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Leçon d'ouverture du cours d'histologie

 

Par le professeur Pol BOUIN

 

Annales médicales de l’Est, 1908, 161-174

 

Messieurs,

Je prends possession de la chaire d'histologie avec quelque appréhension et aussi avec reconnaissance. C'est en effet un dangereux honneur que de recueillir la succession de M. le professeur Prenant à cette faculté de médecine. C'est une tâche lourde et difficile que j'assume dès aujourd'hui. Aussi bien, Messieurs, ai-je éprouvé certaine hésitation avant de solliciter l'honneur d'obtenir cette chaire. Mais la joie de me retrouver dans mon ancien milieu, dans la bonne sympathie de mes premier maîtres devenus mes collègues, dans le cadre familier de mon ancien laboratoire, dans la cordiale affection de très vieux amis, a fini par me décider à quitter notre jeune université africaine, son ciel enchanteur, son site merveilleux et mes excellents et regrettés collègues de l'Ecole de médecine. J'ai accepté les charges et les responsabilités de cette succession avec le sincère désir de bien faire et de chercher si possible à conserver intact l'héritage scientifique que je vais trouver au laboratoire de Nancy.

C'est aussi, Messieurs, avec un sentiment de vive reconnaissance que je prends aujourd'hui la parole devant cette assemblée. Je ne puis oublier, en cette circonstance solennelle, l'intérêt et l'amitié dont le professeur Prenant a bien voulu m'honorer. Je lui dois toute mon éducation scientifique et c'est le meilleur des titres dont je puis aujourd'hui me prévaloir devant vous. Qu'il veuille bien accepter ici l'expression de ma profonde gratitude et de mon respectueux attachement.

C'est aussi pour moi un plaisir et un devoir que de remercier mes autres maîtres de la Faculté de médecine. Je leur dois tout le reste le mon éducation biologique et médicale. Je me rappelle avec bonheur les moments heureux passés dans l'intimité de leurs cliniques et de leurs laboratoires. Je les remercie de la confiance unanime qu'ils m'ont témoignée quand je me suis soumis à leurs suffrages, quand ils ont bien voulu me désigner au choix des membres du Conseil supérieur et de Monsieur le Ministre de l'Instruction publique. Je les prie d'accepter, ainsi que ces derniers, l'expression de toute ma reconnaissance. Je l'adresserai en particulier à M. le Recteur de l’Académie de Nancy et à M. le Doyen de la Faculté de médecine auprès desquels j'ai toujours trouvé le plus bienveillant appui. A vous aussi, Messieurs et chers Elèves, je veux vous adresser aujourd’hui tous mes meilleurs souhaits. Vous m'avez témoigné votre sympathie au moment de notre séparation; laissez-moi vous exprimer la mienne au moment de mon retour, vous dire avec quelle satisfaction je reviens au milieu de vous tous, et vous exprimer l'espoir que nos relations seront, comme autrefois, toujours bonnes et cordiales.

 

Messieurs, avant d'entrer dans le sujet de ma première leçon, j'ai tout d'abord le devoir de rappeler le souvenir des anciens titulaires de cette chaire, MM. Morel, Baraban et Prenant.

M. MOREL a été le premier Professeur d'histologie à la Faculté de médecine de Nancy. Il fut chargé d'un cours complémentaire, au moment où la Faculté de Strasbourg s'installait dans la capitale lorraine, apportant avec elle ses énergies toujours vivaces et ses belles traditions. Il fut nommé professeur en 1879, après le décret qui instituait les chaires d'histologie et séparait cet enseignement de celui de l'anatomie. Cet excellent et premier maître conserva sa chaire jusqu'en 188 et fut remplacé par le regretté professeur BARABAN.

Celui-ci était un agrégé de la section chirurgicale qui avait pris, dans le laboratoire de M. le Professeur FELTZ, une connaissance approfondie des choses du microscope. Il resta professeur d'histologie jusqu'à la mort de M. Feltz, auquel il succéda à la tète glu service d'anatomie pathologique. La mort prématurée et douloureuse de ce maître consciencieux, modeste, dévoué à son enseignement et à ses élèves, fut pour nous tous un deuil inoubliable. En rappelant son souvenir de cette chaire qu'il a si longtemps et si dignement occupée, je serai certainement votre interprète, Messieurs, en adressant à sa mémoire l'hommage de nos sincères regrets et de notre respectueuse estime.

