RICHON Jean

1909-1987

` sommaire

Autres photos : cliquez ici

ELOGE FUNEBRE

Pour la seconde fois en quelques mois, l'Ecole Obstétricale de Nancy perd un des Maîtres qui ont assuré son renom. Lors de notre précédente réunion, en janvier dernier, j'évoquais devant vous la mémoire de Jean HARTEMANN, décédé le 7 novembre 1986. Chargé, aujourd'hui, d'une mission douloureusement semblable, je vais rappeler la vie et l'oeuvre de son successeur dans la Chaire de Clinique Obstétricale, le Professeur Jean RICHON.

Il s'en est allé, sans bruit, le samedi 21 février 1987 ; ses obsèques, le mercredi suivant en l'Eglise Saint-Fiacre de Nancy, furent célébrées, selon le souhait qu'il avait exprimé, avec une simplicité et une discrétion qui furent le propre de toute sa vie. Ses collègues, ses élèves, ses amis étaient venus nombreux pour ce dernier adieu. Les soixante dix-huit années de son existence furent imprégnées d'une solide tradition familiale de travail et de sagesse. Il avait de qui tenir ; son père fut le Professeur Louis RICHON (1874-1958), né à Metz puis venu à Nancy pour fuir l'annexion, et qui occupa la Chaire de Clinique Médicale A de notre Faculté entre 1928 et 1941. Ayant été stagiaire dans son service, j'ai gardé le souvenir de sa conscience scrupuleuse et de la grande bonté qu'il témoignait aux malades.

Jean RICHON ressemblait à son père, physiquement et moralement. Pour brosser un tableau d'ensemble de l'honnête homme qu'il fut, je me permets d'évoquer Plutarque, ce moraliste platonicien grec qui vivait à Chéronée au seuil de notre ère. A côté de ses savantes biographies, Plutarque a écrit des oeuvres morales à l'usage des familles et des citoyens. Il est bon époux, bon père, à la recherche d'un bonheur tranquille ; dans le respect d'une tradition bourgeoise de vie studieuse et de sagesse. Son activité intellectuelle ne l'empêche pas de s'occuper de l'écoulement des eaux à Chéronée, estimant qu'un citoyen actif trouve toujours et partout à se rendre utile. Travailler perpétuellement au bien commun, s'associer à la pensée de ceux qui souffrent, ne blesser personne, savoir prodiguer de judicieux conseils, tels sont les préceptes laissés par ce philosophe ; telles sont, en parallèle, les qualités de coeur et d'esprit, mais aussi de simplicité, dont Jean RICHON n'a cessé de faire preuve.

Il était né à Nancy le 11 janvier 1909. Après des études secondaires classiques, il suit l'exemple paternel et s'inscrit à la Faculté de Médecine où il devait parcourir les principales étapes de sa carrière, jusqu'à son départ à la retraite, avec le titre de Professeur Honoraire, le 30 septembre 1979. Externe des Hôpitaux en 1929, il effectue son premier stage à la maternité, l'année même de l'ouverture de celle-ci. Ce choix fut le premier signe d'une prédestination à son orientation ultérieure vers la Gynécologie-Obstétrique. Nommé interne des Hôpitaux de Nancy au concours de 1932, Médaille d'Or de l'internat en 1935, il soutient, la même année, sa thèse de Doctorat en Médecine. Inspiré par son Maître FRUHINSHOLZ, ce travail inaugural étudiait : « les spasmes vasculaires dans le domaine obstétrical ». Regroupant 200 observations recueillies à la maternité, s'appuyant sur des recherches expérimentales effectuées au laboratoire de physiologie du Professeur SANTENOISE, cette thèse représentait un des tout premiers mémoires sur la question, et confirmait l'orientation de son auteur vers la pratique de l'Art des Accouchements. Chef de Clinique Obstétricale en 1936, il fut prolongé dans cette fonction jusqu'à fin 1942, la seconde guerre mondiale l'ayant écarté de la vie civile, entre la mobilisation d'août 1939 et sa libération des camps de prisonniers de guerre en novembre 1940.

Lauréat de la Faculté, prix de thèse, nommé Assistant des Hôpitaux en 1944, il fut chargé, durant plusieurs années, des consultations externes et, tâche beaucoup plus lourde, du secteur d'isolement des suites de couches pathologiques, au pavillon alors appelé « Semmelweis ». Les aînés d'entre nous ont pu garder le souvenir des premières antibiothérapies pratiquées, sous sa surveillance, dans ce pavillon où régnaient encore de graves infections post-abortives et puerpérales.

La carrière universitaire et hospitalière de Jean RICHON va désormais s'affirmer avec harmonie et régularité : il est nommé Agrégé d'Obstétrique au concours de 1949, Agrégé pérennisé en 1958, Professeur sans Chaire en 1962, enfin titularisé dans la Chaire de Clinique Obstétricale au 1er janvier 1969. Parallèlement, il devient Gynécologue-Accoucheur des Hôpitaux en 1950, Chef de Service, à temps partiel en 1957, puis à temps plein en 1965. Jusqu'à son transfert dans le service d'accouchements, au départ de Jean HARTEMANN, il développa les structures du service anténatal, tant au niveau des consultations externes d'Obstétrique, qu'à celui de l'hospitalisation des grossesses pathologiques âgées de moins de six mois.

