Autres textes sur le sanatorium
Le sanatorium de Lay-Saint-Christophe
Extrait
de la thèse de médecine de Fabien Pageot
LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE
UN EXEMPLE D’INITIATIVE
PHILANTHROPIQUE EN LORRAINE
LE SANATORIUM DE LAY SAINT CHRISTOPHE A L’AUBE DU XXe SIECLE
Nancy – Novembre 2007
1871, la France sort exsangue de
la guerre. Le traité de Francfort, le 10 mai de la même année, enlève à la
France l’Alsace, la quasi-totalité de la Moselle, et le tiers de la Meurthe.
Nancy se retrouve ainsi à
vingt-cinq kilomètres de la nouvelle frontière. Et pour s’assurer du paiement
des indemnités de guerre, les troupes allemandes restent cantonnées quelque
temps à Nancy (de septembre 1871 au 1er août 1873). Ayant subi peu de dommages,
Nancy va alors connaître un développement intellectuel, économique, industriel
et artistique sans précédent.
De ville moyenne, elle deviendra
la « Capitale de la France de l'Est ». Et cela en partie grâce à l'afflux de
plusieurs dizaines de milliers d'émigrés Alsaciens et Lorrains annexés qui refusèrent
la nationalité allemande.
Groupe « le souvenir
» par Dubois représentation de l’Alsace et la Lorraine
envahies par la Prusse en 1870, se consolant mutuellement
La population de Nancy passe
ainsi de 50000 habitants à 120000 en trente ans, malgré une natalité relativement
faible. Nancy voit donc sa population augmenter rapidement, créant ainsi une
hausse des besoins et de la consommation. Les industriels
« immigrés » ne tardent pas à créer de nouvelles usines, profitant de
l’importante main-d'oeuvre disponible, donnant ainsi à la ville un dynamisme
économique exceptionnel.
Tout n'est cependant pas
idyllique au pays des Ducs de Lorraine. La pauvreté reste de mise pour une
grande partie de la population tout comme dans le reste du pays. Cette misère
touche notamment la classe ouvrière pour laquelle les conditions de travail
sont peu enviables. Pour peu qu'un hiver rigoureux s'annonce, et c'est la
misère qui revient. Ainsi, en 1891, la rigueur de l'hiver est telle que la
ville doit s'organiser pour trouver des refuges et des aliments pour les plus
misérables. On compte 12000 « assistés » à Nancy en 1892. C’est dans ce lit que
la tuberculose, peste blanche, put activement se
développer.
Paul Spillmann analyse bien cette situation qui le préoccupe :
« Le développement croissant
de l’industrie, les mauvaises conditions hygiéniques où vivent des milliers
d’ouvriers surmenés, mal nourris, débilités par l’alcoolisme, augmentent encore
les causes d’infection et favorisent la contagion »
Comme il le soutenait, la
contagion par tuberculose est beaucoup moins spectaculaire et visible que la
contagion diphtérique, variolique ou encore scarlatineuse puisque, dans ces maladies,
les symptômes cliniques suivent de très près la contamination. L’agent de contamination,
comme nous l’avons vu, est le bacille de Koch et celui-ci peut rester très longtemps
confiné dans l’organisme de façon circonscrite dans un ganglion, un viscère, un
os ou plus communément dans le poumon. À ce stade, il n’est pas dangereux pour
l’entourage du patient. Le Professeur Grancher lui donnait le nom de «
tuberculose fermée ». Cet enfermement n’est que temporaire et il finit par
se produire une ulcération, une abcèdation ou encore
une rupture de tubercule pulmonaire libérant ainsi le bacille. L’agent
infectieux émerge alors du pus ou des crachats à l’air libre, rendant ainsi le
patient contagieux et vecteur de la maladie. Son entourage est alors en danger,
qu’il soit familial, professionnel ou encore une simple rencontre dans les
transports publics ; tous sont susceptibles d’être la cible du bacille. «La
tuberculose ouverte, voilà l’ennemi qu’il faut combattre incessamment »
L’hospitalisation du tuberculeux
indigent devenait le seul remède préventif efficace pour lutter contre la
tuberculose qui sévissait au sein du monde ouvrier. Si l’institutionnalisation était
le seul moyen de contenir la contagion, elle était aussi la seule chance de
guérison qu’offrait la médecine de l’époque. Compte tenu des données de la
science, les hôpitaux généraux étaient insuffisants tant du point de vue de la
prophylaxie que pour le traitement de celle-ci.
L’hospitalisation des
tuberculeux faisait cependant courir un risque non négligeable aux autres
patients ainsi qu’au personnel soignant qu’ils exposaient au risque de
contagion. Le Professeur Haushalter avance un chiffre
de 36% du personnel infirmier qui fut victime du bacille de 1886 à 1895. À
l’instar du tuberculeux riche qui pouvait obtenir sa guérison moyennant une
somme non négligeable dans les sanatoriums luxueux ou dans les stations climatériques,
il devenait impératif que l’ouvrier puisse, en dépit de sa condition financière
peu enviable, avoir accès au traitement qui jusqu’à présent lui était interdit.
À cette vision humaniste s’ajoutait une mesure de santé publique indispensable.
Il ne faut donc pas voir dans le
sanatorium une léproserie où, pour se prémunir de la maladie, la société y
enferme ses tuberculeux, comme les pestiférés d’autrefois qui étaient repoussés
en dehors des villes. Le sanatorium populaire offrit aux patients nécessiteux
une possibilité de traitement. À côté de la classe ouvrière se positionnait une
classe moyenne qui, faute de moyens, ne pouvait prétendre aux sanatoriums
privés des stations balnéaires du sud de la France ou des sommets alpins. En
créant une offre de soins sur le sol lorrain pour ces classes moyennes, le
sanatorium populaire pouvait exister en proposant à des prix modestes aux phtisiques
un traitement sanatorial de qualité calqué sur le prise en charge germanique de
la tuberculose, mais aussi et surtout une prise en charge totalement gratuite
pour les classes laborieuses de Meurthe et Moselle.
La
tuberculose, maladie sociale
La notion de « tuberculose
maladie sociale » est apparue en 1899 au congrès de Berlin. A Nancy, Paul Spillmann et nombre de ses confrères avaient établi un lien
entre développement de la maladie et l’environnement socio-économique. Ainsi
l’insalubrité des logements, l’hygiène défectueuse des usines et ateliers, la
pénibilité du travail, l’insuffisance des salaires, l’alcoolisme devenaient
autant de facteurs faisant le lit de la tuberculose. Ces facteurs, pris individuellement,
semblaient si prépondérants dans la genèse de la maladie que certains ont voulu
faire de la tuberculose la maladie des logements insalubres alors que d’autres
y voyaient une conséquence de l’alcoolisme.
Il paraît évident aujourd’hui
que les conditions socio-économiques créaient autour de l’individu et de sa
famille un milieu phtisiogène. Ainsi les fondements
économiques de la société industrielle moderne devenaient la cause efficiente
de la maladie sociale qu’était la tuberculose.
