JACQUES Paul

1869-1965

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L'enseignement médical et les spécialités

ELOGE FUNEBRE

Le Professeur Paul JACQUES est un des pères fondateurs de l'oto-rhino-laryngologie hospitalo-universitaire en France. Né à Nancy le 31 décembre 1869, il nous quittait le 4 février 1965 après une longue et paisible retraite. Sa vie professionnelle s'inscrit dans le cours de « La Belle Epoque », avant la stagnation des années 30.

Né dans une vieille famille lorraine, ayant bien reçu le moule du Collège Saint-Sigisbert, il menait son parcours brillamment : préparateur de chimie (1889), interne (1892), Docteur en médecine et chef de travaux d'Anatomie (1894), agrégation des Sciences Anatomiques (1895). Dans l'ambiance studieuse de notre Faculté lorraine, fertilisée par l'apport alsacien, mais aussi traumatisée par la défaite, Paul JACQUES s'orientait donc vers les Sciences morphologiques très attrayantes sous l'égide du Professeur NICOLAS. En 1894, sa thèse sur les « terminaisons nerveuses de l'organe de la gustation » démontre sa rigueur et la maîtrise des colorations argentiques alors nouvelles. Il compte parmi les premiers membres de l'Association des Anatomistes et y contribue par ses travaux dont, déjà, une remarquable étude du labyrinthe osseux. Plus tard, dans son laboratoire hospitalier, il continuera à lire lui-même les coupes histo-pathologiques de la sphère ORL et maxillo-faciale, d'interprétation souvent délicate.

En 1907, après un court intérim, il laissait la succession du Professeur NICOLAS à son élève et ami Paul ANCEL dans la belle Chaire d'Anatomie. Dès lors il se consacre exclusivement à la structuration d'une discipline nouvelle : l'ORL. En effet, dès 1897, sa connaissance de la langue allemande lui permettait de s'initier près des maîtres mondiaux, bien en avance à cette époque, à Vienne et à Berlin. En 1902, pour un second voyage, il servait de mentor à E.J. MOURE, qui sera, à Bordeaux, le premier titulaire d'une chaire d'ORL en France. À cette époque, la fréquence et la gravité de la pathologie ORL amenaient la Faculté à créer un enseignement spécifique, et l'Hôpital Civil une consultation externe (1897-1898), puis un service de 25 lits devant l'affluence des patients. En 1913, la charge de cours est transformée en Cours d'Etat. Il faudra attendre la fin de la première Guerre Mondiale pour que les efforts et les mérites de Paul JACQUES soient couronnés par la création d'une chaire de Clinique ORL en 1920, la quatrième en France.

En 1930, la construction du pavillon Krug permettait enfin l'ouverture d'une Clinique moderne, véritable département avant la lettre et dans laquelle il allait former une pléiade d'excellents spécialistes jusqu'à sa retraite en 1937. Dès 1913, il dressait les plans de la clinique qu'il souhaitait pour moderniser sa discipline avec 40 lits, des locaux de consultation décents, des salles d'endoscopie et d'exploration fonctionnelle, ainsi qu'un laboratoire indépendant. Présenté au 18e Congrès National de Médecine en 1925 ; ce projet se concrétisera en 1932. Il fallait que le Professeur JACQUES ait un jugement bien sûr pour que ce territoire résiste encore aujourd'hui dans l'indifférence collective. En 1965, le Doyen A. BEAU pouvait écrire : " une clinique moderne, mais qui malheureusement a été depuis lors bien défigurée (1932) ! sans avoir bénéficié des progrès de l'humanisation hospitalière ".

Très vite ses publications le placent au premier rang des maîtres français de la discipline. En 1924, il préside le Congrès de la Société Française d'ORL, qui lui avait déjà confié plusieurs rapports : polypose nasale (1903), cancers du maxillaire supérieur (1907), ostéites du temporal (1910), kystes paradentaires (1923), et puis l'amygdalectomie (1930). Son expérience clinique attirait de nombreux consultants et son nom est définitivement attaché à la sémiologie ainsi qu'à la nosologie : signe de JACQUES dans les mastoïdites aiguës, ostéite circonscrite du conduit auditif externe, kyste mucoïde du seuil narinaire.

Ses derniers élèves ont pu nous dire leur admiration devant sa dextérité chirurgicale et ses capacités d'innovation technique : tube oesophagoscopique pour extraction d'épingles de nourrice ouvertes (problème dramatique à l'époque), et, parmi d'autres, sa technique de cure chirurgicale de la sinusite fronto-ethmoïdale chronique qui est encore citée. Le Professeur JACQUES méritait pleinement la qualification de « Grand Patron ». Non seulement excellait-il dans l'enseignement, mais il avait aussi le souci de son organisation et de son évolution. Il suffit de relire à ce sujet quelques publications de 1926 à 1932, comme s'il prévoyait les avatars conceptuels dont nous avons fait les expériences successives !! Manifestement, ce curriculum n'est pas celui d'un homme ordinaire. Au-delà de la chronologie, par le relais des générations, nous possédons des renseignements précis sur sa personnalité. Nous reprendrons encore les termes du Doyen BEAU, qui fut son élève et nous a souvent dit tout le respect qu'il lui portait : « Maître très écouté, collègue très estimé, travailleur acharné, d'une rigueur exemplaire, d'une grande vaillance physique ». On était vite séduit par l'élégance du geste et la clarté de l'enseignement qu'il délivrait d'une voix calme, un peu confidentielle peut-être. D'autres, vivant encore, ont retenu l'aspect intimidant, le regard bleu et pénétrant. Assisté de sa fidèle Soeur Elisa, il dégageait une autorité naturelle et exigeait beaucoup de ses collaborateurs.

En famille, tout en conservant une bienveillante fermeté, il savait se détendre auprès de ses enfants et petits-enfants au cours de sorties dominicales et pédestres vers « la Foucotte ». Il aimait les initier à des expériences de chimie. Cet homme de laboratoire et de clinique était aussi très ouvert aux aspects techniques de la modernité. Dès avant 1914 il circulait sur les véhicules automobiles de l'époque, dont la seule conduite nécessitait des connaissances mécaniques qu'il maîtrisait. Au repos, il s'exerçait volontiers à travailler le bois, réalisant même de petits meubles d'excellente facture. Ayant été personnellement le dernier chef de clinique de son gendre et successeur, le Docteur AUBRIOT, je n'ai pu qu'entrevoir le Professeur JACQUES, mais je peux témoigner de la trace permanente dont il a marqué sa discipline, à une époque définitivement révolue mais dont nous pourrons toujours rêver.

Professeur M. WAYOFF