M. le Professeur PRENANT lui a succédé en 1894 et a conservé l'enseignement de l'histologie et la direction du laboratoire jusqu'en novembre 1907. Il était, il y a quelques mois à peine, appelé à prendre place dans la chaire illustre des Professeurs Charles Robin et Mathias Duval. Il nous quittait en pleine maturité de sa science, au moment où son activité féconde donnait le plus de promesses, au moment où la Faculté de Nancy avait le droit d'être la plus heureuse de le posséder. Toutefois, Messieurs, le Professeur Prenant ne nous a quittés qu'après bien des hésitations. Il était attaché à sa famille histologique, suivant son affectueuse expression, à sa bonne Faculté de Nancy, par des sentiments pour ainsi dire paternels pour la première et filiaux pour la seconde Ce n'est pas sans regrets qu'il a porté ailleurs sa science et son activité ; mais les biologistes français sont heureux de sa détermination : les intérêts de l'histologie à la Faculté de Paris et, par contre-coup, dans les autres Facultés françaises, ne pouvaient être confiés à de meilleures mains.

Messieurs, je ne vous dirai rien du savant, de ses travaux, de ses œuvres didactiques, de la part importante qu'il a prise aux progrès de la biologie dans notre palis. Je rappellerai seulement le souvenir du Professeur désintéressé qui a fait de sa mission un véritable sacerdoce ; du Maître estimé et aimé dont le laboratoire a réuni toute une pléiade de fidèles disciples; de l'auteur infatigable dont les ouvrages présentent un si grand intérêt par l'esprit philosophique qui les domine et qui les vivifie ; de l'homme bon et dévoué qui distribuait sans compter autour de lui les trésors de sa science et ceux, plus précieux encore peut-être, d'une amitié délicate et sûre.

Messieurs, je suis certain d'être en harmonie de pensée avec vous en adressant à notre ancien Maître le souvenir respectueux et affectueux de ses élèves et en lui souhaitant de trouver dans son nouveau milieu scientifique et universitaire, toutes les satisfactions qu'il est en droit d'en attendre.

 

Je désire maintenant, Messieurs, avant d'entreprendre le cours d'histologie et d'entrer dans le domaine des faits, vous exposer les idées générales qui présideront à ces leçons. Je veux examiner avec vous quelle est la place actuelle de l'histologie dans le domaine des sciences biologiques, quelle est son évolution, et quelle influence l'orientation nouvelle de cette science doit avoir sur notre enseignement.

L'histologie était, il y relativement peu de temps, une science purement descriptive et humaine. Limitée dans son objet, elle l'était aussi dans ses ambitions et ses tendances. Elle était alors considérée surtout comme un prolongement de l'anatomie descriptive, comme une anatomie plus fine, plus délicate, plus pénétrante, comme une anatomie microscopique en un mot. Cette façon d'envisager la science histologique, surtout dans les Facultés de médecine, se comprend aisément. Les premiers micrographes se sont préoccupés d'étudier tout d'abord la structure de l'Homme qui se présentait en premier lieu à leurs investigations et qui leur semblait digne, à juste titre, du plus grand intérêt. Ces recherches ont été tout de suite fécondes en résultats intéressants. L'architecture intime des tissus et des organes a été en grande partie élucidée grâce au labeur des premiers pionniers de la science histologique, comme Leydig, Koelliker, Rollot, Robin, Ranvier. Ces résultats ont été importants surtout au point de vue médical et anatomo-pathologique. En nous apprenant la disposition normale es tissus et des organes, ils ont permis de mieux comprendre leur fonctionnement et de se rendre un compte exact des déformations provoquées par la maladie ; l’histologie pathologique, a pu s'établir sur cette base fondamentale et fournir souvent l'explication des causes profondes des processus morbides.

