par R. GRIMAUD
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy
(édité en avril 1975)
Si certaines affections du nez, de la gorge et des oreilles sont connues depuis la plus haute antiquité, leur groupement sous forme de spécialité médico-chirurgicale n'a été réalisé, en France, qu'à la fin du siècle dernier. Il semble que reviennent à Moure (de Bordeaux) le mérite et l'honneur d'avoir été le premier oto-rhino-laryngologiste français.
A Paris, en 1902, il n'existait encore que deux services spécialisés dont l'un était dirigé, après Gougenheim, par un chirurgien P. Sebileau, l'autre par un médecin, M. Lermoyez.
Tous ces futurs maîtres qui assuraient déjà un enseignement, devaient bientôt être rejoints par d'autres adeptes en province, notamment Lyon, Montpellier, Toulouse et Nancy.
Notre Faculté fut donc parmi les premières à s'intéresser à l'oto-rhino-laryngologie, puisque le 1er novembre 1904 elle désignait, pendant le décanat du Professeur Gross, un chargé de cours en la personne du Professeur Paul Jacques, qui arrivait au terme des fonctions d'agrégé d'Anatomie qu'il exerçait depuis novembre 1895.
C'est en 1895, en effet, qu'il avait été reçu au concours d'Agrégation d'Anatomie, en même temps que MM. Sebileau (Paris) et Mouret (Montpellier) qui comme lui, devaient s'orienter rapidement vers l'oto-rhino-laryngologie. Il avait étudié la pathologie des premières voies aéro-digestives et de leurs annexes, non seulement en France, mais aussi à Vienne où Politzer avait fondé une école célèbre et auprès de Killian à Fribourg-en-Bris-gau et à Berlin.
L'enseignement et les soins étaient alors dispensés dans les locaux mis à la disposition de M. Jacques par l'Administration Hospitalière : les consultants étaient accueillis là où se trouve actuellement le dispensaire Haushalter, tandis que les malades hospitalisés étaient placés au 2e étage du Pavillon A.
Cette situation, bien qu'inconfortable, devait durer jusqu'en 1930 date de la construction du Pavillon Krug, mais malgré ces incommodités une école était née. Elle est maintenant septuagénaire.
Par décret, en date du 1er novembre 1920, M. Jacques devenait le premier titulaire de la chaire, nouvellement créée, d'oto-rhino-laryngologie de la Faculté de Médecine de Nancy.
Au cours d'un demi-siècle d'activité productrice, ce maître éminent a grandement contribué à la mise au point de tous les principaux chapitres de l'oto-rhino-laryngologie.
Dès 1903, il présente à la Société Française d'O.R.L. (dont il assumera la présidence en 1924) un rapport sur les dégénérescences de la muqueuse nasale. Il décrit les polypes qui en sont l'expression majeure et les différencie des tumeurs.
En 1907, il étudie les néoformations malignes primitives de sinus maxillaire et en 1910, avec la collaboration de son élève Gault, il fait une excellente mise au point de la question des ostéites et périostites du temporal.
En 1920, il présente une importante monographie sur les kystes paradentaires du maxillaire supérieur. La description qu'il en a donnée, tant du point de vue de l'anatomie pathologique que de la thérapeutique, n'a subi depuis lors ni modifications, ni additions majeures.
Il a été l'un des premiers à aborder l'étude de l'ostéïte nécrosante du conduit auditif et des kystes du seuil narinaire. Dans la thèse de son élève Sollier, il décrit un type de fracture du nez qui est parmi les plus fréquemment rencontrés.
Sur le plan chirurgical, il a imaginé de nombreuses techniques dont beaucoup sont encore couramment employées. Je ne mentionnerai que l'opération dirigée contre les sinusites fronto-ethmoïdales et à laquelle son nom est resté attaché.
Enfin, il a marqué l'intérêt qu'il portait à l'œsophagoscopie en réalisant un tube destiné à retirer les épingles de sûreté, pointe en haut, sans risque de léser la muqueuse lors de l'extraction.
Le professeur Jacques possédait également l'art d'enseigner. Tout en s’astreignant à suivre un plan méthodique, il savait mettre en relief les points principaux de son exposé et faire profiter chacun de sa grande expérience. Ses phrases étaient élégantes et lorsqu'il employait, comme il se plaisait à le faire, quelques termes anciens comme celui d'esquinancie, pour désigner l'angine, cela avait pour effet d'éveiller la curiosité de son auditoire.
