Biophysique - Médecine nucléaire
par A. BERTRAND
les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)
HISTORIQUE
La Physique est enseignée à la Faculté de Médecine
depuis le début du siècle dernier, mais c'est vers les années 1950 qu'elle prit
véritablement son essor en s'intitulant Biophysique, une des cinq disciplines
enseignées à cette époque dans le 1er cycle des études médicales, avec
l'Anatomie, la Physiologie, l'Histologie et la Biochimie. Une chaire de
Biophysique fut ainsi créée et toute une série de professeurs en furent
titulaires, dont parmi les plus illustres, le Pr. KELLERSOHN, qui par la suite
devint un des responsables du service hospitalier Frédéric Joliot à Orsay,
dépendant du Commissariat à l'Energie Atomique, et le Pr. PELLERIN, ancien Directeur
du SCPRI, dont les media ont beaucoup parlé lors de la catastrophe de
Tchernobyl.
Mais, celui qui permit à la Biophysique nancéienne
d'avoir dans les années 60 un développement important, fut le Pr. BURG. Après
des études de médecine à Strasbourg, Constant BURG, major au concours de
l'agrégation de Biophysique en 1955, est nommé titulaire de la Chaire de
Biophysique en 1958. Il est rapidement secondé par Jean MARTIN. Ce duo,
installé au premier étage du 30 de la rue Lionnois, va en l'espace d'une douzaine
d'années, révolutionner la discipline. Alors que Jean MARTIN va rapidement
s'orienter vers les mathématiques et les statistiques avec la création d'une
Unité INSERM, Constant BURG obtint lui aussi la création d’une Unité INSERM
(U95 - Cancérologie Expérimentale et Radiobiologie). Il faut rappeler que c'est
en présence du Pr. AUJALEU, alors Directeur Général de l'INSERM, que la
première pierre du futur bâtiment de l'Unité 95 et 14 (Pr SADOUL) a été posée.
En cet automne 1968, cette pierre fut la toute première de l'ensemble du
plateau hospitalo-universitaire de Brabois.
Parallèlement, Constant BURG créa le Laboratoire des
Radio-Isotopes, situé au rez-de-chaussée du bâtiment abritant l'amphithéâtre
Parisot. Il en confia la responsabilité au Pr. MARTIN, assisté du Pr. ROBERT et
de Mesdames les Dr. GEORGES et VAILLANT.
En 1970, Constant BURG quitte Nancy pour devenir
Directeur Général de l'INSERM, la recherche (Unité 95) est alors confiée au Pr.
ROBERT assisté de Mireille DONNER et Daniel OTH. Quant au Laboratoire des
Radio-Isotopes, il essaime en 1973 avec l'ouverture du service de Médecine
Nucléaire à Brabois. Ce nouveau service est confié à Jean MARTIN et prend le
nom de « Médecine Nucléaire et Informatique Médicale ». Jean MARTIN
est alors assisté d'Alain BERTRAND pour la Médecine Nucléaire et de Bernard
LEGRAS pour l'Informatique Médicale. En 1982, ce service est scindé en deux
parties, d'une part la Médecine Nucléaire avec Alain BERTRAND chef de Service,
et d'autre part l'Informatique Médicale avec Jean MARTIN qui décédera en 1986.
A partir de cette époque, la discipline
« Biophysique - Médecine Nucléaire » est bien séparée en deux entités
avec le Pr. Jacques ROBERT, responsable de la Biophysique à la Faculté B de
Médecine et Chef de Service du Laboratoire des Isotopes rue Lionnois, et Alain
BERTRAND responsable de la Biophysique de la Faculté A de Médecine et Chef du
Service de Médecine Nucléaire à Brabois.
En 1990, le Service des Radio-Isotopes de la rue
Lionnois est transféré au sein de l'Hôpital Central pour devenir Service de
Médecine Nucléaire. En 1994, après le départ de Jacques ROBERT, les deux
services sont réunis en un seul (Alain BERTRAND Chef de Service) avec deux
Unités Fonctionnelles. A la même époque, avec la réunification des deux Facultés
et le départ de Jacques ROBERT, Alain BERTRAND, assisté de Gilles KARCHER, et
de Pierre-Yves MARIE, assure
l'enseignement de la Biophysique, dont le nouvel intitulé est
« Biophysique - Médecine Nucléaire ».