Les horizons de la science histologique ainsi comprise sont forcément bornés ; elle peut difficilement apercevoir les territoires des sciences voisines ; elle prend peu de contact avec la biologie générale. Mais une évolution féconde en résultats, féconde surtout en promesses, ne tarde pas à se faire. Elle se produit aussitôt que les histologistes abandonnent l'étude exclusive de l'Homme et des Mammifères, étendent le champ de leurs investigations, suivent le développement des organes, comparent la structure des organes homologues dans la série animale, analysent les éléments ou les tissus pendant les différentes phases de leur fonctionnement, en un mot, aussitôt qu’ils abordent l'étude de l'histologie comparée, de l’histogénèse et de l'histophysiologie. Les résultats obtenus, grâce à cette méthode de recherches, présentent tout de suite une importance si considérable que l'histologie devient une science essentielle, une des plus précieuses pour scruter les phénomènes fondamentaux de la matière vivante, pour nous apprendre, non seulement la structure, mais encore la signification morphologique et même physiologique des cellules et des organes,

L'histologie comparée appelle à son aide les notions fournies par l'étude des divers représentants de la série animale. Elle nous fait connaître des organes et des cellules dont la structure est particulièrement simple, schématique, dont les processus fonctionnels présentent une traduction morphologique évidente, dont les phénomènes cytologiques sont facilement lisibles. Elle nous met ainsi à même de comprendre des structures compliquées tout à fait indéchiffrables quand on s'adresse seulement aux espèces supérieures. C'est ainsi, par exemple, qu'on est parvenu à saisir certaines dispositions fondamentales du système nerveux, à constater du réseau nerveux, à comprendre la signification de la spermatogenèse et de l'ovogenèse, le rigoureux parallélisme de ces deux processus, la maturation et l'expulsion des globules polaires, à élucider le problème de la fécondation et ceux non moins essentiels de la régénération, de la croissance et de la division cellulaire. Et ce n'est là, Messieurs, qu'une bien incomplète énumération des conquêtes que nous a valu et que nous vaut tous les jours cette méthode de recherches si féconde.

L'histogenèse s'est montrée non moins féconde en résultats essentiels. Eu nous faisant suivre pas à pas l'évolution des organes, elle nous eu fait acquérir une connaissance approfondie. C'est elle surtout qui nous en apprend la signification morphologique. C'est le « fil d'Ariane » pour ainsi dire qui nous guide parmi les obscurs détours qu'une force édificatrice innée fait suivre à l'individu avant de l'amener à son complet développement. C'est la seule méthode d'investigation qui nous permet de comprendre certaines architectures complexes en nous faisant assister à leur construction progressive ; qui nous fait prendre contact avec les multiples problèmes de l'ontogenèse ; qui nous montre chez l'embryon ces organes vestigiaires, témoins manifestes de structures et de fonctions disparues, et qui nous en fait saisir la signification ancestrale. Aussi est-elle venue ajouter une riche moisson de faits à ceux que les autres sciences biologiques nous ont révélés sur la transformation des organismes et l'origine des Espèces.

Non seulement, Messieurs, l'histologie et l'histogenèse proprement dites et comparées nous apprennent la signification morphologique des organes et des cellules ; mais elles doivent contribuer puissamment à nous faire connaître leur signification fonctionnelle. C'est vers ce but que doivent tendre tous leurs efforts. Il ne suffit pas en effet de démonter pièce à pièce et jusque dans ses plus infimes rouages la machine vivante ; il faut également en pénétrer le mystérieux mécanisme et chercher à saisir au sein des cellules les manifestations vitales élémentaires. Claude Bernard avait prédit la nécessité de cette étude : « Le problème de la physiologie et de la pathologie générale a pour objet les parties les plus intimes et les plus essentielles d'un organe, les éléments des tissus... Il ne suffit pas de connaître anatomiquement les éléments organiques, il faut étudier leurs propriétés et leurs fonctions à l'aide de l'expérimentation la plus délicate ; il faut faire en un mot l'histologie expérimentale. »

C'est là, Messieurs, une voie nouvelle qui s'ouvre devant les biologistes et les chercheurs aventureux qui s'y sont engagés ont fait des conquêtes scientifiques inattendues. C'est une science nouvelle par son objet, qui nécessite l'emploi de la technique microscopique ; par sa méthode expérimentale, qui est toute spéciale et particulièrement délicate; par ses résultats, qui nous fournissent de nouveaux éclaircissement tout à la fois dans le domaine de la morphologie et dans le domaine de la physiologie générale.

