1878-1924
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ELOGE FUNEBRE
La Revue médicale de l'Est, après la mort du doyen Meyer, a été frappée encore, le 4 mars 1924, par la perte particulièrement sensible du professeur L. Sencert, mort à 46 ans, qui, avec P. Bouin, faisait dans son Comité de direction la liaison avec le groupe nancéien transplanté à Strasbourg.
Louis Sencert, né à Viterne le 25 mars 1878, fut toujours Nancéien. Il fit ses humanités au Lycée de Nancy ; il fut reçu premier aux concours de l'Externat et de l'Internat, chef de clinique en 1903, professeur agrégé à la Faculté de Nancy en 1907.
Après une très remarquable thèse de doctorat, en 1904, sur la Chirurgie de l'oesophage thoracique et abdominal, il publia toute une série de travaux, notamment sur la chirurgie des vaisseaux, l'ulcère simple de l'oesophage, les affections des voies biliaires, et surtout un très important rapport au 22ème Congrès de Chirurgie sur l'Intervention chirurgicale dans les traumatismes du rachis et de la moelle, et une très remarquable partie du Traité des Maladies de l'oesophage et de l'estomac, avec Mathieu et Tuffier.
Vint la guerre. L. Sencert, médecin-chef de l'une des ambulances du 20° corps, fut vers Morhange, en Artois, en Belgique. En 1915, médecin-chef de l'Auto-chir. 9, il est au Bois-Leprêtre, à Belleville, part à Verdun. Puis il prit la direction des 2° et 3° divisions de blessés au Val-de-Grâce. L'énorme labeur journalier ne l'empêche pas de publier ses études sur le Traitement des plaies du crâne, des plaies de guerre, des plaies du genou, et son livre sur les plaies des vaisseaux à l'avant. Et en 1917 et 1918, il étudie avec Nageotte et met au point sa belle découverte de la greffe des tissus morts, des tendons notamment, tués par immersion dans l'alcool, conservés, et pouvant, par greffe, se réhabiter et revivre, semblables aux tissus tendineux voisins.
A la réouverture de l'Université de Strasbourg, L. Sencert fut nommé professeur de clinique chirurgicale. Très vite, il sut s'imposer ; et par son activité, sa puissance de travail, son initiative, son expérience, celte gaieté, cet entrain qui était un des charmes de sa personnalité, il conquit en Alsace une situation scientifique et professionnelle hors de pair.
L. Sencert, qui au cours de ses études médicales, avait été plusieurs fois lauréat de la Faculté des Sciences et de la Faculté de Médecine, puis lauréat de l'Académie de Médecine (prix Amussat, prix Larrey), de l'Académie des Sciences (fondation Bouchard), avait été nommé en 1913 membre de la Société de Chirurgie et en 1920 membre correspondant de l'Académie de Médecine. Il était officier de la Légion d'honneur, et en juin 1915 il avait obtenu une citation à l'ordre de la 8ème armée. De même qu'il espérait redevenir un jour nancéien, L. Sencert voulut venir reposer à Nancy, et l'Université lorraine fit au professeur de l'Université alsacienne des funérailles officielles.
Le recteur de Strasbourg, ses collègues les professeurs Chavigny, Ancel, Bouin, Masson, Duverger, Stoltz, Terroine (de la Faculté des Sciences), Paul Blum, les agrégés et chargés de cours Simon, Hanns, Aron ; A. Boeckel, chef du service d'urologie de sa clinique ; son assistant Stultz ; son chef de clinique Ferry ; son interne Fontaine ; les internes Joublot, Sahnon, Carrière, Cuny, avaient tenu à accompagner sa dépouille mortelle au cimetière du Sud. Et les discours des recteurs Charléty de Strasbourg et Ch. Adam de Nancy, du professeur Chavigny remplaçant le doyen Weiss souffrant, du doyen Spillmann de Nancy, du Dr Ganzinotty, président de l'Association des anciens internes de Nancy et de Strasbourg, des internes de Strasbourg, unirent les regrets des deux Universités et soulignèrent la place éminente prise par Sencert dans la lourde charge de la renaissance de l'Université française de Strasbourg, aussi rapide et aussi brillante qu'il le fallait, parmi les bons pionniers reprenant là la garde de la science française qu'ils avaient jusqu'alors montée à Nancy.
Ce beau générateur d'activité s'est éteint à 46 ans. La Revue médicale de l'Est, qui gardera très vivant le souvenir de l'un de ses directeurs et de ses collaborateurs, offre à Mme L. Sencert l'expression de sa très profonde sympathie.
