1874-1958
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ELOGE FUNEBRE
Le Professeur Louis Richon est mort sans bruit et a gagné sa dernière demeure avec la simplicité et la discrétion qui furent le propre de toute sa vie. Peut-être l'idée même de cet hommage posthume est-il contraire à ce principe d'effacement qu'il pratiqua toujours, et surtout depuis sa mise à la retraite. Il importe cependant, pour les siens, pour tous ceux qui l'ont connu, vieux ou jeunes, amis de la première heure, collègues et élèves, de faire revivre en ces quelques lignes la belle figure de ce médecin, de ce professeur, qui personnifiait la droiture et la bonté.
Droit, il l'était au propre comme au figuré, et l'âge n'avait pas courbé sa haute silhouette; la maladie semblait ne pas avoir de prise sur cette robuste constitution de Lorrain; elle en a triomphé, néanmoins, à la suite d'une crise cardiaque imprévisible, survenue le 14 novembre 1957, signal d'une lente détérioration de cet organisme si bien équilibré, qui lutta obstinément contre la mort et finit par succomber le 26 janvier dernier.
Louis Richon naît à Metz le 6 janvier 1874. I1 commence ses études à Metz, puis les continue à Nancy, où ses parents viennent s'installer en 1886 pour fuir le joug allemand et assurer à leur fils la nationalité française. Nancéien d'adoption, il gardera toujours pour sa ville natale une place de choix dans son coeur et une nostalgie qu'adoucit le retour de l'Alsace-Lorraine à la France, mais que ravive la dernière guerre qui faillit nous la faire reperdre. De brillantes études au Collège St-Léopold, puis à l'Ecole Saint-Sigisbert l'amènent facilement au baccalauréat es lettres, puis au baccalauréat es sciences. Il hésite un instant sur l'orientation à donner à sa carrière, choisit la médecine à laquelle il va dès lors, s'adonner tout entier.
Le succès couronne ses efforts : externe des hôpitaux en 1894 aux services des Professeurs Gross et P. Spillmann, interne en 1896 aux services des Professeurs P. Spillmann et Haushalter, il est titulaire du prix Bénit en 1898, Chef de Clinique du Professeur Bernheim le 1er février 1899, Docteur en Médecine le 27 juillet 1899 et lauréat de la Faculté de Nancy pour sa thèse. Trois Maîtres exercent sur sa formation médicale une influence prépondérante, les Professeurs P. Spillmann, Haushalter et Bernheim. Aux côtés de ce dernier, chez qui il admira plus la virtuosité du clinicien que ses idées sur l'hypnotisme et la suggestion, il accomplit ses trois années de Clinicat.
Fin 1903, il se présente au Concours de l'Agrégation de Médecine, l'emporte de haute lutte, est institué agrégé le 8 mars 1904. Dès lors vont s'affirmer ses dons d'enseigneur déjà apprécié, de clinicien sagace et de chercheur. En ce qui concerne l'enseignement, il assure successivement des Conférences de diagnostic médical, puis le Cours complémentaire de propédeutique médicale et, en même temps, à l'Institut dentaire, un cours élémentaire de pathologie générale. Au terme de son temps réglementaire d'Agrégation, en 1913, il est - avec la charge de la Clinique des maladies des vieillards, à l'hôpital St-Julien qu'il va garder jusqu'en 1927 - maintenu en exercice pour une période de trois ans, reconduite jusqu'en 1920. Il continue son cours de Propédeutique Médicale, puis de Pathologie interne, doublé, pendant le semestre d'hiver 1919-1920, d’un cours de Thérapeutique. Il est alors proposé pour le titre de Professeur sans chaire, avec la même charge d'enseignement. En juin 1923, il est titularisé dans la chaire de Pathologie interne et de Clinique Propédeutique, et accède enfin à la Clinique Médicale le 1er novembre 1927 en remplacement du Professeur Simon.
A son arrivée à la Clinique Médicale A, M. Richon n'est pas dépaysé : c'est là qu'il a été chef de clinique vingt-six ans auparavant et que, jeune agrégé, il a assuré le service pendant les vacances scolaires ; les locaux n'ont pas été modifiés ; il reprend ses habitudes, malgré ces quinze années passées à l'Hôpital St-Julien. Il va, dès lors, y donner toute la mesure de sa maîtrise, et comme enseigneur et comme clinicien : clinicien au grand bon sens, ennemi des imaginations intuitives, s'appuyant, mais avec la sélection qui convient, sur le concours, alors en plein essor, du laboratoire. Il y reste pendant quatorze ans, formant ainsi plusieurs générations d'étudiants, jusqu'à son départ en retraite fin octobre 1941.
De 1938 à 1940, la confiance de ses Collègues l'avait élu membre du Conseil de l'Université. Tout en assurant avec ponctualité ses fonctions universitaires et hospitalières M. Richon s'était créé une clientèle privée, rapidement accrue. Médecin ordonné et méthodique, consciencieux jusqu'au scrupule, jamais il ne sacrifiait celles-là au profit de celle-ci. Bien que consultant réputé et recherché, il n'a pas hésité, voyant croître le nombre des hospitalisés et des étudiants, stagiaires de sa clinique, à renoncer à la clientèle privée pour se consacrer uniquement à son devoir d'état.
