La Chirurgie vasculaire est née à CHU de Nancy au début de la deuxième moitié du XXème siècle dans le service du Pr. Chalnot, à l’instigation du Pr. Frisch. Dans cette clinique chirurgicale renommée, consacrée à la chirurgie générale, s’était développée après la seconde guerre mondiale la chirurgie cardiaque et l’association cœur vaisseaux devint rapidement un des pôles principaux de son activité. La première publication vasculaire fut consacrée aux traumatismes des gros vaisseaux.
Le départ à la retraite du chef de service en octobre 1974 modifia cet équilibre.
Le Pr. Frisch qui avait pris en main un an plus tôt la direction de la clinique chirurgicale B, se voyait confier l’ensemble des dossiers des malades vasculaires, le Pr. Mathieu recevait les dossiers relevant de la chirurgie cardiaque et rejoignait le nouvel hôpital de Brabois. Pour ma part nommé à l’agrégation de chirurgie générale, je devais rejoindre la clinique chirurgicale B.
A l’époque, en France, peu de services se consacraient
uniquement à la chirurgie vasculaire ; le plus souvent, l’association se
faisait avec la chirurgie cardiaque, thoracique ou générale.
La clinique chirurgicale B regroupait alors cent lits
dont la moitié sera bientôt occupée par des malades
vasculaires. Une des missions du service est d’accueillir un jour sur deux les
urgences de chirurgie générale dont la traumatologie.
Les autres activités, en particulier viscérale et
gynécologique, seront progressivement orientées vers les services spécialisés
qui se créeront, et, dix ans plus tard, les deux activités dominantes de la
clinique seront l’urgence et la
chirurgie vasculaire.
Le service est qualifiant pour la chirurgie générale car, à cette époque, la spécialisation précoce n’est pas courante et un an d’assistanat en chirurgie générale est nécessaire pour compléter le cursus de l’internat.
Pour un assistant le choix est simple : soit il oriente sa carrière vers la discipline ostéo-articulaire, soit il choisit la chirurgie générale avec une option plus spécialisée. Ce qui se résume un peu trivialement par faire du dur ou faire du mou. Les trois postes d’assistant sont convoités car l’activité chirurgicale est importante et la nouveauté de la chirurgie vasculaire passionne les plus jeunes. L’assistanat pouvait alors se prolonger sept ans, c’est dire le rôle important que ces compagnons jouaient : non seulement ils recevaient une formation des plus complètes leur permettant après quelques années de réaliser des actes chirurgicaux majeurs, mais ils assumaient les urgences qui, en traumatologie, représentaient une activité importante et difficilement planifiable.
Dans ce domaine, l’apport de la chirurgie vasculaire
s’est avéré capital. En libérant l’opérateur de l’angoisse du vaisseau, elle
apportait une aisance nouvelle et la conviction de pouvoir réparer en cas de
blessure vasculaire.
Cette réparation s’imposait parfois d’emblée dans les
fracas des membres mais la connaissance de l’ischémie aiguë évitait bien des
erreurs et la pratique de l’artériographie sur table faisait gagner du temps.
Ces fracas ostéo-articulaires associés à des lésions vasculaires, à des pertes de substance cutanéo-musculaires, parfois à des lésions nerveuses, étaient devenus notre spécialité. Un chapitre sera consacré à ce sujet dans le livre de X. Barral.
La nécessité de réaliser de longues aponévrotomies imposait d’immobiliser les segments osseux par des contentions externes ou internes de plus en plus complexes, obligeant les opérateurs à s’initier aux dernières nouveautés de l’ostéosynthèse métallique. Les fractures ouvertes, dans ces conditions, évoluaient parfois vers la pseudarthrose et l’infection. Toutes ces complications imposaient une connaissance du traitement des pertes de substances osseuses et cutanées et de leur contrôle par la cicatrisation dirigée et la mise in situ de copeaux osseux.