Professeur G. ETIENNE
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LOUIS SENCERT
Chirurgien vasculaire (1878-1924)
Par LARCAN, G. FIEVE
Journal des maladies vasculaires, 1986,2, 68-74
Louis (Georges) SENCERT est issu du terroir lorrain, dont on dit qu'il est marqué par le « sens du devoir ». Il était né à Viterne, petite commune située à une vingtaine de kilomètres au sud de Nancy, le 25 mars 1878. Très tôt orphelin de père, il vécut avec sa mère dont il fut rapidement la fierté. Il fit de solides et brillantes études classiques au lycée de Nancy, en étant souvent cité aux palmarès. Attiré par les sciences comme par les lettres, il s'engagea dans les études de médecine à la Faculté de Nancy, en fréquenta les laboratoires, et se lança dans la voie royale et difficile des concours. Il fut assidu auprès des professeurs NICOLAS, PRENANT et MEYER dans les laboratoires d'anatomie, d'histologie et de physiologie. Il fut nommé externe des hôpitaux en 1899, puis interne en 1901. A ces deux concours, il fut reçu premier. Aide d'anatomie en 1902, il s'orienta vers la chirurgie et devint en 1903 chef de clinique chirurgicale dans le service du Professeur GROSS. Son activité y fut grande, d'autant que d'emblée, il se mit à la préparation de l'agrégation, tout en ayant une intense activité opératoire et scientifique. C'est en effet à cette époque qu'il réalisa pour sa thèse, des recherches concernant les résections de l'œsophage thoracique.
Il avait aménagé pour cela une cave du laboratoire de physiologie, transformée en salle de chirurgie expérimentale, la première à Nancy, et probablement une des premières en France.
Il soutint sa thèse en 1904 sur un sujet intitulé : la chirurgie de l'œsophage thoracique et abdominal étude anatomique, expérimentale et critique, qui lui valut de devenir lauréat de la Faculté (prix de thèse), et de l'Académie nationale de médecine (prix Amussat).
A cette époque, il se levait tous les jours vers 4 heures du matin, appliquant l'aphorisme : l'avenir est à ceux qui se lèvent tôt. Il allumait son poêle, réchauffait son café sur une lampe à alcool et se mettait au travail, lisant, écrivant, rédigeant des questions jusqu'à 8 heures. Il opérait des hommes toute la matinée puis des chiens dans l'après-midi.
Il fréquenta à Paris le service de MAUCLAIRE. Chacun connaissait le jeune chirurgien nancéen qui avait contribué à faire connaître l'œsophagoscopie et étudié la voie d'abord transthoracique de l'cesopha.ge. Il se fit remarquer par ses dons de clarté et de facilité d'exposition, et fut reçu à l'agrégation à son premier concours en 1907. Une de ses leçons portait sur les synovites tendineuses.
Il fut alors chargé de l'enseignement de la petite chirurgie (travaux pratiques de consultation de clinique chirurgicale), et fut désormais l'assistant du Professeur WEISS. Sa compétence, son sérieux et son brio opératoire étant reconnus, il remporta alors de grands succès de « clientèle ».
Puis ce fut la guerre de 1914-1918. SENCERT, courageux et patriote, va pendant quatre années, appliquer son savoir et son savoir-faire au perfectionnement des méthodes et des techniques. Attaché à une ambulance du célèbre XX` corps de Nancy, il opère sans relâche, en particulier lors de la bataille de Morhange, de la course à la mer, des attaques d'Artois; son ambulance étant implantée successivement à Bray-sur-Somme, à Vlamertinghe, et à Aubigny. Il est alors décoré de la croix de guerre et nommé chevalier de la Légion d'Honneur. Il rédige avec le médecin général inspecteur SIEUR une monographie consacrée à l'organisation et à l'activité d'une ambulance de corps d'armée. En 1916, il dirige une « auto-chir. » à Dieulouard, près du Bois-le-Prêtre, et organise un cours de chirurgie de guerre très remarqué. A la fin de la guerre, il est affecté, consécration suprême de la part du service de santé militaire pour un officier du « cadre complémentaire », à l'hôpital du Val-de-Grâce (2` et 3` Divisions), où il reçoit la direction d'un important service.
Très tôt, il avait été convaincu qu'il fallait intervenir rapidement et largement. Il soutenait que seule une laparotomie pouvait sauver les blessés de l'abdomen. Il rédige pour la célèbre collection bleu horizon, les plaies vasculaires, et étant du Val-de-Grâce, collabore avec NAGEOTTE au Collège de France, pour ses travaux sur les greffes mortes. Il est à nouveau Lauréat de l'Académie de Médecine (Prix Larrey) et de l'Académie des Sciences (Prix Bouchardat).