Malgré ces multiples activités, M. Richon ne néglige ni la recherche, ni les publications scientifiques. Ses travaux sont nombreux : dans sa thèse de 1899 sur la Paralysie diphtérique, il confronte les documents anatomo-cliniques de la littérature médicale avec les constatations faites au service du Professeur Haushalter ; il s'attache à dégager l'action du sérum antidiphtérique alors tout récemment découvert et met en évidence certaines lésions de la maladie, notamment des altérations de la moelle. De la même époque date une douzaine de publications faites avec M. Haushalter, portant sur divers cas de pédiatrie.
Au cours des années suivantes, avec la collaboration soit de M. Perrin, soit surtout, de M. Jeandelize, il communique à la Société de Biologie une série de recherches expérimentales concernant les glandes génitales et le corps thyroïde, les actions réciproques de l'extirpation de ces glandes, ainsi que le retentissement de cette extirpation sur la lactation, le développement des os, etc... Il met ces résultats en parallèle avec plusieurs cas cliniques de castrats, de nains, d'infantiles, et en tire des conclusions positives.
Chargé par le Comité Directeur de l'Association des Médecins de langue française d'un rapport au 18ème Congrès de Médecine sur l'angine de poitrine, M. Richon rapporte à ce Congrès, qui tient ses assises à Nancy en juillet 1925, une étude très remarquée sur la pathogénie de cette affection. Après un rappel des données anatomiques et physiologiques, il étudie successivement le mécanisme de la douleur angineuse, les multiples théories pathogéniques parmi lesquelles il met l'accent sur le rôle, dont la prépondérance s'affirmera plus tard, de la circulation coronarienne, puis le mécanisme de la mort dans l'angine de poitrine et les indications du traitement chirurgical. Il fait enfin la synthèse de cet important travail, marquée au coin d'un esprit critique pénétrant.
C'est ensuite la longue série des observations et mémoires communiqués pour la plupart à la Société de Médecine de Nancy concernant des cas cliniques, échelonnés sur une trentaine d'années. Les détailler ici est impossible, tant est grande leur variété. Ils intéressent toutes les branches de la médecine interne, parmi lesquelles je relève une prédominance de communications de neurologie, d'angio-cardiologie et de gastro-entérologie. Cette dernière spécialisation exerçait sur M. Richon un attrait particulier. Il a su inculquer cette prédilection à ses collaborateurs et successeurs de la Clinique Médicale A, où la gastro-entérologie conserve une place de choix.
Cette longue carrière professorale ne s'est trouvée interrompue que par la guerre de 1914-1918. Mobilisé le 2 août 1914 comme aide-major, M. Richon a été, pendant la première année de la campagne, médecin d'un régiment territorial, très près de la ligne de feu, sur le front de la Woëvre ; puis, nommé médecin major, il a été successivement Médecin-Chef de l'Hôpital Rebeval à Neufchâteau, du secteur de Neufchâteau et, enfin, de l'hôpital complémentaire de Martigny, où il est resté près d'un an jusqu'à sa démobilisation en janvier 1919. Ses services militaires lui ont valu la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur. Mais les mérites civils du Professeur Louis Richon, que seule a récompensés, dés avant 1923, la rosette d'Officier de l'Instruction Publique, eussent pu être mieux honorés. M. Richon était un modeste, ennemi farouche de l'intrigue, d'une dignité trop fière pour se prêter à une sollicitation quelconque faite pour lui, à plus forte raison par lui.
Poussant à l'extrême cette modestie, lors de son départ de la Clinique Médicale, il s'est dérobé à toute manifestation - si intime soit-elle - en son honneur. Ses collaborateurs, ses élèves, son successeur désiraient lui témoigner leur reconnaissance et leur attachement : il leur a opposé un refus catégorique, acceptant seulement que sa photographie prenne place dans la salle de Conférences de la Clinique, à côté de celles de ses prédécesseurs. C'est de cette même discrétion que procède l'isolement derrière lequel il s'est retranché après sa mise à la retraite.
La sollicitude, la délicatesse, la patience, toutes qualités qu'il avait tant de fois prodiguées à ses malades, convergeaient désormais sur ses proches et ses amis intimes. Son activité physique était pour une bonne part accaparée par son jardin, qu'il entretenait avec amour. Esprit cultivé, il avait le loisir d'étendre le champ de son activité intellectuelle, il lisait beaucoup. Cette vie retirée était - somme toute - empreinte de philosophie et de sagesse.
M. Richon n’a pas connu les affres de l'agonie ; il s'est éteint doucement, entouré de Mme Richon et de ses trois enfants. Avant de sombrer dans l'inconscience, il a envisagé la mort avec la sérénité d'un chrétien convaincu. Faisant un retour sur lui-même, il n'a pu voir dans son passé que limpidité sans nuage. Songeant aux siens, il a pu avoir la fierté de laisser une famille profondément unie, une lignée prospère, un fils qui porte haut le flambeau qu'il lui a transmis : le Professeur Louis Richon peut reposer en paix.
Professeur E. ABEL