par L. PIERQUIN, G. de REN, C. PERNOT
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy
(édité en avril 1975)
Voici énumérées, par ordre chronologique de leur apparition en Lorraine, trois disciplines naguère unies, aujourd'hui séparées.
La vieille Médecine légale a vu le jour chez nous il y a un siècle. Depuis cent ans, nos étudiants ont été régulièrement instruits des relations de la médecine avec le droit, d'abord des règles de leur future profession, puis des risques de mort ou d'altération de santé résultant de l'inobservance ou de la violation des lois. A notre époque, où les morales sont remises en question et les obligations contestées, jamais la médecine légale n'a été si nécessaire.
Des médecins légistes de talent se sont préoccupés de l'indemnisation des accidents du travail, puis des maladies professionnelles. Ils en ont découvert l'insuffisance et se sont lancés les premiers dans la prévention. C'est pourquoi, dans notre pays, la médecine du travail est née de la Médecine légale.
L'enfant a grandi et aujourd'hui s'apprête à quitter ses parents, avec lesquels il n'a plus guère de point commun. L'étude des accidents du travail et des maladies professionnelles est clairement partagée : leur prévention appartient à la Médecine du Travail, hormis son aspect technique ; leur clinique et leur thérapeutique à la Pathologie ; leur indemnisation à la Médecine légale. La Médecine du Travail a abandonné son premier objet ; elle se consacre à l'adaptation du travail à l'homme.
Quant à la Réadaptation des handicapés moteurs qui, à Nancy, fut à l'origine jointe à la Médecine du Travail, elle a de même acquis son indépendance. Elle se situe en plein dans le domaine clinique, commençant avec les premiers soins et se conjuguant à eux jusqu'à la guérison. Elle a l'avantage d'étendre son intérêt et son secours à la personne tout entière, d'être une véritable médecine de l'homme, puisqu'elle tente de rétablir celui-ci dans sa situation antérieure.
Cette distinction explique pourquoi Médecine légale, Médecine du Travail et Réadaptation, si coordonnées qu'elles soient, seront traitées séparément par leurs responsables actuels.
« L'histoire de la Médecine Légale « est un peu celle de la civilisation ; « elle en a suivi la marche, les « fluctuations ». (P. Parisot)
Lors de la création de la Faculté de Médecine de Nancy, la chaire de Médecine Légale devait être l'une des premières à apparaître. Comment ne pas rendre cet hommage à celui qui, chargé de l'enseignement de la discipline, devait marquer de son empreinte la Médecine Légale Française du dernier tiers du XIXe siècle ?
L'œuvre de Gabriel Tourdes connut en effet une notoriété de dimension internationale, justifiée tant par la valeur des travaux qui la composent que par l'étendue des domaines envisagés. Ses recherches en Thanatologie, Toxicologie et Criminologie ne pouvaient manquer d'attirer l'attention sur l'École nancéienne de Médecine Légale qui conserva tout son éclat et tout son rayonnement durant les dix-sept années où il en demeura le maître.
Né à Strasbourg en 1810, agrégé en 1935, Tourdes occupa la Chaire de Médecine Légale de Strasbourg dès 1840. Lors du transfert de la Faculté de Strasbourg à Nancy et de la création officielle de cette Faculté nancéienne, par décret en date du 15 octobre 1872, il devait tout naturellement devenir le premier titulaire de cette chaire nouvellement créée en même temps qu'il était nommé Doyen de la Faculté.
Dès sa prise de fonction, il s'attacha à réorganiser l'enseignement de la Médecine Légale à Nancy, notamment en essayant d'intéresser à la discipline médico-légale non seulement les étudiants en médecine mais également les étudiants en droit.
Son enseignement et l'ensemble de ses recherches se trouvent réunis dans son « Traité de Médecine Légale » et ici, ce sont surtout ses travaux en matière de Thanatologie qui devaient donner à Tourdes le renom qu'il conserve encore.
A cette époque où la peur d'être enterré vivant primait la crainte de la mort elle-même et où il était encore de règle de n'acquérir la certitude du décès que par l'attente, il devait s'attacher à décrire les signes qu'il était indispensable d'observer pour affirmer le décès. Plus encore que dans les symptômes qu'il énumérait, l'originalité des recherches thanatologiques de Tourdes tient au fait que, parmi l'arsenal des signes dont on faisait usage au siècle dernier pour porter le diagnostic de la mort, beaucoup conservent encore toute leur valeur.
II fut également l'un des premiers à étudier l'entomologie thanatologique, la « faune des cadavres » pour reprendre la formule de Megnin qui devait décrire quelques années plus tard cette faune particulière en s'inspirant, entre autres, de travaux de Tourdes. Celui ci avait remarqué qu'elle était constituée de huit escouades s'échelonnant dans le temps en suivant toujours le même ordre. En effet, il avait pu observer que la dégradation du cadavre s'effectue par étapes, chacune d'elles réalisant un milieu naturel bien défini et correspondant à l'écologie d'une escouade particulière. Chaque escouade reste donc sur le cadavre tant que les conditions qui lui sont offertes sont favorables et cède sa place à l'escouade suivante dès que le milieu se modifie. Connaissant, grâce à l'observation, le moment où chaque escouade attaque le cadavre en fonction de l’état de dégradation du corps, il était donc possible, par l'étude des pupes, vestiges des espèces qui se sont succédées, de déterminer l'époque de la mort.
Il faut due que le recours à ce procédé de datation devait rester exceptionnel, qu'il est heureusement totalement abandonné de nos jours n'ayant en fait, considéré isolément qu’une valent relative, mais il montre le courage et la perspicacité qui animaient déjà nos maîtres d'autrefois.
Cependant malgré toutes ces recherches et bien que Tourdes ait déjà pu affirmer que la vie ne s’éteignait pas simultanément dans tous les organes, le problème de la définition de la mort était loin d’être résolu et d’ailleurs actuellement, en dépit de nos connaissances chimiques, biologiques et électro-encéphalographiques, il nous est encore impossible de dire ce qu’est la mort et à quel moment elle survient En cette matière le XX siècle n'a permis de faire aucun progrès et c'est là sans doute que réside le mérite essentiel de l'œuvre de Tourdes.
En 1889, Tourdes cédait sa place à Emile Demange. Né en 1846, Interne des Hôpitaux de Nancy en 1866 il devait soutenir sa thèse de médecine sur le « lymphadénome » en 1874. Agrégé de Médecine en 1878 et chargé de la Clinique des Maladies des Vieillards, il fut, tout en poursuivant son activité de soins, chargé de cours de Médecine Légale en 1888 avant d’être nommé titulaire de la Chaire dès l'année suivante
Dans le cadre de son enseignement, il se faisait assister de Garnier alors chargé de la Clinique Médicale et Toxicologique.