Après la guerre, il demande à être affecté à la Faculté de Strasbourg, et devient le premier professeur de clinique chirurgicale de la nouvelle faculté française, où il remplace le Professeur MADELUNG. Il préconise et réalise d'importantes transformations tant dans les structures matérielles (stérilisation, chirur gie expérimentale), que dans les mentalités (institution de l'externat et de l'internat, recrutement des professeurs par l'agrégation).
Malheureusement, très vite, il est atteint d'un mal implacable (leucémie myéloïde, semble-t-il, peut être due aux rayons X manipulés sans protection pendant la guerre), et meurt prématurément le 4 mars 1924 à l'âge de 46 ans, laissant inachevé son précis de diagnostic chirurgical. LERICHE lui succédera...
SENCERT était membre correspondant de la société de chirurgie et de l'Académie de Médecine, où il avait été élu au lendemain de la guerre (27 mai 1919).
L'OEUVRE SCIENTIFIQUE
Elle est, malgré la brièveté de sa vie, considérable. Trois cents publications, plusieurs rapports et monographies en témoignent.
Les publications peuvent être retrouvées dans les journaux locaux de Nancy et de Strasbourg ; le Journal d'Anatomie et de Physiologie, le Journal d'Anatomie et de Physiologie, le Lyon Chirurgical, la Revue de Chirurgie, le Journal de Chirurgie, La Presse Médicale, la Revue d'Obstétrique, de Gynécologie et de Pédiatrie, les Archives Générales de Chirurgie, les Archives Provinciales de Chirurgie, les Archives des Maladies de l'Appareil Digestif et de la Nutrition, etc. Trois axes de recherches menées souvent simultanément, jalonnent son œuvre scientifique : chirurgie œsophagienne, chirurgie vasculaire, greffes. Il a abordé bien d'autres domaines : traitement de l'arrêt per-opératoire, traitement des plaies du crâne, des traumatismes du rachis et de la moelle, etc.
Sa thèse avait été consacrée à l'abord de l'œsophage thoracique, et à la veille de la guerre, il rédige un traité complet des maladies de l'œsophage paru en 1913. Des publications concernent l'œsophagoscopie qu'il fut l'un des premiers à pratiquer, les corps étrangers œsophagiens, les diverticules de pulsion qu'il préconise d'opérer en un temps, les sténoses cicatricielles, les rétrécissements infranchissables, et surtout le cancer de l'œsophage thoracique qu'il préconise de réséquer et de suturer en intervenant par voie médiatisnale. Il étudie également la chirurgie de l'estomac et celle du cardia, les perforations d'ulcère en associant la gastro-entérostomie à la suture, le fonctionnement pylorique après résection de la petite courbure, etc.
Dans le domaine qui nous intéresse plus particulièrement de la chirurgie vasculaire, son œuvre est également très remarquable. Ses idées sont développées dans de nombreuses publications et synthétisées dans l'admirable petit livre de la collection bleu horizon, un rapport au congrès interallié de chirurgie, un autre au congrès international de chirurgie, une intervention percutante et très argumentée au congrès de l'Association française de Chirurgie en 1922. Enfin, les importants travaux réalisés en collabora tion avec NAGEOTTE sur les greffes de tissus morts, concernant les nerfs, les tendons, les os et les vaisseaux.
ANALYSE DES TRAVAUX DE SENCERT EN CHIRURGIE VASCULAIRE
L'essentiel est condensé dans son ouvrage sur les blessures des vaisseaux, paru en 1917. Les mêmes idées sont développées au congrès interallié de Chirurgie de guerre (1918), devant l'Association internationale de Chirurgie en 1920 (avec JACOB), et reprises avec force dans son intervention au congrès de Chirurgie deux ans avant sa mort, et qui prend, de ce fait, valeur de testament scientifique. Dans cette intervention, il évoque également les problèmes de l'embolectomie qu'il est le second après LABEY à réaliser avec succès en 1922, et dont il publie le résultat à la tribune de l'Académie de Médecine.
Certes, il n'est pas le seul à étudier la chirurgie vasculaire mais la lecture des rapports consacrés à ce sujet qu'il ne rédige pas lui-même, montre combien on le tient pour un des chirurgiens les plus compétents dans ce domaine (cf. en particulier les rapports de DEPAGE et surtout de JACOB en 1917, JACOB cite longuement l'expérience de SENCERT 70 ligatures pour plaies larges et sans hématome volumineux avec 2 gangrènes ischémiques seulement, 42 plaies avec hématome diffus avec 6 gangrènes) - MOURE et LERICHE, par contre omettent certaines statistiques de SENCERT (en particulier de 278 plaies bi-vasculaires fraîches) qui le leur rappellera fermement. Malgré tout, les rapporteurs citent SENCERT (à propos de 2 accidents des ligatures, des greffons vasculaires expérimentaux, d'une plaie latérale par éclat d'acier de la fémorale commune).
