LA CHIMIE A LA FACULTE
DE MEDECINE DE NANCY DE 1776 A 2006
Jean-Pierre NICOLAS
Le dimanche 23 février 1766 à
quatre heures du soir, après une longue et douloureuse agonie, Stanislas
mourait en son château de Lunéville. Sa disparition entraîna le rattachement de
la Lorraine à la France par application du traité de Vienne de 1738, ainsi que
l’expulsion des Jésuites : Louis XV, gendre de Stanislas, avait aboli cet ordre
en France en 1764 alors que son beau-père le protégeait en Lorraine.
L’Université de Pont-à-Mousson,
fondée en 1572 par les Jésuites et qui comportait une Faculté de médecine
depuis 1592, fut alors transférée à Nancy. C’est un peu plus tard, en 1776, que
fut créée une chaire de chimie dont le premier titulaire fut Henry Michel du
Tennetar qui, très rapidement, quitta Nancy pour Metz et fut remplacé par
Pierre-François Nicolas (1743-1816) qui disposait d’un laboratoire à la
Faculté.
Cette première Faculté de
médecine nancéienne eut une existence éphémère puisqu’elle disparut dans la
tourmente révolutionnaire en application du décret de la Convention du 15 septembre
1793 qui supprimait «sur toute la surface de la République, les Facultés et les
Collèges». Face aux désordres qui résultèrent de cette décision, les charlatans
et les assassins se multipliant, les enseignements médicaux de Paris,
Strasbourg et Montpellier furent rétablis le 4 décembre 1794. Il n’y eut plus,
pendant de très nombreuses années, de Faculté de médecine à Nancy.
Dans ce contexte historique
tourmenté, Pierre-François Nicolas, qui avait dès 1777 publié un “Cours de
chimie théorico-pratique” de 330 pages, devait développer une activité débordante.
Il poursuivit des travaux de recherche en hydrologie, distillerie, toxicologie,
teinturerie et biochimie ; on l’appellera “Nicolas Phosphore” en raison de ses
travaux sur la constitution chimique des os. Peu de mois après les frères
Montgolfier, il construisit un aérostat gonflé à l’hydrogène qui prit son envol
dans la cour de l’Université et parcourut une dizaine de kilomètres. Acquis aux
idées nouvelles, il prit une part active à la Révolution et, pendant la Terreur,
il fut Président du Directoire du département de la Meurthe. Ayant échappé à
l’échafaud, il fut nommé professeur à l’Ecole de médecine de Strasbourg, mais,
n’y disposant pas d’un laboratoire, il la quitta bientôt pour Nancy, puis pour
Paris où il retrouva Fourcroy, Chaptal et Berthollet. Il termina sa carrière à
la Faculté des sciences de Caen où il étudia la détection des sucres dans les
urines des malades diabétiques.
1872 vit la création à Nancy
d’une nouvelle Faculté de médecine par transfèrement de celle de Strasbourg en
application du Traité de Francfort. Un Lorrain, Nicolas Blondlot (1810-1877),
occupa alors la chaire de chimie et toxicologie après des études à Paris qui le
destinaient tout d’abord à la chirurgie (il avait été l’élève de Dupuytren) et
après avoir obtenu un doctorat ès sciences. De retour à Nancy, il se consacra à
la chimie. Ses travaux ont porté sur la physiologie digestive et sur la
toxicologie.
Son collaborateur Eugène Ritter(1837-1884), agrégé de chimie, originaire de Strasbourg, lui succéda.
L’intitulé de la chaire fut transformé en “Chimie biologique et pathologique”.
Ritter créa un “Laboratoire des cliniques” et s’intéressa notamment à la
composition de la bile, aux actions physiologiques de ses constituants et à
l’étude expérimentale de l’urémie. Il mourut prématurément en 1894 à l’âge de
47 ans.
Léon Garnier (1855-1939)
“transforma” à nouveau l’intitulé de la chaire en «Chimie médicale». Il devait
occuper celle-ci jusqu’à sa retraite en 1925. Ses publications sont très nombreuses
: méthodes d’analyses, constituants normaux et pathologiques de l’urine, métabolisme
hépatique, toxicologie médico-légale, etc. Il assura également la direction du laboratoire
des cliniques jusqu’en 1891. Garnier a laissé le souvenir d’un homme de
caractère assez rude, dont les relations, tant avec ses collègues et
collaborateurs qu’avec les étudiants, n’étaient pas toujours faciles.
Parmi les collaborateurs qui
l’aidèrent pendant ce long règne, il convient de mentionner Gabriel Guérin,agrégé en 1891, qui développa beaucoup le laboratoire des cliniques et fut nommé
professeur à l’Ecole supérieure de pharmacie en 1902, ainsi que Louis Camille
Maillard (1878-1936) qui, après de brillantes études à la Faculté des sciences
de Nancy, entreprit des études de médecine tout en réalisant des recherches au
laboratoire. De sa thèse de médecine découlera le célèbre “coefficient de
Maillard” qui sera utilisé par les néphrologues et urologues du monde entier
jusque dans les années cinquante. Il collaborera avec deux professeurs nancéiens,
Auguste Prenant et Pol Bouin, à la publication d’un traité d’histologie et de
cytologie.