Nul ne savait mieux que lui décrire avec autant de précision, les lésions qu'il observait et en particulier les ulcérations, presque également fréquentes à cette époque, du cancer, de la syphilis et de la tuberculose.
Admis, selon l'expression consacrée, à faire valoir ses droits à la retraite en 1937, l'enseignement et la direction du service hospitalier furent alors confiés à Monsieur le docteur Paul Aubriot, spécialiste de haute valeur, médecin O.R.L. des Hôpitaux depuis 1930, et déjà chargé de cours depuis le 1er novembre 1933. Comme je devais le faire moi-même ensuite, celui-ci assura jusqu'en 1949, date de mon agrégation, l'enseignement de la spécialité en suivant la voie qui nous avait été tracée par notre maître le Professeur Jacques.
Dès qu'en 1953 nous avons pris la direction du Service Hospitalier, l'Administration voulut bien, sur notre demande, édifier une cabine audiométrique conforme aux données principales de l'isolation sonore et équipée d'une instrumentation tout à fait moderne pour l'époque.
Les études audiométriques qu'elle nous permit d'effectuer attirèrent l'attention de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier qui nous chargea de la rédaction d'un rapport sur « L'évaluation qualitative et quantitative des effets des bruits dans l'industrie sidérurgique » (Luxembourg 1959).
En même temps était installée une consultation hebdomadaire de phoniatrie sous la direction de M. le Dr Coulet, ancien chef de clinique. L'audio-phonologie faisait ainsi ses premiers pas à la Faculté de Médecine de Nancy.
Au cours des années suivantes, alors que le Service de Radiologie n'en possédait pas encore, la clinique O.R.L. a pu acquérir un crâniographe de Dulac permettant d'obtenir des clichés de haute précision de l'appareil auditif et de sa région.
Avec la collaboration du Dr Ph. Tenenbaum, deux films à visée didactique, ont été présentés, en 1963, au Congrès International de Radio-Otologie à Bordeaux, puis à Paris.
En 1962, la Société Française d'Oto-Rhino-Laryngologie nous confiait, en collaboration avec les Professeurs Cordier et Dureux, et avec les écoles O.R.L. et ophtalmologique de Lyon, la présentation d'un important rapport sur « les Troubles de l'appareil auditif et manifestations ophtalmologiques associés ».
Ce travail devait être suivi d'une série de communications sur les surdités et malformations d'origine génétique et en particulier, le syndrome de Wardenburg.
Dans le même temps, grâce à l'appoint du microscope opératoire, l’otologie gagnait également du terrain dans la thérapeutique chirurgicale de l'otospongiose. Dans cette voie s’est engagé délibérément le Professeur Agrégé Wayoff, dont les efforts devaient très vite être couronnés de succès, puisqu'après un rapport (présenté également au Congrès de la Société Française d'O.R.L.), en collaboration avec le Pr Agrégé Bremond (Marseille) et le docteur Jost (de Paris) sur les « étapes du traitement de l'otite chronique chez l'adulte », il se plaçait parmi les premiers otologistes français.
Si du fait de l'évolution de la pneumologie et de la gastro-entérologie, l'activité, en matière d'investigations endoscopiques, s'est trouvée réduite, par contre le spécialiste O.R.L. se voit toujours confier la délicate extraction des corps étrangers ayant pénétré dans les voies aérodigestives supérieures. Le Docteur Werner, ancien chef de clinique et attaché au service d'O.R.L., a acquis en la matière, une notoriété incontestée, ainsi d'ailleurs que dans toute l'endoscopie infantile.
En mai 1963, sous notre présidence, se tenait à la Faculté de Médecine de Nancy, le Congrès de la Société de Broncho-Œsophagologie de langue française. En collaboration avec le Pr Chalnot et le Dr Werner, nous y avons étudié « les problèmes diagnostiques et thérapeutiques posés par les brûlures graves œsophage-gastriques ».
L'activité de l'Ecole O.R.L. de Nancy a également apporté sa contribution à l'étude de l'olfaction puisque « Odorat et Allergie » fut le titre du rapport présenté avec le Pr Agr. Perrin et le Dr M.F. Lepoire, à Monte-Carlo lors du VIe Symposium Méditerranéen sur l'odorat (1968).