Il est essentiel pour comprendre
la tuberculose à l’aube du XXe siècle de se remémorer
les modifications fondamentales engendrées par les Révolutions Industrielles
successives de la fin du XIXe siècle.
Progressivement, la machine s’est substituée au travail manuel. Le machinisme
poussé à son paroxysme aboutit à la centralisation et à la rationalisation des moyens
de production et d’échange. La main d’oeuvre employée dans les fabriques, manufactures
ou les mines, s’est amassée créant de véritables fourmilières autour de l’outil
de travail. Ce peuplement urbain s’est fait au détriment des campagnes
aboutissant à un véritable exode rural. Ne pouvant lutter contre un moyen de
production supérieur, les gens de la campagne n’ont eu d’autre choix que de
quitter une activité souvent ancestrale, familiale et à domicile pour aller «
gagner leur vie à la ville ». À la campagne, la tuberculose est au moins trois
ou quatre fois moins fréquente que dans les petites ou grandes agglomérations.
Autre fait crucial observé, les
femmes qui jusque-là étaient cantonnées à leur domicile ont fini par prendre le
chemin de l’usine tout comme leur mari. Ainsi, en 1896 les femmes représentent
plus d’un tiers de la population active. Conséquence sur la structure
familiale, les enfants sont laissés en nourrice ou à la crèche. À l’âge de
treize ans voire douze, ils prennent à leur tour le chemin de l’usine ou de la
fabrique et tout comme l’adulte, ils y travaillent dix heures par jour. Ainsi,
ils représentent avec les femmes la majorité de la main d’oeuvre dans l’industrie
du textile.
De toutes les catégories
socioprofessionnelles, ce sont certainement les ouvriers qui payaient le plus
lourd tribut à la tuberculose. Sans faire l’inventaire détaillé des différentes
conditions de travail dans l’industrie, celles-ci étaient très toxiques, que ce
soit avec l’utilisation du mercure, de l’arsenic et de ses composés; ou encore
dans les mines et les ateliers où l’ouvrier travaillait dans une atmosphère
confinée, souvent privé de lumière. Aucune norme pour la protection de la santé
du travailleur n’avait cours. La priorité était faite au rendement. À tous cela
s’ajoute la durée du travail : une journée de travail durait dix heures et les
congés payés n’existaient pas encore.
Par ailleurs, au début du siècle
dernier, de vieux adages sont très en vogue. Ils persistent d’ailleurs encore
de nos jours :
« Le vin n’est pas de
l’alcool »
ou encore :
« L’alcool fortifie,
réchauffe, stimule, rafraîchit et de ce fait,
il est indispensable au travailleur.»
Ces idées préconçues associées à
la pénibilité du travail et à la déstructuration des familles ont aussi
favorisé l’éthanolisation du monde ouvrier.
Le bacille
de Koch à Nancy au temps de Paul Spillmann
Comme nous l’avons vu, la
tuberculose enlevait annuellement au début du XXe
siècle environ 150 000 individus en France. Ce chiffre n’est qu’un reflet de la
réalité puisqu’à ce moment la déclaration obligatoire de la maladie n’avait pas
encore été votée.
Par ailleurs, il a pu exister
nombre d’erreurs de diagnostic par abus de langage. Le professeur Brouardel soutient qu’au moment où il a débuté ses études
aux Hôpitaux de Paris, le terme de bronchite chronique était celui consacré
pour la phtisie pulmonaire. Ainsi ce cadre nosologique inapproprié a pu
perdurer quelques années et ainsi être une source d’erreurs statistiques.
«Dans certaines localités
moins peuplées, on est frappé de ce fait que subitement les bronchites
chroniques, très fréquentes jusque-là, deviennent rares et que la tuberculose
subit un sort inverse. Souvent, consultant l’annuaire, j’ai constaté qu’au
moment où la statistique avait subi une secousse, un jeune médecin avait
succédé à un confrère décédé. Les faits étaient restés les mêmes, les
appellations seules avaient changé. »
De même, il est aussi arrivé que
les médecins de famille, par souci du discrédit qu’ils pouvaient engendrer sur
toute une famille, omettaient de mentionner le
diagnostic sur le bulletin de décès de leur patient. Ainsi, pour ces diverses
raisons, il peut exister une variabilité des chiffres selon les auteurs et les
études.
La mortalité par
tuberculose à Nancy
Chaque année, de 1877 à 1904
selon des chiffres avancés par le docteur Sognies, la
tuberculose tuait en moyenne 364 nancéiens par an. On observe aussi l’écrasante
prédominance de l’atteinte pulmonaire puisqu’elle représentait 79% des cas par
rapport aux autres localisations. La méningite tuberculeuse toucha au cours de
ces vingt-huit années 14% des cas recensés.
La mortalité moyenne pour ces
années par tuberculose toutes localisations confondues est de 4,1/1000 ha à
Nancy. A savoir que le taux moyen de mortalité à cette époque pour cette région
était de 27,8 décès/ 1000 ha. La tuberculose représentait donc en moyenne 20,4%
des décès dans le paysage médical du Nancy de la Belle Epoque.
L’opinion publique était très
peu sensibilisée aux risques encourus. La communauté scientifique avait
pourtant alerté les pouvoirs publics quant aux moyens de lutte contre la maladie,
mais ceux-ci restèrent longtemps sourds et ce fut à l’instar d’autres villes,
l’initiative privée qui initialisa le combat.
Durant cette période, on observe
une diminution de la mortalité par tuberculose à Nancy.
Influence du sexe
Le sexe ne semble avoir que peu
d’influence sur la maladie. Certes, on constate plus de décès chez les hommes
que chez les femmes, mais cela semble plus être le fait des conditions de travail
et d’environnement social qu’une cause intrinsèque.
Les données sont extraites d’une
étude réalisée par le docteur Sogniès. Elle porte sur
le recensement des cas de tuberculose des années 1877 à 1904
Décès par tuberculose en
fonction des âges à Nancy entre 1877 et 1904
De ce graphique, on tire les
conclusions suivantes :
• La mortalité est très
importante dans les cinq premières de la vie dans les deux sexes.
• Les hommes sont plus souvent
atteints que les femmes.
• La tranche d’âge la moins
souvent atteinte se situe entre 7 et 13 ans.
• La tuberculose frappe le plus
souvent dans la tranche d’âge 18-50 ans, avec un pic de fréquence maximale vers
21 ans, ce qui peut correspondre à l’entrée dans la vie active des hommes et au
service militaire. On retrouve deux autres acmés entre 34-36 ans puis entre
44-46 ans. Certains auteurs de l’époque ont attribué la seconde augmentation
aux conséquences de l’alcoolisme qui commence à produire ses effets délétères
sur l’organisme vers cet âge. Pour la dernière, aucune hypothèse précise ne fut
proposée.
• Chez la femme, la mortalité
monte rapidement de 14 à 22 ans. Durant la période d’activité sexuelle (14-30
ans), la mortalité est plus importante que chez l’homme puis elle redevient
inférieure.