LES BLESSURES DES VAISSEAUX EN GENERAL
Particulièrement bien exposées dans l'ouvrage de 1917 faisant état d'une expérience personnelle de guerre, ces mêmes blessures font l'objet d'une grande partie de son intervention à propos du rapport de MOURE et de LERICHE en 1922. Ses idées ont alors encore évolué en faveur de la chirurgie réparatrice. Il déclare en effet « j'ai la conviction absolue qu'elles (les blessures des vaisseaux) sont dans l'immense majorité des cas justiciables d'une chirurgie réparatrice par la suture ou la greffe. Pour les plaies par instruments piquants ou tranchants, pour les piqûres, pour les sections transversales incomplètes ou complètes, il est superflu de vouloir le prouver. Pour les plaies par armes à feu, par balles de revolver, par balles de fusil ou par éclats de gros projectiles, la suture latérale ou circulaire, la greffe vasculaire même, sont quoi qu'on en ait dit, souvent indiquées. La ligature en tout cas, ne doit être acceptée que quand on a constaté l'impossibilité absolue de la réparation intégrale du vaisseau.»
II réfute alors l'argument souvent avancé de la rareté des cas justiciables de la réparation intégrale, et s'élève avec force contre l'objection de l'infection quasi constante de ces plaies. Il tire de ses expériences de guerre des conclusions différentes de celles de MOURE. Pour lui, très peu de chirurgiens étaient entraînés au début des hostilités, à ces opérations, et un plus petit nombre encore était outillé pour les entreprendre. Il estime également que l'on a trop souvent négligé un des principes fondamentaux de la chirurgie vasculaire, en allant droit au but et en ouvrant l'hématome, ce qui conduit à mettre un doigt dans la plaie et à placer des pinces puis des fils, sans avoir vu 9 fois sur 10, la plaie du vaisseau.
SENCERT souligne avec force ce qui est aujourd'hui parfaitement admis « le premier temps de toute opération sur les vaisseaux, c'est d'assurer l'hémostase préalable avant d'aborder la plaie artérielle ou d'ouvrir l'hématome, il faut découvrir le paquet vascu laire supposé atteint, au-dessus du foyer traumatique, et interrompre la circulation au moyen de fils suspenseurs ou de clamps appropriés. C'est seulement alors qu'on sera en droit d'ouvrir l'hématome, d'évacuer les caillots, de mettre à nu la plaie vasculaire qui désormais sèche, se présente avec netteté à l'observateur. Si l'hémostase n'en était pas parfaite, on ferait au-dessous de la plaie ce qu'on a fait au-dessus ; on isolerait l'artère et on y mettrait un clamp. La plaie artérielle découverte, on l'ébarbera, on la régularisera, on en repérera les bords à l'aide de fils, puis on lavera l'intérieur du segment artériel blessé avec une solution de citrate de soude, et c'est seulement alors qu'on pourra se faire une idée des possibilités opératoires ».
« J'ai pour ma part la conviction qu'on pourra faire une suture latérale, que dans bien des cas encore, on pourra faire une suture circulaire, et que dans quelques cas de résection artérielle indispensable, on pourra faire une greffe.
Pour SENCERT, « le traitement de choix des plaies des gros troncs artériels est la réparation intégrale de la plaie ». Il ne faut pas redouter la suture au fond d'une plaie bien préparée et bien traitée. Une « technique rigoureuse » , une « asepsie d'une rigueur extrême », doivent mettre à l'abri des infections ordinaires. SENCERT ne croit pas à l'infection partie des lignes de suture, « embolisant » vers la périphérie; ce n'est pas, dit-il, parce qu'il y a un risque théorique de thrombose qu'il faut a priori rejeter la suture et toute tentative de chirurgie réparatrice.
LES ANEVRYSMES VASCULAIRES
Dans son livre de 1917, SENCERT aborde la question de leur traitement. Il y revient dans les deux rapports de 1918 et de 1920, puis dans son intervention « testament de 1922. La chirurgie, dit-il ici encore, doit tendre à devenir de plus en plus conservatrice et réparatrice. La méthode idéale pour les deux types d'anévrysmes est « l'extirpation de l'anévrysme suivie de réparation par la suture circulaire, ou la greffe du ou des troncs intéressés ». Il sait bien que cette chirurgie réparatrice se heurte à des difficultés considérables et que la réparation peut être difficile, aléatoire voire impossible. C'est alors l'indication de l'excellente méthode de Matas, simple et en général facile d'exécution, mais trop peu employée en France, dit SENCERT. Ceci est pour lui l'occasion de défendre l'intervention primitive précoce dans les plaies bivasculaires (et de reprocher à MOURE de ne pas avoir utilisé sa statistique de 278 observations de plaies bivasculaires fraîches) et l'on souscrit bien volontiers aujourd'hui aux conclusions de SENCERT.