Ses travaux médico-légaux devaient essentiellement s'orienter sur deux pôles : les problèmes liés à la pathologie sexuelle d'une part, problèmes d'ailleurs nouveaux pour l'époque, et les aspects médico-légaux et psychiatriques de la gériatrie d'autre part. Nous ne pouvons en effet ignorer, entre autres, ses travaux sur l'épilepsie du vieillard, la démence sénile ou le tabès traumatique non plus que son étude sur « la valeur du témoignage chez le vieillard », toutes recherches qui devaient faire de Demange l'un des pionniers de la médecine légale dans le domaine de la gériatrie et de la sexologie.
Pierre Parisot lui succédait, comme titulaire de chaire en 1904. L'enseignement qu'il fut amené à dispenser avec ses collaborateurs Morin, Guérin, Muller et Breusch devait naturellement connaître une extension considérable en raison des mesures sociales qui venaient d'être prises notamment à la suite de la loi sur les accidents du travail qui avait été votée le 9 avril 1898. A partir de cette date, la Médecine Légale devait de plus en plus s'intéresser à la pathologie professionnelle et la « Médecine du Travail » devait prendre une place de plus-en plus importante dans l'enseignement de la discipline, avant de connaître une individualité propre à partir de 1946.
La Médecine Légale venait également de s'enrichir dans un autre domaine : celui de l'identification avec le développement du signalement anthropométrique dont les règles avaient été édictées par Bertillon dès 1879. L'établissement de ce « bertillonnage » devait amener Parisot à reconnaître que la photographie était devenue une méthode d'investigation indispensable en Médecine Légale.
Jusqu'à cette époque, l'art de Niepce à utilité médico-légale n'était dispensé que par les photographes de la. ville. Ceux-ci, on le devine, avaient beaucoup plus de dons pour photographier le petit-fils avec ses beaux habits militaires que pour fixer les détails caractéristiques qu'un cadavre pouvait offrir à l'instruction judiciaire. Le mérite de Parisot fut de comprendre que la photographie devait heureusement compléter les descriptions, les dessins ou les croquis, et les clichés qu'il fut amené à prendre devaient se révéler indispensables pour la Justice puisqu'ils permettaient d'objectiver, entre autres, la direction des coups portés et, de ce fait, la position respective de l'agresseur et de sa victime.
C'est surtout lors de la levée de corps que les photographies prises par Parisot et ses collaborateurs s'avérèrent d'une utilité primordiale pour le cours de la Justice. Elles permettent en effet, plus qu'un simple constat écrit, de fixer de façon indélébile, la position du corps, son environnement, les traces laissées par le criminel.
Dans la même optique, il devait s'intéresser de près au problème d'identification de l'auteur de l'infraction par l'étude des empreintes digitales que celui-ci pouvait laisser sur les lieux de son forfait, s'inspirant ici des travaux de Gallon qui avait ébauché, dès 1891, une méthode de signalement dactyloscopique. Ce procédé devait effectivement ouvrir de nouvelles perspectives à la police judiciaire en apportant une aide certaine à l'établissement d'un fichier facilitant l'identification ultérieure des délinquants.
L'étude des tatouages, non seulement en tant que facteur d'individualité psycho-sociale mais aussi en tant que valeur d'identification, devait également marquer son œuvre. Poursuivant ses travaux, il devait s'attacher à aider l'identification par l'intermédiaire des stigmates professionnels, décrivant les lésions dermo-épidermiques propres à chaque métier manuel, et se pencher sur le problème de l'identification des cadavres, apparemment méconnaissables, en s'ingéniant à mettre au point des artifices visant à redonner, au noyé en état du putréfaction par exemple, une apparence de vie rendant l'identification plus facile pour les proches.
L'œuvre de Parisot se trouve donc en partie dominée par les problèmes d'identification et si l'on peut dire qu'il fut aidé en cela par l'avènement récent des procédés photographiques, on ne peut nier qu'il reste, en cette matière, l'un des promoteurs de l'Identité Judiciaire, tâche qui, devant la multiplicité actuelle des activités médico-légales, n'est plus dévolue aux médecins mais à certains fonctionnaires des services de police.
Si l'on omet volontairement de s'étendre sur nombre de ses travaux concernant notamment « l'automobile homicide » ou les problèmes soulevés par les perversions ou aberrations sexuelles, on ne peut passer sous silence l'étude qu'il fit avec Caussade sur les sévices à enfants dont l'exposé devait impressionner l'auditoire lors du XIVe Congrès de Médecine Légale de Langue Française qui se tint à Paris les 24, 25 et 26 juin 1929.
A cette date, les sévices à enfants étaient loin d'attirer, comme aujourd'hui, l'attention du public ou de la grande presse et l'article 312 du Code pénal, qui punit actuellement cette infraction dans ses alinéas 6 et suivants, se résumait alors à ses premiers paragraphes n'intéressant que les blessures portées aux ascendants.
Lors de la rédaction du Code pénal en 1810, les juristes ne devaient en effet prêter aucune attention particulière aux enfants, se conformant de ce fait à la tradition du Moyen-Age et de l'Ancien Régime selon laquelle, contrairement à l'idée de Jean-Jacques Rousseau, les enfants ne naissaient pas naturellement bons et qu'il convenait donc de leur inculquer, par une éducation austère et rigide, les principes élémentaires de moralité.
Le Code civil devait réagir, pour la première fois, par la loi du 24 juillet 1889 proclamant la déchéance paternelle en cas de mauvais traitement à enfants. Peu après, le Code pénal devait compléter l'article 312 par la loi du 19 avril 1898 punissant « quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups à un enfant au-dessous de l'âge de quinze accomplis ou qui l'aura volontairement privé d'aliments ou de soins au point de compromettre sa santé ». Dès cette date, la loi établissait une aggravation des peines s'il s'en était suivi, pour l'enfant, une incapacité de travail de plus de 20 jours, s'il y avait eu préméditation ou guet-apens ou encore les coupables étaient « les père et mère légitimes, naturels ou adoptifs ou toutes autres personnes ayant autorité sur l'enfant ou ayant sa garde ».
En fait, malgré cette loi, les sévices à enfants restèrent méconnus des médecins comme des services de police.
Le mérite de Parisot fut, dans son rapport qui reste un mémoire de base dans l'étude de l'infraction, de montrer la fréquence des sévices dont la méconnaissance s'explique en partie par le jeune âge des victimes, incapables de se plaindre, et d'autre part, par la duplicité des parents qui masquent leur sadisme sous des apparences honnêtes.
Les conclusions de ce rapport paraissaient s'imposer : il convenait de créer des organismes de prévention sociale servant d'intermédiaire entre le corps médical et les services de police. Ceci rejoignait la ligne de conduite qui fut toujours celle de Parisot dont la devise peut se résumer par la formule : « mieux vaut prévenir que guérir ».
