1929-1960
ELOGE
C'est au nom de l'Internat
et de l'Association Amicale des Internes et Anciens Internes des Hôpitaux de
Nancy que nous venons aujourd'hui dire adieu à l'une des nôtres, Mademoiselle
Marie-Thérèse WAUTHIER.
Mlle WAUTHIER fut reçue au
Concours d'Internat en 1955 ; Après une année d'interne provisoire dans le
service de médecine générale de M. le Professeur Abel, elle fut interne
titulaire d'abord dans le service de rhumatologie de M. le Professeur Louyot et ensuite dans le service des maladies infectieuses
de M. le Docteur Gerbaut. C'est là, en avril 1957,
qu'elle devait contracter, au contact des contagieux, la terrible maladie qui
vient de l'emporter après plus de trois années de souffrances.
Elle fut victime de son
devoir. Sans avoir ménagé sa peine ni ses encouragements auprès de ses malades
auxquels elle apportait la douceur et l'amicale tendresse qu'ils attendaient
de leur médecin et qu'elle leur donnait avec toute sa délicatesse de femme.
Son rôle d'interne, elle
l'a rempli à merveille en rassemblant ses qualités humaines et ses
connaissances techniques, en assurant la régularité et la continuité des soins
avec compétence et dévouement, en prenant des responsabilités, en s'engageant
dans des décisions souvent graves dont dépendait le sort du malade, décisions
réfléchies et sérieuses dont elle savait, mieux que personne, l'importance.
C'était son devoir d'interne, elle l'a rempli au maximum en donnant tout
d'elle, jusqu'à sa vie.
Lorsque la maladie vint la
frapper à son tour, elle accepta avec résignation cette épreuve d'autant plus
terrible pour elle qu'elle en connaissait la gravité. Et elle était entrée
dans cette phase angoissante d'une survie artificielle, d'un sursis incertain
lié au mécanisme des appareils, aidée en tout, pour tous les gestes de
l'existence, ne gardant son intelligence et sa lucidité que pour juger sa
situation et son avenir avec la solution qui obligatoirement s'imposait au
terme de ce chemin douloureux ; ce calvaire pouvait durer quelques semaines
aussi bien que quelques mois... il a duré trois longues années.
Je
pense qu'il n'est guère d'épreuve morale plus pénible que celle du médecin devant
sa propre maladie, lorsque celle-ci s'affirme clairement, avec un pronostic
facile à prévoir malgré tous les espoirs auxquels on peut s'accrocher
passagèrement. Elle a subi celle épreuve avec beaucoup de courage, montrant en
exemple dans sa vie de malade la dignité qu’elle avait déjà dans sa vie de médecin,
dans sa vie d'interne des hôpitaux.
L'internat vient d'être
touché une fois de plus dans la lourde série qui s'acharne sur lui depuis
plusieurs années. Il en ressent très profondément une grande peine et
une tristesse immense et il s'associe à la douleur de toute la famille,
particulièrement à celle de sa mère qui, tous les jours auprès d'elle, lui
prodigua son réconfort et son appui ; il s'associe à la douleur de tous ses
amis.
Nous garderons précieusement le souvenir et l'exemple de celle qui lut victime de son devoir d'interne, de Mademoiselle Marie-Thérèse WAUTHIER, notre collègue, notre amie.
Extraits d'un texte de Jacques VADOT (on peut lire la totalité sur le site du musée : Lettre no 95 – 2021)
Née à Metz en 1929, Marie-Thérèse Wauthier suivit son cursus médical à Nancy, passant sa thèse de Docteur en Médecine en 1953, puis se présenta au difficile concours de l'Internat auquel peu de femmes étaient candidates et qu'elle réussit brillamment en 1955. Au cours de ses stages, elle bénéficia de l'enseignement du Professeur Abel, en médecine générale, puis du Professeur Louyot en rhumatologie, avant d'arriver au Service des Maladies infectieuses de l'Hôpital Maringer dirigé successivement par le Docteur Pierre Gerbaut puis par le Docteur Jean Lorrain.