Admis à l'honorariat le 30 septembre 1979, au moment même où fut commémoré le cinquantenaire de la Maternité Adolphe PINARD, le Professeur RICHON pouvait identifier le déroulement de sa carrière avec l'évolution de cette grande maison. Il a su poursuivre très efficacement les tâches de perfectionnement technique accomplies, depuis l'ouverture de la maternité en 1929, par ses prédécesseurs, les Professeurs FRUHINSHOLZ, VERMELIN, Jean HARTEMANN. Le nouveau pavillon, qui porte son nom, en est le témoignage. Ce pavillon moderne de 48 lits, centré sur un niveau technique bien élaboré, est étroitement soudé aux locaux préexistants remodelés pour la circonstance. Il avait bien compris l'urgente nécessité de cette construction, sentiment qu'il a fait partager par le Conseil d'Administration, au sein duquel il représentait la Commission Médicale Consultative dont il fut président pendant dix ans. Cette réalisation fut le couronnement des cinquante années de sa vie d'Accoucheur.

Il avait abandonné, depuis plusieurs années, sa très fidèle clientèle privée pour se consacrer exclusivement à ses obligations universitaires et hospitalières. Directeur de l'Ecole de Sages-Femmes, Président du Conseil Départemental de l'Ordre de cette profession médicale, il savait toute l'importance d'un enseignement de qualité permettant l'intégration efficace des sages-femmes dans les équipes obstétricales les plus qualifiées. Il estimait que la formation parallèle des étudiants, des futurs spécialistes, des sages-femmes, représentait un « tout » nécessitant des connaissances suffisantes de physiologie et de pathologie obstétricales. Pour atteindre cet objectif pédagogique, il publia, en 1968 et 1969, successivement les tomes I et II de l'ouvrage intitulé « Cliniques obstétricales ». Il explique, dans son introduction, qu'il ne s'agit pas d'un « traité », mais d'une succession de « questions » exposées avec clarté, concision, et illustrées de schémas indispensables à une bonne compréhension de l'Obstétrique. Les principales mises au point de pathologie ont été écrites en collaboration avec certains de ses élèves.

L'oeuvre scientifique de Jean RICHON comprend, outre la thèse déjà citée et l'ouvrage dont je viens d'évoquer l'intérêt pédagogique, plus de cent cinquante publications échelonnées sans interruption depuis son internat en 1932 jusqu'à son honorariat en 1979. Il convient d'y ajouter des conférences et mémoires divers, des participations à des congrès. Outre les communications dues au hasard de faits cliniques observés, certains états pathologiques retenaient particulièrement son attention : les toxémies gravidiques, la grossesse prolongée, les cardiopathies au cours de la gravido-puerpéralité, les infections postabortives et puerpérales dont il avait pu observer un assez grand nombre de cas gravissimes avant l'apparition des antibiotiques. Nombreuses furent les communications qu'il présenta à notre Société de Gynécologie et d'Obstétrique dont il fut élu président en novembre 1958. Plus récemment, d'autres communications furent présentées devant l'Association Obstétrico-Pédiatrique de Médecine Périnatale dont il fut un des membres co-fondateurs en 1970, à la maternité de Nancy.

Membre du Comité permanent de la Fédération des Sociétés de Gynécologie et d'Obstétrique de langue française, membre du Conseil d'Administration du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens français, il fut appelé à la co-présidence d'honneur du 30ème congrès de la Fédération Internationale des Gynécologues et Obstétriciens de langue française, tenu à Nancy en septembre 1984. L'activité scientifique de Jean RICHON, ses qualités de Professeur, sa patiente obstination en vue de doter la maternité des moyens les plus modernes de dépistage et de traitement des risques maternels et foetaux, lui ont fait attribuer deux distinctions honorifiques en récompense de ses mérites au titre de l'Education Nationale, la Cravate de Commandeur dans l'Ordre des Palmes Académiques, en 1980. Au titre de la Santé Publique, la Croix de Chevalier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur, en janvier 1982.

L'analyse d'une belle carrière ne peut laisser dans l'ombre les qualités humaines qui en furent l'ornement et, peut-être, l'explication. La personnalité du Professeur RICHON se cachait derrière un écran de discrétion et de modestie. Son accueil, aimable et bienveillant, laissait entrevoir sa bonté naturelle et la sérénité de son esprit. Je ne me souviens pas l'avoir vu en colère, même quand il nous est arrivé, à deux reprises, de poursuivre chacun le même objectif. Sa conscience scrupuleuse l'incitait à préférer le conseil d'Hippocrate : « quand il existe plusieurs procédés, il faut choisir celui qui fait le moins d'étalage ». Il avait le culte de la vie et, soutenu par ses collaborateurs, a toujours refusé fermement d'accepter l'idée immorale d'une orthogénie destructrice.

La retraite lui a permis de consacrer plus de temps aux joies familiales, auprès d'une épouse, son alliée fidèle depuis un demi-siècle, auprès de ses cinq enfants, de ses onze petits-enfants, de ses quatre arrière-petits-enfants. Mais ces occupations prioritaires ne nous privèrent pas de sa présence aussi longtemps que sa santé le lui a permis. Il venait régulièrement assister à nos réunions et partageait avec joie nos agapes confraternelles. Jean RICHON a toujours affiché la sérénité d'un bonheur tranquille et aimait "sa" maternité où il ne comptait que des amis. Sa disparition n'en est que plus douloureusement ressentie par tous. A Madame RICHON, à sa nombreuse famille, nous adressons nos condoléances attristées et les assurons que le souvenir du Professeur RICHON ne s'éteindra pas dans nos coeurs.

Professeur M. RIBON