratique des accouchements à la clinique de la Faculté en 1824 et
fréquente assidûment le service chirurgical du docteur Marchai.
Reçu au concours d'aide de clinique à la
Faculté en 1825 il est attaché au service obstétrical du professeur Flamant,
soutient sa thèse de doctorat en 1826 sur l'Art des accouchements et est nommé successivement responsable pédagogique des trois cliniques
médicale, chirurgicale et obstétricale, prosecteur d'anatomie, agrégé à la
Faculté en 1829 puis, à la mort de son Maître Flamant en 1834, professeur
titulaire de la chaire d'accouchement.
En 1847, il est nommé directeur de
l'Ecole départementale d'accouchement et est, dès lors, responsable de tout
l'enseignement de l'obstétrique à Strasbourg. En 1855 il obtiendra la réunion
de l'école et de la clinique, créant ainsi la Maternité.
En quelques années il parvient à donner
à l'Ecole obstétricale de Strasbourg un lustre incomparable.
Il transforme et modernise les locaux
d'hospitalisation et de consultation.
Il excelle dans l'art de l'accouchement.
Son enseignement clinique au lit des
patientes est une nouveauté.
Chirurgien habile il pratique la trachéotomie
chez les malades du croup dès 1829. Bravant l'autorité de l'Académie de
Médecine de Paris et l'interdiction doctrinale de Baudelocque, il exécute, pour
la première fois en France, un accouchement prématuré dans un cas de
rétrécissement du bassin et réalise avec succès une césarienne dès 1834.
D'emblée il reconnaît l'immense intérêt
en obstétrique de l'anesthésie générale à l'éther et l'utilise dès le mois de
mars 1847, soit deux mois après le promoteur de cette technique l'Ecossais
Simpson. Il s'efforce de faire reconnaître en France la gynécologie comme
spécialité à part entière et participe activement à la fondation en 1835 des Archives
Médicales de Strasbourg, puis en 1843, de la
Gazette Médicale de Strasbourg qui deviendra le Journal de Médecine de
Strasbourg. Il est également membre fondateur de la Société de Médecine de
Strasbourg, où il présente la plupart de ses travaux.
Cependant si, dans plusieurs secteurs de
l'obstétrique, il est un précurseur, il reste quelque peu sceptique devant l'audace
opératoire de son élève Koeberlé, le Maître de
l'ovariectomie et doute du rôle pathogène du streptocoque découvert par deux de
ses collègues Léon Coze et Victor Feltz
dans le sang des accouchées atteintes de fièvre puerpérale.
Tel était l'Universitaire, l'Enseignant,
le Praticien.
Quel
était l'homme ?
Ses élèves l'admirent. Tous
reconnaissent son intelligence toujours en éveil, son talent opératoire, son
ingéniosité technique, son enthousiasme pédagogique. Ecoutons l'un d'eux,
François-Joseph Hergott, son adjoint direct, qui
cependant ne lui succédera pas : "// était de haute taille, de
physionomie sévère, sa parole était lente, précise, allant à l'essentiel. Il
avait la constante préoccupation d'accéder aux postes les plus élevés - ce qui ne pouvait manquer d'être - mais aussi
d'éloigner ceux qui, entrés dans la même carrière, auraient pu grandir à côté
de lui".
On perçoit dans ces propos une pointe
d'amertume, mais que vaudrait l'éloge si la critique n'était pas permise ?
Symon de Villeneuve,
un autre de ses élèves, complète le portrait : "Très aimé de ses
patientes - il en avait jusqu 'en Russie - et des
dames strasbourgeoises - toutes ou presque ses clientes - il n 'avait pourtant
pas un extérieur séduisant, avec des cheveux clairsemés d'un rouge fadasse, son
teint de brique mal cuite et son allure bon enfant, mais calme, patient, très
doux avec ses malades de basse comme de haute classe, il était accueilli
partout en sauveur".
Le 20 janvier 1867 il succède au doyen
Charles Henri Ehrmann comme Doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg.
Les débuts du décanat sont difficiles
d'autant que le nouveau doyen tient à poursuivre son activité clinique et son
enseignement. Les travaux d'agrandissement de la Faculté, entrepris dix ans
auparavant, ne sont pas terminés.
Face à l'afflux croissant des étudiants
les amphithéâtres sont trop petits. Le local de la bibliothèque est mal adapté.
Parmi les services, seule la chimie est bien installée.
C'est dans cette ambiance que le 19
juillet 1870 déferle sur la France le cataclysme prussien.