Lorsque Hertwig, par exemple, mit en présence un œuf mûr et des spermatozoïdes, suivit pas à pas tous les processus de la fécondation, constata qu'un seul spermatozoïde pénètre dans cet œuf, que son noyau se fusionne avec celui de la cellule femelle, que la segmentation suit ce phénomène, fit-il autre chose qu'employer la méthode de la physiologie cellulaire et n'a-t-il pas fourni une première réponse au grandiose problème de l'hérédité ? Lorsque les morphologistes ont observé l'évolution des éléments sexuels, leurs multiplications et leurs métamorphoses, ont montré que les gamètes mûrs sont des demi-cellules au point de vue nucléaire, destinées à se compléter mutuellement par l'acte de la fécondation, n'ont ils pas fait œuvre tout autant de physiologistes que de morphologistes ? Lorsque Boveri sectionna un neuf mûr d'oursin en deux moitiés inégales, féconda la moitié sans noyau avec un spermatozoïde appartenant à une espèce voisine, mais différente, suivit le développement de cet neuf, constata que le produit de ce croisement hérite des caractères paternels seuls, démontra ainsi que la chromatine est le seul support des qualités héréditaires, n'obtint-il pas une réponse à une grande question de physiologie générale ? Lorsque Loeb et Delage placèrent des œufs mûrs d'oursins dans de l'eau de mer renfermant certaines substances chimiques, provoquèrent la division répétée de ces œufs et la formation d'embryons sans l'intervention d'aucun spermatozoïde, montrèrent que la fusion des deux noyaux mâle et femelle n'a rien à voir avec la segmentation, réaliseront en un mot une parthénogenèse expérimentale, n'ont-ils pas également obtenu des clartés nouvelles sur la cause du développement ? De même, Messieurs, lorsque Metchnikoff observa les mouvements des leucocytes, les vit, après Cohnheim et d'autres, crever la paroi et sortir des vaisseaux, se diriger vers des endroits déterminés d'espaces conjonctifs, les vit capter, englober et détruire les germes pathogènes, mit en évidence en un mot leurs propriétés chimiotactiques et phagocytaires, ne découvrit-il pas une fonction générale qui domine aujourd'hui toute la pathologie des maladies infectieuses ? Et à combien d'autres questions de physiologie cellulaire, Messieurs, ne pourrai-je pas faire allusion ici, tout aussi générales et tout aussi importantes.

Ce n'est pas seulement en expérimentant sur la cellule qu'on a obtenu des résultats fondamentaux. L'histologie des organes, en dévoilant leur structure complexe, aide à étudier les fonctions souvent différentes des parties qui les constituent. Vous donnerais-je comme exemple saisissant les travaux du Professeur Laguesse sur les îlots de Langerhans du pancréas, travaux qui élucidèrent la structure de ces glandules microscopiques disséminées dans le parenchyme de l'organe, qui démontrèrent leur nature de glandes à sécrétion interne, nous apprirent leur action sur la glycogénie hépatique, firent la preuve que leur insuffisance provoque la glycémie, et qui enfin jetèrent un jour nouveau sur la question du diabète pancréatique ? Vous rappellerai-je les recherches du Professeur Heidenhain sur la fonction du tube urinifère, qui ont mis en évidence le rôle respectif du glomérule et du tube contourné et qui ont fait faire un grand pas à la question de la sécrétion urinaire ? Vous citerai-je également les observations récentes des élèves de Born sur le corps jaune, glande à sécrétion interne emprisonnée et masquée dans le parenchyme de l'ovaire, qui montrèrent son action sur les caractères sexuels femelles, sur la menstruation, sur la grossesse, sur l'établissement de la puberté, sur le déterminisme de la ménopause, en un mot sur toute la physiologie génitale de la femelle ?