L’étroite collaboration avec le service dirigé par le Pr. Larcan entraînait parfois l’opérateur à prendre des risques métaboliques calculés sachant que la réanimation suivrait en particulier l’épuration extra-rénale lorsque survenait un syndrome de revascularisation tardive.
L’amputation pour lésions post-traumatiques étant retardée, il fallait mettre au point des techniques de couverture des tissus exposés par des matériaux cutanés ou musculaires vivants donc vascularisés.
La macro-chirurgie vasculaire devint alors micro-chirurgie et sous l’impulsion de jeunes chercheurs dont certains étaient encore internes, les étapes de la transplantation de lambeaux cutanés, musculaires, osseux puis périostés furent franchies.
Retenons les noms de F. Guillemin, J.P. Metaizeau, M. Brice et C. Mialhe. Ce dernier fut l’auteur d’une thèse expérimentale sur la transplantation iliaque postérieure dans les défects osseux septiques et dirigea les travaux expérimentaux de ses camarades Amicabile et Aubry sur les transplants osseux et périostés. Le jury de thèse de ce dernier fut présidé par le Pr. Cauchois auteur d’une classification des fractures ouvertes.
Parallèlement à cette évolution, la chirurgie vasculaire nancéienne suivait les grands courants internationaux.
Les patients victimes d’une affection artérielle oblitérante des membres inférieurs étaient les plus nombreux et de plus en plus âgés et fragiles. La classique culotte aortique n’était pas toujours possible et il fallait recourir à des pontages extra-anatomiques comme le pontage axillo-bi-fémoral, le pontage croisé, le pontage thoraco-fémoral, mieux supportés car évitant l’anesthésie profonde.
En chirurgie périphérique, les revascularisations par prothèses ou par veine ombilicale conservée montraient leurs limites et dès l’apparition des pontages utilisant la veine saphène interne in situ, nous devions devenir des fervents défenseurs de cette technique, repoussant le niveau de revascularisation le plus bas possible sur les vaisseaux jambiers.
Avant
l’utilisation courante de l’échographie et du scanner, les anévrysmes de
l’aorte étaient moins fréquents. Le nombre de cas opérés par an devait
augmenter progressivement avec la multiplication des examens pour dépasser le
nombre des revascularisations intra-abdominales pour artérite.
En 1989, nous
participions au travail de L’Association Française de Recherche en Chirurgie
sur les anévrismes de l’aorte abdominale, lequel regroupait 1034 observations
de malades opérés dans 26 centres au cours de cette même année. Avec 37
dossiers, Nancy se trouvait dans la moyenne nationale.
Un autre versant de l’activité vasculaire était représenté par la chirurgie des vaisseaux à destinée encéphalique : carotides, vertébrales, troncs-supra-aortiques.
Pour chaque vaisseau, les problèmes étaient
différents. Ainsi la chirurgie carotidienne imposait un acte technique parfait
minimisant au maximum les complications post-opératoires qui étaient
quantifiées en terme de morbidité et de mortalité. Ces taux cumulés minimes
chez les patients asymptomatiques pouvaient être légèrement supérieurs chez les
malades ayant présenté un accident vasculaire cérébral avec séquelles, mais ne
devaient jamais excéder 5% pour faire
mieux que l’évolution naturelle observée chez les patients non opérés et sous
aspirine. Ces risques étaient pris surtout par les seniors.
Plusieurs études, au fil des ans, ont contribué à
évaluer les résultats tout en faisant la part des modifications techniques
constantes comme l’utilisation d’un patch de fermeture, l’endartériectomie par
retournement, et surtout l’utilisation de l’anesthésie loco-régionale.