Son idéal devait d'ailleurs l'amener, en toute logique, à créer une Chaire d'Hygiène Sociale dont il devint le premier titulaire en 1934, tout en conservant, pendant un temps, son enseignement de Médecine Légale.
Dans cette charge, il fut dès lors secondé par Maurice Mutel qui, à son tour, prenait la direction de la Chaire en 1938.
Né en 1886, Interne des Hôpitaux de Nancy en 1908, il fut tout d'abord agrégé d'Anatomie avant de se consacrer à l'enseignement de la Médecine Légale, tâche qu'il partagea avec ses collaborateurs, MM. Lecoannet, Pierquin et de Ren.
En sa qualité de Chirurgien-Orthopédiste, il devait s'intéresser, entre autres, aux problèmes médico-légaux posés par les traumatismes fermés de rachis et, dans un travail qu'il fit en collaboration avec Michel et Rousseaux, il s'attacha à l'étude du syndrome de Kummel-Verneuil ou spondylite traumatique dont la longue phase de latence initiale rend délicat le diagnostic étiologique rétrospectif. Il y envisageait également le problème complexe d'un traumatisme rachidien sur une colonne antérieurement lésée, soit du fait d'une anomalie congénitale, soit du fait d'un processus arthrosique antérieur à l'accident mais susceptible néanmoins d'être aggravé par ce dernier.
Devenu Président du Conseil Départemental de l'Ordre, Mutel était amené à suivre de près l'évolution de la médecine, profondément modifiée par l'Ordonnance de 1945 portant création de la Sécurité Sociale. A l'occasion d'une thèse de Droit, soutenue par Jost en 1951, envisageant l'éventualité d'une nationalisation de la médecine en France comparable au Service National de Santé anglais, il devait réagir de façon violente retenant comme dogme le principe, pour la France, du maintien d'une médecine libérale. Son irritation devait se traduire de façon matérielle : à partir de cette date, les cours de Médecine Légale dispensés aux juristes dans le cadre du Diplôme de Criminologie qui, jusqu'alors et depuis lourdes, s'étaient déroulés dans l'enceinte de la Faculté de Droit, devaient se poursuivre à l'Amphithéâtre de l'Institut de Médecine Légale.
Nous ne pouvons ignorer l'intérêt qu'il porta également aux méthodes de dosages de l'alcool dans le sang envisageant avec Lecoannet l'avantage respectif de la macrométhode classique de Nicloux et celui de la microméthode de Widmark. Dans leur étude, Mutel et Lecoannet appelaient de leurs vœux le vote d'une loi rendant obligatoire la prise de sang systématique en cas d'accident de la circulation ainsi que cela était déjà de règle dans quelques pays européens. Le principe, amélioré par la suite, devait être admis et leur souhait se trouver réalisé par l'introduction, quelques temps après, de la loi du 15 avril 1954.
En 1956, le Professeur François Heully, né en 1912, Interne des Hôpitaux de Nancy en 1936, agrégé de Médecine en 1946 et Médecin des Hôpitaux en 1951, succédait à Mutel. Il devait être secondé par MM. Gérard de Ren qui, par intégration, devint son agrégé en 1961 et Guy Petiet à partir de 1963.
Il n'est pas possible de s'étendre ici sur tous les travaux auxquels il devait s'intéresser et nous ne ferons qu'en rappeler quelques uns.
Avec Piedelievre notamment, il publiait, après une étude faite à l'Institut de Médecine Légale de Paris, un mémoire relatif à l'importance des chutes comme causes de mort violente, rapportant une statistique effectuée dans la capitale de 1934 à 1955. En sa qualité de Médecin-Expert au Collège des Trois Médecins, il ne devait pas manquer de se pencher sur l’étude des silicoses et de leur complication majeure, l'insuffisance cardiaque droite qu'elles engendrent et qui entraîne souvent la mort par asystolie terminale.
En 1969, en collaboration avec MM. Pernot, de Ren et Petiet, il se consacrait à une étude sur les cardiopathies traumatiques. Ce problème, en général facile à résoudre chez le jeune, se révèle en effet plus délicat chez les sujets d'âge moyen en raison de la fréquence d'un état antérieur soupçonné plus souvent que connu. Il faisait, dans ce domaine, une distinction fondamentale entre la législation des accidents du travail, où il suffit que soit retenue la possibilité de l'aggravation d'un état antérieur pour que la lésion soit reconnue comme totalement imputable à l'accident du travail, et la législation de droit commun, où l'expert doit établir, autant que faire se peut, ce qui revient à l'accident et ce qui doit être attribué à l'état antérieur, le juge se réservant un pouvoir souverain d'appréciation, pouvant retenir comme responsable de la lésion, ainsi que c'est le cas dans toutes les affaires où intervient une pluralité des causes, soit l'équivalence des conditions soit seulement la cause essentielle adéquate.
Médecin légiste poursuivant une activité clinique, le Professeur Heully devait logiquement envisager les aspects médico-légaux des accidents thérapeutiques. Il consacra en effet de nombreux travaux aux accidents iatrogènes, tels ceux engendrés par la mycothérapie, la sérothérapie, la prescription de contraceptifs oraux (risque de phlébothrombose) d'un anti-coagulant de synthèse avec risque possible d'une alopécie chez certains sujets prédisposés.
Cet intérêt que portait le Professeur Heully pour la thérapeutique explique sa demande de transfert, en avril1969, de la Chaire de Médecine Légale à celle de Thérapeutique devenue vacante. Mais après son départ, le Conseil de Faculté décida la suppression de cette chaire et sa transformation en une chaire de Réanimation. Cet avis du Conseil de Faculté, le dernier d'ailleurs qu'il devait être amené à prendre puisque l'ancienne Faculté de Médecine devait disparaître dès janvier 1970 pour faire place à des structures universitaires nouvelles, fut confirmé, par le Comité Consultatif en dépit de la résistance opposée par les professeurs de Médecine Légale et, derrière eux, par la Chancellerie.
L'enseignement de la discipline devait néanmoins se poursuivre normalement dans le cadre des nouvelles Unités d'Enseignement et de Recherche mises en place en application de la loi d'orientation de 1968. Il devait même survivre sur un mode obligatoire, alors que dans de nombreuses Facultés de Paris et de province, il n'est plus actuellement dispensé que sur un mode optionnel quand il n'a pas été totalement supprimé.
