HARTEMANN Jean

1898-1986

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ELOGE FUNEBRE

C'est avec émotion et tristesse que j'évoque devant vous la mémoire d'un Maître dont beaucoup d'entre nous furent les élèves. Le Professeur Jean HARTEMANN nous a quittés le vendredi 7 novembre 1986, et fut inhumé à Fraize, sa ville natale des Vosges, dans l'intimité familiale qu'il avait voulue. Ses nombreux collègues, confrères, élèves, amis ne purent ainsi témoigner, par leur présence aux obsèques, les sentiments d'estime et de reconnaissance que méritaient ses qualités de médecin et d'enseignant, d'humaniste et d'écrivain.

Jean HARTEMANN est né à Fraize le 25 mars 1898 dans une famille originaire de Haute-Alsace, aux traditions médicales affirmées depuis plusieurs générations. Son père, René HARTEMANN, était médecin à Fraize. Par sa mère, Marie MULLER, il était cousin du Professeur Pierre MULLER qui fut Gynécologue-Accoucheur à Strasbourg et son élève d'Agrégation. De ses deux fils, l'aîné fut le Docteur André HARTEMANN, psychiatre, mort à 36 ans. Je me permets d'ajouter qu'il était l'oncle de notre Collègue Pierre HARTEMANN, le mien également par alliance.

Ayant évoqué son cadre familial, je vais retracer les principales étapes de sa vie et de sa carrière. Jean HARTEMANN a lui-même rappelé sa jeunesse dans ses « Mémoires sans mémoire ». Elève au Collège d'Epinal, il vient préparer ses baccalauréats au Lycée Poincaré de Nancy de 1913 à 1915. Il y apprend le violon avec les STOLTZ, père et fils. Son inclination profonde l'oriente vers la philosophie et, plus particulièrement, vers la morale et la psychologie.Mais la tradition familiale exige qu'un des trois frères HARTEMANN devienne médecin afin de pouvoir reprendre le cabinet paternel.

A regret, le voici préparant son P.C.N. à la Faculté des Sciences au cours de l'année 1915-1916. Il n'apprécie pas du tout d'avoir à dessiner des plantes et des petites bêtes ! C'est également à contre-coeur que l'hiver 1916-1917 le retrouve à la Faculté de Médecine, au milieu des cadavres de la salle de dissection, dans le Service d'Anatomie du Professeur ANCEL. Un stage clinique au Service de Chirurgie Infantile, dirigé par le Professeur René FROELICH, cousin de son père, va le réconcilier avec la médecine. Après la séquence militaire de rigueur, il reprend ses études médicales et va se vouer « corps et âme » à se forger une carrière, rapidement orientée vers notre discipline par l'admiration qu'il portait à son Maître FRUHINSHOLZ, et où ses qualités de coeur et d'esprit, ses aspirations d'esthète et de philosophe, sa vaste érudition, allaient le porter au sommet de la hiérarchie hospitalo-universitaire.

Il fut successivement : Externe des Hôpitaux en 1921, Interne des Hôpitaux en 1923, Docteur en Médecine en 1926, Chef de Clinique Obstétricale en 1928, Agrégé d'Obstétrique en 1939, Gynécologue-Accoucheur des Hôpitaux en 1943, Professeur sans Chaire en 1954, Professeur de Clinique Obstétricale en 1961. Elève du Professeur FRUHINSHOLZ, collaborateur du Professeur VERMELIN durant 18 ans, il succède à celui-ci dans la Chaire de Clinique, comme Chef de Service et Directeur Technique de la Maternité, Directeur de l'Ecole de Sages-Femmes, Conseiller Régional d'Obstétrique. Après un septennat bien rempli, Jean HARTEMANN est atteint par la limite d'âge en 1968, acquérant le titre de Professeur Honoraire.

