BARABAN Léon

1850-1905

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

Il y a un an et quelques mois seulement, nous rendions les derniers hommages à un collègue aimé, frappé à cette période de la vie où l'homme donne toute son intelligence, toute son activité ; nous nous retrouvons réunis aujourd'hui autour d'une autre tombe, attristés, douloureusement émus par la perte d'un des nôtres, sur la collaboration duquel nous comptions pour de longues années encore. Au nom de la Faculté de médecine, au nom de l'Université de Nancy, je viens adresser le suprême adieu à notre collègue, M. Baraban, Professeur d'anatomie pathologique.

Né le 15 septembre 1850, à Oelleville, dans le canton de Mirecourt, Léon Dominique Baraban a fait ses études au collège de la Malgrange, où il a laissé les meilleurs souvenirs et conservé l'amitié de ses maîtres. Après avoir conquis le diplôme de bachelier es lettres, le 3 août 1868, et l'année suivante, à la même date, celui de bachelier es sciences complet, Léon Baraban choisit la carrière médicale et prit sa première inscription de médecine, en novembre 1869, à l'ancienne École préparatoire de médecine et de pharmacie de Nancy. Il s'apprêtait à suivre l'enseignement des Simonin, des Victor Parisot, des Blondlot, des Demange, des Roussel, des Poincaré, des Lallement, lorsque éclata la fatale guerre de 1870.

Nos régions de l'Est, hélas, sont envahies ; la classe à laquelle appartenait Léon Baraban est appelée sous les drapeaux ; mais le village où il est né et le chef-lieu de canton, Mirecourt, où il devait tirer au sort, sont occupés par l'armée allemande. Il va se présenter à la conscription à Vittel. Léon Baraban est envoyé à Brest et versé dans le corps des fusiliers marins. Loin de son pays natal, loin des siens, il fait le plus dur apprentissage, et remplit avec dévouement son devoir pendant la longue et douloureuse durée de la guerre.

De retour en Lorraine, après sa libération, il revient à Nancy, reprend le cours de ses études de médecine ; il est reçu docteur le 16 avril 1875. Simple élève, Léon Baraban avait déjà pris le goût des travaux et des recherches de laboratoire, et la thèse qu'il a présentée à la Faculté, pour l'obtention du grade de docteur, est une étude expérimentale sur les effets toxiques du tartre stibié, qu'il avait entreprise dans les laboratoires d'anatomie pathologique et de chimie médicale de nos regrettés collègues Feltz et Ritter.

Son assiduité, son goût et ses aptitudes spéciales pour les travaux d'anatomie pathologique, aptitudes admirablement servies par une grande habileté dans le maniement du scalpel et du microscope, désignèrent bientôt le jeune docteur pour les fonctions de chef des travaux. Nommé à cet emploi, le 5 janvier 1878, il se distingua aussitôt par la précision, la minutie, la conscience qu'il sut apporter à ses travaux. Nous admirons tous, aujourd'hui encore, les nombreuses et belles préparations d'anatomie et d'histologie pathologiques dont il a su enrichir, dès son entrée en fonctions, non seulement les collections du laboratoire d'anatomie pathologique, mais encore le Musée de la Faculté, auquel il fut bientôt attaché en qualité de conservateur.

Léon Baraban devait viser plus haut ; encouragé par ses maîtres, il se prépara à l'Agrégation. Ses connaissances étendues en anatomie pathologique formaient chez lui une base solide pour la spécialisation aussi bien en médecine qu'en chirurgie. Son goût pour les études anatomiques détermina son choix. Il se présenta au concours pour l'Agrégation de chirurgie et fut reçu agrégé de la section, le 24 juillet 1883.

Presque aussitôt après, la chaire d'histologie devint vacante par suite de la mort de notre regretté collègue Morel. Nul n'était mieux préparé à l'enseignement de l'histologie que Léon Baraban. Sa grande compétence, son expérience acquise au laboratoire auquel il avait été attaché antérieurement, la minutie qu'il savait apporter aux recherches si délicates de la science du microscope, le signalèrent à l'attention de la Faculté, qui le présenta en première ligne au choix du Ministre de l'Instruction publique, pour occuper la chaire. Par décret du 28 avril 1891, il fut nommé professeur d'histologie à la Faculté de médecine.