On assiste en effet, depuis quelques années, à un malaise de l'enseignement de la Médecine Légale en France, ce malaise provenant de la conjonction de deux composantes. D'une part, le curriculum officiel des études médicales, établi par décret en date du 24 juillet 1970, ne fait état ni d'enseignement de Médecine Légale, ni d'enseignement de Déontologie ou de Droit Médical ; il n'est fait mention que d'un enseignement de « Médecine Sociale » dans lequel cependant la Médecine Légale devrait naturellement trouver sa place. Mais ici intervient la deuxième composante découlant de l’ordonnance du 30 septembre 1958 qui exige pour les enseignants de rang A une double appartenance hospitalière et universitaire. Si les portes des hôpitaux furent un moment largement ouvertes aux Professeurs de Médecine Légale qui purent et ce fut le cas pour certains d'entre eux être intègres dans un poste hospitalier, il ne faut pas manquer de souligner que d’autres se refusèrent obstinément à une intégration hospitalière, préférant la voie étroite d’une Médecine légale pure. Cette intransigeance fit qu’il est actuellement difficile d’intégrer la Médecine Légale dans le cadre hospitalier et que de ce fait le recrutement de jeunes enseignants s’avère de plus en plus délicat. Actuellement sur 47 Facultés de Médecine, il n'existe plus qu'une trentaine d'enseignants de rang A qui ont pour la plupart dépassé la cinquantaine et qui ne peuvent former de successeur.
Cette régression de la Médecine Légale en France s’inscrit d'ailleurs dans le cadre d'une politique générale de plus en plus libérale. Les services de police contestés depuis de nombreuses années perdent de plus en plus confiance en leur mission. La Magistrature a perdu son auréole et se fait bafouer jusque dans le prétoire. La gloire de la Médecine Légale française était d’enseigner aux jeunes générations les règles de moralité et d'honneur et de leur inculquer les principes du Code de Déontologie dont s’enorgueillit à juste titre, notre Ordre lui aussi actuellement contesté. Or la clé de voûte de notre Code de Déontologie repose sur le respect de la vie et de l'intégrité de la personne humaine qu'un vote récent du Parlement vient de mettre en cause. Et il est à craindre qu’à cette loi succèdent d'autres projets venant encore ébranler ce principe fondamental.
Le respect de la vie étant désormais battu en brèche, tout notre Code de Déontologie devient du fait même extrêmement fragile puisqu'il risque de ne plus reposer que sur les bases d'une morale purement matérialiste à l'exclusion de tout idéal spirituel.
La régression de notre discipline à laquelle nous assistons nous apparaît donc comme le reflet de la crise de civilisation que nous traversons actuellement où sont plus ou moins remis en cause tous les idéaux de dévouement, de grandeur et de noblesse.
La forte et précoce industrialisation de la région lorraine devait amener très tôt les médecins nancéiens à se préoccuper de l'état de santé des travailleurs. Dès 1876 et 1877, la Revue médicale de Nancy accueille des publications d'hygiène industrielle et de pathologie professionnelle, intéressant différents milieux professionnels : fabrique de chapeaux de paille (1876), industrie textile (1877). En 1882, une Thèse est consacrée aux soudières (Olivier) et en 1884, une autre aux usines à gaz (Saunier). Poincaré, dont la biographie est exposée dans un autre chapitre de ce numéro, publie en 1896 un Traité d'Hygiène industrielle particulièrement remarqué. La pathologie de l'industrie de la chaussure (tremblement professionnel des ouvriers sur machines à lisser les semelles - 1896), des transports (tramways, 1906) intéressent très tôt les autres nancéiens, tandis que l’apparition de la législation sur les Accidents du Travail en 1898 suscite des recherches relatives à leur indemnisation (Guilloz 1909 – P. Parisot 1914). L'arrivée en masse de la femme dans les usines lors de la guerre de 1914-1918 attire rapidement l’attention des gynécologues sur le travail des femmes et en particulier des femmes enceintes (Fruhinsholz, 1921).
Dès 1935, la Faculté de Médecine de Nancy dispense un enseignement d’Hygiène industrielle (J. Parisot). Elle est l'une des premières à délivrer un Diplôme de Médecine du Travail et Hygiène industrielle (1942) qui deviendra, après 1947, un C.E.S. national.
Dès 1951, l'école de Nancy consacre de très nombreux travaux aux pneumoconioses, en particulier à la sidérose des mineurs de fer, devenue grâce aux auteurs nancéiens une maladie professionnelle indemnisable, distincte de la silicose. La création d'un « Collège de trois médecins » en matière d’expertise des pneumoconioses, réunissant à Nancy les spécialistes nancéiens et strasbourgeois est un puissant stimulant à ces travaux qui seront évoqués par ailleurs.
La contribution des médecins du travail lorrains, universitaires ou non à la pathologie toxique, sera également évoquée par ailleurs. Soulignons, seulement, l'importante capitale des travaux nancéiens sur le benzolisme professionnel, qui fit des ravages dans l’industrie de la chaussure (Thèse de L. Pierquin 1940).
L’un des aspects originaux de la Médecine du Travail à Nancy est son orientation précoce vers la Réadaptation des accidentés du travail, puis des sujets atteints de maladies chroniques. La Chaire de Médecine du Travail est créée en 1953 et se voit attribuer un agrégé en 1961.
Parmi les travaux effectués depuis la création de la Chaire, citons :
- L'étude hémodynamique et électrocardiographique du cœur pulmonaire des silicotiques, l’étude des signes radiologiques de l'hypertension artérielle pulmonaire,
- La mise en évidence de la grande fréquence du cancer bronchique des mineurs de fer, 224 observations ayant été réunies en 1960 avec une étude statistique comparative montrant la fréquence significativement plus grande dans ce groupe de la population active en Lorraine ; cette étude fut poursuivie ultérieurement et complétée par un travail d’ensemble sur les cancers bronchiques professionnels,
- Plusieurs études consacrées aux problèmes de diagnostic posés par les hématies à granulations basophiles et au rôle des hémoglobinoses dans la prédisposition au saturnisme,
- Quatre publications consacrées, au Congrès de Toulouse en 1960, au travail des épileptiques et des traumatisés crâniens et une étude sur le rôle des Centres de Réadaptation dans l’amélioration des conditions du travail industriel,
- Une étude législative et médico-sociale sur le travail des immigrants,
- Plusieurs publications consacrées à l’adaptation au travail des diabétiques,
Ces derniers travaux sont le reflet de l'activité de la Consultation de Médecine du Travail créée en 1967 dans le cadre du Service des Consultations externes de l'Hôpital Central. Dans ce même service, furent colligées et publiées de nombreuses observations relevant de la pathologie ostéoarticulaire professionnelle, de la pathologie cardiaque et pulmonaire (retentissement cardiaque de pneumopathies par vapeurs de Cadmium, cardiopathies post-traumatiques, infarctus myocardique d'effort, péricardite néorickettsienne par zoonose professionnelle, etc...), de la cancérologie professionnelle (cancer arsenical de la cloison nasale), de la pathologie toxique (aspects étiologiques actuels du saturnisme, leucose benzolique, polynévrite sulfocarbonée, etc...),
- Enfin, de nombreux travaux (35 publications) consacrés au travail et à la réadaptation au travail des cardiaques : formation professionnelle des jeunes cardiaques, reprise du travail après infarctus du myocarde, devenir professionnel, sur 8 ans, d'un groupe homogène de 100 cheminots ayant souffert d'infarctus du myocarde, problèmes de sécurité et cardiopathies, etc... Les techniques de réadaptation des cardiaques, actuellement universellement admises et en plein développement, sont étudiées à Nancy dès 1961 (3e Congrès français de Médecine Physique) ; elles se développent ultérieurement lors de l'ouverture de l'Hôpital Jeanne d'Arc (1970) où est créée une Consultation de Cardiologie du Travail, où sont étudiées la capacité à l'effort et les possibilités de réadaptation fonctionnelle et professionnelle des cardiaques qui sont adressés par les médecins praticiens et Cardiologues les médecins du Travail ou les médecins-conseils des organismes de prise en charge.