EVOLUTION
PROGRESSIVE DE LA DISCIPLINE « BIOPHYSIQUE - MEDECINE NUCLEAIRE »
La Physique Médicale, comme son nom l'indique,
regroupe dans la première moitié du 20ème siècle, toutes les
connaissances concernant les phénomènes physiques ou physico-chimiques de
l'homme sain ou pathologique : vision, audition, phonation, absorption des
rayons X, activité électrique cardiaque, etc. Il faut se rappeler que ce sont
les physiciens médicaux qui, les premiers mirent au point les premières
radiographies avec le développement des tubes à rayons X. Cette activité devint
rapidement si importante qu'une nouvelle discipline, la Radiologie, vit le
jour. La Cardiologie, de la même façon, avec raison, s'empara des études et du
développement de l'électrocardiogramme.
Dans les années 60, deux nouvelles techniques
d'imagerie virent le jour, la thermographie et l'échographie. La thermographie
est une technique basée sur l'émission infrarouge du corps humain. Dans un
premier temps, on crut beaucoup à cette technique, les principales indications
étaient en Neurologie pour la détection des thromboses et des sténoses des
carotides interne et externe, la Cancérologie pour la recherche des cancers du
sein, l'obstétrique pour localiser les placentas praevia, le vasculaire des
membres inférieurs, etc (thèse A. BERTRAND 1969). Mais rapidement, ce type
d'imagerie disparut en raison d'une fiabilité médiocre. L'échographie, quant à
elle, on le sait, connut et connaît toujours un développement considérable. Ce
sont les Biophysiciens qui les premiers développèrent cette technique. Les premiers
appareils utilisant les modes A, B et TM étaient peu performants et ne
permettaient que de différencier les masses solides des masses liquides
(nodules thyroïdiens par exemple), mais très vite, les échographes développés
essentiellement par les sociétés japonaises devinrent, avec ce qu'on appelait
« l'échelle des gris » extrêmement performants. C'est alors que les
radiologues s'emparèrent de la technique, laissant quelques domaines
d'explorations à la cardiologie (échocardiographie), à l'obstétrique et à la
Médecine Nucléaire (explorations thyroïdiennes).
Ces techniques ayant quitté le giron de la
Biophysique, c'est le développement de la Médecine Nucléaire qui permit à la
discipline d'être reconnue dans le milieu hospitalo-universitaire.
III - LES GRANDES
ETAPES DE LA MEDECINE NUCLEAIRE
1.
La découverte de la radioactivité artificielle
(Joliot-Curie, Prix Nobel en 1936) et le développement rapide d'accélérateurs
de particules dont le cyclotron, ont permis la fabrication de nouveaux
émetteurs de rayons g, b, et a, appelés radioisotopes. Le premier radioisotope utilisé fut l'Iode
131. Sachant que tout l'iode ingéré par l'être humain est stocké par la glande
thyroïde pour rentrer dans la fabrication des hormones thyroïdiennes, les
chercheurs de l'époque eurent l'idée géniale d'injecter à des patients des
petites quantités d'Iode radioactif, et grâce à des capteurs obtenir des
premières scintigraphies, appelées alors cartographies (thèse Jean MARTIN
1957). Rapidement cette exploration thyroïdienne devint un outil incontournable
pour les endocrinologues : scintigraphies pour le diagnostic différentiel des
cancers et des kystes, courbes de fixation pour le diagnostic des hyper et des
hypothyroïdies, recherche des métastases des cancers thyroïdiens, et surtout traitement
des cancers. Si de nos jours, grâce à l'échographie, la première indication a
perdu de son intérêt, et qu'à l'aide des dosages des hormones thyroïdiennes, le
diagnostic des hyper et des hypothyroïdies ne nécessite plus la réalisation de
courbes de fixation, l'Iode 131 garde tout son intérêt pour le traitement des
hyperthyroïdies et surtout pour celui des cancers thyroïdiens. A l'heure
actuelle, tous les patients atteints de cancers de la thyroïde, à l'exception
des anaplasiques, après traitement par chirurgie, reçoivent une dose
thérapeutique de 100 mCi d'Iode 131 pour stériliser les éventuels reliquats.