La chirurgie des artères vertébrales pratiquée dès son apparition par le Pr. Frisch, à la suite des travaux de Thévenet, connut, elle aussi, un grand succès. Plusieurs centaines de cas furent recensés dans différents travaux. Dans ce domaine, l’élargissement des indications aux lésions du canal transversaire amena dans un premier temps à ouvrir le canal osseux pour décomprimer le vaisseau, puis à pratiquer des pontages carotido-vertébraux veineux avec implantation haute en C2 à la base du crâne. Les résultats de cette chirurgie fonctionnelle s’avérèrent difficiles à évaluer. Un chapitre a été consacré à ce sujet dans le livre de Devin. Progressivement, l’usage de ces techniques diminua, comme ce fut le cas de la chirurgie du défilé cervico-thoracique dont l’aspect post-traumatique fut traité dans le livre de Kieffer.
En 1987, le Collège Français de Chirurgie Vasculaire était fondé cinq ans avant la création des DES et DESC. Son but était d’organiser la formation des futurs chirurgiens de la discipline et de garantir une compétence.
En 1980, la spécialité de chirurgie vasculaire est reconnue par le ministère de la santé et en 1981 par l’Education Nationale. La sous-section vasculaire est inscrite l’année suivante au Conseil Supérieur des Universités, ce qui me permet avec d’autres collègues de passer de la discipline chirurgie générale à la discipline nouvellement créée.
En 1984, sera institué un diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) accessible aux chirurgiens des autres spécialités chirurgicales et, en 1988, un diplôme d’études spécialisées (DES) conduisant à une spécialité exclusive, avant de devenir en 1991 un DESC conjointement à la réintroduction d’un tronc commun à la chirurgie générale.
En 1992, à l’instigation du Pr. Duprez,
alors Président de la Commission Médicale d’Etablissement, il fut proposé, avec
beaucoup de logique, de rapprocher la chirurgie vasculaire de la chirurgie
cardiaque et d’implanter à l’Hôpital Central un service de chirurgie orthopédique,
le service de chirurgie thoracique venant également s’implanter à Brabois pour
permettre la création d’un pôle des maladies
respiratoires.
Cette décision revenait à créer un service de chirurgie vasculaire exclusif à l’image de quelques centres français. C’était également voir à long terme et anticiper sur la création d’un hôpital cardio-vasculaire ou le vasculaire serait intégré.
Ce transfert fut pratiqué sans grandes dépenses et le premier malade fut opéré avec succès en urgence la nuit de Noël à la grande fierté de l’anesthésiste de garde plus habitué à la pratique de l’orthopédie.
Le Pr. Frisch en retraite mais dans un rôle de consultant nous accompagna quelques années.
Nos préoccupations étaient alors l’infection sur prothèse, en particulier, dans les cas où, mettant en communication l’aorte et le tube digestif, elles favorisaient la survenue d’une fistule. Cette situation catastrophique imposait lorsque l’on avait le temps d’intervenir, d’enlever totalement le matériel infecté et de rétablir la circulation sanguine par un procédé extra-anatomique ou in situ. Les travaux des écoles parisiennes plaidaient en faveur de l’allogreffe artérielle redevenue à la mode pour cette indication. Les segments artériels étaient prélevés au cours des prélèvements multi-organes pour transplantation et conservés au maximum trois semaines en milieu nutritif et au froid. Une étude expérimentale sur le mouton fut réalisée par J.J Hirsch pour suivre l’évolution du greffon dans son milieu nutritif. Mais cette méthode de conservation n’offrant pas toutes les garanties et nous fûmes obligés de nous tourner vers la cryoconservation avec l’aide du Pr. Stoltz et du Génie Biologique et Médical. De nouvelles études expérimentales furent réalisées par B. Lehalle et regroupées en une thèse de doctorat. La législation évoluant, il devint nécessaire de créer une banque de conservation des implants de toutes natures dont le directeur fut le Pr.. Stoltz. Cette solution permettait d’avoir une traçabilité des implants et de bénéficier d’une conservation de longue durée.
Un autre créneau thérapeutique à l’usage de ces allogreffes fut le pontage sous gonal en l’absence de veine autologue et en sauvetage de membre. La thèse de J. Siat devait faire le point sur ces techniques dont les résultats ne furent pas toujours bons. La maladie du greffon et les dilatations anévrysmales étant les complications les plus fréquentes.