Avant même que fut rétablie la chaire d'oto-rhino-laryngologie (1955) dont je devais être le titulaire, la Faculté de Médecine fut habilitée à délivrer le certificat d'études spéciales d'O.R.L. (1952). L'enseignement dut donc être intensifié en vue de la formation des futurs spécialistes. Parmi ceux-ci, sur 57 inscrits jusqu'à 1974, 44 d'entre eux furent reçus à l'examen national terminal.
A l'instar de différentes autres régions médicales de France, la notre se devait de créer une Société d'O.R.L de l'Est. Elle prit son essor à Nancy en 1965 et ne tarda pas à s'unir à l'Ecole O.R.L. de Strasbourg (Pr Greiner).
Depuis cette époque, elle est chaque année (1er week-end de mai) le point de rencontre d'une centaine de spécialistes. Les travaux et communications qui y sont présentés sont, selon le désir des auditeurs, essentiellement orientés dans le sens d'un enseignement post-universitaire O.R.L. (mises à jour, problèmes d'actualité, etc.).
En outre, par décision du Conseil de Faculté, lors de sa création, l'enseignement de l'Orthophonie fut rattaché à la Chaire d'O.R.L. Il débuta en 1964 avec la dévouée collaboration de nos collègues de la Faculté des Lettres, en particulier MM. les Professeurs Carton (phonétique), Herren (psychologie infantile), Schenker (Linguistique) et de la Faculté de Médecine, MM. les Professeurs G. Arnould et Tridon, ainsi que des confrères spécialisés, le Dr Bonneville puis Mme le Dr Equy.
Cette nouvelle profession paramédicale intéressa d'emblée de nombreux bacheliers (notamment des jeunes filles) de telle sorte que dès la première année de fonctionnement cet enseignement fut donné à la limite des possibilités, compte tenu du personnel qualifié et des locaux disponibles.
De 1964 à 1974, 179 élèves ont satisfait aux examens leur permettant l'exercice de l'Orthophonie.
Enfin, les Professeurs Grimaud et Wayoff ont apporté leur collaboration à l'enseignement des étudiants qui préparent au diplôme d'audioprothèse, délivré par la Faculté de Pharmacie.
L'année 1973 a été marquée pour l'école d'Oto-rhino-laryngologie par deux faits importants : d'une part la titularisation du Professeur Agr. Wayoff qui succède au Professeur Grimaud, atteint par la limite d'âge, et qui de ce fait prend la direction de l'enseignement et du Service de l'Hôpital Central ; d'autre part, l'ouverture à Brabois d'un service de 26 lits dont la direction est assumée par le Professeur Agrégé Perrin ; l'un et l'autre services, tout en étant individualisés, travaillent cependant en complémentarité.
C'est ainsi qu'à l'Hôpital Central, le Pr Wayoff oriente ses activités :
En ce qui concerne l'otologie, vers la chirurgie fonctionnelle, en particulier l'otospongiose et les tympanoplasties avec les possibilités offertes par les homogreffes de tympans et d'osselets ;
L'exploration fonctionnelle de l'audition et de l'équilibration dans le cadre d'un département individualisé est confié à Mme le Dr Labaeye. Les examens pratiqués par les méthodes courantes sont complétés par la mesure de l'impédance de l'oreille moyenne et aussi par l'audiométrie objective réalisée avec l'électrocochléographe récemment acquis grâce à la participation du Conseil Général de Meurthe-et-Moselle, de l'Est Républicain, par l'intermédiaire du Comité de Lorraine pour la Recherche Médicale, et de la Caisse Primaire de Sécurité Sociale.
En matière de Rhinologie, il est actuellement admis par tous que les corrections fonctionnelle et esthétique sont indissociables ; celles-ci sont réalisées selon les techniques résultant des travaux du Professeur M.H. Cottle de Chicago, dont le Professeur Wayoff a suivi l'enseignement, avant d'être appelé au Secrétariat de l'International Rhinology Society et d'y être désigné comme « visiting Professer ».
Au C.H.U. de Brabois, le Professeur Agr. Perrin continue de s'intéresser à la carcinologie et en particulier à la chirurgie subtotale et reconstructive dans le traitement des cancers du larynx, sans pour autant négliger la poursuite de travaux sur la physiologie respiratoire nasale avec la collaboration du Professeur Lacoste ; mais il va sans dire que chacun de ces services assume, avec une particulière compétence, l'enseignement et le traitement de toutes les affections qui relèvent de la Spécialité.
Dans ces conditions, tout permet d'augurer que l'Ecole d'O.R.L. de Nancy a devant elle un avenir qui sera à l'égal de son passé.