« Il est bien plus facile de traiter une plaie bivasculaire qu'un anévrysme artério-veineux. L'opération précoce est plus bénigne quand le diagnostic de plaie artérielle et veineuse est établi. Je ne vois pas ce qu'on peut gagner à attendre, et je vois surtout ce qu'on peut y perdre... ». Toujours le même et fondamental plaidoyer en faveur de la chirurgie vasculaire réparatrice précoce.
Le traitement des anévrysmes artériels est à l'époque un sujet brûlant. Les méthodes anciennes comme la compression et la ligature des vaisseaux afférents et efférents, appliquées au XIXème siècle, sont condamnées. MATAS en 1903, a décrit l'endo-anévrysmorraphie, et en France et en Europe, on pratique l'extirpation de la tumeur. Malheureusement, cette dernière méthode expose à un risque de gangrène évalué à 4 et 9%. Pour SENCERT, il faut s'efforcer de prévoir cette gangrène, et rétablir la perméabilité du vaisseau, si on le peut, par une suture ou une greffe. Il ne fait pas état de cas personnel, mais cite BONIN qui a réalisé une suture latérale et 10 sutures circulaires. Il situe la méthode de MATAS comme une technique intermédiaire qui laisse en place un sac inflammatoire.
Les anévrysmes artério-veineux ne justifient un traitement chirurgical que s'ils sont à l'origine de troubles hémodynamiques, en particulier cardiaques. SENCERT préconise l'opération idéale qui sépare l'artère de la veine, « à la portée de tout chirurgien familiarisé avec la chirurgie des vaisseaux ». Cette opération n'est pas toujours possible. Il faut alors recourir à la quadruple ligature qui peut être inefficace et dangereuse.
LES BLESSURES DES VAISSEAUX EN PARTICULIER
Après avoir étudié les blessures des gros vaisseaux en général, SENCERT passe rapidement en vue les blessures des troncs vasculaires en particulier. Qu'il s'agisse des vaisseaux du cou à leur partie haute ou basse, des lésions axillaires humérales pelviennes, chaque situation est analysée minutieusement sur le plan clinique et thérapeutique. Les voies d'abord sont soigneusement décrites, en particulier la voie d'abord des gros vaisseaux de la base du cou, peu connue en France alors, et qui permet par une section de la clavicule, d'exposer largement la carotide primitive, les trois segments de la sous-clavière et même le tronc brachio-céphalique. Si cette voie a perdu de son intérêt au profit de la sternotomie, les voies d'abord des vaisseaux aux membres sont restées les mêmes. Pour l'auteur, l'artère poplitée a déjà la mauvaise réputation qu'on lui connaît aujourd'hui. Pauvreté de la circulation collatérale, compression de l'hématome qui paralyse ces voies, lésions simultanées des voies nerveuses, sont les justifications qu'il donne pour expliquer la fréquence de la gangrène, regrettant que « l'intensité des désordres anatomiques ne fournissent pas les conditions d'une bonne suture primi tive ».
LES CONTUSIONS ARTERIELLES
Elles constituent un chapitre séparé de la mono graphie de chirurgie vasculaire dans lequel SENCERT reprend les expériences de l'école du Val-de-Grâce, et la classification anatomopathologique en trois groupes. Il insiste dans le groupe 1 et 2 sur la possibilité de micro-embols à distance, en particulier dans les vaisseaux cérébraux, le troisième degré étant la thrombose artérielle. « Je pense que l'opération idéale est l'artériotomie et l'extraction du thrombus, suivies de la double ligature artérielle ». Il reprend le sujet dans sa longue intervention au rapport de 1922. Il rappelle les 3 degrés contusion légère sans modifications apparentes de forme et de consistance, mais susceptible d'évoluer vers la thrombose pariétale et l'embolisation - contusion grave avec artère noirâtre, ecchymotique, immobile, distendue, formant un renflement fusiforme, rupture des tuniques interne et moyenne, thrombose intra-vasculaire totale - contusion très grave avec rupture totale des artères et conservation de l'adventice.