Ceci nécessite leur isolement pendant cinq jours dans des chambres plombées
spécialement conçues. Au CHU de Brabois, dans le Service d'Endocrinologie, cinq
chambres plombées sont constamment occupées par ces patients.
2.
La deuxième étape fut celle de l'apparition
d'examens actuellement disparus, utilisant de nouveaux radioisotopes ou de
nouvelles molécules marquées qui, par leurs propriétés physiques, chimiques ou
métaboliques, se fixaient sur les tissus physiologiques ou pathologiques.
La scintigraphie hépatique, à l'aide de
colloïde marqué à l'Or 198, a été très demandée dans les années 70 pour la
recherche des métastases hépatiques, mais l'échographie, bien plus sensible et
de réalisation plus facile, a dans les années 75-78 supplanté cet examen.
La scintigraphie cérébrale
au Technetium 99m connut également des jours de gloire pour le diagnostic des
astrocytomes de grade élevé, des métastases, des ramollissements, etc. (15
examens par jour à l'époque rue
Lionnois) (Thèse A. NAOUN 1970), mais l'arrivée du scanner a en quelques mois,
dans les années 75-76, fait disparaître cette exploration.
3.
Le développement de nouvelles molécules marquées,
dont essentiellement à tropisme osseux, redonnent un second souffle à la
discipline. Dans un premier temps, la principale indication fut la recherche de
métastases osseuses, et très rapidement le Pr A. GAUCHER, avec l'aide de J.
ROBERT et A. NAOUN, montrèrent l'intérêt de la scintigraphie osseuse dans
d'autres pathologies, dont les ostéonécroses, les algodystrophies, les
enthésites, etc. Vingt ans plus tard, chaque service de Médecine Nucléaire
réalise encore quotidiennement 15 à 20 scintigraphies osseuses. A la même
époque, M.-Hélène LAURENS développe une technique utilisant les polynucléaires
marqués pour le diagnostic et la localisation des foyers infectieux profonds.
De nouveaux examens virent
le jour : scintigraphies rénales, néphrogrammes isotopiques, scintigraphies
surrénaliennes (recherche de phéochromocytome, adénome de Cohn, Cushing),
recherche de diverticule de Meckel, glandes salivaires, etc. Ces examens, pour
la plupart, continuent à être demandés en 2005.
4.
Ce fut le développement de la cardiologie nucléaire
dans ces années 1980 qui donna à la Médecine Nucléaire sa notoriété actuelle.
Dans un premier temps, c'est la ventriculographie isotopique, avec le calcul de
la fraction d'éjection du ventricule gauche, qui connut un succès. Cet examen
fut par la suite concurrencé par l'échocardiographie réalisée par les
cardiologues eux-mêmes. A l'heure actuelle, la ventriculographie isotopique
reste la méthode de référence pour le calcul de la fraction d'éjection :
protocoles de recherche, surveillance de chimiothérapie, etc, et continue à
être très demandée. Le grand succès de la cardiologie nucléaire est du à
l'apparition de traceurs à tropisme myocardique (Thallium 201) qui permettent
l'étude de la perfusion myocardique au repos, mais aussi après stress, qu'il soit
physique (épreuve d'effort) ou pharmacologique (Persantine). Grâce également à
l'amélioration des appareils de détection (tomoscintigraphes), cet examen avec
une sensibilité et une spécificité voisine de 95 %, garde une importance
capitale dans le diagnostic de la maladie coronaire, évitant ainsi un grand
nombre de coronarographies normales. Il est à noter que c'est Gilles KARCHER
qui, le premier au niveau européen (Congrès Européen de Médecine Nucléaire -
Ulm 1984), montra l'intérêt de la tomoscintigraphie pour améliorer sensiblement
les performances des études de la perfusion myocardique au Thallium. Actuellement, cet examen est très demandé
dans la surveillance des patients après traitement, que ce soit après angioplastie,
pontage ou encore par médicaments. La cardiologie connaît un tel succès (plus
d'un million d'examens par an aux USA) qu'elle est devenue dans certains pays
une spécialité à part entière.