Influence de l’habitat
Le logement contribue largement
à la progression de la tuberculose au sein de la société ouvrière et populaire.
Les logements des quartiers populaires étaient extrêmement insalubres.
Ils étaient bas de plafond : il
s’agissait d’une norme de l’époque afin de limiter les pertes en énergie de
chauffage. Par ailleurs, l’hygiène était quasi inexistante. Le logement était
lavé une fois par an et encore. Il disposait d’une d’isolation rudimentaire.
Une famille pouvait littéralement s’y entasser avec animaux de compagnie. Si
bien que la moyenne à Nancy est de trois habitants par chambre au début du XXe siècle.
Henry Sogniès,
médecin inspecteur du dispensaire de Nancy, a analysé la mortalité de la tuberculose
à Nancy en différents lieux dans la ville. Il a pu ainsi déterminer que la
mortalité la plus forte était en rapport avec la densité de population et sa
paupérisation.
Ainsi dans les rues les plus
riches, il observait une mortalité moins importante. En établissant sur un plan
de Nancy les décès par tuberculose, on observe que les quartiers les plus
touchés sont ceux du centre où vivent les ouvriers. Mais il fut observé qu’au
fur et à mesure de l’extension centrifuge de la ville, les ravages de la
tuberculose évoluaient de même.
Le coût de la tuberculose
De la même façon, il a été
observé par le professeur G.Etienne que dans le
service du professeur Paul Spillmann de 1890 à 1894,
il avait été hospitalisé en moyenne cent vingt-six patients tuberculeux par an.
Parmi ceux-ci, quarante-trois décédaient dans le service et quatre-vingt-trois
en ressortaient.82 Il n’est pas précisé l’état de santé au moment de la sortie
des 83 patients survivants. Ils revenaient cependant presque toujours après un
laps de temps plus ou moins important, leur fin étant inéluctable. Le
professeur Etienne s’est attaché à calculer la dépense annuelle
qu’occasionnaient ces hospitalisations au sein d’un service de médecine
finalement peu ou pas adapté à répondre efficacement à la problématique
qu’était la tuberculose. Il est arrivé à chiffrer une dépense annuelle de 8 014
francs pour le seul service de médecine du Professeur Spillmann.
Il est important de savoir que cette somme n’était dépensée que dans une
optique palliative et non curative. Par ailleurs, le patient tuberculeux, comme
l’avait démontré A.Villemin, était une source de
contamination pour les autres malades et le personnel soignant. Il devenait
donc crucial pour le traitement du patient phtisique et pour les autres malades
d’hospitaliser les bacillaires au sein de service spécialisé.
Au sanatorium de Bligny, la prise en charge du patient tuberculeux coûte 4
francs 14 centimes/patient : dans ce prix, 1 franc 76 centimes sont dévolus à
la nourriture. A titre d’exemple, dans les hôpitaux parisiens, un malade de
médecine coûte 3 francs 50 centimes, un malade de chirurgie ou une accouchée
coûte à peu près 5 francs.83
La tuberculose dans les
hôpitaux lorrains
Les différents auteurs nancéiens
sont unanimes. Les services de l’Hôpital Civil de Nancy étaient submergés par
les phtisiques, et toujours selon eux, il ne s’agissait que de la partie émergée
de l’iceberg. En effet, seul un nombre très restreint de patients tuberculeux
pouvait être hospitalisé. Il n’était pas rare de voir à la consultation médicale plusieurs fois le même patient se présenter en vue
d’être hospitalisé. Parfois, son admission était possible jusqu’au moment où
par faute de place, il devait céder son lit à plus malade que lui. Errant alors
de service en service, il déversait nombre de bacilles. Il finissait par
retourner à son domicile où il contaminait son entourage familial et amical. Et
puis, rapidement, l’Hôpital Civil de Nancy le voyait revenir moribond. Il
chassait alors un moins malade que lui d’un lit et le cercle infernal
recommençait!
Il en était de même dans les
hôpitaux publics parisiens. Le règlement avait même été publié de telle façon
que les phtisiques ne pouvaient être acceptés que « lorsqu’ils sont arrivés
au dernier degré de l’épuisement, lorsque sans asile convenable, sans
ressources régulières, ils viennent réclamer l’humble lit de repos et de
mort que l’humanité leur doit. Mais dans la pratique, en présence de ces
êtres qui se traînent aux consultations, anéantis, mourants… on reçoit
le malade. Le praticien le garde pour l’amour du bien, aggravant de propos
délibéré, mais dans un but absolument louable, l’encombrement de son
service. Le séjour en salles d’hôpital est aussi funeste aux
tuberculeux, aux phtisiques, que leur présence est préjudiciable à leurs
compagnons. »
L’hôpital général répondait de
façon très insuffisante à la prise en charge du patient tuberculeux tant sur le
point de la prévention que de la thérapeutique.
L’époque est à la cure
hygiéno-diététique et à la cure d’air. Or la structure de l’hôpital général ne
peut prétendre à ces principes de soins du fait de sa structure et de son mode
de fonctionnement. Le patient phtisique ne peut trouver le calme nécessaire à
son repos dans les salles de soins communes. Par sa toux, il empêche les autres
malades de dormir. La promiscuité fait qu’au lieu d’un
air pur, c’est un air vicié et maintes fois inhalé qu’il respire.
De même, les abords de l’hôpital
général sont inappropriés aux tuberculeux. Il n’y a pas suffisamment d’abris
contre le soleil ou le vent. Il n’y a pas non plus de chaise longue, outil indispensable
de la cure d’air et surtout la situation géographique au coeur de la cité rend difficile
cette quête d’air pur. Ainsi tout concourt à faire du patient tuberculeux, un
malade qui encombre les lits, coûtant à l’assistance publique et ce sans aucun
bénéfice thérapeutique pour lui.
Le Professeur Haushalter écrira que « A l’hôpital général, le
phtisique est un passager qui, moribond, vient terminer ses jours aux
frais de l’assistance, et qui, au début de sa maladie bénéficie
imparfaitement et pour un temps forcément limité de l’asile et des soins généraux.
Dans l’hôpital spécial aménagé pour les tuberculeux, tout concourt à l’amélioration
et à la guérison des malades et à la prophylaxie de la maladie. »
Par ailleurs, le nombre de
places disponibles compte tenu du nombre de patients tuberculeux traduisait une
inadéquation entre l’offre de soin et la demande.
Genèse d’un
sanatorium populaire lorrain
C’est en 1899, à la suite d’un
voyage en Allemagne, que les professeurs Paul Spillmann
et Paul Haushalter ont décidé de doter la région
nancéienne d’une institution médicale spécifique pour accueillir et soigner les
patients victimes de la tuberculose.
Ce voyage n’était pas un voyage
d’agrément. Paul Spillmann et Paul Haushalter allaient assister au premier Congrès
International contre la tuberculose à Berlin qui s’est tenu du 24 au 27 mai
1899, sous le protectorat de l’Impératrice. Les thèmes à l’étude furent la
prophylaxie de la tuberculose mais aussi et surtout le traitement de la
tuberculose au sein de la population ouvrière.