Vous citerai-je enfin les belles recherches du Professeur Nicolas sur l'absorption des matières grasses par les cellules intestinales, celles qui ont été réalisées sur l'influence trophique des nerfs, sur la dégénérescence wallérienne, sur la chromatolyse expérimentale des cellules nerveuses ?

N'avais-je pas raison de vous dire, Messieurs, que l'histo­physiologie est une méthode de recherches qui doit fournir des résultats importants, que ce nouveau territoire scientifique est particulièrement fertile et que sa culture scientifique, pour ainsi dire, nous promet les plus riches moissons et nous fait concevoir les plus belles espérances ? Cependant, Messieurs, malgré ces progrès, on a presque le droit de dire que l'histologie, vis-à-vis de la physiologie, se trouve au point où en était l'anatomie avant Lavoisier et Haller. « La physiologie, dit Claude Bernard, fut tout d'abord associée à l'anatomie dont elle semble être un simple corollaire. On juge des fonctions et des usages par la topographie des organes, par leurs formes, leurs connexions et leurs rapports... On constate qu'une glande sécrète, qu'un muscle se contracte ; le problème paraît résolu ; on n'en demande pas l'explication, On a un mot pour tout, c'est le résultat de la vie. » Il en était à peu près de même pour l'histologie jusque dans ces dernières années. La préoccupation exclusive des micrographes a été de pénétrer d'une manière toujours plus précise dans l'architecture des cellules et des organes. Ils sont avant tout des morphologistes ; ils se préoccupent peu de la fonction des éléments livrés à leurs investigations, et s'ils s'en préoccupent, c'est pour la déduire le plus souvent de leur forme et de leurs rapports. A côté de cette histologie, pour ainsi dire statique, prend place maintenant une histologie pour ainsi dire dynamique, qui doit emprunter sa méthode tout à la fois à la morphologie microscopique et à la physiologie. Il y a là un large terrain d'entente où physiologistes et histologistes peuvent se rencontrer à se prêter un mutuel appui.

Telles sont exposées d'une façon beaucoup trop succincte et incomplète les tendances actuelles de l'histologie. Vous voyez, Messieurs, que de nouveaux horizons se sont ouverts à perte de vue devant elle et qu'elle a le droit d'occuper sa large place parmi les sciences qui ont pour objet l'explication de la vie, Ceci m'amène naturellement à envisager le dernier point de vue auquel je voulais me placer. Je veux me demander maintenant quelle influence l'orientation nouvelle de l'histologie doit avoir sur l'enseignement de cette science.

 

Il est bien certain que nous ne devons jamais perdre de vue, nous autres professeurs des facultés de médecine, que notre enseignement doit être pratique avant tout et doit avoir pour objet essentiel, pour préoccupation fondamentale, de vous mettre à même de comprendre, de diagnostiquer et de soigner les maladies. Il est évident que la première nécessité, pour vous étudiants, est de connaître parfaitement la structure de l'organisme humain qui est et demeurera notre étude fondamentale. Mais je ne crois pas que nous devions nous contenter d'étudier la structure des organes de l'Homme et des Mammifères. Je crois nécessaire, au contraire, de faire quelquefois des incursions dans le domaine de l'histogenèse, de l'histologie comparée et aussi de l'histophysiologie. Nous y trouverons de grands avantages d'une part au point de vue didactique et d'autre part au point de vue de votre culture biologique générale.

Pour ne pas être évidents à première vue, les avantages didactiques de cette façon d'envisager l'enseignement de l'histologie n'en sont pas moins indéniables Quelle différence d'intérêt, Messieurs, pour le maître et pour les élèves, suivant qu'on envisage certaines questions au point de vue étroit de l'histologie pure, de l'histologie humaine, ou suivant qu'on les envisage à un point de vue beaucoup plus large, en étendant l'horizon scientifique, et en projetant sur elle les notions lumineuses fournies par l'histophysiologie et l'histologie comparée ?