Notre collègue ne resta guère longtemps chargé de cet enseignement. Le 3 juillet 1893, il est nommé par mutation titulaire de la chaire d'anatomie pathologique, devenue vacante par la mort de son ancien maître, le Professeur Feltz. Léon Baraban rentra ainsi dans le laboratoire auquel, pendant de longues années, il avait été attaché en qualité de chef des travaux, et put s'adonner définitivement à ses études favorites d'anatomie pathologique.

La caractéristique de l'enseignement de notre collègue a été la méthode et la conscience. Il ne s'aventurait guère dans les hypothèses, si souvent hasardeuses. C'est le scalpel à la main, l'oeil sur le microscope, qu'il observait, étudiait et constatait tout fait nouveau avant de l'enseigner. Nous ne possédons que peu de travaux de notre collègue ; mais tous reflètent les qualités du chercheur modeste et habile, n'avançant une interprétation, une donnée nouvelle, que lorsqu'il pouvait la baser sur des démonstrations maintes fois répétées et vérifiées. Telles ses études sur l'épithélium des séreuses et ses altérations, ses recherches sur l'épithélium des voies aériennes, sur diverses productions morbides, sur des questions spéciales de parasitisme.

Si ses publications personnelles sont peu nombreuses, quelle longue série ne pourrais-je citer de travaux de collègues, de thèses d'élèves, dans lesquels se trouvent relatées des descriptions soit d'histologie, soit d'anatomie pathologique, dues aux patientes études faites par le Professeur Baraban ou sous sa direction. Et puis, après les recherches de laboratoire, quels soins notre collègue n'a-t-il pas donnés aux travaux pratiques des élèves ! Nous lui devons une organisation nouvelle. Au laboratoire d'anatomie pathologique, chaque élève est directement initié, par un apprentissage pratique, à tous les procédés d'investigation du corps humain, pour y découvrir les altérations morbides, et nos jeunes docteurs, grâce à cette initiation associée à d'autres enseignements spéciaux puisés à la Faculté, n'auront plus de surprise plus tard, lorsqu'ils auront à scruter, le scalpel en main, les laborieux problèmes que leur pose, entre autres, la médecine légale.

Reconnaissant les services rendus par notre collègue à l'enseignement et à l'instruction des élèves, le Ministre de l'Instruction publique lui décerna successivement les palmes académiques (1885) et la rosette d'officier de l'Instruction publique (1893).

Le Professeur Baraban ne s'adonnait pas à la pratique médicale ; mais il n'oubliait pas qu'il était médecin, quand les pauvres de son quartier de Saint-Pierre recouraient à ses conseils. Foncièrement charitable, il prodiguait à tous sa personne, son expérience, et souvent sa bourse ; il acquit ainsi une grande popularité qui lui ouvrit les portes du Conseil municipal. Des voix plus autorisées diront combien il s'est dépensé dans ses fonctions de conseiller, de membre du Bureau de bienfaisance ; quels ont été les services rendus, comme Adjoint, à l'administration de la cité.

Sa grande activité, son labeur incessant, son dévouement à ses fonctions multiples, devaient bientôt ruiner sa santé. Une première atteinte, il y a trois ans, avait déjà donné de sérieuses inquiétudes à ses collègues, à ses amis. A peine remis, et malgré les conseils qui lui furent donnés à l'époque, il se fit illusion sur l'état de ses forces, reprit toutes ses occupations. Lorsque, sur la fin de l'été dernier, nous apprîmes que le Professeur Baraban était de nouveau alité, nos appréhensions devinrent aussitôt grandes. C'est avec une anxiété extrême que nous avons suivi l'évolution inexorable du mal qui devait nous l'enlever. Et quand nous songeons que notre collègue, qui avait passé sa vie à scruter les lésions multiples cachées dans l'organisme et à les méditer, devait suivre avec un jugement sûr le drame pathologique dont son propre organisme était le théâtre, une sympathie douloureuse nous étreint. C'est dans la fermeté de ses convictions qu'il a trouvé, sans doute, la force d'âme et la résignation pour attendre avec sérénité l'heure fatale du dénouement.

Baraban disparaît dans la force de l'âge, terrassé par la terrible maladie dont le germe peut-être, que savons-nous, fut puisé dans ses recherches de laboratoire, victime du devoir professionnel et surmené par une activité incessante de dévouement. Nous conserverons à la Faculté de médecine le souvenir impérissable du collègue excellent, du maître aimé de ses élèves. Puissent les regrets que sa perte nous inspire apporter quelque consolation aux siens ! Au nom de la Faculté de médecine, cher collègue, adieu !

Professeur F. GROSS