Les deux amis mirent à profit
leur séjour germanique pour visiter plusieurs sanatoriums populaires afin de
parfaire leur connaissance du sujet et rapporter matière suffisante pour réaliser
un sanatorium de conception allemande en Lorraine. Après avoir visité nombre d’hôpitaux
pour tuberculeux, ils avaient fait le constat qu’il s’agissait là d’une
entreprise coûteuse que de construire en différents points de notre pays des
établissements de ce type, d’autant plus que la France ne possédait pas le
système d’assurance sociale allemand qui avait largement contribué à édifier
l’ossature sanatoriale germanique. Spillmann et Haushalter pensent cependant qu’il faut parvenir à
surmonter ce handicap. Des initiatives isolées peuvent conduire à une prise de
conscience de la population. Dans l’attente de ce déclic, l’initiative privée
et philanthropique doit précéder celle des pouvoirs publics.
Le sanatorium qu’ils
souhaitaient serait destiné en premier lieu à recevoir les patients tuberculeux
originaires du bassin nancéien et dans l’incapacité financière de se soigner.
Leur démarche s’inscrivait dans un cadre social et humanitaire. Ils avaient
compris très tôt que pour vaincre la tuberculose, la lutte s’inscrivait dans
deux dimensions. On ne trouverait de solution à la maladie que dans une prise
en charge globale, à savoir une solution médicale et sociale. L’établissement
devrait recevoir ces patients à titre gratuit ou moyennant une rétribution de
la part des institutions caritatives. D’autres patients bien sûr pourraient y
être admis mais sans se soustraire au règlement des frais de séjour. Ces frais
seraient réglés soit par le patient ou par le biais des entreprises privées ou
publiques, employeurs de ces patients.
Un sanatorium populaire en
Lorraine
Leur idée était donc de créer un
sanatorium populaire en Lorraine. Le sanatorium n’était qu’un moyen d’offrir
aux tuberculeux curables ou améliorables les meilleures conditions de réaliser
la cure d’air, de repos et d’alimentation reconnue comme seul traitement
efficace selon les données de la science de l’époque. Pour guérir la
tuberculose, il fallait la dépister à son extrême début et soumettre
immédiatement le malade aux actions curatrices de la cure sanatoriale.
Le traitement hygiénique devait
être poursuivi longtemps et avec méthode. Donc outre la volonté du corps
médical, il fallait avant tout l’acceptation du patient aux règles de vie salvatrices
pendant des semaines voire des mois s’il voulait voir venir le jour de sa
guérison.
Pour les tuberculeux riches,
l’intérêt du sanatorium était très peu discuté. Le problème était tout autre
pour les classes laborieuses. Comment pouvait-on faire accepter à un ouvrier
qu’il était malade alors qu’il ne ressentait aucun symptôme. Et que pour guérir
de maux imperceptibles, il devait suspendre tout travail, se reposer et laisser
sa famille sans ressources le temps du traitement. C’est donc à ces derniers
que le sanatorium populaire était destiné.
La société anonyme de
l’oeuvre lorraine des tuberculeux
Afin de pouvoir mettre en oeuvre
son projet, il fut fondé une Société Anonyme au début de l’année 1900.
Elle serait la personne civile et morale qui permettrait de posséder,
d’acquérir et de construire sur le territoire de Lay Saint Christophe un
établissement destiné au traitement de la tuberculose pulmonaire. Cette
institution aurait pour mission d’accueillir les tuberculeux des deux sexes,
donnant la préférence à ceux de Meurthe et Moselle.
Cette Société Anonyme prit
le nom de Sanatorium de Lay Saint Christophe. Son existence fut fixée à
cinquante ans lors de sa création. Son capital social était fixé à 200000 F
divisé en 400 actions de 500 F. Ce capital social pourrait être revu à
l’augmentation ou à la baisse. Les actionnaires n’étaient engagés que jusqu’à
concurrence du capital qu’ils avaient bien voulu concéder à l’Oeuvre. Cette
société anonyme prévoyait dans ses statuts qu’elle n’aurait d’existence légale
que le jour où l’ensemble des actions serait souscrit.
La Société est administrée par
un Conseil d’Administration qui se composait initialement de :
• Nicolas Guntz,
professeur de la faculté des Sciences ;
• Paul Haushalter,
professeur agrégé à la faculté de Médecine ;
• Pierre Francisque Marie Comte
de Landrian, ancien receveur particulier ;
• Henri Michaut,
ingénieur des Ponts et Chaussées, conseiller général ;
• Paul Spillmann,
professeur à la Faculté de Médecine ;
• Louis Vilgrain,
industriel.
Pour mener à bien cette
entreprise, il fallait des fonds. Le 16 mars 1900 le professeur Brouardel, hygiéniste de renom, vint prêter main-forte à
son confrère et ami le professeur Spillmann dans une
conférence à la salle Poirel afin de mobiliser les
capitaux privés des notables nancéiens. A cette date, un tiers des actions
avaient reçu acquéreur. Cette conférence fut suivie de bien d’autres actions et
c’est le 6 juillet 1900 que la Société fut légalement constituée avec un
capital social initial de 230000 F. En 1902, le capital social sera porté à 240000
F. Tout naturellement, Paul Spillmann est nommé
Président du Conseil d’Administration.
Sa première mission fut de créer
les conditions permettant la construction de ce nouveau sanatorium. Seulement
aucune étude n’avait été entreprise afin de chiffrer le coût global du projet.
Très vite, devant l’importance de la réalisation, le capital initial apparut
comme très insuffisant. Le compte-rendu de l’Assemblée Générale du 30 avril
1903 fait déjà état de ces préoccupations financières.
Lors de l’Assemblée Générale du
12 avril 1905, les comptes sont définitivement arrêtés et confirment ce qui
avait été pressenti. Les dépenses pour l’installation la plus réduite révèlent une
insuffisance supérieure à 45000 francs, soit un coût global de 285578 francs.
Les postes de dépenses étaient repartis de cette façon : achats des terrains :
34879 F, travaux : 226366 F, mobilier : 24333 F.
De plus, la prise en charge des
tuberculeux s’avérait plus onéreuse que prévue. Les recettes d’exploitation
perçues grâce aux malades payants ne pouvaient aucunement équilibrer les charges
d’exploitation de l’institution (amortissement de la dette, coût de
fonctionnement).
Pour couvrir ce déficit initial,
la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe avait deux possibilités
:
• Ouvrir le sanatorium
exclusivement à des patients aisés, mais cela signifiait l’échec du projet
premier puisqu’il ne s’agissait plus d’un sanatorium populaire tel que
l’entendaient ses initiateurs,
• Solliciter des subventions et
des autres modes de rémunérations mais, dans cette solution, la société fondée
ne pouvait subvenir au bon fonctionnement du sanatorium.
