1873-1961
Leçon d'ouverture d'anatomie
ELOGE FUNEBRE
Le Professeur Paul Ancel, qui vient de s'éteindre à l'âge de 87
ans, après une vie entièrement consacrée à l'enseignement et à la recherche, a
grandement honoré la Faculté de Médecine de Nancy où il poursuivit toutes ses
études et dont il fut un des Maîtres les plus éminents.
C'est à Nancy où il était né en 1873 que se placent les premières
années, sans doute les plus fructueuses, de sa vie de Biologiste.
Cette période restera marquée dans l'histoire des sciences
biologiques par la découverte du support anatomique et de l'activité
physiologique des hormones sexuelles à laquelle les noms de Paul Ancel et de
Pol Bouin sont indissolublement attachés. L'anatomiste et l'histologiste,
celui-ci élève de Nicolas, celui-là élève de Prenant, menèrent en une
collaboration intime et combien fructueuse une série de recherches d'une
rigueur impeccable dans la conception comme dans la réalisation qui forcent encore
l'admiration.
Il est nécessaire de se reporter aux connaissances que l'on avait
au début de ce vingtième siècle, dans le domaine de l'endocrinologie pour
saisir l'importance des recherches d'Ancel et de Bouin et de juger leur
retentissement. A cette époque, on ignorait tout ou presque tout en ce qui
concernait la structure anatomique et le mode de fonctionnement des glandes à
sécrétion interne, quant à leur rôle physiologique, il était à peine
soupçonné.
Certes, la notion de glande à sécrétion interne avait été introduite
en biologie par les célèbres expériences de Claude Bernard sur la fonction
glycogénique du foie. Mais si cet organe est capable de déverser dans le
torrent circulatoire des quantités importantes de glucose, il n'en est pas de
même des glandes endocrines, dont les hormones sont excrétées à doses infimes
dans le milieu intérieur.
Ce sont les travaux d'Ancel et de Bouin qui ont eu le mérite de
prouver l'existence au niveau des glandes génitales mâles et femelles
d'hormones actives dont on soupçonnait à peine l'existence.
Mais, revenons à la carrière nancéienne de Paul Ancel. En 1904 un
concours d'agrégation s'ouvre en anatomie: deux élèves du Professeur Nicolas
s'y présentent, Paul Ancel et Amédée Weber. A l'issue des épreuves, Ancel est nommé
à Lyon et Weber à Nancy. La fructueuse collaboration de Bouin et d'Ancel va
s'interrompre durant trois années.
Mais le dynamisme d'Ancel ne connaît pas de répit. Agrégé et Chef
de Travaux anatomiques à Lyon sous la direction du célèbre Maître qu'était Léon
Testut, Ancel profite de son séjour à ses côtés pour publier un Précis de
dissection ou guide de l'étudiant aux travaux pratiques d'Anatomie. Ce manuel
qui eut beaucoup de succès (traduit en espagnol en 1907) est très pratique et
très méthodique dans un plan général et dans ses moindres détails, il est
complet et permet d'entreprendre la dissection de n'importe quelle partie du
cadavre.
En 1907, les deux Maîtres nancéiens des disciplines morphologiques,
Nicolas en anatomie, Prenant en histologie, étaient appelés par la Faculté de
Médecine de Paris. Leurs chaires devenaient dès lors vacantes. Si la
succession à la chaire d'histologie ne souleva pas de trop graves difficultés
et revint à Pol Bouin, il n'en fut pas de même en anatomie où Ancel et Weber se
retrouvèrent à nouveau concurrents : le Conseil de la Faculté pencha avec une
faible majorité en faveur d'Ancel qui fut nommé le 1er janvier 1908 titulaire
de la chaire d'Anatomie normale de Nancy.
Strasbourg avait besoin de maîtres éminents, la Faculté de
Médecine de Nancy, son héritière au lendemain du désastre de 1870 avait une
dette de reconnaissance envers la capitale alsacienne. C'est ainsi que
plusieurs Professeurs nancéiens furent appelés à restaurer l'enseignement
français à Strasbourg. L'école morphologique de Nancy créée par Morel venu de
Strasbourg en 1872 se devait de renouer la tradition. Pol Bouin d'abord, Ancel
ensuite, furent désignés pour y enseigner l'histologie et l'embryologie. Ce
fut une nouvelle étape dans la carrière scientifique d'Ancel, étape à laquelle
nous ne nous attarderons pas et pourtant combien elle devait être remarquable.
Appelé à enseigner une nouvelle discipline, Ancel s'y adapte immédiatement en
modifiant radicalement l'orientation de ses recherches.
En quelques années, avec la collaboration de son élève
Vintemberger, il introduit en France la pratique de l'embryologie expérimentale
qui, jusqu'alors, était presque exclusivement effectuée en Allemagne. Il
s'attaque d'emblée à l'un des problèmes majeurs de l'embryologie : celui de la
détermination du plan de symétrie bilatérale des embryons de vertébrés, problème
sur lequel il parvient à donner des éclaircissements remarquables et qu'il
résoud en grande partie en provoquant à son gré par l'expérimentation une
orientation choisie pour ce plan.
Mais une fois encore la carrière de Paul Ancel devait se trouver
modifiée, en 1939, il est obligé de quitter Strasbourg avec sa Faculté de
Médecine repliée à Clermont-Ferrand et l'heure de la retraite sonne pour lui au
moment même de cet exil.
Il s'engage alors sur une voie toute nouvelle, celle de la
chimiotératogénèse. Jusqu'alors personne ne s'était encore appliqué à essayer
d'expliquer la genèse des monstruosités et des anomalies, et l'on n'était plus
guère renseigné que les Anciens qui les considéraient comme des erreurs de la
nature.
L'ensemble de ces recherches et de ces résultats a fait l'objet
d'un volume hautement original qui pose les bases d'une nouvelle science: la
chimiotératogénèse. Ancel est ainsi l'un des tout premiers, si ce n'est pas le
premier à avoir montré l'intérêt de la recherche des causes des troubles du
développement. Il ne s'agit pas là d'une simple spéculation mais bien au
contraire, il ouvre des perspectives immenses sur les applications
prophylactiques et thérapeutiques possibles à la prévention et à la guérison
des embryopathies et des foetopathies, domaine qui suscite à l'heure présente
tant d'attention et tant de recherches.
La Faculté de Médecine de Nancy peut être fière d'avoir compté
parmi ses élèves, puis parmi ses maîtres un biologiste aussi éminent. Ceux qui
ont été ses élèves gardent un souvenir ineffaçable de son enseignement qui eut
l'immense qualité d'être lumineux et direct.
Professeur A. BEAU