Lorsqu'en 1953 mourut le Professeur Rousseaux, dans la plénitude de son action et de son rayonnement, notre Faculté fut comme désemparée. Ses amis ne voyaient pas comment ils pourraient continuer sans lui, se passer de sa présence, de ses conseils et de sa sympathie. Digne émule de Clovis Vincent et Thierry de Martel, pionniers de la neuro-chirurgie française, il avait par son intelligence, par son travail et par son courage, fondé de toutes pièces cette nouvelle discipline chirurgicale dans nos hôpitaux. En 1947, une chaire de Neurochirurgie fut créée et lui fut justement attribuée ; il la conserva jusqu'en 1953.
Cette année-là, gardant malgré la maladie qui l'accablait une admirable espérance, le Professeur Rousseaux obtenait son transfert à la chaire vacante de Clinique chirurgicale A, emportant avec lui la neuro-chirurgie. Nous gardons un souvenir ému des derniers mois de la vie de cet éminent chirurgien, de cet homme exceptionnel. Son amitié pour nous s'est exprimée dans son appui au projet d'organisation de la réadaptation à Nancy et particulièrement à la transformation provisoire de la chaire de neuro-chirgrgie en notre faveur.
L'ORIGINE DE L'INSTITUT DE RÉADAPTATION
Nous avons cherché dans la Revue Médicale de l'Est ce qui, entre les deux guerres, pouvait passer pour un essai des médecins d'améliorer la fonction motrice de blessés ou de malades atteints d'affections invalidantes. On ne trouve que des publications de M. Froelich, Professeur do Clinique, chirurgicale infantile, qui recommandait des exercices gymniques aux enfants souffrant de paralysies, de raideurs articulaires, de déformations des membres et du rachis. Ayant été son externe en 1930, je me souviens de son enseignement sur les paralysies poliomyélitiques, qu'il traitait par la méthode de Bordier (radiothérapie lombaire, électrothérapie, massages), sur les scolioses et les déformations des membres, qu'il faisait soigner dans une salle de gymnastique du sous-sol du Pavillon Virginie-Mauvais.
Vers la même époque et jusqu'à la 2ème Guerre, les hôpitaux de Nancy employaient un très petit nombre de masseurs vacataires. On les voyait de temps en temps dans les salles des malades, mais les médecins et a fortiori les étudiants en médecine ne discutaient guère avec eux. Je ne peux dire ce qu'ils faisaient, si, en plus de leurs manipulations des tissus mous, ils mobilisaient passivement les segments de membres ou commandaient des exercices volontaires.
En somme, il ne faut pas chercher dans le milieu hospitalier nancéien la source de la réadaptation actuelle. Il n'y eut jamais de véritable rééducation motrice ; l'appareillage orthopédique et prothétique, comme partout ailleurs, était de qualité médiocre et la procédure de fourniture démesurément longue. Quant à la réintégration professionnelle des travailleurs « invalides », elle se faisait au gré des personnes et suivant les vicissitudes du marché de l'emploi.
Le point de départ du système actuel se situe ailleurs, à la fin de l'année 1942, date à laquelle fut lancée par le Professeur Parisot à Nancy une tentative de « Reclassement des valeurs humaines réduites », dont le but était de remettre au travail les tuberculeux et les accidentés guéris. Le moment était à la fois bien et mal choisi. Sous l'occupation allemande les travailleurs en difficulté de santé n'avaient jamais tant eu besoin de secours, mais la liberté d'action et les moyens étaient réduits. Une « Commission de reclassement des diminués physique » fut créée, qui fonctionna grâce aux efforts persévérants et conjugués de M. Boubel, inspecteur divisionnaire du travail, de M. le Dr Gauthier, médecin inspecteur régional du Travail et de M. le Dr Poulizac, médecin-conseil de la Sécurité Sociale.
Cette commission se réunit pendant dix ans et bénéficia de divers concours, notamment celui des psychotechniciens pour l'orientation professionnelle (M. Larguèze) et celui des assistantes sociales (Mlle Winsback et Mme Mouchot). L'expérience acquise eut deux importantes conséquences :
- la première, une généralisation et une officialisation des « Commissions départementales d'orientation des infirmes » en 1953, puis la promulgation de la loi sur le «reclassement des travailleurs handicapés» en 1957.
- la seconde, la découverte des causes des échecs du reclassement professionnel et la détermination d'y porter remède. La principale consistait dans la gravité des séquelles anatomiques et fonctionnelles responsables de l'inaptitude au travail.
Conscient de la gravité et de la nature de ces difficultés, instruit des résultats étonnants de la « réhabilitation » des handicapés physiques en Grande-Bretagne, M. le Dr Poulizac eut l'idée de créer à Nancy vers 1951 un complexe groupant et associant intimement : les soins chirurgicaux aux accidentés, déjà dispensés dans les services du centre hospitalier régional, la réadaptation fonctionnelle visant à la récupération des capacités motrices et la réadaptation professionnelle préparant au réemploi. Il reçut l'appui de M. le Professeur Parisot, qui eut le mérite de défendre ce principe d'unité, de constituer et de diriger dans ce but une Commission tripartite, comprenant des représentants de la Faculté de Médecine, du Centre hospitalier régional et de la Caisse régionale de Sécurité Sociale.
Il fallut plus d'un an, de nombreuses réunions, des discussions passionnées pour que ce projet aboutisse. Il semble que les esprits se soient orientés au début vers un centre de traumatologie au sens le plus général de ce mot. En janvier 1952, M. le Doyen Parisot, qui présidait cette commission tripartite. obtenait en effet un accord pour un « Centre de traumatologie » comprenant trois parties :
- les soins, dispensés par les cliniques chirurgicale, médicale et de spécialités de l'Hôpital central,
- « l'Institut de traumatologie », à construire dans la rue Lionnois et comprenant des sections d'hospitalisation, de physiothérapie et d'électrothérapie, d'orientation professionnelle,
- la maison de « repos et de convalescence » de Gondreville, où se ferait la préparation à la reprise du travail.