C’est la deuxième solution qui a
été retenue. De par ses statuts, la Société du Sanatorium de Lay Saint
Christophe ne pouvant recevoir à titre gratuit des aumônes, legs ou
cotisations puisqu’en apparence tout ce qu’elle reçoit profite
directement à ses actionnaires. Le choix fut fait de créer une autre
structure en parallèle avec une vocation charitable : l’Oeuvre Lorraine des
Tuberculeux.
Malgré tous les efforts
entrepris, les bilans annuels soulignaient une perte supérieure aux trois
quarts du capital initial. Maintes fois la dissolution a été repoussée mais Spillmann et le Conseil d’Administration durent s’y
résoudre le 30 avril 1910. Au moment de la dissolution de la Société, la somme
à repartir aux actionnaires était de 50880 F soit un montant de 106 F par
action.
Il est difficile de parler de
réussite à la vue de ce bilan financier, mais le but de Spillmann
n’était pas de faire fructifier des bénéfices, ou encore d’engranger des
dividendes mais bel et bien de permettre à toute une frange de la population
d’accéder aux soins. Ces classes laborieuses sur lesquelles l’économie du pays
reposait, cette main d’œuvre usable et consommable, le professeur Spillmann a tenté de lui rendre sa dignité humaine, en lui
offrant un avenir meilleur. La tuberculose n’était plus une fatalité, un mal
contre lequel on ne pouvait rien. Désormais, la Lorraine pouvait lutter avec
des armes efficaces contre cet ennemi redoutable qui fauchait la population
dans la fleur de l’âge.
Malgré tout, le sanatorium
existait et fonctionnait grâce à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux.
Et surtout, il participait
activement à améliorer et prolonger la vie des phtisiques et c’était bien cela
l’important.
L’Oeuvre
Lorraine des Tuberculeux
On a vu que la Société du
Sanatorium de Lay Saint Christophe ne pouvait assurer la gestion et le
fonctionnement du sanatorium. C’est donc l’Oeuvre Lorraine des
Tuberculeux qui prend le relais. Il s’agit d’une société de charité, régie
par la loi de 1901. Elle voit le jour le 17 mai 1902, par arrêté préfectoral et
est reconnue d’utilité publique le 5 janvier 1903.
Cette association s’est donné deux missions :
• « vulgariser
les notions scientifiques afin de les rendre compréhensibles auprès d’un plus
large public afin d’endiguer la progression de la maladie dans la population
lorraine,
• fournir au tuberculeux des
deux sexes des soins appropriés selon les données scientifiques de l’époque. »
L’association n’a pas de capital
initial. Mais en plus des revenus d’exploitation, elle pourra recevoir des
financements d’autres natures comme: les cotisations et les souscriptions des membres,
des subventions des pouvoirs publics ou privés, des produits de vente, des legs
privés, des produits de loteries et de tombolas. Ces derniers lui permettaient
de concéder un prix de séjour inférieur au prix réel de revient. Ainsi, toute
une catégorie de la population laborieuse pourrait prétendre aux soins
spécifiques. Le département et la ville de Nancy ont aussi participé à cet élan
philanthropique en finançant des bourses pour les « travailleurs pauvres ».
L’association se compose de
trois types de membres :
• le
membre titulaire payant une cotisation annuelle de dix francs minimum,
• le
membre donateur aura cumulé un capital d’au moins mille francs au profit de
l’oeuvre,
• le
membre fondateur qui, par ses donations, aura contribué à l’ouverture d’un lit.
Il sera proposé à l’Oeuvre
Lorraine des Tuberculeux en avril 1903, soit moins de cinq mois après
l’ouverture de l’Institution, la location et la gestion du sanatorium de Lay
Saint Christophe pour une durée de 30 ans. Les termes du bail lui ouvraient les
droits d’acquisition dès qu’elle le pourrait.
L’Oeuvre
Lorraine des Tuberculeux s’était engagée à
rembourser toutes les dépenses engagées par la Société du Sanatorium de Lay
Saint Christophe qui se répartissaient sur deux postes :
• Le capital social de 240000 F
qui serait remboursé sans intérêt par annuités calculées sur la base de 60
centimes par journée de malade,
• L’insuffisance de moyens de
45578 F qui serait amortie par l’emploi des dons, subvention, legs…
L’Oeuvre
Lorraine des Tuberculeux devait aussi
s’acquitter de toutes les dépenses inhérentes au fonctionnement et à
l’entretien de l’établissement.
En 1907, elle deviendra
propriétaire du sanatorium de Lay Saint Christophe. Afin de faciliter cette
acquisition, le Ministère de l’Agriculture avait concédé une subvention de
20000 F sur les fonds du Pari Mutuel.
Lors de cette vente, nombre des
actionnaires cédèrent à titre gratuit leurs actions de la Société du
Sanatorium de Lay Saint Christophe à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux. En
mars 1909, 321 actions avaient été transférées à l’Oeuvre Lorraine
des Tuberculeux. En avril 1910, elle détient 352 actions mais
potentiellement beaucoup plus puisque les membres du Conseil d’Administration
de la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe étaient encore détenteurs
de leurs titres et qu’ils les cèderaient au moment de la dissolution de la
société anonyme.
Après la disparition de la Société
du Sanatorium de Lay Saint Christophe, l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux
poursuivra l’administration de l’établissement de soins jusqu’en 1919, date
à laquelle, faute de moyens, elle n’eut d’autre choix, pour poursuivre
l’action de Paul Spillmann, que de passer le
flambeau aux Hospices Civils de Nancy.
Les
architectes du projet
Ferdinand Genay, le maître d’oeuvre
Ferdinand Genay
sera l’architecte du premier sanatorium en Lorraine. Il est né à Nancy,
le 13 novembre 1846 d’un père architecte. En 1867, il part à Paris pour étudier
l’architecture auprès de Salleron et Devrez. En 1868,
il entre dans l'atelier de Laisné à l'école des
Beaux-Arts. Il est nommé architecte des Hospices et Hôpitaux civils de Nancy en
1874. 1887 le voit devenir inspecteur des travaux de restauration de
Saint-Nicolas-de-Port et de Blénod-lès-Toul. La même
année, il entre à la société centrale des architectes. Il sera le président
fondateur de la société amicale lorraine des anciens élèves de l'école des
Beaux- Arts, ainsi que le premier président de la Société des architectes de
l'Est de la France, fondée en 1888 à Nancy. Il est nommé le 2 avril 1873,
inspecteur des édifices diocésains de Nancy. Il occupera ce poste jusqu’à sa
mort en mars 1909.
Lucien Weissenburger
Comme nous le verrons plus loin,
en 1910, le sanatorium sera agrandi. La conduite des travaux sera confiée à
Lucien Weissenburger. Ainsi, il mettra en oeuvre une
nouvelle aile destinée aux femmes appelé Pavillon
Finance.