On fait passer en hâte leurs examens aux
étudiants de l'Ecole de Santé les plus avancés pour leur permettre de terminer
leur instruction au Val-de-Grâce. Les autres sont affectés aux postes de
secours et dans les ambulances. Leur dévouement fera l'admiration de tous.
Le 4 août c'est la bataille de
Wissembourg, le 5 c'est Froeschwiller.
Un convoi de 500 blessés apprend aux
Strasbourgeois l'ampleur du désastre. Le bombardement de Strasbourg commence le
4 août et durera trois semaines. Dans la nuit du 25 au 26 août un gigantesque
incendie embrase la cité, l'hôpital est en feu, la flèche de la cathédrale
vacille.
Le 6 septembre Sedan est investi.
Strasbourg résistera jusqu'au 28 septembre.
Les élèves-médecins quittent Strasbourg
pour la Suisse d'où la plupart gagneront la France.
Bazaine livre Metz le 27 octobre.
L'armistice du 28 janvier 1871 arrête
les hostilités.
Le 1er mars 1871 le vote de l'Assemblée
de Bordeaux, à l'issue duquel Emile Kûss député-maire
de Strasbourg s'effondre mort, accepte la cession à l'Allemagne de l'Alsace et
d'une partie de la Lorraine.
Le traité de Francfort est signé le 10
mai 1871.
Qu'allait
devenir la Faculté de Médecine de Strasbourg ?
Très tôt le doyen Stoltz
témoigne son attachement à la France et demande des directives au Ministre de
l'Instruction Publique Jules Simon qui promet la reconstitution prochaine de
la Faculté de Strasbourg dans une de nos grandes villes de France "
Mais laquelle ? Pendant dix-huit mois le
sort de la Faculté de Strasbourg restera incertain : période de propositions,
de négociations, d'intrigues de toutes sortes. Trois villes sont candidates :
Lyon, qui n'était que l'une des
vingt-deux écoles de médecine réparties sur le territoire, y voit l'occasion
d'être promue ville de Faculté, comme Paris et Montpellier. Les enseignants de
Strasbourg seraient répartis entre ces trois Facultés. Ce serait, estime-t-on à
Strasbourg, la disparition pure et simple de notre Faculté.
Montpellier, qui ne voit pas d'un bon
œil la promotion de sa voisine lyonnaise, fait également valoir ses
prétentions, par la voix de son doyen Bouisson : deux
grandes Facultés de Médecine, Paris et Montpellier, renforcées par les
effectifs strasbourgeois, seraient suffisantes.
La réaction strasbourgeoise est
cinglante : Hippolyte Bernheim, agrégé de Strasbourg, écrit dans la Gazette "Une
école rivale a profité de l'annexion de notre malheureuse province pour
demander notre suppression, l'Ecole de Montpellier veut s'élever sur nos ruines
".
Nancy enfin, siège d'une Ecole de
Médecine, intervient à son tour : le 9 juin 1871 son Conseil Municipal, "considérant
que les Facultés de Strasbourg pourraient être placées dans notre ville mieux
que dans toute autre, à titre de dépôt, pour être rétablies dans leur siège
primitif le cas échéant, par une délibération prise à l'unanimité, demande au
gouvernement, à l'Assemblée et au Ministre de l'Instruction Publique
l'établissement à Nancy d'une Faculté de Médecine destinée à remplacer celle
que perd l'Alsace".
"Conduite autrement noble
est celle de Nancy à notre égard" exulte le commentateur strasbourgeois de
la Gazette ; "son conseil municipal, abandonnant tout sentiment
égoïste, n'a songé qu'à l'intérêt général".
"D'ailleurs, ajoute-t-il,
Nancy, c’est encore Strasbourg à 30 lieues près ! "
A vrai dire cette option, souhaitée par
Strasbourg, bénéficiait de puissants défenseurs.
Adolphe Wurtz, strasbourgeois de
naissance et de formation, doyen de la Faculté de Médecine de Paris, Jules
Simon, Ministre de l'Instruction Publique qui "souhaitait maintenir sur
les frontières du Nord-Est une Université complète, nationale faisant face et
contrepoids aux Universités Allemandes" et Edmond Simonin
enfin, directeur de l'Ecole de Médecine de Nancy, qui se dépensa sans compter
pour obtenir le transfert à Nancy d'une Faculté dont il savait que, selon toute
vraisemblance, il ne serait pas le doyen. Une commission de représentants du
peuple est constituée pour étudier le transfert de la Faculté de Strasbourg à
Nancy. Le rapporteur en est le citoyen Bouisson,
doyen de la Faculté de Médecine de Montpellier. La proposition est rejetée.