En 1957, de nombreux cas de poliomyélite sont détectés en Lorraine. Les malades atteints sont hospitalisés dans un secteur de l'Hôpital Maringer, situé entre l'Hôpital Fournier (Dermatologie) et l'Hôpital Villemin (Pneumologie). A Maringer, le Service des Maladies infectieuses occupe un bâtiment allongé, situé au rez-de-chaussée, édifié au cours de la Grande Guerre pour y accueillir les blessés ayant besoin d'une rééducation ou d'appareillage. C'est dans ces locaux rapidement adaptés que sont accueillis les patients. Les chambres sont peu spacieuses, occupées par une ou deux personnes. Le personnel soignant se dévoue sans compter et la fatigue gagne chacun progressivement. Cela s'appelle de nos jours le « burn-out ». Parmi les sœurs de Saint-Charles présentes dans les hôpitaux, Sœur Dominique, très active malgré son âge, sera surnommée « l'ange des polios ».
Marie-Thérèse Wauthier termine son internat dans ce service. Afin de faire bénéficier quelqu'un d'autre d'un vaccin dont le nombre était limité, elle ne se fait pas vacciner. Malheureusement cette situation la rend vulnérable et, malgré toutes les précautions prises, elle contracte rapidement cette terrible maladie. Elle qui se dévouait pour tous ceux qui en étaient atteints se retrouve hospitalisée à son tour, avec des atteintes neurologiques et respiratoires majeures. Son calvaire durera plusieurs années. Elle est entourée des soins attentifs de tout le personnel soignant. Fiancée à un médecin qui avait passé l'internat quelques années avant elle, et sachant la gravité de son mal, elle le délivra de son engagement, mais le Docteur Robert Dornier, Assistant des Hôpitaux et gastroentérologue ne se résolut pas à l'abandonner et continua à la voir très régulièrement, ce qui contribua à adoucir sa fin. Elle bénéficia aussi en permanence pendant ces longues années de la présence de sa mère à ses côtés.
A cette époque je débutais mon externat au Service de Dermatologie du Professeur Jean Beurey. Nous étions régulièrement appelés pour avis dans les services voisins. C'est à cette occasion que j'ai pu, à plusieurs reprises, apercevoir par une porte entrouverte cette jeune femme sur son lit de souffrance, m'interdisant cependant d'entrer, par discrétion, car je ne la connaissais pas personnellement. Je dois avouer que cela m'avait énormément impressionné.
Après une lente et terrible agonie Marie-Thérèse Wauthier s'éteignait le 26 août 1960. Elle avait trente ans. Elle était jeune et belle et laissa derrière elle le souvenir d'une personne chaleureuse et dévouée, exerçant sa profession médicale avec passion et compétence.
Quelques témoignages lui ont été consacrés. Un article dans la presse (Le Monde), un hommage dans les publications de l'Internat des Hôpitaux de Nancy, une plaque dans un service hospitalier. Lors de ses obsèques, le 29 août 1960, elle reçoit du représentant du Préfet de Meurthe et Moselle les insignes de « Chevalier dans l'Ordre de la Santé publique ». Un hommage lui fut rendu, par l'Académie nationale de Metz, le 10 novembre 1960, au titre de « Prix de la vertu ». Curieusement, l'année suivante, dans la cadre d'une campagne pour « magnifier l'engagement des Filles de France », la commune de Saint-Jean-de-Luz baptisa une de ses artères « Rue du Docteur Marie-Thérèse Wauthier ».
Sans doute rares sont maintenant ceux qui ont croisé ou aperçu Marie-Thérèse Wauthier. Jean Floquet, notre ancien conservateur, fit quelques gardes dans ce service. Son épouse Andrée Floquet y occupa brièvement un poste d'externe. Ayant eu le triste privilège d'être le témoin involontaire de sa lente disparition, je tenais à rappeler le nom de Marie-Thérèse Wauthier, qui fut « médecin et héros ».
Note : Etienne Thévenin, Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine a écrit un article détaillé sur M-T Wauthier paru en 2020 dans La Revue Politique et Parlementaire.