1933-1982
ELOGE FUNEBRE
C'est avec beaucoup d'émotion que je me trouve amené à prononcer, devant cette Assemblée des Facultés, l'éloge funèbre d'un élève aimé, devenu mon successeur ; dans le cours normal du Destin, il devait être celui qui aurait eu à rappeler mon souvenir à la Faculté de Médecine, au cas où, le jour venu, perdurerait la tradition d'honorer les disparus.
André RENY est né à Dole, le 22 juillet 1933. Plusieurs membres de sa famille étaient ou furent médecins, tels les RENY de Saint-Dizier. Mais c'est son père le Docteur Pierre RENY qui, ophtalmologiste à Metz, après avoir été Chef de Clinique Ophtalmologique à Nancy, a certainement le plus influencé sa vocation. Dès lors la carrière d'André RENY est toute droite. Inscrit à la Faculté de Médecine de Nancy en 1951, il est Externe des Hôpitaux en 1955, Interne des Hôpitaux en 1960, Docteur en médecine et titulaire du C.E.S. d'Ophtalmologie en 1966, puis Chef de Clinique-Assistant des Hôpitaux en fin 1966. Dès 1963 il avait assuré, à la demande du Professeur BURG, une liaison heureuse entre la Clinique Ophtalmologique et le Laboratoire de Physique Médicale comme Moniteur, puis en 1964 comme Attaché de Faculté-Assistant de Sciences fondamentales. Délégué dans les fonctions en Octobre 1967, il devint Maître de Conférences Agrégé en Ophtalmologie le 19 mai 1970. A mon départ en retraite le 1er octobre 1976, il fut nommé Chef de Service à la Clinique Ophtalmologique de l'Hôpital Central et Professeur sans Chaire le 1er janvier 1980. Enfin, but suprême de ses légitimes ambitions, il devint Professeur Titulaire d'Emploi le 1er janvier 1981.
L'oeuvre scientifique d'une carrière, qu'on pouvait espérer longue et qui se révèle tragiquement abrupte, est considérable relativement à cette brièveté : 156 publications dans l'Epreuve de Titres et Travaux, établie pour la titularisation en Janvier 1981. Mais peut-être convient-il d'insister plus spécialement sur les 24 publications supplémentaires faites depuis 1981 et jusqu'au décès en Juin 1982, preuves qu'André RENY, arrivé au faîte de la Hiérarchie Universitaire, n'avait pas l'intention de se reposer sur les lauriers fauchés au cours des années d'acquisition de ses titres.
Indépendamment de ses publications personnelles André RENY a contribué à l'élaboration de 30 thèses. Il a participé à de nombreux colloques internationaux d'Ophtalmologie et aussi de l'Association Française de l'Eclairage qui l'avait tout récemment honoré d'une médaille et où sa présence dans une réunion début Juin à Strasbourg fut sans doute sa dernière manifestation publique. Il a contribué à beaucoup de revues d'Enseignement en particulier par d'importants chapitres dans l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale. L'oeuvre scientifique d'André RENY porte sur des sujets très variés ainsi qu'il est normal pour le reflet d'une activité de Professeur de Clinique. Il serait fastidieux de les énumérer devant une assemblée de Collègues serviteurs de disciplines autres que l'Ophtalmologie. Dégageons seulement les grandes orientations de cette activité scientifique.
Si la Génétique et la Neuro-Oculistique ont beaucoup retenu son attention, c'est surtout la traumatologie faciale intéressant l'orbite qui, dès sa thèse sur « fracture de l'orbite et déviation strabique », devait occuper son activité première et devait se concrétiser dans une monographie parue chez Masson en collaboration avec STRICKER, ainsi que dans deux films documentaires. La chirurgie palpébrale fut aussi, notamment après un voyage aux U.S.A., une de ses préoccupations favorites, apportant des précisions techniques pour le traitement du ptosis et des pertes de substance palpébrale. Ce dernier sujet lui a valu d'être en 1979 à Heidelberg rapporteur à la Société Allemande d'Ophtalmologie. Il a pénétré dans le domaine des troubles de l'oculo-motricité par l'électrographie des muscles oculaires, ce qui lui a donné l'occasion de codifier l'intérêt, mais aussi les limites de cette exploration ; par la suite il suivit avec enthousiasme d'abord, puis ensuite avec un discernement critique méritoire, l'évolution de conceptions nouvelles et discutées dans le traitement opératoire du strabisme congénital. Mais sa grande satisfaction il l'a trouvée dans l'étude de la pathologie lacrymale, et dans sa désignation pour faire partie de l'équipe, présidée par le Professeur ROYER de Besançon, chargé du Rapport annuel à la Société Française d'Ophtalmologie cette année même. Dans la grande salle du Palais des Congrès à Paris le 11 mai 1982, alors que André RENY, en « vedette américaine » comme l'avait présenté ROYER, exposait la partie du rapport le concernant, nul ne pouvait alors se douter que quelques semaines plus tard il ne serait plus.