Il est né à Nancy en 1860, fils
d’un « manufacturier » fabricant de matériaux pour les entrepreneurs. Il est
formé dans l’agence de Charles André avant d’intégrer l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris. Il étudiera dans les ateliers
parisiens de Jules André et de Victor Laloux
(architecte de la gare d’Orsay). Il est le premier architecte nancéien diplômé
par le Gouvernement. Il revient à Nancy en 1888 et devient l'architecte
municipal de Lunéville dont il réalise le théâtre, mais c’est à Nancy qu’il
consacre l’essentiel de ses activités. Il collabore dès 1900 avec Henri Sauvage
à la construction de la villa de Louis Majorelle, dont il contrôle l'exécution.
Lucien Weissenburger adopte avec prudence la nouvelle
mouvance qu’est l’Art Nouveau mais il en deviendra vite un des principaux
diffuseurs. En 1903 il construit sa propre demeure à Nancy, il est alors au
faîte de sa notoriété et c’est à la même date qu’Albert Bergeret lui passe
commande de sa villa. Son activité fait preuve d'un grand éclectisme par ses
inspirations variées (Art Nouveau, régionalisme, références historiques) et
dans la nature de ses commandes (usines, hôtels particuliers, grands magasins,
les premiers HLM de Nancy). Il est membre du Comité directeur de l'Ecole de
Nancy dès sa création en 1901. Il décède en 1929 à Nancy.
Les grandes
étapes du sanatorium
Situation topographique et
climatérique du sanatorium
Le choix de Paul Spillmann s’est porté sur la commune de Lay Saint
Christophe située sur l’axe ferroviaire Nancy-Château-Salins,
qui parcourt à ce niveau la vallée de l’Amezule, au pied
d’un relief où l’air y est pur.
Il sera implanté à flanc de
colline plein sud, protégé des vents frais du nord et de l’est à une altitude
de 270 mètres. Le sanatorium sera installé à distance des centres d’habitation,
au milieu d’une propriété de 10 hectares en grande partie boisée. La vue du
sanatorium s’ouvrira sur un panorama s’ouvrant sur la vallée de la Meurthe, le
plateau de Malzéville et les hauteurs de Maxéville. Le vaste parc permettra aux
patients l’exercice physique qui leur est salutaire.
Aucune industrie ne se trouve à
proximité de la propriété sanatoriale. L’industrie la plus proche est constituée
par « les Grandes Brasseries » de Champigneulles.
Le Choix architectural : un
projet ambitieux
L’édifice imaginé par Spillmann était grandiose et largement inspiré des
conceptions germaniques. Ferdinand Genay avait tout
d’abord privilégié un tracé curviligne pour l’édifice, ce qui devait permettre
une meilleure protection de la cure d’air contre les vents. Cette disposition a
été abandonnée compte tenu de l’emplacement du sanatorium. En effet, le bâtiment
étant implanté dans une sorte de cirque, la conception architecturale devenait
inutile puisque la topographie du terrain offrait un rempart naturel contre les
vents. Ainsi le coût du bâtiment s’est trouvé allégé de manière considérable.
Sanatorium de Lay
Saint Christophe tel qu’il fut pensé par Paul Spillmann
façade sud. Genay, arch., 1901.
Différentes combinaisons de
pavillons ont été étudiées pour établir les plans et c’est une conception dotée
de trois pavillons qui fut retenue. Le corps principal et central devait être
le pavillon des services sur lequel de part et d’autre se grefferaient
les ailes destinées à recevoir les malades. Dans le projet initial, les malades
indigents étaient séparés des malades qui réglaient leur séjour, le principe
étant que les malades payants assuraient le fonctionnement pour les indigents.
Principe d’autant plus généreux qu’il convient de rappeler qu’en octobre 1900,
la sécurité Sociale n’existait pas encore en France.
La façade principale du bâtiment
serait orientée au sud-ouest et profiterait à toute heure de chaque rayon du
soleil. La galerie de cure devait courir le long de tout l’édifice. Elle serait
divisée en trois quartiers. Elle devait être suffisamment élevée du sol pour
que l’on puisse circuler en dessous et que l’éclairage naturel du sous-sol soit
suffisant. Une vue panoramique sur la vallée de la Meurthe s’ouvrait de la
galerie de cure.
Voici de façon plus détaillée,
le descriptif du bâtiment établi par Genay sur les
conseils et recommandations de Spillmann :
Le sous-sol du bâtiment
Il est élevé de trois mètres et
tout comme le bâtiment, il est divisé en trois parties distinctes :
• A gauche (partie des non
payants), on retrouve la buanderie, la désinfection, la salle de bains et
d’hydrothérapie pour les hommes et les femmes, WC et lavabos. Un escalier court
du sous-sol aux combles.
• La partie centrale est dédiée
aux générateurs de chauffe et au stockage du combustible.
• La partie droite est réservée
à l’intendance du sanatorium, elle reçoit les caves à provision, à vin, la
fruiterie, la laiterie.
Le rez-de-chaussée
Le rez-de-chaussée est de plain
pied. C’est à son niveau que court la galerie de cure d’air munie de plusieurs
accès aux terrasses extérieures.
Le pavillon de gauche contient
une salle de réunion, les ateliers d’agrément, un cabinet de lecture, deux
autres salles de réunion où la mixité n’est pas de mise et le réfectoire pour
les hommes.
La partie centrale regroupe le
réfectoire des femmes, une grande salle à manger pour les pensionnaires et une
galerie de passage.
Le pavillon de droite retient le
service médical, un salon, une salle de billard, une salle à manger réservée et
un magasin.
Le premier étage
À gauche, cet étage est réservé
aux hommes avec trois chambres de quatre lits et trois chambres à trois lits.
La partie centrale contient neuf
chambres individuelles payantes. Sur l’arrière du bâtiment, on retrouve un
escalier réservé au personnel et un ascenseur, le cabinet du médecin, la pharmacie,
le bureau de la Mère supérieure, un parloir, une salle pour la communauté, le réfectoire
des soeurs et une petite cuisine.
Le pavillon de droite contient
six chambres individuelles et six chambres à deux lits.
Le deuxième étage
Il offre la même disposition
pour les ailes que le premier étage et toujours neuf chambres dans sa partie
centrale.
En arrière de la partie centrale
avec les mêmes passages de service, on retrouve la lingerie générale, le
dortoir des soeurs, la chapelle et la sacristie.
Les combles
A gauche, ils accueilleront des
chambres de pensionnaires non payants et à droite quelques chambres de
pensionnaires et celles des domestiques. L’architecte Genay
avait estimé que l’on pourrait installer 12 indigents et 7 malades payants dans
les combles.
Sur la terrasse de la partie
centrale, on pourra établir la chapelle et aménager quatre chambres d’isolement
réservées aux soeurs en traitement.
C’est donc au total 115 lits
réservés aux tuberculeux lorrains qu’offre le futur sanatorium de Lay Saint
Christophe répartis de la façon suivante :
• 54 lits pour les patients
indigents ;
• 61 lits pour les patients
réglant leur séjour ;
• 4 lits pour les soeurs de la
congrégation de Saint-Charles.