Agrégé de médecine à 26 ans,
nommé à Paris chef de travaux en 1901, il entreprit une thèse de doctorat ès
sciences et découvrit la réactivité entre les acides aminés et les sucres,
connue désormais sous le nom de “réaction de Maillard” qui, comme chacun le
sait aujourd’hui, revêt encore actuellement une importance majeure dans de
nombreux domaines, et en particulier en technologie alimentaire. Revenu à la
vie civile à la fin de la Première Guerre mondiale, il quitta brusquement Paris
pour occuper une chaire à Alger, cessant pratiquement toute activité de
recherche. Maillard est mort brutalement à Paris le 12 mai 1936, où il était
venu participer au jury du concours d’agrégation.
Le successeur de Léon Garnier
fut Henri Robert (1875-1952) qui occupa la chaire de 1925 à 1942. C’était un
excellent expérimentateur. A l’opposé de son prédécesseur, il était particulièrement
compréhensif pour les étudiants à qui il dispensait un enseignement clair et simple.
Depuis 1934, l’agrégé de chimie
était mon Maître, le professeur René Wolff (1899-1982), qui ne put accéder au
professorat qu’en 1945. Ingénieur de l’Ecole de chimie de Strasbourg et licencié
ès sciences physiques, il assura d’abord à Paris la direction du laboratoire du
professeur Fernand Widal et celle du laboratoire du professeur Alexandre
Desgrez, titulaire de la chaire de chimie médicale de la Faculté.
Parallèlement, il entreprit des études de médecine et soutint sa thèse en 1929.
Reçu au concours d’agrégation en 1933, il fut alors nommé chef de travaux à la
Faculté de médecine de Nancy où il entreprit de nombreuses recherches avec les
services cliniques. Mobilisé en 1939, il dut bientôt se réfugier à Toulouse,
accueilli par le professeur Paul Valdiguié. A l’issue des hostilités, il fut
nommé titulaire de la chaire de Nancy. Sous son impulsion, le laboratoire a
développé une activité scientifique importante, consacrée en particulier à
l’étude du métabolisme des substances minérales, à celui des lipides et de la
maladie athéromateuse, et surtout à celui des vitamines, en particulier B9 et
B12. Il fut l’un des premiers à mettre au point des techniques de dosage de ces
microfacteurs et de leurs transporteurs. Il a appliqué ces techniques à divers
prélèvements biologiques et les valeurs qu’il a définies font toujours
autorité. De 1946 à 1950, il fut aidé par le professeur Pierre Desgrez qui fut
ensuite nommé à Paris.
Le professeur Pierre Paysant,
agrégé en 1958, succéda en 1972 au professeur Wolff et contribua en tant
qu’assesseur, après les événements de Mai 1968, à la réorganisation de l’enseignement
du premier cycle à la Faculté. Très apprécié des étudiants en raison de la
clarté et de la qualité de son enseignement, il a été pour nous un modèle. Sur
le plan hospitalier, il créa avec les professeurs Pierre Nabet, agrégé en 1962,
et Francine Nabet, nommée en 1974, un département de biochimie clinique
regroupant les laboratoires de l’Hôpital central et du nouvel Hôpital de
Brabois inauguré en 1974. Ils furent des promoteurs de l’automatisation et de
l’informatisation qui, entre autres, ont contribué à réduire le coût des
analyses. Ils eurent une importante activité de recherche, en particulier dans
les domaines des hormones peptidiques, des anticorps monoclonaux, de l’allergie
et de la relation micronutriments-radicaux libres.
Au départ en retraite de mon
Maître, j’ai continué à élargir son domaine d’activité et développé une
recherche en allergologie avec les services cliniques. Dès sa première année de
médecine, Jean-Louis Guéant a fréquenté le laboratoire, se partageant bientôt
entre la biochimie et la gastro-entérologie. La direction d’une UER à dominante
recherche rattachée à la Faculté des sciences m’a permis de disposer d’un
laboratoire, de créer et de diriger un DEA, puis, avec Jean-Louis Guéant,
Claude Burlet et Luc Méjean, de créer l’Unité INSERM 308, rattachée également
au CNRS. J’ai également assuré la direction d’un laboratoire conventionné
jusqu’en 2006 et celle d’une partie du laboratoire de Brabois depuis 1989. Une
partie de l’activité de ce laboratoire donna lieu à la création d’une structure
dont Francine Nabet devint chef de service en 1989 et à une autre dont
Jean-Louis Guéant, nommé professeur en 1990, assura la direction en 1992 lors
de la disparition prématurée du docteur Francine Bertrand, chef de service
depuis 1990. La remarquable activité de Jean-Louis Guéant lui a permis très
rapidement d’être reconnu par le CNRS, puis par l’INSERM et l’IFREMER, et de
faire nommer Jean-Luc Olivier à Nancy en 2001.