Wurtz ne se décourage pas ; il multiplie les contacts avec Stoltz
et Jules Simon et, le 17 juillet 1871, obtient pour lui-même, Stoltz et trois collègues strasbourgeois Heitz, Michel et Rigaud, une audience auprès du Président
du gouvernement provisoire, Adolphe Thiers.
Stoltz a lui-même
raconté la scène : Thiers écouta attentivement Stoltz
puis Wurtz qui présentèrent la solution nancéienne souhaitée par la majorité
des Strasbourgeois. L'entrevue dura une heure. Puis Thiers s'est levé,
indiquant la fin de l'audience. Devant l'attitude interrogative de Stoltz, Thiers eut cette réponse : "N'oubliez pas
que je suis lorrain ".
Le 17 mars 1872, l'Assemblée Nationale
vote "le transfèrement à Nancy de la Faculté de Médecine et de l'Ecole
Supérieure de Pharmacie de Strasbourg ainsi que la suppression de l'Ecole de
Médecine et de Pharmacie de Nancy".
Thiers et Jules Simon signent le décret
d'application le 1er octobre 1872. Le doyen de la Faculté de Médecine de
Strasbourg est provisoirement chargé de l'administration des deux
établissements.
Les élèves de l'Ecole de Santé Militaire
de Strasbourg sont répartis dans les autres Facultés, à Montpellier principalement.
Dès lors commence cette extraordinaire
période de coopération médicale, symbole de l'Alsace-Lorraine française.
La tâche du doyen Stoltz
est à la fois grandiose et redoutable et multiples sont les difficultés
d'organisation de la nouvelle Faculté : inadaptation des locaux, répartition
des titres et fonctions des enseignants des deux composantes.
Il faut reconnaître que sur ce dernier
point le groupe nancéien fut réduit à la portion congrue : sur les dix-sept
chaires à pourvoir, quatorze furent attribuées à des Strasbourgeois.
J.A. Stoltz a
69 ans. Il conserve la chaire de clinique obstétricale et gynécologique mais
charge son collègue Léon Coze de s'occuper de la
rentrée universitaire et d'assurer l'organisation pratique de la nouvelle
Faculté. Lors de la cérémonie d'ouverture, Stoltz
déclare "Je mettrai tous mes soins et toute l'énergie dont je suis
capable à faire prospérer la Faculté nouvelle". Le Ministre Jules
Simon lui répond comme en écho : "Je ne doute pas que cette Grande
Ecole qui prend place aujourd'hui parmi nos institutions scientifiques y tienne
bientôt un des premiers rangs".
On peut estimer que sept ans plus tard,
lorsque le doyen J.A. Stoltz prit sa retraite à 76
ans, les objectifs étaient atteints.
Durant son activité à la Faculté de
Strasbourg, le professeur Stoltz avait assumé,
parallèlement à ses charges hospitalo-universitaires, des responsabilités
politiques et administratives dans sa région : Conseiller Général du Canton de
Barr puis de Markolsheim, Conseiller Municipal de la
ville de Strasbourg jusqu'en 1870, les honneurs ne lui ont pas manqué : il
était officier de l'Instruction Publique, Commandeur de la Légion d'honneur ;
les malheurs domestiques non plus : il perdit sa petite fille âgée de dix mois,
deux ans après son mariage. Trois mois plus tard son épouse mourait de phtisie
pulmonaire ; elle avait 28 ans.
Retiré dans son village natal d'Andlau, il se consacre alors à l'histoire de ce village et
de sa célèbre abbatiale romane.
Il avait entrepris une histoire de la
Faculté de Médecine de Strasbourg au XIXème siècle quand la mort le surprit le
22 mai 1896. Il avait 93 ans.
Une importante délégation nancéienne
l'accompagna avec ses amis strasbourgeois à sa dernière demeure.
Grand obstétricien, grand enseignant,
grand doyen, grand patriote, J.A. Stoltz repose dans
le cimetière de l'Eglise St André à Andlau, près de
l'hôpital qui porte son nom.
BIBLIOGRAPHIE
Histoire de la Médecine à
Strasbourg. Editions
de la Nuée Bleue, Strasbourg, 1997.
Wolf J.L. - Vie et œuvre de
Joseph-Alexis Stoltz (1803-1896). Thèse doct. Méd. Strasbourg, 1990.