La hauteur des plafonds du
rez-de-chaussée sera de 4 mètres et portée à 3,5 mètres pour les étages, cela
étant calculé pour obtenir un cubage d’air suffisant aux patients.
Un bâtiment sera construit à
proximité du chemin principal d’accès pour y loger le jardinier concierge.
Cette bâtisse comprend le logement du jardinier, une petite étable et une
laiterie.
L’épuration des eaux usées se
fait par l’intermédiaire d’une fosse Mourras couverte, où les matières
putrescibles sont transformées puis épandues sur le domaine sans aucune
émanation de mauvaises odeurs.
Un rêve au grand jour, une
réalisation limitée
On a vu plus haut que les coûts
de la construction et de celui du fonctionnement n’avaient absolument pas été
exactement évalués. C’est donc dans un premier temps une réalisation plus
modeste qui fut réalisée. De toute façon, ce qui était important pour Paul Spillmann à l’époque, c’était de concrétiser le projet.
Les travaux ont commencé en
octobre 1900 pour s’achever en juillet 1902. La société anonyme comptait alors
un capital de 240000 F pour 170 actionnaires ayant souscrit 480 actions de 500 F.
Dans un premier temps, le
sanatorium ne voyait donc surgir que l’aile droite du bâtiment initialement
pensé. Son extension serait prévue dans les années à venir selon les moyens
financiers dont disposerait l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux.
C’est donc un bâtiment pouvant
accueillir 38 patients tuberculeux sous la direction du docteur L. Nilus, qui ouvrait ses portes le 8 décembre 1902. Il
comprenait 18 chambres individuelles et 10 chambres doubles. Le coût d’un lit
revenait à 7500 F. Il s’agissait d’une somme élevée. Mais comme l’établissement
créé n’était pas celui du projet initial, la Société du Sanatorium de
Lay Saint Christophe tablait sur une extension ultérieure. Celle-ci
permettrait de diminuer sensiblement le prix de revient d’un lit puisque les
installations de services pourraient en grande partie subvenir à un agrandissement
notable de la capacité d’accueil.
Rappelons que le sanatorium
projeté devait accueillir trois fois plus de patients.
Carte postale
représentant le sanatorium de Lay Saint Christophe
La galerie de cure d’air était
située au rez-de-chaussée avec une orientation sud-ouest comme prévue
initialement.
Dans le même bâtiment, on
retrouvait les locaux des services (cuisine, buanderie, salle de désinfection,
le chauffage). Outre l’édifice principal, à proximité du chemin d’accès, on retrouvait
la conciergerie avec une laiterie et une étable.
Les soins des patients et la
tenue du sanatorium étaient confiés aux soeurs de Saint-Charles.
Sanatorium Lay Saint
Christophe en Juillet 1902
façade sud.
Extension du bâtiment
principal : le bâtiment Finance
C’est grâce aux donations des
époux Finance, de la compagnie Solvay, des Aciéries du Nord et de l’Est, des
époux Fisson, Grosdidier et
Renault et d’une subvention de 20000 F de la commission du Paris Mutuel qu’en
1910 l’extension du sanatorium est possible. Suite au décès récent de Genay, la mise en oeuvre du chantier est confiée à Weissenburger. Le devis estimatif était de 80000 F.
Cette aile supplémentaire
permettrait d’établir une stricte séparation des sexes à l’intérieur des locaux.
Ainsi hommes et femmes se retrouvaient isolés lors des longues séances de cure
d’air.
Le jardin et le parc restaient
mixtes, mais plus tard un projet visant à séparer les sexes même dans le jardin
vit le jour et se matérialisa par la plantation d’une haie dans laquelle courraient
plusieurs rangées de fils de fer.
Cette nouvelle aile destinée aux
femmes prendra le nom de « Pavillon Finance ». Cet agrandissement
portait le nombre possible d’hospitalisations à 50 lits. Il permettait de répondre
à la demande croissante des patients qui devaient parfois attendre plus de
trois mois pour qu’une place se libère. Par ailleurs, en répartissant les frais
généraux sur un plus grand nombre de lits, le coût de la journée
d’hospitalisation devait être réduit.
Les premières pensionnaires furent
reçues à partir du 1er juin 1911.
Extension du bâtiment
initial : le pavillon Finance situé à droite
Un tournant dans l’histoire
du sanatorium
Le sanatorium n’accueillera plus
de patients tuberculeux à partir du 3 août 1914. Pendant toute la durée de la
Grande Guerre, il sera occupé par diverses formations sanitaires militaires
puis par de la troupe en casernement. Il ne sera évacué qu’en 1918. Ces quatre
années de conflits ne furent pas sans engendrer des dégâts ; elles laissaient
un établissement dévasté où d’importants travaux de réparations s’imposaient.
L’équilibre financier de l’Oeuvre
Lorraine des Tuberculeux était déjà précaire à la veille des hostilités, il
lui devenait impossible de faire face à de nouvelles dépenses. Le compte rendu
de l’assemblée générale du 28 mars 1914 fait état de ces difficultés
financières et ce malgré un taux d’occupation des lits important. En effet, le
nombre de journées d’hospitalisation pour l’année 1913 étaient de 14302, ce qui
faisait environ 39 lits occupés à l’année. Il existait un déficit des comptes à
la fin de cette année qui fut comblé par un don exceptionnel de 10000 F émanant
d’une certaine Mlle Gautier.
On comprendra donc aisément que
les conditions de fonctionnement d’un établissement de ce type devenaient
difficiles dans une période peu propice au mécénat. A la suite du
bouleversement économique et financier laissé par la guerre, l’œuvre Lorraine
des Tuberculeux décida en fin d’année 1919 de renoncer à la gestion et à la
direction du sanatorium.
Louis Spillmann,
fils de Paul Spillmann, Doyen de la Faculté de
Médecine de Nancy et président de l’œuvre Lorraine des Tuberculeux,
proposa de céder à titre gratuit l’établissement fondé par son père aux
Hospices Civils de Nancy. La Commission Administrative des Hospices Civils de
Nancy se devait avant d’accepter cette offre généreuse, trouver les
moyens et les concours nécessaires à la remise en état de
l’établissement dont l’entretien avait été passablement négligé.
Le département de Meurthe et
Moselle prit à sa charge une partie des dépenses de rénovation et
d’agrandissement du bâtiment et l’Etat français sur les fonds du Pari Mutuel
devait couvrir 50% des dépenses. Ceci devait conduire les Hospices Civils de
Nancy à accepter la proposition le 14 octobre 1919 qui ne fut effective qu’en
mai 1922
L’architecte des Hospices Civils
de Nancy, M. Biet fut saisi et déposa ses plans et devis
au 20 janvier 1920, celui-ci s’élevait à : 609604 F. Le département apporta une
aide substantielle de la moitié du devis initial ; soit une subvention de 300000
F. En novembre, le Ministère de l’Hygiène répondait favorablement pour une
subvention égale à celle votée par le Conseil Général sur les fonds du Pari
Mutuel. Il restait donc un découvert de 9604 F sur le devis initial. Les travaux
purent débuter en avril 1921.