En décembre 1952, le projet avait évolué et fut adopté. Il aboutissait à une convention entre les trois organismes précités, créant un « Institut de Réhabilitation sociale et professionnelle des diminués physiques», au service des malades aussi bien que des accidentés. Cet Institut devait être formé :
- d'un service hospitalier de réadaptation fonctionnelle, chargé de cette discipline dans tous les services du CHR,
- d'un centre de réadaptation fonctionnelle, dont la construction commença rue Lionnois à Nancy,
- d'un centre de réentraînement au travail, qui s'organisa à Gondreville dans les locaux prévus pour la convalescence, aménagés et complétés ultérieurement d'ateliers et d'installations gymniques.
Le rôle des trois organismes conventionnés était ainsi défini :
- la Faculté était chargée d'organiser l'enseignement des techniques mises en œuvre pour la réadaptation et le reclassement des diminués physiques,
- le Centre hospitalier régional confiait ses malades et blessés au personnel de l'Institut,
- la Caisse régionale de Sécurité sociale assurait la direction et la gestion de l'ensemble du système. Pour la part technique, elle obtenait le concours de M. le Professeur Pierquin, médecin des hôpitaux, présenté par les co-signataires de la convention.
CRÉATION D'UNE CHAIRE DE MÉDECINE DU TRAVAIL ET DE RÉADAPTATION
Au cours de l'année 1953, parallèlement à cette action directe menée en faveur des malades et accidentés de la région et aboutissant à la création d'un « Institut de réhabilitation sociale et professionnelle » aux structures aussi originales qu'ambitieuses, le Doyen Parisot obtenait de la Faculté de Médecine et du Ministère de l'Education Nationale la transformation de la chaire de neuro-chirurgie en chaire de Médecine du Travail et de Réadaptation. Ce poste était confié à M. Pierquin.
Les raisons de cette décision furent les suivantes :
1 - C'était d'abord le désir de consécration d un enseignement nancéien de la médecine du travail datant de 10 ans, organisé conjointement par les chaires d'Hygiène et Médecine Sociale et de Médecine légale. Pendant la guerre et surtout l'après-guerre, cette nouvelle discipline avait pris une grande importance. Une loi avait rendu sa pratique obligatoire dans toutes les entreprises industrielles et commerciales de France et plusieurs Facultés de Médecine avaient organisé une formation des futurs médecins du travail (Lille, Lyon, Paris). D'éminents médecins légistes (Leclerc, Mazel, Duvoir) s'étant les premiers intéressés à la médecine du travail, par le biais des maladies et des accidents professionnels, les premières chaires furent mixtes : médecine légale et médecine du travail.
A Nancy, il en fut différemment. Des rudiments de médecine du travail avaient été logés vers 1940, sous le nom d'hygiène industrielle, dans le programme d'enseignement de l'Hygiène sociale. M. le Professeur Parisot considérait que la Médecine du Travail était essentiellement une médecine préventive et voulait lui donner son individualité et son indépendance. Il avait raison et l'avenir l'a montré. La Médecine du Travail n'est plus unie sur le plan de l'enseignement et sur le plan pratique à la Médecine légale. L'étude des maladies et des traumatismes professionnels a été laissée aux pathologistes et aux thérapeutes et a cédé le pas à l'étude de l'ergonomie ou adaptation du milieu de travail au travailleur.
2 - C'était ensuite le souci de voir commencer un enseignement de réadaptation aux étudiants en Médecine, jusque là totalement inexistant en France. A l'époque, il n'y avait que des Ecoles de masso-kinésithérapie privées formant des auxiliaires médicaux. Elles avaient succédé aux vieilles Ecoles de massage (le Professeur Merklen avait créé à Nancy une de ces Ecoles, dont la durée fut éphémère). Il s'agissait de tout autre chose, donner aux futurs médecins les connaissances nécessaires pour la prescription, la direction et le contrôle de la thérapeutique fonctionnelle, et, sur un plan plus général, pour leur permettre d'aider ces diminués physiques dans leur effort de retour à une vie convenable. Le moyen de cet enseignement nouveau s'offrait, c'était l'institut de Rehabilitation dont on préparait l'avènement.
3 - C'était enfin l'idée de réunir sous une même responsabilité l'enseignement de la Médecine du Travail et de la Réadaptation. Elle naquit de la conjoncture, d'un concours de circonstances et trouva sa justification dans le fait que l'objectif final des deux disciplines se confondait ; n'était-ce pas le maintien de la santé du travailleur et partant de sa capacité de gain ?
Aujourd'hui, vingt ans après, cette union n'est plus nécessaire. Chacune des deux disciplines s’est définie et limitée, dispose d'un personnel et de moyens spécifiques et différents, progresse et s'oriente dans des voies qui lui sont propres. Bien entendu, la coordination des deux départements, tant sur le plan de l'enseignement que celui de la pratique, est indispensable.
LE DEVELOPPEMENT DE L'INSTITUT DE READAPTATION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE
Les idées se sont peu à peu clarifiées sur ce qu'il convenait de dire et de faire.
Les principes de la « rehabilitation » anglaise, adoptés et proclamés par l'Organisation des Nations-Unies et ses Institutions spécialisées, ont été à l'origine et sont encore aujourd'hui le fondement de l'organisation et du fonctionnement de l'Institut. Ce sont notamment :
- la continuité du processus conduisant le malade ou le blessé de l'hôpital au travail ou à l'indépendance
- la précocité de la thérapeutique fonctionnelle, contemporaine des soins médicaux et chirurgicaux classiques
- la priorité accordée à l'action personnelle du handicapé aux exercices volontaires sur les méthodes passives (massages et physiothérapie),
- la mise en œuvre, au moment voulu et en cas de nécessité d'opérations préparant et assurant la reprise du travail et la réintégration sociale,
- l'extension de la réhabilitation à toutes les catégories de handicapés physiques (adultes, enfants et vieillards),
- l'aspect global de la réhabilitation, c’est-à-dire la remise en état de la personne et pas seulement la correction de son déficit moteur.
Nous avons maintenu ces principes ils donnent à l’Institut une physionomie exemplaire et malheureusement originale, car un pareil ensemble n’a pu, jusqu'à présent par manque d'accords et de moyens, être réalisé dans d’autres régions françaises.