Dans les cas moyens, SENCERT recommande d'inciser le vaisseau découvert, isolé et soulevé, d'extraire le caillot, de soulever les lèvres de la lésion à l'aide d'un fil, d'explorer l'intérieur du vaisseau, de laver avec du citrate de soude, et selon l'importance des lésions, de terminer soit par une suture longitudinale, soit par une résection du segment contus, achevée soit par une suture circulaire, soit par une greffe veineuse. Relatant les quelques cas au demeurant malheureux de la littérature (LEJARS, 1902; STEWART, 1907; COIQUAUD, 1913), il reconnaît que si quelques chirurgiens se sont trouvés devant des contusions, aucun n'a pu réaliser ce programme. Mais il se dit convaincu que là réside la chirurgie de l'avenir.
LES EMBOLECTOMIES
Cette dernière analyse prédisposait SENCERT à réaliser l'extraction du thrombus après artériotomie. C'est en 1922 qu'il réalise à Strasbourg la 2` embolectomie française (après LABEY dont le cas avait été publié par les médecins MOSNY et DUMONT) ; il s'agissait d'un homme d'un certain âge, qui deux jours auparavant, avait brusquement ressenti une vive douleur dans l'épaule, à la suite de laquelle, le pouls radial et huméral avait été aboli. Le bras était pâle, refroidi, engourdi, l'ischémie certaine, la gangrène en principe inévitable. Sentant dans l'aisselle un fort battement artériel, SENCERT diagnostique une embolie de la partie inférieure de l'axillaire, opère, réalise une artériotomie, extrait un long caillot œdémateux, et guérit le malade. Ce beau succès fait l'objet d'une présentation devant l'Académie de Médecine (juillet 1922).
La question des embolies artérielles est exposée de façon très précise dans l'intervention de 1922 au congrès de chirurgie : origine des embolies parties surtout du cœur gauche, sièges électifs aux points de bifurcation des gros troncs ou aux points d'émergence des collatérales - persistance habituelle d'endartère lisse et saine après 24 ou 48 heures, possibilité d'une thrombose d'amont (et d'aval), irritation de l'endothélium. Il n'est pas question de spasme. Le diagnostic, dit-il, est aisé. Toute la symptomatologie est connue : douleur brusque, disparition du pouls, pâleur, refroidissement, engourdissement. Le diagnostic de localisation se fonde sur le siège de la douleur initiale et l'exploration soigneuse du pouls, absence puis apparition brusque. Il note avec raison que l'on a toujours tendance à la situer trop près de la périphérie. Il énonce la règle très précise : « Il suffit donc que le diagnostic d'embolie d'une grosse artère soit posé, et que le siège de l'embolie soit connu ou même présumé, pour que l'indication opératoire soit impérieuse ». L'opération est simple et facile découverte de l'artère, hémostase par traction de l'artère en amont, incision, extirpation du caillot, lavage.
Il connaît toutes les publications, surtout malheureuses de cette intervention pratiquée pour la première fois par SABANEJEFF en 1903, et rappelle les conclusions pessimistes de LEJARS en 1911 (à propos d'une obser vation de PROUST, et des 7 observations précédentes) estimant qu'il y a bien peu d'espoir de réaliser quelque jour la désobstruction utile et durable qui lèverait l'obstacle mécanique de l'embolie et ne serait pas suivie d'une thrombose nouvelle. SENCERT qui a une bonne connaissance de la littérature, non seulement française, mais internationale, étudie les 38 observations publiées depuis le rapport de LEJARS. Il dénombre 14 guérisons, 12 amputations et 10 morts. Estimant que l'embolectomie est une des belles conquêtes de la chirurgie vasculaire conservatrice et réparatrice, il en appelle de l'arrêt pessimiste de LEJARS.
THROMBOSES ARTERIELLES SPONTANEES
Elles sont dues à des lésions inflammatoires aiguës ou chroniques des artères. Dans ce domaine, SENCERT pense qu'on ne peut compter ni sur l'artériotomie, ni sur l'artériectomie. La thrombose est trop étendue, impossible à extirper en totalité, le geste chirurgical expose à la rethrombose immédiate. Il estime aussi qu'il n'est pas démontré qu'une anastomose artério-veineuse puisse empêcher la gangrène dans l'artérite oblitérante. Ainsi, avant les anti-coagulants et les progrès des pontages, il estimait que « la chirurgie conservatrice et réparatrice ne trouve guère, jusqu'à ce jour, d'indication dans la thrombose artérielle spontanée ».
GREFFES
L'avenir était aux greffes. Dans ce domaine égale ment, SENCERT se montre un précurseur et s'intéresse aux greffons de tissus morts. SENCERT devient le collaborateur de NAGEOTTE qui, ayant traité le tissu conjonctif par la chaleur, l'alcool ou les acides dilués, constate que le tissu reste apte à loger des cellules et qu'il peut donc être utilisé comme un matériel inerte, un substrat pour combler une perte de substance. SENCERT dispose alors d'une collection de tendons, de nerfs et d'artères de veau, conservés dans l'alcool. Il réalise chez l'homme les premières greffes de tendons et de nerfs, et est à même de restaurer un cholédoque avec une artère. Les résultats cliniques ne furent cependant pas à la mesure des succès expérimentaux, et des espoirs qui avaient pu faire naître cette méthode appelée à un brillant avenir comme on le sait (hétérogreffes, autogreffes ou homogreffes). Un seul cas de perméabilité maintenue du greffon artériel mort sans artérite ni péri-artérite, fut publié à la société de chirurgie en 1922.