Cette cession intervenait au
moment même de la promulgation de la loi Honnoriat du
7 septembre 1919, laquelle imposait aux départements, ou la création d’un
sanatorium, ou leur rattachement, au point de vue assistance des tuberculeux, à
des sanatoriums existants. La population ouvrière et paysanne de Meurthe et
Moselle était trop importante pour que le département se rattache à un
sanatorium d’un département limitrophe.
Les Hospices Civils de Nancy
avaient déjà un établissement destiné à la lutte antituberculeuse, l’Hôpital-sanatorium Villemin. Mais celui-ci devenait trop
exigu compte tenu des ravages que causait le bacille parmi la population
nancéienne. Ainsi l’adjonction du sanatorium de Lay Saint Christophe au dispositif
en place venait parfaire le système de soins antituberculeux de l’agglomération
nancéienne.
Sanatorium de Lay
Saint Christophe en 1924
Avec son nouveau propriétaire,
le sanatorium allait vivre une seconde jeunesse. Des travaux de restauration
mais aussi d’agrandissement allaient porter sa capacité d’accueil à 130 lits.
• Le bâtiment principal allait
être complété d’une cinquième partie à l’extrémité du pavillon Finance, donnant
ainsi une symétrie parfaite au bâtiment ; une horloge centrale y sera ajoutée,
• La chapelle dans le bâtiment
primitif était située au dernier étage, elle sera descendue au rez-de-chaussée,
• Désormais l’établissement sera
doté de galeries de cure d’air courant sur toute la façade orientée sud-ouest
sur les deux premiers étages. Celles-ci seront dotées d’un avant toit qui
garantira mieux la protection contre le soleil qui, dans la conception antérieure,
étaient trop hauts pour assurer une protection
adéquate,
• Un troisième étage serait
aménagé,
• Modification du système d’approvisionnement
en eau potable de l’établissement.
C’est le 15 janvier 1924 que
l’établissement rénové ouvre ses portes aux patients. Le service médical fut
confié à Mme le Docteur Bouin, assistée d’un interne logé et nourri
en permanence au sanatorium. Comme dans tous les autres établissements
nancéiens, ce sont les soeurs de Saint-Charles qui administrent l’établissement
pour le compte des Hospices Civils de Nancy et concourent aux soins. La
première soeur supérieure nommée en 1924 fut Marie Gertrude Haas.
Après 1924
A partir de 1924, le sanatorium
a fonctionné sous la tutelle des Hospices de Nancy. Tout malade admis au
sanatorium devait être mis systématiquement en observation à l’hôpital Villemin
où il subissait tous les examens complémentaires nécessaires. Il était ensuite
statué sur la décision médicale à prendre en fonction de son état de santé. Le
service médical du sanatorium Paul Spillmann était
assuré par un médecin choisi par les professeurs de la Faculté de Médecine, le docteur
Bouin. Ce médecin-chef assurait la surveillance médicale à jours fixes. Il se
devait aussi d’enseigner aux étudiants la phtisiologie. Ce mode de fonctionnement
tant sur le plan médical qu’administratif faisait du sanatorium de Lay Saint Christophe
un service extra-muros du groupe Villemin-Maringer.
Pendant la guerre 1939-1945,
l’établissement a fonctionné comme hôpital sanatorium. Il accueillait les
nombreux malades qui encombraient les services de tuberculeux de la ville. Les patients
étaient tous envoyés après passage par le service de tri de l’hôpital Villemin-Maringer sous le contrôle du professeur Pierre Simonin.
Après le deuxième conflit
mondial, l’établissement reste centré sur le traitement de la tuberculose.
Malgré une opposition farouche de la part des Hospices de Nancy, ceux-ci se voient
contraints et forcés d’appliquer le décret du 24 mai 1948, texte de loi qui
consacre essentiellement trois impératifs :
• Indépendance administrative
des sanatoriums dont la direction appartient au médecin directeur.
• Indépendance financière sous
réserve de l’approbation du budget par la collectivité gestionnaire.
• Indépendance médicale, le médecin-directeur étant le seul à se prononcer sur l’admission
ou la sortie des patients.
La mise aux normes de
l’établissement en adéquation avec les nouvelles recommandations ministérielles
nécessite une nouvelle organisation administrative et de nombreux travaux.
Cela impliqua la fermeture du
sanatorium en 1949 et donc le transfert des malades les plus atteints sur
d’autres établissements, les non bacillifères étant
renvoyés à leur domicile. Cela ne s’est pas fait sans difficulté. Il ne
rouvrira ses portes aux patients qu’en 1952. Les Hospices de Nancy restaient
propriétaires de l’établissement mais sa gestion était subordonnée à un comité
de surveillance dirigé par M. Léon Grangé. Le docteur
Bertheau fut nommé au poste de Médecin-directeur
en 1952. C’est donc sous cette tutelle bicéphale, qu’un vaste programme de
constructions aux abords du sanatorium fut entrepris avec le concours des
architectes A. Lurçat et A. Michaut :
• un
immeuble pour accueillir le personnel de l’établissement,
• un
pavillon individuel pour loger le médecin adjoint,
• une
vaste salle de réunion aux abords du sanatorium qui servira par ailleurs de
salle de fêtes,
• dans
les années soixante, un bâtiment dévolu à l’administration et une conciergerie
Un sanatorium pour enfants
devait même être construit, mais ce projet fut avorté. Le traitement des
patients hospitalisés était totalement bouleversé. La cure sanatoriale telle
que le concevait Spillmann n’avait plus cours. Une
nouvelle ère s’ouvrait, celle de la chirurgie de la tuberculose avec la collapsothérapie, le pneumothorax thérapeutique mais aussi
et surtout l’avènement des antibiotiques. Ainsi la tuberculose allait être
terrassée du moins dans les pays industrialisés. Il est important de préciser
que le docteur Bertheau à Lay Saint Christophe fut
l’un des premiers prescripteurs d’isoniazide en Lorraine dans le traitement de la
tuberculose.
À partir de 1972, le sanatorium
de Lay Saint Christophe devenu Centre Médical Paul Spillmann
revient dans le giron du CHU de Nancy. Un service de pneumo-phtisiologie
sociale est alors créé. Tout d’abord, il accueillera des patients atteints
d’affections pulmonaires chroniques puis prendra en charge des pathologies
chroniques plus diversifiées telles que les cancers broncho-pulmonaire, les maladies
de surcharge, les bronchopneumopathies,..
Le docteur Jacqueline Boulangé,
médecin adjoint depuis 1963 après le docteur Romeuf,
succédera au docteur Bertheau en février 1974, et
sera à l’initiative de cette nouvelle orientation du site. Le docteur Thérèse Jonveaux prendra sa suite en 1997.
En 2006, le Centre Paul Spillmann sera transféré dans le nouvel Hôpital Saint-Julien
qui vient d’être réaménagé. Ainsi les locaux du sanatorium sur le site de Lay
Saint Christophe seront laissés vacants.