Un chapitre doit être consacré à la chirurgie endovasculaire sous contrôle radiologique, plus couramment appelée dilatation endoluminale. Pratiquée très tôt par les radiologues, elle ne fut prise au sérieux par les chirurgiens que progressivement et, dans son discours présidentiel lors du congrès de la Société Française de Chirurgie Vasculaire qui devait se dérouler à Nancy en 1990, le Pr. Frisch appela à une évaluation objective de ces méthodes.
Elles se sont aujourd’hui imposées comme complément à la chirurgie ou en alternative au traitement médical.
Plus passionnante fut l’apparition des prothèses endoluminales dans le traitement des anévrismes de l’aorte abdominale. La lourdeur d’une invention chirurgicale sur l’aorte abdominale chez un malade âgé, porteur de tares cardio-respiratoires, rendait les suites opératoires aléatoires et parfois mortelles. L’idée de mettre en place une prothèse à l’intérieur de la cavité de l’anévrysme après abord minime des artères fémorales ne pouvait être que séduisante. Nous avons proposé notre collaboration au Pr. Dereume en poste à l’hôpital Erasme à Bruxelles pour entrer dans une étude internationale sur le sujet auquel il travaillait. Il est venu à Nancy nous montrer à utiliser ce matériel nous permettant ainsi d’être informés rapidement de l’évolution de ces techniques.
Un ancien de nos assistants C. Miahle devait se faire connaître au plan international pour son activité dans ce domaine avec la création de la prothèse Stentor.
En 2000, le bloc opératoire de Brabois s’équipait d’un microscope télécommandé permettant de réaliser des interventions sous endoscopie. Plusieurs réunions de travail avaient été organisées à Marseille afin d’évaluer l’usage de l’endoscopie en chirurgie vasculaire. Incontestablement, il y avait une perspective d’avenir, à la condition de pratiquer un entraînement régulier et d’accepter les échecs liés à la mise au point d’une technique dans un domaine où la chirurgie classique obtenait de bons résultats avec des délais opératoires raisonnables. En l’absence de candidat jeune à cette formation, il m’a semblé au-dessus de mes forces de lancer ce travail à quelques années du départ.
Le dernier assistant formé fut V. Mauvady qui consacra son travail de thèse à l’écriture d’un dossier informatisé visant l’exploitation objective des indications et résultats de la chirurgie endoluminale.
Depuis quelques années, les effets d’un manque de recrutement d’internes en chirurgie se faisaient sentir et nous devions successivement faire appel à un assistant parisien le Dr. Mayade et un assistant italien le Dr. Ritucci pour compléter nos effectifs. L’absence de candidature régionale et nationale au poste de PU-PH devait être à l’origine de la fin de l’autonomie de la discipline pour une période temporaire et à mon départ en octobre 2003, la gestion du service était confiée pour deux ans au Pr. Villemot, chef de service de chirurgie cardiaque.
Ainsi, ce qui avait été séparé se retrouvait réuni contre le courant national plutôt en faveur de l’autonomisation de la discipline.
Au cours de ces trente dernières années, la chirurgie vasculaire aura contribué non seulement à la formation de nombreux internes mais surtout à la formation de chirurgiens exerçant cette discipline en complément de la chirurgie générale ce qui fut le cas des premiers assistants : M. Ravey, J.P. Voiry, P. Hallade, mais exerçant aussi à titre exclusif comme R. Beron, C. Miahle, C. Amicabile, P. Aubry, J.P. Gehin, P. Bour, N. Frisch, C. Muller, I. Malouki, J.J. Hirsch, J.F. Bronner, B. Lehalle et V. Mauvady. Soit seize au total dont la plupart sont implantés en Lorraine formant un réseau de soins efficace.
Que l’évocation de ces souvenirs soit un témoignage d’amitié à ces anciens compagnons de route et un remerciement au Pr. Frisch qui a contribué pour une grande part à l’épanouissement de la discipline.