Prenons pour exemple la glande germinative femelle ou ovaire. Que nous apprend la description de l'ovaire adulte des Mammifères ? Elle nous apprend que cet organe est formé d'un parenchyme fibreux et d'une couche périphérique tapissée par un épithélium germinatif ; que cette couche périphérique renferme des ovules ; que ces ovules sont eux-mêmes renfermés dans des follicules à divers états de leur développement et dont la structure est très complexe ; que des formations glandulaires, ou corps jaunes, se rencontrent quelquefois dans le parenchyme ovarien Ce sont là presque toujours les seuls faits qui vous sont décrits dans les traités d'histologie avec un luxe de détails souvent inutiles. Eh bien, Messieurs, cette étude vous laisse ignorer le processus qui domine toute l'histologie de l'ovaire ; elle ne vous apprend rien sur l'évolution de l'œuf ou ovogenèse, rien sur la maturation, rien sur la formation des neufs ; elle ne vous apprend pas, absolument pas, ce que c'est qu'une glande germinative femelle. Et vous vous rappellerez, Messieurs, difficilement tous ces faits. Votre mémoire se débarrassera bien vite de ces notions arides parce que la signification de tous ces éléments ne vous aura pas été fournie. Quelque approfondie et consciencieuse que soit cette étude, elle ne peut vous donner que des notions générales peu nombreuses, incertaines, et à chaque pas de cette étude, à propos précisément des questions les plus intéressantes, nous rencontrons des difficultés insurmontables.

Combien plus nettes, plus générales, plus faciles à obtenir seront ces données si nous appelons à notre aide l'histologie comparée. Si nous nous adressons à certaines espèces inférieures, non obtenons tout de suite des notions fondamentales. Nous pouvons suivre tout le déploiement du processus ovogénétique, nous en observons avec facilité toutes les étapes successives et comprenons leur signification ; nous saisissons que la première a pour résultat de multiplier le nombre des jeunes cellules-neufs, que la deuxième a pour objet d'emmagasiner dans leur substance des matériaux de réserve, aliment du futur embryon, que la troisième réduit de moitié la quantité de chromatine du noyau ovulaire et le prépare à l'acte de la fécondation. Voilà, Messieurs, les faits essentiels que l'histologie comparée, entre les mains de van Beneden et Hertwig a pu mettre en évidence ! C'est seulement grâce à ces découvertes que nous avons pu reconstituer et comprendre le cycle de l'ovogenèse chez les Mammifères ; mais, d'autre part, il a fallu faire l'étude histogénétique de l'ovaire pour la suivre dans son ensemble et en retrouver les diverses périodes. Chez les Mammifères, en effet, l'ovogenèse se poursuit pendant toute la durée du développement jusqu'à l'état adulte peuvent se bercer les plus séduisantes chimères. Je voudrais aussi que vous soyiez persuadés avec force que les sciences que nous vous présentons au début de vos études sont la base nécessaire d'une médecine sûre d'elle même. Mais je désire aussi que vous conceviez bien la relativité de vos connaissances, que vous ayiez conscience de l'inconnu scientifique qu'elles peuvent vous masquer plus ou moins complètement et que vus preniez le sentiment tout à la fois de la grandeur et de l'extrême modestie de nos conquêtes biologiques.

Messieurs, en apportant cette tournure d'esprit à vos études, vous obtiendrez un complément indispensable de votre éducation qui fera de vous des hommes qui auront gagné le sens des phénomènes biologiques et qui seront dignes de la profession médicale dont ils auront la science et la philosophie. Vous gagnerez ainsi, au cours de vos études, un véritable esprit scientifique avec les connaissances pratiques nécessaires, et vous saurez ne pas obéir étroitement au seul souci de l'utilitarisme professionnel.

Quant à moi, c'est vers cet idéal que je dirigerai tous mes efforts. Vous serez mes meilleurs juges, et ce sera à vous de me dire plus tard si j'ai réussi.