Durant ces sept années de responsabilité hospitalo-universitaire, il a su promouvoir une politique de décentralisation médicale au sein de la Maternité. L'extension des activités, dans les différents secteurs de notre discipline, rendait un seul service difficilement gouvernable ; on ne parlait pas alors de « départements » ! Son esprit libéral, à l'égard de ses collaborateurs, le conduisit à faire adopter une partition de la Gynécologie-Obstétrique en trois services : accouchement-gynécologie-prénatal ; structure qui, depuis 20 ans, a permis d'accroître les activités et les moyens techniques de chacun d'eux. Cette initiative fut suivie, ultérieurement, de la création de plusieurs autres services permettant un bon encadrement pluridisciplinaire de la fonction de reproduction humaine.

Après vous avoir rappelé le cheminement régulier de cette belle carrière, je voudrais vous résumer l'oeuvre scientifique de Jean HARTEMANN. Il serait difficile, et quelque peu fastidieux, de présenter une analyse complète, même thématique, de plus de deux cents publications : communications aux sociétés savantes, monographies, rapports et discussions à des congrès, ouvrages divers. Ecartant les nombreuses publications dues au hasard de faits cliniques dispersés, et observés en dehors ou pendant la gravido-puerpéralité, je voudrais faire ressortir les importants travaux réalisés en suivant l'idée directrice annoncée dans sa thèse inaugurale, soutenue en 1926, ayant pour titre : « Le malaise de l'avortement thérapeutique ».

Ce travail reflète la personnalité profonde de l'auteur déjà à la recherche d'un juste équilibre entre le droit naturel et l'éthique médicale, entre le devoir d'assistance et l'obligation morale. Avec un esprit hautement critique, mais où perce un peu d'angoisse métaphysique, il pose la question de la légitimité de l'avortement thérapeutique dans les accidents gravido-cardiaques (1927), dans la tuberculose pulmonaire (1934-38), dans les vomissements graves (1939) et l'ensemble des « conflits foeto-maternels » (1956). Cette étude critique de l'avortement thérapeutique l'avait conduit à une analyse détaillée des avortements provoqués et de leurs complications, ainsi qu'à la recherche des conséquences cliniques de certains produits employés dans un but abortif, telle l'hémorragie après dépôt de comprimés de permanganate de potasse dans le vagin. Dans le même souci d'éthique, il publie en 1937 et 1938, trois études intéressantes concernant : la mentalité obstétricale - nature et destinée de la douleur de l'accouchement - le secret professionnel en obstétrique. Entre 1959 et 1961, il étudie tout particulièrement les variations de la température basale au cours des premiers mois de la grossesse : le « plateau thermique », lié au corps jaune cyclique, se prolonge au cours du premier trimestre de gestation, permettant un diagnostic précoce de la grossesse, le repérage clinique de son début, le dépistage des menaces d'avortement liées à une insuffisance hormonale.

Jean HARTEMANN s'est beaucoup intéressé aux questions sociales, dans leurs relations avec la Gynécologie et l'Obstétrique. Il participe à plusieurs congrès importants, en qualité de rapporteur ou co- rapporteur : à Biarritz en 1949, au sujet des « dyspareunies et anaphrodisies chez la femme » - au 1er congrès de l'U.P.I.G.O., en 1953 à Paris, sur « la protection maternelle et néo-natale en temps de guerre » - à Madrid (U.P.I.G.O. -1956) sur « l'enseignement et l'exercice de notre spécialité » - en 1957, au 17ème congrès de notre fédération tenu à Marseille, sur « l'étude médico-sociale de l'insémination artificielle » - en 1961, lors du 19ème congrès tenu à Nancy, sur « les aspects médico-sociaux de l'allaitement maternel ». Ce dernier rapport au 19ème congrès s'appuyait sur l'expérience acquise, entre 1951 et 1961, en qualité de responsable du centre de prématurés de la maternité ; l'élevage exclusif au lait colostral, provenant des femmes en début d'allaitement, fit tomber la mortalité globale des prématurés de 16% en 1954 à 7% en 1960. D'autres publications concernent la pathologie néo-natale et, plus particulièrement, l'avenir des prématurés.

J'achèverai l'énumération des principales publications médicales en rappelant le titre de l'ouvrage publié avec le Professeur BINET, chez Vigot (Paris, 1950) : « les rapports sexuels et leurs déficiences chez la femme », ouvrage réédité en 1955. L'orientation de son esprit le faisait s'intéresser particulièrement aux aspects psychologiques et psychosomatiques liés à la sexualité. Dans sa clientèle privée, qu'il a maintenue bien au-delà de la retraite, il avait choisi de privilégier la Gynécologie Médicale et, plus spécialement, l'étude de la stérilité conjugale.