JUGEMENT D'ENSEMBLE
Son premier maître, le Doyen G. GROSS, le juge chirurgien actif, opérateur habile. Son élégance de présentation, sa clarté d'exposition ont frappé tous ceux qui l'ont approché. La distinction naturelle de son esprit que l'on retrouve dans ses écrits, s'exprime aussi tant par son allure physique que sa présentation vestimentaire. Les rares photographies que l'on possède de lui pendant la guerre de 1914-1918, font penser à un officier d'active à l'uniforme seyant. René SIMON parle du maître arrivant à sa clinique strasbourgeoise « souriant, alerte, ganté de blanc, la canne à la main ». Bruts nous le décrit : « d'allure élégante, toujours ganté de blanc, rapide dans sa démarche et dans ses gestes, une figure très jeune et expressive sous ses cheveux blancs, le regard bleu et mobile, un masque énergique égayé par un rire d'enfant joyeux ». Il représentait bien le type « latin » qui sait allier dans une même personne l'élégance de la forme avec la solidité de la pensée.
SENCERT est un remarquable opérateur. Il est aussi un expérimentateur et un chercheur original et fécond. Lorsqu'il aborde le domaine de la chirurgie vasculaire, il sait tout ce qui a été publié, a une solide connaissance de l'anatomie topographique qui lui permet d'aborder tous les vaisseaux par les voies classiques ou modifiées par lui. Il connaît également très bien l'anatomie pathologique. Il adopte résolument les voies nouvelles de la chirurgie vasculaire conservatrice et réparatrice dans les différents domaines des plaies et des embolies artérielles.
Ses déductions et ses vues prospectives sont justes, s'opposant aux conclusions trop prudentes de MOURE qui préconisait la ligature et rejetait la suture. Il déclare « seuls continueront bientôt à vouloir prouver l'imperfectibilité de la chirurgie ancienne, ceux qui n'auront pas voulu se familiariser avec la nouvelle». Ses règles concernant le parage des plaies, les risques de gangrène en fonction du siège de la ligature, et aussi du retard de sa mise en œuvre, ses remarques concernant le sepsis, les risques de thrombose et d'hémorragie (plutôt que d'embolisation), attestent de la solidité de son sens clinique.
Mais il se montre surtout un précurseur de la chirurgie conservatrice et réparatrice, en affirmant puis en prouvant que la réparation n'est pas plus thrombogène que la ligature; qu'un traitement précoce d'une plaie mixte vaut mieux que la cure d'un anévrysme; enfin, que l'embolectomie est une remarquable intervention lorsque le diagnostic est exact, précis et récent. L'avenir devait lui donner raison sur tous ces points. Il mérite dans ce début du xxe siècle de figurer à côté des plus grands (CARREZ, MATAS, LEXER, LERICHE, HABERER, PRINGLE); contemporain de LERICHE qui devait lui succéder, il se montre plus anatomiste que lui. Il eût été intéressant de suivre l'évolution de leurs idées respectives si SENCERT n'était pas mort prématurément.
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La chirurgie de l'oesophage
Complément de A. LARCAN
Sencert étudie avec précision le médiastin postérieur (relations de l'œsophage avec les plèvres médiastines, le péricarde) et les voies d'accès de l'œsophage thoracique dans plusieurs publications (C.R. Société de Biologie 1903 - Revue Médicale de l'Est 1903) et s'attaque à la résection de l'œsophage thoracique, puis à la résection du cardia en présentant devant la Société de Médecine de Nancy des chiens opérés et guéris (1904). Sa thèse soutenue en 1904 reprend l'ensemble de la question de la chirurgie de l'œsophage thoracique et abdominal dans une étude anatomique, expérimentale et clinique. Il y précise la voie d'abord du médiastin postérieur approfondissant les recherches préalables de Quenu et Hartmann (1891), de Potarca (1898).