5.
Un nouveau bon en avant fut obtenu grâce au
développement de cyclotrons permettant la production de radio-isotopes
émetteurs b+ et à vie très courte. Le Fluor 18 avec deux heures de demi-vie, est
le seul utilisé actuellement en routine. Il permet de marquage d'une molécule
de sucre, le fluorodésoxyglucose (FDG). L'intérêt de cette molécule réside dans
le fait que dans certains cancers ayant un métabolisme glucidique très
augmenté, le FDG, après injection intraveineuse, se fixe préférentiellement sur
ces cellules cancéreuses. A l'aide d'un Tomographe à Emission de Positons
(TEP), il est possible d'obtenir des coupes tomographiques d'organes reflétant
ainsi le métabolisme glucidique des différents organes. Cet appareil associé à
un scanner permet d'obtenir un document associant les renseignements
morphologiques avec le scanner, et métabolique avec le TEP. Le CHU de Nancy a
été le premier CHU de France à être doté de ce type d'appareillage.
Actuellement, plus de 13 patients en bénéficient quotidiennement, et le récent
« Plan Cancer » prévoit la mise en service de 1 TEP pour 800.000
habitants dans les toutes prochaines années. Les principales pathologies
intéressées sont les néoplasmes pulmonaires, colorectaux, ORL, les mélanomes et
les lymphomes.
Cette nouvelle technologie a
un avenir considérable, car il sera bientôt possible d'obtenir d'autres
molécules telles que la fluoro-Dopamine, la fluoro-choline, le triptophane
marqué au Carbone 11, toutes ces molécules étant très spécifiques pour l'étude
de processus physiopathologiques précis. Cette technologie utilisant l'émission
b+ à
courte durée de vie n'est qu'à ses débuts étant donné la possibilité de
fabriquer du Carbone 11, de l'Oxygène 15 et de l'Azote 13, atomes présents dans
toutes molécules organiques, d'où un potentiel de recherche considérable.
6.
Un autre domaine en pleine expansion est celui de la
radiothérapie métabolique. Depuis plusieurs années, en plus de l'Iode 131 déjà
évoqué, de nouvelles molécules sont apparues. Citons le Samarium 153 utilisé
pour le traitement antalgique des métastases osseuses ou le Lipiocis (lipiodol
marqué) pour le traitement de certains hépatocarcinomes. Mais la découverte la
plus récente est l'utilisation des anticorps marqués à but thérapeutique. Un
exemple est celui de l'anticorps anti CD 20, marqué à l'Yttrium 90 pour le
traitement de certains lymphomes qui, d'après certaines études, devrait
permettre une augmentation sensible de la survie chez des patients auxquels
aucune alternative thérapeutique efficace ne peut être proposée.
CONCLUSION
La Médecine Nucléaire, grâce
aux progrès de la physique, de la radiochimie, de l'immunologie, est une
discipline très dynamique, avec certes des indications qui disparaissent, mais
d'autres qui voient le jour régulièrement. Le nombre de services de Médecine
Nucléaire publics et privés croient régulièrement (250 en France en 2005)
justifiant le nombre de jeunes Internes choisissant actuellement la Médecine
Nucléaire comme spécialité. La bonne image que la médecine nucléaire nancéienne
peut avoir au niveau national est due en partie à l'excellente collaboration
qui s'est établie au fil des années avec nos collègues cliniciens. Nos Maîtres,
les Pr. BURG et MARTIN, seraient très fiers de constater que leur optimisme des
années 60-70 était justifié.