1850-1905
ELOGE FUNEBRE
Il y a un an et quelques mois seulement, nous rendions les
derniers hommages à un collègue aimé, frappé à cette période de la vie où
l'homme donne toute son intelligence, toute son activité ; nous nous retrouvons
réunis aujourd'hui autour d'une autre tombe, attristés, douloureusement émus
par la perte d'un des nôtres, sur la collaboration duquel nous comptions pour
de longues années encore.
Né le 15 septembre 1850, à Oelleville, dans le canton de
Mirecourt, Léon Dominique Baraban a fait ses études au collège de la Malgrange,
où il a laissé les meilleurs souvenirs et conservé l'amitié de ses maîtres.
Nos régions de l'Est, hélas, sont envahies ; la classe à laquelle
appartenait Léon Baraban est appelée sous les drapeaux ; mais le village où il
est né et le chef-lieu de canton, Mirecourt, où il devait tirer au sort, sont
occupés par l'armée allemande. Il va se présenter à la conscription à Vittel.
De retour en Lorraine, après sa libération, il revient à Nancy,
reprend le cours de ses études de médecine ; il est reçu docteur le 16 avril
1875.
Son assiduité, son goût et ses aptitudes spéciales pour les
travaux d'anatomie pathologique, aptitudes admirablement servies par une grande
habileté dans le maniement du scalpel et du microscope, désignèrent bientôt le
jeune docteur pour les fonctions de chef des travaux.
Léon Baraban devait viser plus haut ; encouragé par ses maîtres,
il se prépara à l'Agrégation. Ses connaissances étendues en anatomie
pathologique formaient chez lui une base solide pour la spécialisation aussi
bien en médecine qu'en chirurgie. Son goût pour les études anatomiques détermina
son choix. Il se présenta au concours pour l'Agrégation de chirurgie et fut
reçu agrégé de la section, le 24 juillet 1883.
Presque aussitôt après, la chaire d'histologie devint vacante par
suite de la mort de notre regretté collègue Morel. Nul n'était mieux préparé à
l'enseignement de l'histologie que Léon Baraban. Sa grande compétence, son
expérience acquise au laboratoire auquel il avait été attaché antérieurement,
la minutie qu'il savait apporter aux recherches si délicates de la science du
microscope, le signalèrent à l'attention de la Faculté, qui le présenta en
première ligne au choix du Ministre de l'Instruction publique, pour occuper la
chaire. Par décret du 28 avril 1891, il fut nommé professeur d'histologie à la
Faculté de médecine.
Notre collègue ne resta guère longtemps chargé de cet
enseignement. Le 3 juillet 1893, il est nommé par mutation titulaire de la
chaire d'anatomie pathologique, devenue vacante par la mort de son ancien
maître, le Professeur Feltz.
La caractéristique de l'enseignement de notre collègue a été la
méthode et la conscience. Il ne s'aventurait guère dans les hypothèses, si
souvent hasardeuses. C'est le scalpel à la main, l'oeil sur le microscope,
qu'il observait, étudiait et constatait tout fait nouveau avant de l'enseigner.
Si ses publications personnelles sont peu nombreuses, quelle
longue série ne pourrais-je citer de travaux de collègues, de thèses d'élèves,
dans lesquels se trouvent relatées des descriptions soit d'histologie, soit
d'anatomie pathologique, dues aux patientes études faites par le Professeur
Baraban ou sous sa direction.
Reconnaissant les services rendus par notre collègue à
l'enseignement et à l'instruction des élèves, le Ministre de l'Instruction
publique lui décerna successivement les palmes académiques (1885) et la rosette
d'officier de l'Instruction publique (1893).
Le Professeur Baraban ne s'adonnait pas à la pratique médicale ;
mais il n'oubliait pas qu'il était médecin, quand les pauvres de son quartier
de Saint-Pierre recouraient à ses conseils. Foncièrement charitable, il
prodiguait à tous sa personne, son expérience, et souvent sa bourse ; il acquit
ainsi une grande popularité qui lui ouvrit les portes du Conseil municipal. Des
voix plus autorisées diront combien il s'est dépensé dans ses fonctions de
conseiller, de membre du Bureau de bienfaisance ; quels ont été les services
rendus, comme Adjoint, à l'administration de la cité.
Sa grande activité, son labeur incessant, son dévouement à ses
fonctions multiples, devaient bientôt ruiner sa santé. Une première atteinte,
il y a trois ans, avait déjà donné de sérieuses inquiétudes à ses collègues, à
ses amis. A peine remis, et malgré les conseils qui lui furent donnés à
l'époque, il se fit illusion sur l'état de ses forces, reprit toutes ses occupations.
Lorsque, sur la fin de l'été dernier, nous apprîmes que le Professeur Baraban
était de nouveau alité, nos appréhensions devinrent aussitôt grandes. C'est
avec une anxiété extrême que nous avons suivi l'évolution inexorable du mal qui
devait nous l'enlever. Et quand nous songeons que notre collègue, qui avait
passé sa vie à scruter les lésions multiples cachées dans l'organisme et à les
méditer, devait suivre avec un jugement sûr le drame pathologique dont son
propre organisme était le théâtre, une sympathie douloureuse nous étreint.
C'est dans la fermeté de ses convictions qu'il a trouvé, sans doute, la force
d'âme et la résignation pour attendre avec sérénité l'heure fatale du
dénouement.
Baraban disparaît dans la force de l'âge, terrassé par la terrible
maladie dont le germe peut-être, que savons-nous, fut puisé dans ses recherches
de laboratoire, victime du devoir professionnel et surmené par une activité
incessante de dévouement.
Professeur F. GROSS