Je dois ajouter qu'il affectionnait beaucoup la Société de Gynécologie et d'Obstétrique de Nancy, dont il fut Secrétaire Général de 1934 à 1948, puis Président de 1950 à 1952. Il présenta, à cette tribune, la plupart de ses communications. Par discrétion ou modestie, il cessa d'assister aux réunions de la société après son départ à la retraite en 1968. En fait, il changea seulement ses habitudes et allait révéler, dans le cadre de l'Académie de Stanislas, un autre aspect de sa personnalité que je ne puis manquer d'évoquer devant vous.

A ses qualités de brillant orateur et d'excellent professeur, Jean HARTEMANN ajoutait une sensibilité profonde, je puis dire une « sensibilité d'artiste », et une remarquable érudition littéraire et historique que favorisèrent sa passion des beaux livres et la grande ouverture de son esprit. Il savait manier l'humour, teinté parfois d'une pointe d'ironie, et se tourna avec une délectation évidente vers une recherche obstinée des problèmes historiques que l'excellente pratique de notre spécialité pouvait l'aider à résoudre. Bien secondé dans ses recherches par une épouse partageant cette passion de l'histoire, il allait se livrer méthodiquement à l'analyse critique des problèmes sexuels présentés par des femmes ou des couples célèbres, et donner une explication scientifique plausible de certains décès de cause obstétricale, ainsi que de certains comportements.

Ancien président de l'Académie de Stanislas, membre de la « Société d'Histoire de la Médecine », il publie ses travaux dans différentes revues : Histoire de la Médecine, Aesculape, Mémoires de l'Académie de Stanislas, mais aussi dans les « Annales Médicales de Nancy » et « Médecins du Nord et de l'Est » (N°1, 1976). Voici une suite chronologique de ces publications aussi intéressantes qu'originales : La malheureuse grossesse de Madame du Chatelet (1967) - Une maternité inopinée de Marie-Caroline Duchesse de Berry (1969) - La stérilité du couple Napoléon-Joséphine (1971) - Deux célèbres échecs d'Eros : Mme Récamier et Elisabeth 1ère d'Angleterre (1972) - De la mort de Gabrielle d'Estrées (1976) - Les Amours de Georges Sand et sa maternelle virilité (1976) - Une Jeanne d'Arc possible (1978) - Louis XIII et Anne d'Autriche (1982). Il n'oubliait toutefois pas non plus l'obstétrique et son évolution historique, puisqu'il publia une étude sur « l'art ancien des accouchements et son enseignement dans la jeune Lorraine française ». Dans la grande « Histoire de la Médecine » en huit volumes, éditée chez Albin Michel en 1978, il rédigea le chapitre consacré à l'histoire de l'Obstétrique du XVIIIème siècle à l'époque contemporaine.

Mais, dès qu'il eut quitté la maternité pour une studieuse retraite, il fit le choix d'une vie discrète, sans rechercher d'honneurs, ayant même décliné, lors de son départ à la retraite, la cérémonie traditionnelle de circonstance. Il mit à profit l'expérience médicale qu'il avait acquise pour éclaircir, autant que faire se peut, certains mystères de la vie des « grands » que l'histoire officielle tend à ignorer, ou à cacher sous le voile pudique de l'indifférence et de l'oubli. Sa vieillesse fut heureuse et affectueusement protégée. Comme une flamme qui achevait peu à peu de projeter son éclat, il s'éteignit lentement mais inexorablement. Sa disparition est douloureusement ressentie par les médecins et sages-femmes qui ont bénéficié de son enseignement et apprécié sa grande érudition. A son épouse Anny HARTEMANN, à son fils, à toute sa famille, nous présentons nos condoléances attristées et nous les assurons que la mémoire du Professeur HARTEMANN restera dans nos coeurs, dans l'histoire de la maternité régionale et dans celle de notre université.

Professeur M. RIBON