Cet attachement reconnaissant aux pionniers de notre discipline ne nous a pas empêchés de nous singulariser. Notre pratique s'est améliorée en fonction des pensées et des habitudes françaises, au milieu de nos structures et de nos lois au contact des diverses catégories professionnelles qui nous entourent. Un effort particulier a été fait pour retenir une terminologie convenable, claire et explicite parmi le fatras des mots et des expressions utilisées. Nous avons gardé des Anglais les termes « handicap » et « handicapé » aujourd'hui universellement admis. Nous avons rejeté celui de « réhabilitation » qui garde dans notre langue une signification juridique et péjorative. Les vocables « Réadaptation », « Rééducation » et rééducation « fonctionnelle » ont été soigneusement définis.
Sur ces base, l'Institut de réadaptation s’est solide ment construit. La convention originelle de 1953, aménagée plusieurs fois dans ses détails en raison d’exigences légales, a gardé sa force et son effet. Le développement s’est fait en importance et en profondeur en raison de l'accroissement des besoins et de la technicité, grâce à la bienveillance et à la générosité des responsables de la Caisse régionale d’assurance maladie (C R.A M.).
Le Service Hospitalier de réadaptation ou mieux de Rééducation Fonctionnelle s’est pratiquement intégré dans toutes les disciplines. Tous les médecins et chirurgiens des hôpitaux, ont aujourd'hui sollicité et obtenu notre concours, sous forme d'intervention de nos médecins, de nos kinésithérapeutes et ergothérapeutes, sans compter celles des appareilleurs, conseillers du travail, psychologues, etc. Le personnel de rééducation s'est vraiment intégré à la vie des services.
Trois groupes de sections ont été créés :
- le groupe A pour l'Hôpital de Brabois,
- le groupe B pour les hôpitaux intra-urbains,
- le groupe C pour l'Hôpital Jeanne-d'Arc.
Une étude récente de l'organisation et du fonctionnement de ce service a donné des résultats intéressants :
- le rapport R entre le nombre des malades rééduqués (R) et le nombre des malades (M) est de 15 % pour l'ensemble et s'accroît lentement. Sa valeur optimale est peut être de 25 %.
- les pourcentages de rééducation les plus élevés concernent la chirurgie thoracique (49), la neuro-chirurgie (47), la chirurgie de la main (39), la chirurgie cardio-vasculaire (34) et la chirurgie générale (34), en somme les secteurs chirurgicaux. Aussitôt après, on note l'importance de la rééducation dans les services de pneumologie et de cardiologie (31 ).
Le Centre de réadaptation ou mieux de Rééducation Fonctionnelle de Nancy, 35, rue Lionnois, héberge en permanence plus de 70 handicapés moteurs et prend aussi en charge un bon nombre de demi-pensionnaires et d'externes. La plupart de ces personnes viennent du Centre hospitalier régional et de la Clinique chirurgicale et traumatologique, établissement conventionné avec le CHU. 80 % sont atteintes de séquelles traumatiques graves et parmi elles il y a en permanence une dizaine de paraplégiques et autant d'amputés. Les 20 % restants sont des personnes ayant souffert d'affections nerveuses ou rhumatismales. Dans cet établissement la rééducation fonctionnelle est poussée au maximum, grâce à la kinésithérapie et à l'ergothérapie, complétées de physiothérapie, d'appareillage orthopédique et prothétique. L'action médicale et paramédicale se conjugue avec celle des psychologues et les spécialistes des questions sociales et professionnelles interviennent fréquemment. La durée de séjour est en moyenne de 8 semaines.
Le centre de Réentraînement au Travail de Gondreville est pour beaucoup de handicapés l'aboutissant normal de la rééducation entreprise à Nancy dans les hôpitaux, puis au centre de la rue Lionnois. Cependant l'établissement a une vocation régionale et reçoit des anciens malades ou accidentés des départements voisins, dont certains, hélas, n'ont pas bénéficié d'une suffisante rééducation fonctionnelle. Il prend en charge 100 internes pour lesquels la remise au travail est délicate, en raison de la gravité des séquelles, ou du fait des exigences physiques du travail futur. Les handicapés sont préparés à leurs prochaines tâches au moyen de deux méthodes employées simultanément : une activité dans un atelier choisi et des exercices physiques déterminés de caractère utilitaire. La durée de séjour moyenne est de 9 semaines.
Dans plus de 70 % des cas, ce réentraînement au travail permet la reprise du poste antérieur ou d'un poste aménagé, ce qui est la solution la plus simple. Souvent, cette réintégration ne peut se faire en raison de l'importance de l'inaptitude. Dans 12 % des cas, le handicapé est orienté vers un des nombreux centres de rééducation professionnelle de la région ou d'ailleurs en vue de l'apprentissage d'un nouveau métier. Il reste un groupe de cas disparates (18 %) conduisant à des solutions diverses et malheureusement un certain nombre d'échecs.
Le centre de Gondreville a donc une physionomie toute différente de celle du centre de Nancy, qui se distinguait déjà de l'hôpital. Bien que dirigé par un médecin et un personnel soucieux de la santé de l'homme, il est orienté par la perspective du travail. Les conseillers et moniteurs professionnels y jouent un rôle important et forment le trait d'union entre les médecins et l'entreprise. C'est dans cet établissement qu'a pris naissance et s'est développé l'atelier expérimental d'appareillage orthopédique et prothétique.
En 1957, l'Institut de réadaptation disposait d'un département « Adultes » complet. Il restait à s'occuper des enfants et des vieillards handicapés.
Pour les premiers, une circonstance fortuite permit de les inclure dans le système. Une forte poussée épidémique de poliomyélite survint dans le milieu de l'année 1957 et plus de 500 cas furent dénombrés dans la région. Le Doyen Parisot offrit un bâtiment du Préventorium de Flavigny ; la Caisse régionale de Sécurité Sociale l'accepta et en construisit plusieurs autres. C'est ainsi que fut édifié et aménagé rapidement le Centre de Réadaptation de l'Enfance de Flavigny, qui aujourd'hui traite plus de 200 enfants atteints de séquelles motrices d'affections congénitales, néonatales, orthopédiques, traumatiques, etc. L'Office d'Hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle se charge de l'hébergement et la Caisse Régionale d'assurance-maladie de l'organisation et du fonctionnement techniques, ainsi que de la gestion administrative.
Dans ce centre se trouvent réunis les moyens les plus modernes d'une rééducation motrice propre à l'enfant, ainsi qu'un système complet d'éducation et d'instruction générales. Une quinzaine d'institutrices, appartenant à l'Education nationale, y dirigent pendant toute l'année des classes d'enfants handicapés. L'action du Centre de Flavigny se complète par des consultations de dépistage et de contrôle dans les principales villes de la région.