Très intelligent, gros travailleur, exposant ses travaux avec grande clarté, parlant avec brio, le plus souvent sans notes manuscrites, il faisait encore des projets quelques jours avant sa mort. Une telle mort subite appréhende obligatoirement tout l'entourage qui, gravement choqué, pourrait être tenté d'en rechercher les motivations. Mais le disparu étant parti sans laisser de message personnel, il serait indélicat de vouloir percer un secret et pratiquer une autopsie morale. Il faut au moins souhaiter, et pour le bon renom de la Médecine, qu'il ne s'agisse pas de la tragique méprise d'une erreur de pronostic, voire de diagnostic, égarée par des recherches complémentaires sophistiquées à fiabilité présentement controversée.
On peut craindre qu'André RENY ait tiré hâtivement des conclusions sur son destin : il était un homme épris d'absolu, dur avec lui-même, ce qui l'obligeait à l'être parfois avec les autres, au point d'être mal jugé par certains alors que, je puis l'affirmer une nouvelle fois après avoir arrangé bien des conflits, il était de bonté naturelle. Mais à avoir du caractère, surtout en manquant quelques fois de « self control », on risque facilement d'être pris pour un « caractériel ». Ceux d'entre vous, qui - inutile de le nier tant c'était connu - ont eu quelques difficultés avec lui, admettront, j'en suis certain, qu'André RENY était quand même un bon collègue.
Personnellement je lui sais gré d'avoir répondu à mon attente en justifiant mon appui depuis que je l'avais repéré au concours de l'Internat, et aussi de n'avoir jamais été pour moi un flatteur. Cela m'a permis de vivre les dernières années de Chef de Service sans aucun problème, alors que, dit-on, bien des collègues ressentent en fin de carrière la pénible impression d'être considérés, tel un agrume pressé, comme devenus inutiles à leurs élèves dans leurs concours futurs. Certes pour ne pas gêner mon successeur, je me suis imposé la règle de ne plus paraître au Service dès le lendemain de ma mise à la retraite au point que le seul des Services Universitaires Français d'Ophtalmologie que je ne connaisse pas, soit celui, rénové depuis, où j'ai travaillé durant un demi-siècle. Mais jamais André RENY n'a manqué de m'inviter à participer activement à toutes les manifestations scientifiques qu'il a organisées et je lui en reste profondément reconnaissant.
Nous devons tous nous incliner devant la douleur de sa famille, son épouse, ses trois enfants, son frère, ses parents, dont son vieux père, contemporain de mes jeunes années d'études ophtalmologiques, et devant le désarroi de ses jeunes et prometteurs collaborateurs du Service d'Ophtalmologie A. Que de tristesse accumulée ! Nous devons aussi déplorer la décapitation de la Chaire d'Ophtalmologie à Nancy. Cette Chaire est à la fois ancienne et récente car en fait il y a eu, dans l'historique de la Faculté, deux Chaires successives d'Ophtalmologie. La Chaire ancienne fut instituée le 29 juillet 1899 en faveur de Joseph ROHMER et tenue par lui jusqu'à son décès en 1922, date à laquelle elle fut transformée en Chaire de Médecine Opératoire pour Gaston MICHEL. Reconstituée en 1928 par transformation de la Chaire de Pathologie Interne, la Chaire d'Ophtalmologie fut attribuée à Paul JEANDELIZE qui l'illustra jusqu'à sa mise à la retraite en octobre 1939. Laissée vacante pendant la plus grande partie de la guerre, elle fut transformée ensuite, à une époque où Nancy disposait de peu de places de Professeurs, en Chaire de Clinique Chirurgicale, au profit de Marc BARTHELEMY... puis brillamment reprise par Pierre CHALNOT pour rester par la suite dans le collectif chirurgical. La Chaire récente résulte d'une création nouvelle faite sur mon nom en 1948. A mon départ en octobre 1976, elle fut réduite dans un gynécée, en souvenir de la première publication ophtalmologique de langue française qui s'intitulait curieusement « Revue d'Oculistique et de Gynécologie ». Mais la Chaire d'Ophtalmologie, après cette incartade, a retrouvé sa vocation originelle grâce à votre vote, Messieurs, vote justifié par le travail d'André RENY et par ses mérites.
Malheureusement cette récupération ne date guère plus que d'un an et aujourd'hui même, à l'occasion de cette assemblée des Facultés, l'Ophtalmologie Française manifeste d'abord sa peine d'avoir perdu le jeune titulaire qui devait normalement devenir un de ses meilleurs représentants, mais ne peut s'empêcher aussi d'exprimer son angoisse de savoir que sa représentation officielle à la Faculté de Médecine de Nancy se trouve, par cette mort subite, remise en question, bien que, à Nancy même, l'Ecole Ophtalmologique ne reste pas sans éléments de haute valeur.
Professeur C. THOMAS