Il s'intéressa ensuite aux corps étrangers de l'œsophage et pratiqua couramment l'oesophagoscopie (1905). Il retire ainsi chez l'enfant des corps étrangers, en particulier une trompette (1906). Il s'intéressa aussi, à l'aide de la mêm e technique d'investigation, aux rétrécissements dits infranchissables de l'œsophage, aux rétrécissements cicatriciels et congénitaux, propose pour le traitement de certains d'entre eux une oesophagotomie interne oesophagoscopique. Le traitement d'ensemble des rétrécissements non cancéreux de l'œsophage fait l'objet d'un mémoire d'ensemble dans la Revue de Chirurgie de 1907. Il y reviendra en 1913 en étudiant le procédé de la dilatation sans fin dans le Journal de Chirurgie et encore en 1918 ainsi que dans le Bulletin de l'Académie de Médecine en 1918. Il étudie les dilatations de l'œsophage, les diverticules, les ulcères.
Il est considéré comme le spécialiste de cette pathologie en voie de découverte et d'individualisation et c'est lui qui va rédiger dans le volumineux traité médico-chirurgical des maladies de l'œsophage et de l'estomac l'essentiel en ce qui concerne justement l'œsophage.
La lecture du traité médico-chirurgical des maladies de l'estomac et de l'œsophage de A. Mathieu, L. Sencert, Th. Tuffier avec la collaboration de J.C. Roux, J.L. Roux- Barges, R Moutier paru en 1913 où L. Sencert rédige seul les 357 pages consacrées à l'œsophage, contribution essentielle, donne l'impression pour cette partie au moins d'un ouvrage d'esprit moderne, véritable "somme" sur la question et dont l'essentiel demeure.
L. Sencert traite de façon complète les chapitres que l'on retrouvera par la suite et auxquels chacun empruntera avec ou sans citation. Il apporte beaucoup de clarté dans la classification et la nosologie des maladies de l'œsophage : affections congénitales où il traite de l'absence, de la duplicité, de l'absence partielle avec un court chapitre embryologique. Les autres chapitres sont : les rétrécissements congénitaux, valvulaires, où il décrit l'aspect oesophagoscopique des valvules semi-lunaires formant diaphragme (sont-ce les anneaux de Schatski ?); les affections traumatiques, contusions et plaies où il exploite la thèse de Bergheimer (Strasbourg, 1903) et les cas publiés lors de la guerre de Sécession et celle de 1870; les ruptures traumatiques et spontanées; les corps étrangers, chapitre nourri d'une grande expérience personnelle en particulier les 88 cas publiés dans la thèse de Driout (Nancy 1907) avec 80 succès et 7 échecs (1 mort non imputable); les affections inflammatoires, oesophagites aiguës ou plegmoneuses, ulcère de l'œsophage nié par Zenker et Ziemner mais authentifié par Quincke (1879) et bien décrit par Debove et Renault (1892), oesophagites chroniques spécifiques ou non, tuberculose, syphilis et actinomycose de l'œsophage; les rétrécissements extrinsèques et intrinsèques, spasmodiques, inflammatoires, néoplasiques, cicatriciels ou congénitaux, la dilation de l'œsophage (c'est à dire le mégaoesophage), les affections névropathiques, diverticules et tumeurs.
Dans tous les chapitres, la documentation est complète et précise et fait référence à tous les travaux français, allemands, anglais, américains... Le plan est classique et bien structuré, la langue élégante et précise, l'iconographie riche et bien présentée.
Les techniques pratiquées par l'auteur qu'il s'agisse de diagnostic ou de traitement font l'objet de descriptions très précises.
Sencert connait tout et juge bien; sa contribution est essentielle, ce que reconnurent ses successeurs; dans l'édition des précis et dans le classique "9 agrégés" de chirurgie, la pathologie œsophagienne est directement inspirée de l'ouvrage de Sencert car il n'y a souvent pas une ligne à changer dans le texte de référence. Dans l'histoire des maladies de l'appareil digestif, B. Hillemand cite la contribution de Sencert au développement des techniques d'investigation et de traitement.
Sa contribution à l'étude de l'oesophagoscopie qui vit le jour avec le mémoire de Desormaux (1865) est essentielle. Il est l'introducteur en France de cette méthode d'investigation avec Moure et Guisez, avant R. Bensaude. Ses travaux succèdent ou sont contemporains de ceux de Von Hacker, Rosenhei, Leiter, Mickulicz, Kelling, Ebstein- Gottstein, Kolliker. Le premier, il exécuta une oesophagoscopie rétrograde après gastrostomie qui avait été proposée par Gluckman. Il sait aussi la difficulté de l'abord de l'oesophage surtout néoplasique, les particularités des tissus, la précarité des sutures, recommande l'invagination du moignon inférieur. Il pressent les tentatives de Torek qui datent de 1913 et préconise une intervention d'anastomose préthoracique.
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PS : Il est possible d' admirer le portrait de SENCERT dans la grande salle de la mairie de Viterne où il est né..