En 1971, le délicat problème de la prolongation de la scolarité a trouvé une remarquable solution dans la création, à proximité immédiate du centre de réadaptation, d'une Ecole Nationale de Perfectionnement, c'est-à-dire d'un lycée pour handicapés. Y sont hébergés et instruits jusqu'au baccalauréat ceux qui ne peuvent, en raison de la gravité de leur handicap, réintégrer leur famille ou fréquenter les classes normales. Pendant les années d'études, nous assurons la rééducation motrice d'entretien, dans un pavillon construit sur le territoire de l'E.N.P.
Quant aux vieillards, ou plutôt à certains d'entre eux, victimes d'affections (hémiplégies, arthroses...) ou de traumatismes (fractures du col fémoral, de l'épaule...), invalidants, le Doyen Parisot s'en occupa avec l'appui des gériatres nancéiens : MM. les Professeurs Herbeuval et Cuny, en transformant et en agrandissant le Centre de Bainville-sur-Madon.
Ce Centre ne fait pas partie de l'Institut de Réadaptation, mais de l'Office d'Hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle. Une bonne coordination s'est naturellement faite entre les établissements, si bien que l'ambitieux projet initial de dispenser les soins de réadaptation à tout handicapé, quels que soient son âge, la nature et la gravité de sa déficience, a été réalisé.
L'ENSEIGNEMFNT DE LA READAPTATION A LA FACULTÉ
II s'est organisé petit à petit progressivement ayant à vaincre quelques difficultés : la mise au point d'un programme, son intégration dans les horaires par les autorités responsables et son acceptation pal les étudiants
A - L’enseignement aux étudiants en médecine, commencé en 1954, fut réservé pendant longtemps aux étudiants de 5e année et se limita aux principaux sujets dont la connaissance est indispensable pour l’exercice de la médecine du praticien, notamment pour la prescription de la kinésithérapie et de l'ergothérapie, le contrôle de leur exécution et de leur résultat. Des notions concernant la situation des handicapés en France, les moyens de les secourir, les méthodes de réintégration sociale et professionnelle furent apportées, afin que le futur médecin puisse conseiller et orienter convenablement ses patients. Cet ensemble synthétique représente en 1974 une quinzaine de cours (DCEM 4), complétés de visites commentées des départements de l'Institut et de présentations de handicapés en cours de rééducation.
Depuis l'organisation de renseignement modulaire nous avons introduit dans les certificats coordonnés « Appareil locomoteur » et « Neurologie », à l'intention des étudiants plus jeunes (D.C.E.M. 2 et 3), quelques cours de nombre limité en raison de la surcharge des programmes portant sur des sujets précis immédiatement utiles, notamment l’appareillage prothétique et orthopédique
Le succès de cet enseignement est modère comme celui de toutes les matières non fondamentales, mais va croissant, à en juger par le nombre des thèses de doctorat traitant de la réadaptation ou s'y référant et relui des vocations pour cette spécialisation nouvelle
B – L’organisation d'un enseignement en vue du « Certificat d’études spéciales de rééducation et réadaptation fonctionnelles» s'est faite à Nancy en octobre 1966, un an après la promulgation de l'arrêté l'autorisant dans certaines facultés.
Après des expériences et des tâtonnements, nous avons mis sur pied un programme comprenant : 70 heures de cours annuelles et 5 demi-journées de stage pat semaine dans les divers centres et services de l'Institut de réadaptation La durée des études est de trois ans : la réussite à l'examen final donne droit à la qualification de spécialiste ; 25 étudiants en médecine ayant terminé leurs études ou docteurs en médecine sont actuellement inscrits en 1ère, 2ème et 3ème années.
L'introduction d’un certain enseignement de la réadaptation dans le programme de divers CES (chirurgie générale, pédiatrie) va de soi, mais reste en projet.
C - Bien qu'indirectement lié à l'activité de Faculté, par le biais des universitaires enseignants ou membres des conseils d'administration, l'enseignement de formation des auxiliaires médicaux justifiait notre effort, car il conditionne la qualité des soins donnés aux handicapés.
Dès 1954 furent créées une Ecole de Kinésithérapie et une Ecole d'Ergothérapie, qui réunissent aujourd'hui respectivement plus de 120 et 50 élèves. Les études durent trois ans et conduisent à des diplômes d'Etat.
DOCUMENTATION ET RECHERCHE EN RÉADAPTATION
Le nombre des médecins de l'Institut va atteindre 25, celui des kinésithérapeutes 150, celui des ergothérapeutes 40, celui des autres techniciens 80. Pour s'entretenir et se perfectionner dans sa pratique courante, pour faire quelques recherches, ce personnel avait besoin d'un Service de Documentation riche en revues et livres spécialisés, français et étrangers, ainsi que de moyens modernes d'information et de diffusion. C'est aujourd'hui chose faite et une note bibliographique est régulièrement et largement distribuée.
Depuis 20 ans, la recherche a été permanente et a répondu à deux nécessités : celle de mettre sur pied et de perfectionner sans cesse notre organisation, celle de faire état de nos travaux dans le domaine médical.
Le développement de l'Institut de Réadaptation, la création et la mise en train de chacune de ses parties ont fait l'objet de très nombreux projets, plans, rapports, notes, compte-rendus de discussions à usage interne qu'il est aujourd'hui intéressant de relire. Ainsi, le réentraînement au travail en ateliers, la gymnastique professionnelle, le réemploi et le reclassement, la rééducation dans les hôpitaux, les règles et les modalités de la kinésithérapie et de l'ergothérapie modernes ont été tour à tour l'objet de nos réflexions, de nos échanges et finalement de textes instructifs. A travers ces documents, au milieu des succès et des échecs, on devine le chemin sinueux que nous avons suivi. Cette expérience interne nous a formés et servis ; elle est pour l'avenir une solide assurance.
C’est à partir de cette expérience que diverses publications ont été faites pendant ces vingt ans par le personnel de l'Institut sur divers sujets, notamment :
- les principes de la réadaptation ; sa doctrine et ses méthodes ; son vocabulaire
- la rééducation fonctionnelle hospitalière ; son organisation et ses pratiques
- la Kinésithérapie et la formation des Kinésithérapeutes ; la rééducation neuro-musculaire
- l'Ergothérapie : définition, principe et règles, modalités ; relations avec les pratiques voisines ; la formation des ergothérapeutes
- l'appareillage prothétique des adultes amputés du membre supérieur et inférieur et des amputés congénitaux (Atlas d'appareillage : 20 fascicules parus). Mise au point de prototypes ; rééducation après appareillage
- l'appareillage orthopédique des membres (attelle monotubulaire pour le membre inférieur, attelle hélicoïdale pour les paralysies brachiales, orthèses de main)
- les aides techniques et la réadaptation sociale
- la réadaptation professionnelle (réentraînement au travail et réemploi, orientation et formation professionnelles, reclassement, ateliers protégés, etc.).